Smarnil le couard |
Quel boulot !!! Je suis vraiment admiratif ! Je ne sais pas comment se passe la partie (mais je ne doute pas que tes écrits retranscrivent bien le RP) mais tout ce travail doit être tellement immersif pour tes joueurs. C'est ça le JDR. Je ne sais pas comment tu fais pour retenir tous les noms de royaumes flannas (à part Sulm, les autres je sèche...) mais si je savais déjà que tu étais un fan de Greyhawk, je trouve que tu vas au-delà. Bravo, bravo, triple bravo.
Je suis impatient de lire la suite.
Fastoche : les documents Living Greyhawk (et en particulier le LG Journal) contiennent une mégatonne d'infos sur le background, et comme l'intervention de Jallarzi était prévue, j'avais tout loisir d'en préparer à l'avance les éléments (quelques uns en rapport avec la campagne, le plus gros juste là pour noyer le poisson et donner l'impression d'un monde vivant et complexe).
Itar vient de la série Bright Desert de LG, et Tostehnca de Dungeon, un scénar sur notre vieux camarade Keraptis (celui de White Plume Mountain).
krimssone |
Fastoche : les documents Living Greyhawk (et en particulier le LG Journal) contiennent une mégatonne d'infos sur le background, et comme l'intervention de Jallarzi était prévue, j'avais tout loisir d'en préparer à l'avance les éléments (quelques uns en rapport avec la campagne, le plus gros juste là pour noyer le poisson et donner l'impression d'un monde vivant et complexe).
Itar vient de la série Bright Desert de LG, et Tostehnca de Dungeon, un scénar sur notre vieux camarade Keraptis (celui de White Plume Mountain).
Ouais tu fais le faux modeste là !! héhé. Faut déjà avoir lu les séries LG (et c'est pas de la tarte, n'en déplaise à Edwina) et de se taper la préparation pour ajouter cette profondeur qui vraiment me rend admiratif. Keep on Smarnil !
Heraut de la Mort Rampante |
Jallarzi fit une courte pause pour laisser les compagnons poser des questions, mais ceux-ci semblaient complètement subjugués par son récit. Le seul bruit dans la pièce était le grattement de la plume de Barnabé, qui prenait fébrilement des notes sur un parchemin vierge.
- « Après son décès, une fois acquis qu’aucun de ses clones n’avait échappé à ce traître de Robilar, je me suis donc rendue dans son château conformément à ses instructions… Et ensuite je ne me souviens plus de rien. Lorsque je suis revenue à moi, un jour s’était presque écoulé. J’étais debout, dans la plus haute salle de la tour, tenant un petit mot écrit de ma propre main m’assurant que cette amnésie était nécessaire pour plus de sécurité, que le travail était effectué et qu’il ne me restait plus qu’à regagner la terre ferme par la digue. Ce que j’ai fait. J’ai encore la Clé de Bronze et le bouton de porte, mais le livre bleu avait disparu. »
- « C’est un peu extrême comme précaution, non ? » s’étonna Kalen.
- « C’est le moins que l’on puisse dire. Je puis vous assurer que je n’aurais pas accepté de perdre une partie de mes souvenirs si le jeu n’en avait pas valu la chandelle. Je ne sais pas, ou plutôt je ne sais plus, ce que contient le château de Tenser, mais cela doit être important, dangereux, ou les deux. D’ailleurs, depuis mon passage, de mystérieux grondements accompagnés de vibrations se font entendre de temps en temps, assez forts pour être audibles depuis le rivage. Vous comprendrez donc que je doive me concerter avec mes pairs pour bien peser le pour et le contre avant de vous autoriser à y pénétrer. »
- « Loin de moi l’idée d’insister lourdement, mais nous avons une sorte de mission divine à remplir concernant la Mort Rampante, et les notes de Bucknard sont à ce jour notre meilleure piste », insista pourtant Mathieu. « Toutes celles que nous avions à notre disposition ont sinon débouché sur une impasse, et je avoue que je commence à être un peu las d’aller d’échec en échec. »
- « Je comprends parfaitement. Soyez assurés que nous croyons beaucoup à la destinée en général et à la vôtre en particulier », le rassura Jallarzi. « Vous êtes ce qu’il est convenu d’appeler une singularité probabilistique : vous courbez autour de vous les lignes du possible. C’est absolument fascinant. Quelle est à votre avis la probabilité que vous rencontriez par deux fois de sombres complots en rapport avec la mission confiée par un fantôme, au fond d’une mine puis au beau milieu des marais ? La seconde fois, en allant juste livrer un gâteau, hmm ? »
- « Euh, pas très grande ? » admit le paladin.
- « Comme vous dites. Vous représentez ce qu’on appellerait en alchimie un agent catalyseur. Votre simple présence provoque la cristallisation d’évènements hautement improbables qui sinon n’auraient jamais pu survenir, de même qu’un catalyseur permet à une réaction alchimique de se produire. En un mot, vous attirez les coïncidences, comme l’aimant la limaille. ».
- « Donc, si je vous comprends bien, vous allez nous envoyer au château et observer ce qui se passe ? » demanda Barnabé.
- « Absolument pas ! Nous n’allons vous envoyer nulle part. Là est toute la difficulté, justement : trop nous impliquer dans votre affaire serait contreproductif, car nous risquerions par notre aide ou nos conseils d’orienter vos choix, et par conséquent d’interférer avec votre destinée. Pour être tout à fait franche avec vous, notre plan est donc de rester en retrait, d’être des observateurs aussi neutres que possible ; en théorie, c’est la meilleure façon de procéder. »
- « Sauf que l’on a trop peu d’informations pour agir, et donc pour provoquer une réaction », objecta Mathieu.
- « Peut-être. Soyez patients : les secrets que contient le château de Tenser ne sont pas à prendre à la légère. Nous ne voudrions pas déclencher quelque chose de pire que cette Mort Rampante en agissant avec précipitation, n’est-ce-pas ? Je vous tiendrai informés de notre décision d’ici quelques jours, une ou deux semaines tout au plus. »
Sur ces paroles, Jallarzi et Marial prirent poliment congé et retournèrent dans l’alcôve. Après une courte incantation, elles disparurent dans un éclat de lumière bleutée.
Aloïs resta planté là, tenant à la main le bout de parchemin sur lequel il aurait voulu, mais n’avait pas osé, demander un autographe à Dame Jallarzi.
Les compagnons restèrent encore un peu pour discuter avec Eligos de la cession de la peau et des os du dragonnet, dont ils obtinrent la somme rondelette de 600 orbes, payables à la livraison à son domicile car il ne tenait pas à traverser le Quartier des Jardins avec une carcasse puante sur les bras.
Kalen le prit également à part un instant pour convenir avec lui du prêt d’un traité de magie dont il craignait que le contenu ne déplaise à Mathieu.
Smarnil le couard |
Non, non, c'est vraiment pas dur. Je pioche quelques éléments à droite et à gauche qui me servent à habiller/maquiller les rouages indispensables au scénario, pour les rendre moins apparents, moins évidents à deviner pour les joueurs.
Ce qui réussit un peu trop d'ailleurs. Certains d'entre eux se sont mis à rejeter d'emblée toutes les pistes qui ne leur semblent pas liées à la Mort Rampante, c'est à dire TOUTES puisque les indices sont rarement accompagnés d'un carton à en-tête avec mentions légales.
Ce qui m'a contraint à utiliser Jallarzi pour leur rappeler que par leur destinée particulière, ils pouvaient tomber absolument n'importe où et par le plus grand des hasards sur la Mort Rampante...
Pour l'instant, le message n'est pas passé, et ils subissent les évènements plutôt que prendre des initiatives, à mon grand regret. Beuh.
Heraut de la Mort Rampante |
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L’après-midi s’écoula ensuite tranquillement.
Kalen retourna à la Grande Bibliothèque pour s’entendre confirmer par le jeune assistant dont il avait loué les services que personne n’avait jugé bon d’écrire la moindre ligne sur un gladiateur homme-lézard libéré dix ans plus tôt. Il lui versa sans barguigner le solde convenu.
Une fois la dépouille du dragon livrée et son prix collecté, ses collègues passèrent le temps au Relais à siroter des pintes et à spéculer sur le temps que mettrait le Cercle des Huit à statuer sur leur sort.
Vint l’heure du dîner, puis celle du digestif. Les compagnons étaient presque tous réunis dans la salle commune, savourant la douce torpeur qui fait suite à un bon dîner. Hélebrank faisait exception, s’étant absenté un peu plus tôt pour aller soulager un besoin naturel.
Ils ne prêtèrent guère attention à lui lorsqu’il refit son apparition dans la salle… jusqu’à ce qu’il agrippe une serveuse, lui plonge une dague dans les reins, et la propulse vers le groupe de clients le plus proche avant de prendre la fuite, ressortant dans la cour extérieure. La jeune fille s’écroula en hurlant de peur et de douleur, renversant une table.
Médusés, les compagnons mirent quelques secondes à réaliser ce qu’ils venaient de voir. Sans se concerter, ils avaient tous l’intime conviction que l’individu qui venait de commettre sous leurs yeux cette agression n’était pas leur Hélebrank. La difficulté allait toutefois être d’en convaincre les autres témoins de la scène, qui déjà commençaient à s’époumoner :
- « Au meurtre ! Au Guet ! A l’assassin ! » criait tout ce que la salle comptait d’occupants.
La première réaction d’Aloïs et de Mathieu fut d’aller porter secours à la blessée. Le paladin retira la dague tout en invoquant la miséricorde d’Heironéous pour stopper l’hémorragie.
Khalil préféra se lancer à la poursuite de l’agresseur. Rapide comme une flèche, il sortit dans la cour à peine quelques instants après lui.
- « Il s’est enfui par là ! » lui cria une servante, désignant du doigt l’étroite allée qui menait aux latrines, coincée entre l’auberge proprement dite et les écuries.
Khalil s’y engouffra en courant à toutes jambes, espérant rattraper le coupable avant qu’il ne s’échappe. Arrivé à destination, il vit un Hélebrank sortir des latrines, les braies encore sur les chevilles. Au vu de son air affolé, il supposa qu’il s’agissait du vrai, alerté par les cris.
- « Hélebrank ! Va t’en vite ! C’est un coup monté, quelqu’un essaie de te faire arrêter pour meurtre ! Il faut que tu ailles te cacher ! »
- « Tu es sûr ? Cela ne me dit trop rien de partir tout seul… » protesta Hélebrank en se reboutonnant l’aiguillette.
- « Oui, j’en suis sûr ! Le Guet ne va pas faire de détails, si tu es arrêté tu moisiras en prison jusqu’à la fin de tes jours. Va t’en, je te dis, c’est pour ton bien ! » insista le moine, avant de tourner les talons.
C’est le cœur lourd qu’Hélebrank le regarda s’éloigner. Si ses amis lui conseillaient de fuir, c’était sans doute pour son bien, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir abandonné. Il avait tellement peur d’être seul… Qui veillerait sur lui, pour s’assurer qu’ils ne viennent pas le prendre pendant son sommeil ? Mais d’un autre côté, l’idée d’être enfermé, à leur merci car incapable de les fuir, lui faisait tout aussi horreur. Ecartelé par ces sentiments contradictoires, il commença à s’élever rapidement dans les airs.
Lorsque Barnabé, bien moins véloce, franchit la porte donnant sur la cour, son premier réflexe fut de chercher du regard la jeune femme qu’il avait entendu renseigner Khalil sur la direction prise par le meurtrier. Mais la cour ne contenait plus que des palefreniers à moustache, attirés hors des écuries par toute cette agitation, dont le physique n’était guère compatible avec la voix féminine entendue quelques secondes à peine plus tôt.
Il arriva au débouché de l’allée juste à temps pour voir Hélebrank échanger quelques mots avec Khalil et s’envoler, ce qui ne manqua pas de l’étonner : s’il s’agissait du vrai Hélebrank, pourquoi s’enfuyait-il ?
Le suivant à sortir fut Kalen, car il avait au préalable pris le temps de revêtir son Armure de Mage. Il était sur le point de lancer une Vision de l’invisible lorsqu’il fut interrompu par l’arrivée d’une patrouille du Guet. Pour une fois, on ne pourrait leur reprocher d’avoir tardé à intervenir.
- « Vous là bas, le barbu ! Plus un geste ! Personne ne bouge, personne n’incante ! » vociféra le sergent, pendant que l’un de ses hommes faisait usage de son sifflet d’alarme pour appeler des renforts. « Nous prenons les choses en main : que se passe t’il ici ? »
Le temps qu’une foule de témoins affolés lui explique clairement la situation, la cour était déjà envahie d’hommes du Guet et de Veilleurs de Nuit. S’il y avait eu un invisible, il avait eu beau jeu de tirer parti de cette cohue pour prendre le large, même à cloche-pied.
Un prêtre de St Cuthbert qui accompagnait l’une des patrouilles de Veilleurs de Nuit se chargea de guérir complètement la blessure infligée à la victime, tandis que les principaux témoins et les associés du suspect, d’autant plus présumé coupable qu’il avait pris la fuite, étaient embarqués pour interrogatoire au plus proche Hôtel du Guet. Là, les compagnons furent isolés dans une pièce en compagnie d’un homme d’armes.
- « C’est pas bien compliqué », leur expliqua le sergent qui avait procédé à leur interpellation. « Vous restez ici jusqu’à ce qu’on vous appelle, et vous ne parlez pas entre vous, le temps qu’on tire tout cela au clair. »
- « Et combien de temps cela va-t-il prendre ? » lui demanda poliment Kalen.
- « Pas trop longtemps. Z’avez de la chance, y’a justement un Prévôt qui était déjà ici pour une autre affaire. Du coup, il va faire de suite les auditions. Pour vous, c’est d’jà une nuit au gnouf de gagnée. Après, ça dépend de lui : nous autres, les gens du Guet, on arrête les suspects, et c’est le travail de la Prévôté de mener l’enquête et de décider qui doit passer devant un magistrat. »
Effectivement, ils n’eurent guère à attendre avant d’être entendu, chacun à leur tour, par le Prévôt Magnus Ragnarsson, un solide gaillard roux de poil de pure extraction suéloise. Il leur fit décliner à chacun leurs noms, prénoms et qualités, leur demanda de relater ce qu’ils avaient vu et fait ce soir là, puis de pointer du doigt sur un croquis leur position dans la salle commune au moment de l’agression. Enfin, il les interrogea sur leurs liens avec le fugitif, et leur demanda si à leur connaissance il était coutumier des crises de rage homicide. Puis ils furent reconduits, un par un, jusque dans une grande cellule commune où ils purent enfin échanger librement leurs impressions.
- « Mais enfin, pourquoi ils nous gardent ? » s’étonna Barnabé. « Nous leur avons dit tout ce que nous savions, qu’est-ce qu’ils s’imaginent ? »
- « Je ne sais pas… Pour ma part, je suis efforcé de bien faire comprendre au Prévôt que même si l’agresseur ressemblait comme deux gouttes d’eau à Hélebrank, il devait s’agir d’un déguisement magique. Ne serait-ce que parce que le vrai Hélebrank n’aurait pas employé une dague », précisa Mathieu.
- « J’imagine que c’est à cause de moi », admit ingénument Khalil. « Lorsque je lui ai dit que j’avais conseillé à Hélebrank de prendre la fuite, le Prévôt n’avait pas l’air content. D’après lui, cela ferait de moi son complice. »
Quatre paires d’yeux écarquillés par la surprise se braquèrent sur le moine.
- « Par la Sainte Hache ! Comment as-tu pu faire quelque chose d’aussi stupide ! »
- « Cela me paraissait plus honnête de lui dire », se défendit Khalil.
- « Non, ce n’est pas de cela que je parle. Pourquoi conseiller à Hélebrank de prendre la fuite ? Comment peut-il se disculper s’il n’est pas là ? »
- « Tiens, moi j’aurais dit que c’était d’avouer lui avoir conseillé de fuir qui était le plus stupide », commenta acidement Barnabé. « Comme quoi, les avis peuvent diverger. »
Heraut de la Mort Rampante |
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UNE PISTE PROVIDENTIELLE…
(séance du 30 novembre 2012)
4ème Jour du Soleil du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (fin de soirée)
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Les compagnons continuèrent à se lancer des piques durant encore quelques minutes, profitant de ce qu’ils avaient été laissés seuls dans une vaste cellule en sous-sol pour exprimer librement ce qu’ils avaient sur le cœur. Cette séance thérapeutique fut brusquement interrompue par une arrivée inattendue :
- « Aaaaaaahhh ! » cria Hélebrank en tombant depuis l’étroit soupirail qui constituait l’unique aération de la pièce, avant de s’étaler avec un bruit sourd sur la paille qui en jonchait le sol.
- « Manquait plus que lui », soupira Kalen.
- « Ouille, je me suis fait mal… Mais je suis trop content de vous avoir retrouvé ! Quand j’ai vu que les hommes du Guet vous emmenaient, j’étais bien embêté. Je ne pouvais pas redescendre pour vous suivre, parce que les gens du Relais m’auraient vu. Et puis j’ai trouvé la solution, c’était tout bête : au lieu de léviter de haut en bas, j’ai fait la même chose mais à l’horizontale. Comme ça j’ai pu vous rattraper en volant comme un oiseau. Tu devrais essayer Kalen, c’était super. »
- « Mais bien sûr, j’y penserai… Comme si c’était si simple. Modifier un sort, un vrai, cela demande… »
- « Vous parlerez de ça plus tard », les coupa Barnabé après avoir jeté un coup d’œil sur les épais barreaux qui fermaient le soupirail, parfaitement intacts. « Moi ce que je me demande, c’est comment tu es entré. »
- « Euh, je sais pas trop. Cela fait un petit moment que je rôde autour du bâtiment en espérant vous retrouver. Heureusement que vous parliez fort ! Quand j’ai entendu vos voix à cette ouverture, j’étais si soulagé que j’en ai eu le vertige. J’ai du fermer les yeux un instant, et boum, j’étais avec vous. Ça m’avait fait un peu pareil dans le temple d’Hextor, avec la herse, vous vous souvenez ? »
- « Oh misère », réalisa Aloïs. « Comment allons-nous expliquer ta présence au Prévôt ? Il va croire que nous t’avions caché dès le début ! »
Cette question dut rester sans réponse, du fait de l’arrivée d’un garde accompagné d’une femme d’âge mûr portant les robes tissées d’or d’une Protectrice de Pélor.
- « Eh, là dedans ! Mettez-y une sourdine ! » les interpella t’il rudement. « Et surveillez vos manières, z’avez d’la visite, bande de veinards ! »
Le garde ouvrit la grille de la cellule, puis s’effaça prestement pour laisser passer la visiteuse avant de refermer à double tour. Elle le congédia d’un petit geste de la main, et il s’exécuta sans se faire prier, les laissant seuls.
- « Bonjour messieurs, je suis votre avocate. Mon nom est Derider Fanshen », se présenta la prêtresse. « Le Sanctuaire d’Heironéous m’a demandé d’assurer votre défense. »
Ce nom était bien connu des résidents de Greyhawk. Durant de longues années, Derider avait occupé le poste de Premier Prévôt, c’est-à-dire de n°2 du Guet juste derrière le Capitaine Général, et s’y était distinguée par la compassion et la bienveillance avec lesquelles elle avait abordé les affaires criminelles dont elle avait eu la charge. Il semblait qu’aucun malfrat, aussi endurci fut-il, n’était pour elle au-delà de toute rédemption. Ses virées occasionnelles dans les quartiers les plus déshérités de la ville pour prodiguer des soins gratuits à quiconque lui en faisait la demande avaient également marqué les esprits. Cette habitude lui avait valu l’adulation inébranlable des classes populaires, qui voyaient en elle une sorte de sainte descendue du ciel. Depuis sa mise à la retraite, deux années auparavant, elle occupait son temps libre, ses compétences et son considérable entregent à assurer devant les tribunaux la défense des indigents.
- « Je vous propose de me faire une déposition sous Sceau de Vérité. Une fois votre innocence établie à mes yeux, je pourrai m’en porter garante auprès du Prévôt. Cela sera sans doute plus compliqué en ce qui vous concerne », dit-elle en regardant Khalil, « puisque vous avez avoué avoir aidé le suspect à s’échapper, mais je pense pouvoir obtenir à coup sûr la libération des autres, dès ce soir : ma parole a un certain poids au sein du Guet. »
- « Euh… Justement, à ce propos, il y a une petite complication. Comme vous pouvez le voir, nous sommes six : le suspect nous a rejoint ici de sa propre initiative. C’est lui là, avec les marques sur le visage », expliqua Mathieu en désignant Hélebrank.
- « Au contraire, c’est bien mieux ! » s’exclama la prêtresse en se tournant vers l’intéressé. « Avec votre seule déposition, je devrais pouvoir tous vous faire sortir. Aider un innocent à fuir, ce n’est plus un délit. Enfin, pas vraiment. Et à supposer bien sûr que vous soyez innocent. »
Après avoir recueilli son accord, la prêtresse incanta et apposa sur le front d’Hélebrank le symbole sacré qu’elle portait en pendentif. Une trace lumineuse en forme de soleil y resta bien visible, baignant la pièce d’une douce et chaude lumière dorée.
Derider lui demanda ensuite de but en blanc s’il avait de quelque façon que ce soit contribué à l’agression de la serveuse, ce qu’il nia farouchement. Puis elle l’invita à lui narrer dans le détail ses agissements de la soirée. Elle parut pleinement satisfaite de ses réponses, et déclara que tout ce qu’on pouvait lui reprocher était d’avoir passé trop de temps aux latrines (problème qui selon elle ne manquerait pas d’être solutionné par une alimentation plus riche en fibres).
Elle rappela donc le garde, qui fit aussitôt son apparition en compagnie du Prévôt Ragnarsson. Derider commença par saluer familièrement ce dernier, lui demandant des nouvelles de sa famille. Puis elle lui expliqua qu’elle se portait garante de l’innocence des compagnons et sollicitait leur mise hors de cause immédiate. Enfin, elle le gronda gentiment, lui rappelant que tout arrestation d’un homme d’église devait normalement être signalée sans délais au temple correspondant, tandis que le Prévôt se défendait comme un gamin pris en faute, affirmant qu’il avait eu l’intention de le faire dès le lendemain, à la première heure. Cette scène acheva de dissiper les derniers doutes qu’auraient pu avoir les compagnons sur l’influence de leur avocate : ils ne furent donc pas vraiment surpris lorsque le Prévôt capitula sans conditions, ordonnant leur libération immédiate.
Derider les raccompagna jusqu’au Relais pour éviter tout malentendu. Elle dut expliquer la situation à de nombreuses reprises, d’abord aux deux gardes stationnés devant le portail donnant sur la rue, ensuite aux employés qui leur firent accueil, et pour finir à l’aubergiste lui-même. Une fois son devoir d’avocate accompli, elle prit congé de ses clients et rentra se coucher.
Malgré l’heure tardive, les compagnons restèrent encore un long moment dans la salle commune du Relais à discuter des évènements de la soirée, sous le regard inquiet de l’aubergiste. La brève démonstration de vol libre que fit Hélebrank au ras des poutres du plafond ne fit rien pour le rassurer.
Barnabé se déclara convaincu de la culpabilité de Tirra, dont l’habilité au maniement de la dague était bien connu ; selon lui, elle devait être bien plus rancunière qu’elle ne l’avait laissé paraître. Kalen restait lui d’avis que Khellek faisait un bien meilleur suspect. Il aurait fait le coup sous un déguisement magique après avoir appris leur présence en ville, de la bouche de Tirra ou par un autre moyen.
Ils envisagèrent un moment d’examiner la scène de crime afin de déterminer les circonstances exactes de l’agression, par une analyse fine de la forme et de la position des taches de sang par exemple, mais durent y renoncer : d’une part, parce que la serpillière avait déjà été passée, le standing du Relais étant incompatible avec la conservation des stigmates sanglants d’un acte aussi barbare ; d’autre part, parce que l’agression ayant eu lieu sous leurs yeux, ils savaient déjà tout de son déroulement. Ils évoquèrent ensuite vaguement la possibilité d’un examen de l’arme du crime, mais hélas la dague employée avait été emmenée par le Guet et devait être entre les mains du Prévôt.
Enfin, satisfaits de ce brillant travail d’enquête, ils échafaudèrent divers plans destinés à leur éviter un nouvel attentat, tous plus contraignants les uns que les autres. Au final, ils réalisèrent qu’à moins d’aller se cloîtrer dans une caverne à l’autre bout du continent, il leur était difficile de se prémunir des attaques d’un adversaire dont ils ignoraient tout, des moyens à sa disposition comme de ses intentions. Ils en conclurent qu’il était plus sage de ne pas céder à la paranoïa et décidèrent de ne prendre aucune précaution particulière : après tout, comme le souligna Aloïs, le coup monté de ce soir ne leur avait tout au plus fait perdre que deux heures de leur temps.
Je m'attendais à ce qu'ils pensent à vérifier leurs affaires, au cas où l'opération aurait eu pour objectif de les éloigner le temps de les fouiller (ce n'était pas le cas, mais c'est le motif le plus évident). Cela ne leur a même pas effleuré l'esprit.
S'ils s'étaient donné la peine d'interroger le personnel du relais, histoire de voir s'ils avaient constaté quelque chose de bizarre juste avant ou juste après l'agression, ils auraient pu apprendre que si la patrouille du Guet était intervenue si vite, c'est qu'elle était déjà sur place : depuis cinq minutes déjà, son sergent paopotait avec les gardes du Relais à la porte principale. Comme s'il savait déjà que quelque chose allait arriver...
Mathieu rentra donc seul à son temple, déclinant les offres d’escorte que lui firent certains de ses compagnons. Là-bas, il eut la surprise d’apprendre que c’était en fait le temple de St Cuthbert qui avait donné l’alerte concernant leur incarcération. Les compagnons avaient jusqu’alors pensé que c’était Jallarzi Sallavarian et le Cercle des Huit qui avaient volé à leur secours. Se pouvait-il qu’ils n’aient pas placé les compagnons sous une surveillance aussi étroite que ceux-ci l’avaient supposé, ou qu’ils soient des observateurs aussi neutres qu’ils l’avaient prétendu ?
Heraut de la Mort Rampante |
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4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595
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Le lendemain matin, ils étaient tous de nouveau réunis à la table du petit déjeuner à se demander ce qu’ils allaient bien pouvoir faire de leur journée, puisque aucune piste digne de leur intérêt ne s’était manifestée, lorsque entra dans la salle un coursier portant la livrée noir et argent de la Guilde des Messagers.
Après s’être brièvement entretenu avec l’aubergiste, qui lui pointa du doigt leur table, il se présenta devant les compagnons avec un gros paquet rectangulaire enveloppé de papier huilé, étroitement ficelé, arborant un sceau de cire aux armes de sa guilde.
- « Maître Kalen, je présume ? J’ai un paquet pour vous. Une signature s’il vous plaît », demanda t’il à l’intéressé, que la brève description figurant sur le bordereau de livraison lui avait permis d’identifier sans hésitation, aucun autre « mage hirsute » n’étant présent.
Une fois cette formalité accomplie, il lui remit le paquet et resta planté là, un sourire figé sur les lèvres et la main tendue. Kalen l’ignora superbement, apparemment trop occupé à s’assurer de l’absence de piège magique puis à s’attaquer fébrilement à l’emballage pour accorder de l’attention à ce genre de détails. Pris de pitié (ou honteux de la pingrerie du Mage), Mathieu finit par donner un pourboire princier (un orbe!) au coursier, qui partit aussitôt.
Lorsque Kalen vint enfin à bout de la dernière couche de papier, il ouvrit son paquet, dévoré par la curiosité… et le referma aussitôt en blêmissant, bafouillant que c’était personnel, ce qui bien évidemment ne fit qu’exciter la curiosité de ses camarades. Ils le pressèrent donc de questions, auxquelles il ne put donner que des réponses peu convaincantes. Devenu soupçonneux, Mathieu lui prit le paquet des mains et y jeta un coup d’œil. A sa grande horreur, il contenait un gros grimoire relié de cuir noir, dont le titre évocateur et la couverture embossée de crânes d’argent poli ne laissaient guère de doutes quant à la profanité de son contenu.
Il s’agissait du traité d’initiation à la nécromancie que Kalen avait demandé la veille à Eligos. Ce n’était pas qu’il avait déjà oublié, mais il n’avait tout simplement pas envisagé sa livraison par un moyen aussi ordinaire qu’un coursier. Quelque chose de plus clandestin lui aurait semblé mieux adapté à la matière de l’ouvrage : un rendez-vous secret par une nuit brumeuse et sans lune sous couvert de multiples sorts d’illusion pour dérouter d’éventuels témoins, par exemple.
Il jura que son intérêt pour la nécromancie n’était que pure curiosité intellectuelle, afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la Mort Rampante, et s’en tira donc à bon compte par un long sermon de Mathieu où il fut beaucoup question de « pente savonneuse » et de « savoir corrupteur ». De plus, le paladin insista pour se faire rembourser séance tenante le pourboire qu’il avait (à son corps défendant !) versé au porteur d’un ouvrage impie.
Une fois cet amusant épisode clos, les compagnons palabrèrent longuement pour décider de leurs activités de la journée. Certains étaient d’avis que toutes les pistes intéressantes avaient été exploitées, et qu’il ne leur restait donc plus qu’à espérer un signe du Cercle des Huit pour investir le château de feu Tenser. Ils finirent toutefois par établir une courte liste de démarches dont l’accomplissement leur permettrait de tuer le temps en attendant.
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Ainsi Mathieu et Hélebrank se rendirent-ils au Sanctuaire d’Heironéous pour prier le Parangon Demien d’user d’une Localisation d’Objets afin de déterminer si d’autres fioles de céramique du même modèle que celles distribuées à la tribu homme-lézard de la branche tordue existaient dans les parages. Afin de ne pas fausser le résultat, ils avaient eu l’idée astucieuse de collecter tous les spécimens en leur possession dans le Sac de Contenance, dont la nature extra-dimensionnelle les soustrairait à la divination. Le Parangon s’exécuta bien volontiers, mais le résultat fut négatif : il ne décela aucune autre fiole du même type dans un rayon d’au moins une trentaine de kilomètres.
Mathieu soumit ensuite à son approbation une question élaborée en comité le matin même pour servir de base à un miracle de Communion : « allons-nous trouver des éléments relatifs à la Mort Rampante au château de Pointe-au-Mage ? ». Elle fut d’emblée recalée, au motif que la réponse dépendait directement des actions futures des compagnons eux-mêmes, et présupposait notamment qu’ils se rendent au dit château pour le fouiller. Or, comme cela leur avait déjà été expliqué, une Communion ne peut prédire l’avenir ; de plus, les rares miracles qui le peuvent sont limités à une échéance beaucoup plus proche, de l’ordre de la demi-heure.
Le Parangon leur conseilla donc de reformuler leur question sous une forme plus factuelle, en demandant par exemple si les carnets de Bucknard se trouvaient actuellement à l’endroit indiqué. Toutefois, il les prévint que même ainsi une Communion risquait de se heurter au blocage qui semblait masquer tout ce qui était en rapport avec la Mort Rampante. En outre, il était probable que le château de Tenser soit également entouré de protections arcaniques, rares étant les archimages qui ne veillaient pas jalousement sur leur vie privée.
Mathieu préféra donc ne pas donner suite, compte tenu du coût élevé d’une tentative. A cet égard, peu lui importait que cette charge soit supportée par les compagnons eux-mêmes ou par son culte.
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Barnabé avait quant à lui proposé de retourner aux Arènes, afin d’en apprendre davantage sur les modalités de la libération de Shukak, dix ans plus tôt : avait-il été relâché dans la rue avec un pécule, mis sur un bateau, raccompagné jusqu’aux marais ? Aloïs, Khalil et Kalen se joignirent à lui, n’ayant rien trouvé de mieux à faire.
En chemin, alors qu’ils traversaient le Quartier des Artisans, Aloïs aperçut une alléchante échoppe d’archerie qu’il lui fallut absolument visiter séance tenante. Barnabé lui donna sa permission, à condition qu’il soit accompagné ; l’incident de la veille leur avait au moins appris que se déplacer seul pouvait être imprudent. Khalil ayant accepté de lui servir de chaperon, ne restèrent donc que Kalen et Barnabé à se rendre aux Arènes.
Comme lors de sa précédente visite, le hobniz insista pour être le seul à parler, ce qui ne manqua pas de vexer Kalen. A l’entrée du bâtiment administratif, ils furent accueillis par le même employé que l’avant-veille.
- « Bonjour ! Vous vous souvenez de moi ? » s’enquit Barnabé en arborant son expression la plus avenante.
- « Mais bien sûr ! Nous n’avons pas tant de visiteurs. C’est toujours un plaisir. »
- « Un plaisir partagé ! » assura poliment le hobniz, en en rajoutant dans le mielleux. « Je suis toujours à la recherche d’informations sur les esclaves gladiateurs. J’aurais voulu savoir dans quelles conditions ils avaient été libérés, il y a dix ans… Cela se passait comment, exactement ? »
- « Ah, c’est une colle que vous me posez là… Je ne travaille ici que depuis peu. Mais je ne vois guère que la Garde Prétorienne pour s’occuper de ce genre de besogne. Ce n’est pas nous autres employés administratifs qui aurions pu nous en charger. »
- « La Garde Prétorienne ? C’est quoi ? »
- « Oh, c’est comme cela que le patron, je veux dire le Grand Ordonnateur des Jeux, appelle les gardes qui protègent son palais, et surveillent les prisonniers du pénitencier, au sous-sol. A l’époque, il me semble que discipliner les esclaves humanoïdes faisait aussi partie de leurs fonctions. »
- « Il y a quelqu’un ici qui pourrait nous en dire plus ? Quelqu’un qui travaillait déjà ici lorsque ces esclaves ont été libérés ? »
- « Euh, oui, sans doute. Attendez ici, je vais aller me renseigner. »
Lorsque l’employé revint après de longues minutes, son attitude avait changé du tout au tout. Le visage fermé, il affirma aux compagnons qu’aucun des employés n’avait de temps à leur consacrer, les préparatifs des Jeux de Greyhawk ne leur laissant plus loisir de répondre à ce genre de requêtes. Probablement s’était-il fait remonter les bretelles par un supérieur hiérarchique, car les protestations de Barnabé n’y firent rien : les compagnons furent poliment mais fermement reconduits à la porte.
krimssone |
- « Bonjour ! Vous vous souvenez de moi ? » s’enquit Barnabé en arborant son expression la plus avenante.
- « Mais bien sûr ! Nous n’avons pas tant de visiteurs. C’est toujours un plaisir. »
- « Un plaisir partagé ! » assura poliment le hobniz, en en rajoutant dans le mielleux. « Je suis toujours à la recherche d’informations sur les esclaves gladiateurs. J’aurais voulu savoir dans quelles conditions ils avaient été libérés, il y a dix ans… Cela se passait comment, exactement ? »
- « Ah, c’est une colle que vous me posez là… Je ne travaille ici que depuis peu. Mais je ne vois guère que la Garde Prétorienne pour s’occuper de ce genre de besogne. Ce n’est pas nous autres employés administratifs qui aurions pu nous en charger. »
- « La Garde Prétorienne ? C’est quoi ? »
- « Oh, c’est comme cela que le patron, je veux dire le Grand Ordonnateur des Jeux, appelle les gardes qui protègent son palais, et surveillent les prisonniers du pénitencier, au sous-sol. A l’époque, il me semble que discipliner les esclaves humanoïdes faisait aussi partie de leurs fonctions. »
- « Il y a quelqu’un ici qui pourrait nous en dire plus ? Quelqu’un qui travaillait déjà ici lorsque ces esclaves ont été libérés ? »
- « Euh, oui, sans doute. Attendez ici, je vais aller me renseigner. »
C'est ça la pirouette grossière dont tu parlais pour ramener tes joueurs en proie au ramage ??
Smarnil le couard |
C'est ça la pirouette grossière dont tu parlais pour ramener tes joueurs en proie au ramage ??
Euh non, en fait. Là ils suivent gentiment une des pistes que je leur avais jetée en pâture (la marque des Arènes gravée au fer rouge sur le dos de Shukak).
Rien à leur reprocher là dessus, si ce n'est que comme tu peux t'en douter, cela ne leur a rien rapporté d'autre que d'attirer l'attention des cultistes sur leur présence en ville dès leur première visite... Ce qui a eu pour conséquence le gentil petit "attentat" du Relais et la scène qui suit.
Non, le gros panneau indicateur c'était plutôt l'Archimage de service (Jallarzi) qui vient leur rappeller qu'avec la "destinée héroïque" dont ils ont hérité, ils sont susceptibles de trouver la Mort Rampante partout, même dans les endroits les plus inattendus (ou autrement dit, qu'ils sont devenus des aimants à coincidences et que c'est complètement crétin d'exclure de suivre telle ou telle piste parce qu'elle ne semble pas être en rapport avec la Mort Rampante).
Sauf que Barnabé semble se moquer comme d'un guigne de la disparition de son maître en magie/clone de Sherlock, qui l'avait envoyé se planquer à Lac Diamant car il se sentait surveillé et/ou menacé, et n'en a pas soufflé un mot à ses compagnons. Le joueur est convaincu que c'est juste pour faire joli. Je sens que je ne vais pas tarder à sortir les pénalités en xp pour bien lui faire sentir à quel point je trouve cela déplorable d'un point de vue roleplay.
Heraut de la Mort Rampante |
Aloïs était occupé à discuter tension et diamètre de corde au comptoir, sous l’œil blasé de Khalil qui se tenait deux pas en arrière, lorsque deux hommes d’armes du Guet entrèrent dans la petite échoppe d’archerie. Ils refermèrent la porte donnant sur la rue et se postèrent juste derrière le moine, comme pour attendre sagement leur tour.
La pièce fut soudain plongée dans un silence surnaturel : plus aucun son n’était perceptible, ni les bruits de la rue, ni la conversation d’Aloïs avec le commerçant. Du coin de l’œil, Khalil vit les gardes dégainer les matraques plombées qu’ils portaient à la ceinture. Bien que vif comme l’éclair, il n’eut que le temps d’esquisser un mouvement avant de recevoir dans les reins un premier coup qui le laissa chancelant. Il perçut à peine le second qui l’envoya au sol, inconscient…
Ce fut donc Aloïs qui lui raconta la suite, après l’avoir ranimé par de viriles paires de claques, lui assurant que son sacrifice n’avait pas été vain : grâce au temps perdu par les agresseurs à lui régler son compte, il avait pu tirer son épée courte et se mettre sur la défensive. Le commerçant en avait également profité pour prendre la fuite vers l’arrière boutique. Après quelques passes d’armes, aucun des deux gardes n’était parvenu à percer sa garde ; à l’inverse, il avait réussi à blesser l’un d’eux assez grièvement. Voyant qu’ils étaient dans l’impasse et craignant sans doute que le propriétaire des lieux ne revienne avec des secours, ils s’étaient eux aussi enfuis par la porte derrière le comptoir. Aloïs avait bien tenté d’en retenir un, mais n’avait réussi qu’à lui arracher sa cape. Il avait ensuite préféré s’occuper de Khalil plutôt que de se lancer seul à leur poursuite.
Les deux compagnons jetèrent à tout hasard un œil dans l’arrière-boutique, bien que la piste de leurs agresseurs ne soit plus guère fraîche. Ils y trouvèrent un vaste atelier très encombré ; tout au fond, une porte encore ouverte donnait sur une ruelle, derrière le bâtiment. A leur arrivée, le commerçant passa timidement une tête par-dessus l’établi derrière lequel il s’était dissimulé ; manifestement, il n’était pas allé bien loin.
- « Monsieur le marchand, je ne fais pas erreur, ce sont bien des hommes du Guet qui nous ont agressé ? » lui demanda Khalil, dans l’intention de le faire témoigner.
- « Je ne sais pas, je n’ai rien vu, je ne suis au courant de rien ! » nia farouchement l’intéressé, ne souhaitant visiblement pas avoir d’ennuis. « D’ailleurs, nous sommes fermés. Pour la journée. Allez, dehors, ouste ! »
Les deux compagnons furent mis dehors comme des malpropres par le commerçant. Alors que la porte de la boutique claquait bruyamment derrière eux, Aloïs fit une découverte capitale : dans la cape arrachée au garde fugitif qu’il tenait toujours en main, il sentit au travers du tissu un objet dur dissimulé dans une poche secrète cousue dans la doublure. Vérification faite, il s’agissait d’une belle clé ouvragée, dont l’anneau représentait une pieuvre géante enserrant un navire dans ses tentacules.
Ils rejoignirent Barnabé et Kalen au pas de charge, peu de temps après qu’eux-mêmes aient été éconduits des Arènes. Après une brève explication de la situation, ils prirent ensemble le chemin du Quartier des Jardins pour rejoindre Mathieu et Hélebrank, qu’ils croisèrent en chemin. Une fois réunis et mis au courant en quelques mots, les compagnons décidèrent de retourner au Sanctuaire d’Heironéous par des chemins détournés afin de repérer une éventuelle filature.
Ils ne virent rien de suspect avant d’arriver à bon port. Ils tinrent ensuite conseil de guerre, entassés dans l’étroite cellule du paladin. Aloïs put enfin raconter plus en détail ce qui lui était arrivé. Il montra la mystérieuse clé trouvée dans la cape arrachée à l’un des agresseurs, puis lâcha avec une jubilation évidente une information qui fit l’effet d’une bombe :
- « Le truc, c’est que je sais ce que cette clé est censée ouvrir. Je connais ce symbole pour l’avoir vu sur de vieilles cartes : c’est celui d’une compagnie commerciale qui a fait banqueroute il y a belle lurette, la ‘‘compagnie de la pieuvre en cale’’. Je sais aussi où étaient ses entrepôts, sur le port fluvial. Et eux ne savent pas que nous savons : si on agit vite, on peut les prendre par surprise. »
Mathieu prit le temps d’informer ses supérieurs de ses intentions et de sa destination, sur la base des indications précises fournies par Aloïs, puis les compagnons gagnèrent le port en grande hâte. Ils empruntèrent pour ce faire le chemin le plus court, à savoir la porte de Saint Cuthbert (ainsi baptisée à cause de sa proximité avec le temple de cette divinité), dévalant la rampe inclinée habituellement empruntée par toutes sortes de pèlerins et de riches marchands désireux de se rendre directement dans la ville haute depuis le fleuve.
Aloïs leur fit ensuite emprunter un trajet extrêmement détourné pour dérouter d’éventuels suiveurs, enchaînant ruelles étroites et raccourcis acrobatiques, tant et si bien que les compagnons étaient eux-mêmes complètement perdus lorsqu’ils arrivèrent en vue de leur destination, située dans un secteur plutôt isolé du port.
Il s’agissait d’un grand bâtiment de pierre tout en longueur, s’avançant d’une dizaine de mètres sur les eaux du fleuve. Haut de six mètres, il était pourvu d’un toit aplati couvert de mousse. Ses façades aveugles, couvertes d’une peinture vert pâle écaillée, ne comportaient pas le moindre jour ou aération. Manifestement, l’architecte avait choisi de privilégier la sécurité sur la commodité des occupants. La seule ouverture visible était une porte de fer sur le côté du bâtiment ; l’existence d’un second accès donnant sur le fleuve était toutefois probable.
Les compagnons traversèrent rapidement la rue, s’engageant dans la ruelle pour rejoindre la porte. Après un bref conciliabule, Aloïs inséra et fit jouer la clé dans la serrure, puis poussa doucement le battant. Les compagnons se glissèrent rapidement dans l’entrebâillement, pénétrant dans un vaste espace plongé dans l’obscurité, qui à la lumière jaillissant des yeux d’Hélebrank se révéla être un entrepôt occupant un gros tiers du bâtiment, encombré de tonneaux et de caisses de diverses tailles. Les partitions et aménagements intérieurs étaient faits de bois, et non de pierre taillée comme les murs extérieurs. Face à eux, une passerelle courait le long du mur à trois mètres de hauteur, à mi chemin du plafond. Quatre portes étaient visibles, une sur leur gauche et trois sur leur droite, dont une au niveau de la passerelle. Les mages commencèrent à lancer les sorts habituels, Vision Nocturne collective et autres Armures de Mage, tandis qu’Aloïs refermait à clé la porte derrière eux pour ne pas attirer l’attention d’éventuels passants. Ils étaient prêts à toutes éventualités. Ou presque…
Heraut de la Mort Rampante |
D’épais tentacules jaillirent soudain de deux grandes caisses toutes proches, aussi hautes et larges qu’un homme. Ils saisirent solidement Kalen et Barnabé avant de se contracter, leur écrasant les côtes. Les compagnons mirent un peu de temps à réaliser que ces appendices n’étaient pas sortis de la caisse, comme par un trou, mais en avaient été extrudés, comme une pâte que l’on étire…
Une troisième caisse chargea les compagnons depuis l’autre bout de la salle, se dandinant sur de courts pédoncules locomoteurs tandis que se formait au dessus d’elle un épais tentacule au bout renflé, ressemblant étrangement à un énorme poing. Encore plus bizarre, elle ouvrit largement son couvercle et émit un rire strident, laissant apercevoir plusieurs rangées de crocs acérés bordant un gosier rouge et humide.
Les trois caisses se mirent à secréter un épais mucus dont Khalil ne tarda pas à découvrir qu’il avait de puissantes propriétés adhésives. En effet, lorsqu’il tenta d’esquiver la charge de la dernière venue, il commit l’erreur de prendre appui sur elle et y serait resté collé s’il n’avait pas eu autant d’élan. Son élégante pirouette acrobatique se termina par un atterrissage brutal de l’autre côté de la pièce, et il ne put éviter le tentacule qui le frappa en pleine poitrine… et y resta collé, limitant sévèrement ses capacités d’esquive. Comme trop souvent, il se retrouvait séparé de ses camarades et en fâcheuse posture dès le tout début du combat.
Aloïs tira son épée courte et en piqua le flanc de la caisse qui menaçait de briser ce pauvre Kalen comme une allumette. Même vu de près, son cuir épais imitait à la perfection des planches, jusqu’à la dernière tête de clou. Hélebrank lui décocha un rayon incandescent à bout portant.
- « Ouille ! » protesta la créature, accusant le coup et confirmant s’il en était encore besoin qu’elle n’était pas faite de bois.
Aucun des compagnons n’était assez versé en tératozoologie pour identifier leurs agresseurs comme des mimics, monstres polymorphes dont on disait qu’ils avaient été créés par un puissant mage de l’antique Empire de Suel pour faire office de gardiens, avant d’essaimer dans tout le continent.
Mathieu concentra ses efforts sur le deuxième mimic, celui qui avait capturé Barnabé, lui assénant un premier coup de hache. Le hobniz échappa par ses propres moyens à l’étreinte du mimic en se rapetissant, mais resta englué sur son tentacule comme un moucheron sur un bâton enduit de miel.
Khalil frappa le troisième mimic de son bâton, qu’il dut abandonner lorsqu’il resta pris dans le mucus adhésif. Il encaissa en retour un second coup de tentacule et y répliqua par une double ‘‘pointe d’acier’’, ouvrant à mains nues de larges plaies dans le cuir de la créature. Il n’essaya même pas de se dégager : avec deux jambes et une tête encore libres, il estimait avoir encore plus qu’assez de membres à sa disposition pour venir à bout de son adversaire.
L’un dans l’autre, malgré l’effet de surprise, le combat semblait plutôt tourner à l’avantage des compagnons. Certes Kalen et Barnabé étaient plus ou moins neutralisés, mais les mimics avaient déjà subi de bien plus sérieux dommages qu’ils n’avaient pu en infliger eux-mêmes. Toutefois, Mathieu craignait pour la vie de Kalen, dont l’on entendait distinctement les côtes céder une à une sous la pression du tentacule qui l’enserrait. Il lui fallait faire quelque chose, et vite…
C’est pourquoi il décida d’utiliser une Invocation d’Energie Positive, faisant déferler autour de lui un torrent d’énergie bienfaisante. Les plaies des créatures vivantes présentes dans la pièce se refermèrent ; le hic était que, mis à part Kalen, les seules créatures blessées étaient les mimics… Ceux-ci manifestèrent bruyamment leur approbation par un gloussement ravi.
Cette remise à zéro des compteurs fut particulièrement dommageable pour Khalil : son adversaire, qu’il avait été à deux doigts de terrasser, avait retrouvé la grande forme, tandis que lui restait collé et commençait à être à court d’options… Il put encore décocher deux violents coups de pieds, mais dut encaisser en retour un coup de pseudopode dans l’estomac qu’il fut incapable d’éviter, immobilisé comme il l’était.
Poussant son avantage, le mimic fonça droit vers la paroi intérieure qui séparait l’entrepôt du reste du bâtiment. Il la percuta dans un bruit de tonnerre, écrasant de sa masse le pauvre moine. Le mimic recula comme pour admirer son œuvre, laissant Khalil affalé contre le mur, inanimé. Puis il chargea à nouveau, claquant du couvercle et ricanant comme un dément : Khalil reprit conscience juste à temps pour le voir foncer sur lui, et ce fut à nouveau le vide…
Lorsqu’il reprit ses esprits, quelques secondes plus tard, il était coincé entre le mur et le mimic, complètement inerte. Apparemment, ce dernier était parvenu à s’assommer lui-même, et avait été un peu plus lent à récupérer. Tant pis pour lui : lorsque le monstre revint à lui et se recula de nouveau, sans doute pour recommencer son petit jeu, Khalil le foudroya d’un double coup de pied tournoyant. Le mimic s’affaissa au sol comme un gros sac de cuir verruqueux, perdant toute forme cohérente. L’effort produit fit tourner la tête du moine, qui manqua de retomber dans les pommes ; il s’assit pour souffler un peu.
De leur côté, Hélebrank et Mathieu se battaient dos à dos contre les deux autres mimics, avec des fortunes diverses. Le premier servit de défouloir à son adversaire, qui enchaîna direct à la poitrine et crochet au visage, avant de l’achever par un coup de pilon descendant qui lui brisa le fémur comme une brindille. Absorbé par ce jeu de massacre, il se permit d’ignorer superbement Aloïs qui depuis le début du combat s’acharnait sur lui à grands coups d’épée courte en ahanant comme un bûcheron.
Le paladin ne se laissa pas impressionner par le tentacule qui parvint à le frapper à la poitrine, le maintenant en place, et entreprit de débiter méthodiquement son mimic en tranches. Encore augmentée par les sorts de Barnabé, sa force était telle qu’il pouvait sans difficultés arracher sa hache au mucus adhésif, neutralisant l’un des principaux atouts de son adversaire.
- « Grâce, grâce ! Pitié, ne me tuez pas ! » implora le mimic à haute et intelligible voix au deuxième coup de hache, avant de prendre ses pseudopodes à son cou pour aller se réfugier à l’autre bout de la pièce.
Tout à sa fuite, il relâcha Barnabé qui malgré tous ses efforts n’était toujours pas parvenu à se décoller, même avec la formidable détente conférée par un sort de Bond, et avait du se résoudre à soutenir ses camarades du mieux qu’il pouvait avec ses sorts. Aussitôt libéré, il profita de sa petite taille pour aller discrètement porter secours à Hélebrank, Baguette de Guérison des Blessures en main.
Médusé, Mathieu laissa s’enfuir son adversaire. S’avançant derrière lui, le mimic qui venait de triompher d’Hélebrank profita de cet instant d’hésitation pour lui enserrer les bras et le torse d’un tentacule. Le paladin banda ses muscles et se libéra sans difficultés, arrachant un premier glapissement de douleur à la créature, avant de lui asséner un bon coup de hache.
- « Argh ! Non, laissez-moi une chance, je vais… » commença la créature, avant de s’affaisser sur elle-même, terrassée par une bille de fronde magistralement expédiée par Barnabé.
Aloïs lui régla définitivement son compte, mettant tout son poids derrière un dernier coup de son épée courte.
Mathieu alla rejoindre le mimic fugitif à l’autre bout de l’entrepôt. Le combat avait été si rude que dans un premier temps aucun de ses compagnons ne fut en mesure de lui prêter main forte. Se voyant acculé, le mimic défendit chèrement sa peau, et serait même venu à bout du paladin si Khalil n’était pas venu à sa rescousse. Le moine demanda bien sa reddition, mais comme le paladin ne faisait pas mine de déposer les armes, cette offre ne fut pas sérieusement prise en considération.
Les compagnons prirent un peu de temps pour se remettre de leurs émotions, soigner leurs blessures, et achever leurs adversaires. Puis, décidant de remettre à plus tard l’examen du contenu de l’entrepôt, ils firent le tour des portes y donnant accès.
La première sur leur droite était fermée à clé. Kalen décela au travers une aura magique dont il ne put identifier la nature, quelque part dans la pièce. Quelques coups de hache vinrent à bout de la serrure, et ils pénétrèrent dans un bureau jonché de documents et de registres jetés pêle-mêle, sans grand souci de classement ou de conservation. Apparemment, tout ce qui avait concerné l’activité passée de l’entrepôt avait été laissé là à pourrir. Les compagnons estimèrent que l’examen de ces documents pouvait également attendre.
L’aura magique se révéla provenir d’un anneau d’argent orné de motifs aquatiques (tels que vagues et poissons) égaré parmi les documents. Kalen s’en empara pour analyse ultérieure.
La seconde porte sur leur droite, également au niveau du sol, donnait accès à une petite pièce au sol jonché de gravats, haute de six mètres. Une échelle permettait de rejoindre une plateforme à mi-hauteur, et d’accéder à la porte donnant sur la passerelle surplombant l’entrepôt. Mais lorsque Mathieu tenta d’y grimper avec son armure, la plateforme s’écroula sur lui, l’ensevelissant sous une pluie de débris. Il en sortit toussant mais indemne.
Les compagnons ressortirent, et Hélebrank usa de ses pouvoirs pour faire monter Mathieu sur la passerelle. Il n’y trouva rien qui ait un intérêt, si ce n’est une belle vue d’ensemble sur l’entrepôt, et redescendit presque aussitôt.
Les compagnons reportèrent donc leur attention sur l’unique porte à gauche de la pièce. Barnabé l’examina longuement avant de la déclarer exempte de pièges. Néanmoins, il recula prudemment d’un pas ou deux avant que Mathieu ne tourne la poignée, ce qui lui permit d’échapper d’un bond à la large fosse de deux mètres sur trois qui s’ouvrit sous leurs pieds, juste devant la porte. Le paladin n’eut pas cette chance et s’écrasa huit mètres plus bas sur un accueillant lit de pieux acérés, qui heureusement pour lui se révélèrent moins solidement construits que son armure de chevalerie magique. Il s’en tira avec une légère commotion, sans gravité.
La porte elle-même n’était qu’un leurre, et s’ouvrait sur la paroi de bois. Le sort de divination adéquat permit de localiser une porte secrète au dessus de leurs têtes, au niveau de la passerelle. Tous s’y rendirent donc, aux bons soins d’Hélebrank, et se préparèrent de nouveau au combat.
Barnabé attendit que tous aient pris position, puis pressa fortement l’extrémité d’une planche dont son sort lui avait révélé qu’elle devait dissimuler le mécanisme déclencheur. Un déclic sonore se fit entendre, et tout un pan de la paroi pivota silencieusement, s’ouvrant sur les ténèbres…
Heraut de la Mort Rampante |
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…OU UN IGNOBLE PIEGE ?
(séance du 25 janvier 2013)
4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (fin de matinée)
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Les dites « ténèbres impénétrables » se révélèrent n’être qu’un drap de coutil noir tendu devant l’ouverture. Barnabé en souleva doucement un coin : il ne vit au-delà aucune source de lumière, mais une forte odeur d’excréments vint lui chatouiller les narines.
Faisant signe à ses compagnons de l’attendre, il se coula sans bruit de l’autre côté du drap, et se retrouva sur un étroit palier au sommet d’un échafaudage. Face à lui et presque à même niveau, au-delà d’un vide large d’un mètre, s’étendait le toit plat d’une construction de bois en forme de « L » inversé, occupant toute la largeur de l’intérieur caverneux de l’entrepôt. Sur sa gauche, une volée de marches rudimentaires permettait de regagner le sol, trois mètres plus bas. Au pied de l’escalier il pouvait voir une porte donnant accès à l’intérieur du barraquement.
Par contraste, il lui sembla que ces aménagements étaient de construction bien plus ancienne que la cloison de bois qu’il venait de franchir. Ils devaient probablement remonter à l’époque où l’entrepôt était encore en activité : peut-être avaient-ils jadis abrité des bureaux ?
Profitant de ce que sa corpulence était encore réduite à celle d’un jeune chat, il sauta sans bruit sur le toit puis jeta un œil par l’un de ses nombreux interstices. Il vit en dessous l’extrémité d’une pièce étroite ; un humain était assis, immobile, sur le sol jonché de paille.
Le hobniz revint faire son rapport. Les compagnons estimèrent qu’il était inutile de perdre plus de temps en approches précautionneuses : les bruits de leur combat avec les mimics, et notamment les impacts répétés de celui de Khalil contre la paroi de bois, avaient du informer de leur présence tous les occupants des lieux un tant soit peu dotés d’une ouïe.
Ils franchirent donc la porte secrète sans plus tergiverser, descendant les escaliers à la queue-leu-leu jusqu’à la porte, qu’ils ouvrirent après que Barnabé l’ait déclarée exempte de pièges au terme d’un examen minutieux.
Se trouvait derrière un large couloir desservant cinq geôles fermées par des grilles, d’où se dégageaient les effluves pestilentiels caractéristiques d’une occupation prolongée dans des conditions d’hygiène minimales : autrement dit, ça puait rudement là-dedans.
Dans la première des cellules, face à la porte, un humain à l’âge indéfinissable tant il était échevelé et crasseux se balançait doucement d’avant en arrière en marmonnant. Celle immédiatement sur leur droite contenait deux jeunes hommes plutôt athlétiques, assis sans bouger dans la paille ; c’était l’un d’eux que Barnabé avait aperçu un peu plus tôt. Au fond à gauche était enfermée une jeune fille olve. Les deux dernières semblaient inoccupées.
Le premier souci des compagnons fut de sécuriser le périmètre. Hélebrank se chargea ainsi de vérifier que les portes des cellules occupées étaient bel et bien verrouillées, au cas où d’éventuels geôliers auraient tenté de se faire passer pour captifs. De son côté, après s’être assuré qu’aucun des prisonniers n’avait une aura maléfique et que les deux autres cellules étaient bien vides d’occupants, Mathieu alla ouvrir les doubles portes au bout du couloir. Elles donnaient sur un vaste espace à l’arrière de l’entrepôt, qui manifestement avait connu des jours meilleurs. Le plancher était en grande partie effondré, laissant apercevoir cinq mètres plus bas les eaux de la Sélintan qui clapotaient sur les ruines d’une jetée intérieure. Une épaisse porte percée dans le mur extérieur avait du permettre l’accès au fleuve, avant que les treuils censés la lever comme une herse ne la rejoignent dans l’eau. Certains des poteaux ayant autrefois soutenu le plancher étaient encore debout, et quelqu’un s’était donné la peine de jeter entre eux quelques planches afin de permettre la traversée. Ne voyant rien de suspect, Mathieu referma la porte et revint sur ses pas.
Pendant ce temps, le reste de la troupe était resté à l’entrée du couloir, devisant à voix basse. Entendant du bruit à proximité immédiate de leur cellule, les deux jeunes humains prisonniers commencèrent à s’agiter.
- « Hé, il y a quelqu’un ? » appela l’un d’eux, s’accrochant aux barreaux de la porte de sa cellule.
- « Chut », souffla le second. « Tu vas encore nous attirer des ennuis ! »
- « Ce n’est pas comme d’habitude, je te dis qu’il se passe quelque chose… Ohé, il y a quelqu’un ? »
- « Non, il n’y a personne », répondit finement Khalil.
- « Enfin si, et on va vous sauver, mais plus tard. D’abord on termine le nettoyage », ajouta obligeamment Aloïs.
- « Peut-être, faut voir… Qu’est ce que vous faites là, d’abord ? » questionna Hélebrank, dont l’absence apparente de geôliers excitait la méfiance.
- « Mais on n’en sait rien, enfin ! » protesta le premier prisonnier. « Qui que vous soyez, libérez-nous ! »
Smarnil le couard |
Pour ceux qui veulent une copie "propre" (et à jour de certaines coquilles ou incohérences) je joins des liens vers des pdf compilant chacune des aventures terminées à ce jour :
3) Rencontre au Donjon de Blackwall.
Toutes illustrations et la trame des aventures sont des copyrights de Paizo, au cas où vous l'auriez oublié.
Bonne lecture !
Heraut de la Mort Rampante |
L’agitation des deux hommes tourna soudain à la panique lorsque Khalil fit s’effondrer sur eux une partie de leur cellule. Il avait voulu imiter Barnabé et emprunter la voie des airs, mais hélas ses 70 kg de muscles ne produisirent pas le même effet sur les fines lattes du plafond que les 300 g du hobniz, et il était passé au travers. De plus, essayant de repartir par là où il était venu, il alla se jucher d’un bond sur la paroi extérieure de la cellule, ce qui la fit basculer sur l’escalier et acheva de disloquer cette partie de l’édifice…
- « AAAAAAHHH ! AU SECOURS ! » beuglèrent les prisonniers en se protégeant la tête du mieux qu’ils purent. « Sortez-nous de là ! »
- « Bon, c’est d’accord, calmez-vous un peu et on va vous libérer », concéda Mathieu devant l’étendue du désastre. « Mais d’abord, dites nous qui vous êtes. »
Apaisé par la promesse d’une libération prochaine, le premier prisonnier se chargea des présentations.
- « Mon nom est Martal, et lui c’est Regim » dit-il en désignant du pouce son codétenu. « Nous sommes des gardes mercenaires. Nous devions escorter une caravane en partance pour Hardby. On a fait la fête la veille, juste un peu hein, mais au lieu de se réveiller à l’auberge on s’est retrouvé ici dans le noir. »
- « Depuis combien de temps êtes-vous là ? » demanda Barnabé.
- « Difficile à dire. Je dirais dans les huit jours, mais ça manque de repères ici. Ce qui est sûr, c’est que lorsque nous sommes allés nous coucher, nous étions le 3ème Jour du Soleil. »
- « Presque une semaine donc. Vous connaissez les autres prisonniers ? » l’interrogea à son tour Mathieu.
- « Euh, non. Et on n’a pas vraiment eu l’occasion de faire la causette, vu que chaque fois qu’on se mettait à discuter ou à faire trop de bruit, on se faisait tabasser. »
- « Ah bon ? Par qui ? Il venait d’où, de la porte là au fond ? Et il utilisait quoi comme arme ? »
- « Mais enfin, comment voulez-vous qu’on le sache ! » cria le jeune mercenaire, excédé. « On y voit que dalle ici ! Ils venaient nous casser la gueule, pas nous apporter de la lumière et un peu de lecture ! »
- « Ah oui tiens, c’est vrai que vous devez rien y voir » réalisa soudain Hélebrank. Tout comme ses compagnons, il s’était tellement habitué au sort de Vision Nocturne de Barnabé qu’il en venait à oublier que tout le monde n’en bénéficiait pas. Il usa aussitôt de ses pouvoirs pour faire jaillir de ses yeux un double cône lumineux.
- « Euh, merci. Mais si vous pouviez regarder ailleurs… C’est bien, votre truc là, mais ça fait un peu mal aux yeux. »
- « Donc, ceux qui vous ont enfermés ici voyaient parfaitement dans le noir… Intéressant », releva Kalen.
- « Et à part vous bastonner à l’occasion, ils vous voulaient quoi au juste vos ravisseurs ? » demanda Mathieu.
- « Aucune idée. Ils ne nous ont posé aucune question. A vrai dire, ils nous ont à peine adressé la parole. Là où ça devient vraiment bizarre, c’est que depuis qu’on est ici, on fait tous les deux les mêmes rêves étranges, avec des ombres menaçantes, ce genre de choses. »
- « Je vois… » mentit le paladin. « Encore un peu de patience, nous allons interroger les autres prisonniers. »
Le vieillard semblait avoir complètement perdu la raison. En réponse à leurs questions, les compagnons n’obtinrent que des gémissements, des cris et des paroles décousues. Il finit par se recroqueviller en position fœtale en sanglotant, les suppliant de le « laisser en paix » et de « sortir de sa tête ».
Interrogée à son tour, la jeune olve déclara s’appeler Ilya Cheveux-d’Etoiles et exercer la « profession » de jeune fille de bonne famille. Elle n’avait été ni molestée ni même questionnée par ses ravisseurs, et aucune idée de la raison de sa présence en ces lieux. Un mois auparavant, alors qu’elle était au domicile de ses parents, de riches marchands résidant dans le Quartier des Jardins, elle s’était retirée dans sa chambre pour une courte transe onirique et avait repris conscience en ces lieux. Elle n’avait pas fait de rêves aussi sinistres que ceux des deux gardes, mais il faut bien dire qu’étant olve elle ne dormait pas vraiment. Le vieillard était déjà là à son arrivée, ce qui faisait de lui le plus ancien des détenus.
Les compagnons finirent par décider de tous les libérer, Aloïs s’étant aimablement proposé pour garder un œil sur eux. Mathieu fracassa donc une à une les portes des cellules.
Barnabé remonta sur le toit, mais cette fois poussa sa reconnaissance jusqu’à l’extrémité opposée du bâtiment. Outre les doubles portes précédemment ouvertes par le paladin, il y repéra une pièce dont le seul accès devait être une porte donnant sur un petit bout de plancher rescapé de l’effondrement, lui-même seulement accessible par les planches perchées au dessus du vide. A ce qu’il en vit au travers des fentes entre les lattes du toit, la dite pièce ne contenait rien de bien intéressant, que des débris et des planches. Un curieux courant d’air dont il ne put identifier la provenance vint soudain lui chatouiller la chevelure ; alerté, il battit en retraite.
Plutôt que d’aller jouer les équilibristes, les compagnons optèrent pour une approche plus directe : Mathieu eut tôt fait de percer à coup de pic d’armes la cloison qui séparait la dernière des cellules de la pièce qu’ils souhaitaient rejoindre. Il fut également le premier à y pénétrer, et à ce titre ne manqua pas de remarquer que certaines des planches qui en jonchaient le sol sonnaient creux sous ses pas.
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En retirant les dites planches, les compagnons découvrirent un puits maçonné, de section carrée. Une échelle de corde permettait de rejoindre un grand baquet (du genre de ceux utilisés pour la lessive) qui flottait sur l’eau, sept mètres plus bas. Hélebrank le fit remonter jusqu’à eux par télékinésie, ce qui leur permit de vérifier qu’il était parfaitement ordinaire ; rien n’y était dissimulé ou accroché.
Kalen proposa d’explorer les profondeurs du puits sans le moindre risque avec son tout nouveau sort d’Œil de Mage mineur, pour peu bien sûr qu’on lui laisse disposer des vingt minutes nécessaires à son lancement. Personne n’émettant d’objections, ce plan fut mis à exécution.
Toutefois, Hélebrank n’eut pas la patience d’attendre. Plutôt que de rester là à ne rien faire, il préféra aller inspecter seul la grande pièce au plancher effondré. Alors qu’il commençait à descendre en volant le long de la berge afin de voir si l’un de leurs ennemis aurait pu s’y dissimuler, un étrange bruit sifflant se fit entendre, de plus en plus fort comme s’il venait droit sur lui. Pressentant un danger, il rebroussa aussitôt chemin, mais pas assez vite pour éviter de recevoir deux violents impacts dans le dos…
Sa puissante Armure Inertielle absorba l’essentiel du choc, et c’est toujours conscient mais propulsé un peu plus vite qu’il ne l’aurait souhaité qu’il franchit les doubles portes du couloir. Il se rétablit sur ses pieds d’une pirouette, bâton brandi en position défensive, beuglant de toutes ses forces pour alerter ses compagnons.
Ceux-ci se portèrent aussitôt à son secours, y compris Kalen dont la concentration avait été interrompue par une virile bourrade. Ils se déployèrent dans le couloir des cellules, prêts à l’action… Et rien ne vint.
- « Il se passe quoi ici, au juste ? » demanda Mathieu, après quelques secondes de tension insoutenable.
- « Je ne sais pas exactement, j’ai entendu comme un vent et… Mais pourquoi tu rigoles, ce n’est pas drôle ! Je suis sûr qu’il y a quelque chose dans la pièce : je n’ai rien vu, mais j’ai reçu deux coups tout à fait réels » expliqua le psion, un rien vexé par la soudaine hilarité du paladin.
Cette explication donna à Kalen la bonne idée de lancer son sort de Vision de l’Invisible.
- « Euh, les gars, nous ne sommes pas seuls », chuchota t’il la bouche en coin. « Il y a deux Traqueurs Invisibles qui nous regardent. Juste là, en face. »
- « Des quoi ? Parle plus fort, on ne comprend rien quand tu marmonnes. »
- « Des Traqueurs Invisibles, je te dis ! Des créatures originaires du plan élémentaire de l’Air, généralement invoquées pour faire office de gardiens ou pour être lancées aux trousses d’un ennemi, d’où le nom ! Là, je suppose qu’ils ne nous attaquent pas parce qu’ils ont juste reçu pour instruction d’empêcher l’accès au fond de la pièce, quelque chose de ce goût là. Ils ont une interprétation très littérale des instructions qu’on leur donne. »
- « Donc en gros, non seulement ils sont trop laids pour montrer leur sale gueule, mais en plus ils sont trop bêtes pour comprendre les ordres ? » insinua Mathieu, que la présence de créatures extraplanaires semblait rendre vindicatif.
- « Non, non, pas du tout ! » s’empressa de corriger Kalen, qui avait la désagréable impression que les créatures s’étaient soudainement rapprochées. « Ce n’est pas qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’ils y mettent de la mauvaise volonté. Les Traqueurs Invisibles détestent être invoqués et profitent de la moindre ambiguïté dans leurs instructions pour compliquer la vie de leur invocateur. Et malheur à lui s’il en perd le contrôle ! Maintenant tenez-vous tranquille, je vais essayer d’établir le contact avec eux. »
Il fit un pas en avant, leva une main en signe de paix, et s’efforça désespérément de se rappeler ses cours de linguistique élémentale :
- « [Bonjour] » siffla t’il en Auran, le langage chuintant des élémentaires de l’Air. « [Mon nom est Kalen]. »
- « Ton accent est ignoble, mortel » lui répondit l’une des créatures dans un commun impeccable. « Mais tes informations sont correctes. Nous vous laisserons en paix tant que vous ne tenterez pas de traverser cette pièce. »
- « Pourriez-vous nous dire qui vous a invoqués et liés ici ? » demanda Barnabé en riant sous cape devant l’air déconfit de leur interprète.
- « Il m’est hélas interdit de divulguer cette information », regretta la créature.
- « Que pourrions-nous faire pour vous libérer de votre servitude ? » demanda Kalen, bien décidé à reprendre la main.
- « Ta sollicitude nous touche, mortel. Un Mage tel que toi devrait savoir qu’une simple Dissipation de la Magie ferait l’affaire. »
- « Vous n’allez pas vous y mettre, vous aussi… » grogna l’intéressé. « Désolé, je n’ai pas ce qu’il faut. »
- « En ce cas, tenez-vous en au trou que vous avez percé dans la paroi. Nos instructions ne prévoyaient pas cette éventualité. Vous pouvez vous féliciter de votre ingénuité. »
- « Faut dire que la traversée sur des planches au dessus du vide, ça sentait vraiment l’attrape-nigaud », fit modestement observer Hélebrank.
- « Nous ne sommes pas invoqués pour faire des commentaires », conclut la créature, faisant preuve d’un humour glacé. « Mais puissiez-vous faire regretter amèrement son manque d’imagination à notre invocateur ! »
Les compagnons s’en retournèrent sagement au puits, laissant Kalen reprendre ses incantations. Vingt minutes plus tard, il leur signifia d’un signe de tête qu’il était prêt, et Barnabé commença à son tour ses préparations. Il se lança un Rappetissement et un Camouflage Mimétique pour plus de discrétion, ainsi qu’un Pas de l’Araignée et une Respiration Aquatique pour pouvoir plonger à son aise. A titre de précaution, il fit également profiter Khalil de ce dernier sort au cas où il aurait à venir à la rescousse ; Hélebrank déclina cette offre au motif qu’il disposait d’un pouvoir psionique analogue, détail qui plus tard aurait son importance.
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Une fois ces préparatifs achevés, Barnabé et l’Œil de Mage de Kalen descendirent de concert dans le puits, puis s’enfoncèrent sous la surface de l’eau. Ils touchèrent le fond une dizaine de mètres plus bas, constatant la présence dans l’une des parois (celle à l’opposé du fleuve) d’un large passage débouchant quatre mètres plus loin au fond d’une vaste salle.
Arrivés au seuil de celle-ci, ils purent constater qu’elle était carrée, et faisait huit mètres de côté. A chacun des coins, le sol était percé d’un large trou peu profond dont la fonction n’était pas du tout évidente. Au centre, un large pilier s’élevait au moins jusqu’à la surface, loin au dessus de leurs têtes. Manifestement, la pièce n’était pas entièrement emplie d’eau.
Kalen fut le seul à apercevoir l’énorme pieuvre tapie à l‘autre bout de la salle, la couleur de son épiderme se confondant parfaitement avec la pierre des murs… Ne s’étant pas aperçu de cette présence potentiellement hostile, Barnabé commença à remonter tranquillement vers la surface le long du mur.
Kalen tenta bien d’attirer son attention en faisant décrire à son Œil de Mage des mouvements désespérés juste sous son nez, avant de se rappeler que le dit Œil était complètement invisible. Le gros défaut de leur plan d’action lui apparut alors dans toute son horreur : comme il ne pouvait communiquer avec le hobniz, il était condamné à assister impuissant à l’issue inéluctablement fatale de sa rencontre avec le poulpe !
Faisant appel à toutes ses facultés de concentration pour maintenir son sort actif, il parvint à décrire succinctement la situation aux compagnons qui l’entouraient. Une fois que ceux-ci eurent enfin compris la gravité du péril, Kalen ayant initialement omis de mentionner la taille du spécimen aperçu, Khalil et Hélebrank se jetèrent à l’eau sans attendre.
Le bruit de leur double plongeon dut parvenir aux organes sensitifs du céphalopode, car il se détacha aussitôt de la paroi pour se rapprocher du tunnel d’accès, donnant ainsi l’occasion à Barnabé de l’apercevoir enfin. Le hobniz se fit tout petit, sachant qu’il ne pouvait pas lutter contre un pareil monstre, et continua à remonter tout doucement vers la surface. Sa petite taille lui permit de rester complètement inaperçu.
Ainsi, c’est parfaitement en vain que Khalil et Hélebrank se jetèrent dans la gueule du loup. La pieuvre les enserra dans ses tentacules dès leur entrée dans la salle, avant même qu’ils n’aient perçu sa présence, et ils ne tardèrent pas à succomber à son écrasante étreinte. La situation était particulièrement préoccupante pour le psion dont les pouvoirs nécessitaient qu’il maintienne sa concentration. Sa Respiration Autonome prit fin avec sa conscience, et il commença à se noyer.
Kalen informa aussitôt Mathieu de ce désastre. Bien que sachant pertinemment que, d’une part, il nagerait comme une enclume avec son armure, et que, d’autre part, il ne disposait d’aucun moyen magique susceptible de lui permettre de respirer comme un poisson, le paladin tenta le tout pour le tout et sauta dans le puits après avoir (à tout hasard) emprunté l’anneau aux motifs aquatiques trouvé un peu plus tôt dans le bureau attenant à l’entrepôt et demandé à bénéficier d’une Lévitation.
Il dut remonter rapidement à la surface, crachant et toussant, après avoir empiriquement découvert que le dit anneau ne lui permettait pas de respirer sous l’eau. Il semblait par contre améliorer grandement sa flottabilité et son hydrodynamisme, et donc sa vitesse de nage. C’était toujours ça de gagné.
Pendant ce temps, Barnabé n’était pas resté inactif. Arrivé à la surface, il put constater que le pilier central ne rejoignait pas le plafond, mais se terminait par un sommet plat deux mètres au-dessus de l’eau, à niveau avec un étroit parapet qui faisait le tour de la salle. De même, il aperçut au flanc du pilier des barreaux métalliques scellés qui permettaient d’en atteindre le sommet depuis le bassin. A partir de là, il était possible de rejoindre par une mince passerelle de pierre une porte située au milieu de l’un des murs, à l’opposé du conduit d’accès.
S’étant assuré que le plafond était suffisamment haut, Barnabé rejoignit d’un bond le levier et l’actionna. Le pilier se mit à trembler légèrement, mais aucun autre effet ne se fit immédiatement sentir. Ce n’est que quelques instants plus tard qu’il devint évident que le pilier central descendait très doucement, au rythme de 10 cm par seconde, peut-être un peu plus. Heureusement, il semblait que le niveau de l’eau descendait exactement au même rythme, si bien que Barnabé n’aurait pas à se mouiller, dans tous les sens du terme. Restait à savoir si le bassin se viderait assez vite pour sauver ses camarades…
Après avoir repris sa respiration, le paladin se laissa à nouveau couler au fond du puits, puis se dirigea d’un pas lourd vers la salle. Lorsque le poulpe tenta de le saisir, glissant avec gourmandise l’un de ses tentacules dans le conduit, il se contenta de le repousser d’un revers de hache avant d’employer un peu de son précieux souffle pour prononcer tant bien que mal le mot de commande de son bouclier.
- « Glorach <blup> lecht <bloup> ! »
Une lumière aveuglante jaillit dans les profondeurs du bassin, agressant les rétines sensibles du poulpe, habitué aux ténèbres. Sa réaction à cette attaque fut conforme aux attentes du paladin : il prit la fuite en crachant un jet d’encre derrière lui, lâchant ses proies. L’eau du bassin vira soudain au noir le plus profond.
Le temps lui étant compté, Mathieu retourna sans tarder à l’air libre, sans même s’attarder pour identifier un objet flottant qu’il trouva sur son chemin. Dès qu’il fit surface, il appela Barnabé à grands cris, lui réclamant un sort de Respiration Aquatique. Le hobniz lui sauta aussitôt sur l’épaule pour faire le nécessaire, et ils replongèrent ensemble à la recherche des disparus (l’un entraînant l’autre, toujours cramponné à son heaume).
A force de tâtonnements, Mathieu finit par trouver un premier corps flottant entre deux eaux, et entreprit de le remonter à la surface, mi-lévitant mi nageant. Pas de chance, c’était Khalil… Il avait plusieurs côtes cassées, et son torse était parsemé de marques violacées, là où les ventouses du poulpe avaient déchiré la peau.
Il laissa le moine aux bons soins de Barnabé et de sa Baguette de Guérison avant de replonger. Heureusement, le niveau de l’eau avait déjà bien baissé, raccourcissant d’autant son trajet. Il ne s’en écoula pas moins de très nombreuses secondes avant qu’il ne remonte à la surface avec un Hélebrank plus mort que vif, bel et bien noyé.
Les connaissances de Mathieu en matière de premiers soins étaient plus que sommaires, mais un bon coup de poing au plexus suivi d’une généreuse application de soins magiques sembla faire l’affaire : le noyé vomit soudain l’eau ingurgitée, reprenant et sa respiration et des couleurs. Une fois ranimé, il put prendre la suite et se plonger dans une transe régénératrice.
Une minute après que Barnabé ait actionné le levier, l’eau s’était entièrement retirée par les trous percés dans le sol, se déversant dans un vaste espace sous-jacent dont le sol semblait désormais beaucoup plus éloigné que lors de leur arrivée, comme s’il s’agissait d’une sorte de seringue géante dont le piston serait actionné par le pilier central.
Kalen rejoignit ses camarades dès qu’il put le faire à pied sec, lévitant jusqu’en bas du puits. S’ensuivit un court débat sur la conduite à tenir par la suite : fallait-il poursuivre l’exploration ou rentrer en ville avec les prisonniers libérés, et dans le premier cas, que faire de ces derniers ? La question fut tranchée de fait par l’arrivée d’Aloïs, qui leur expliqua avoir pris sur lui de laisser les prisonniers se garder eux-mêmes, avant de descendre les rejoindre en rappel.
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Ainsi mis devant le fait accompli, les compagnons rejoignirent la passerelle huit mètres au dessus de leurs têtes grâce au pouvoir de Lévitation d’Hélebrank ; ils préférèrent cette solution à celle consistant à inonder à nouveau la pièce, au risque de laisser au poulpe toute latitude pour leur exprimer sa rancune.
La porte de chêne épais était fermée par une solide serrure, dont ils n’avaient pas la clé. Personne n’ayant de meilleure solution à suggérer, Mathieu entreprit de la défoncer à la hache. Derrière, un étroit passage rejoignait un couloir plus large, desservant sept portes : une double porte à chacune de ses extrémités, plus cinq portes ordinaires.
Mathieu ouvrit la première sur leur droite, qui se révéla être celle des toilettes. Il eut le temps de manœuvrer virilement la poignée d’une deuxième, celle-là fermée à clé, avant que Barnabé ne s’interpose, offrant ses services pour effectuer une recherche systématique de pièges. Il en trouva effectivement un… lorsqu’une trappe s’ouvrit soudainement sous ses pieds, juste devant la double porte qu’il s’apprêtait à examiner. Ses compagnons le virent choir dans une fosse ; la trappe se referma avec un bruit sourd, étouffant ses cris horrifiés.
Aussitôt, les secours s’organisèrent : Kalen lança une Lévitation sur Mathieu, qui sauta sur la trappe à pieds joints, tandis qu’Hélebrank y coinçait son bâton pour la maintenir en position ouverte. Curieusement, il n’y avait aucune trace du hobniz au fond de la fosse, six mètres plus bas : il avait inexplicablement disparu. Cela ne découragea pas le paladin, qui entama sa descente. Depuis le bord, Kalen lui signala la présence au fond de la fosse d’une aura magique dont il n’avait pu identifier la nature. C’est donc avec beaucoup de prudence que Mathieu posa le pied au sol… et passa au travers.
Dès qu’il fut en dessous de l’illusion, Mathieu n’entendit plus aucun son. Il comprit alors que ce piège vicieux avait été conçu pour empêcher ses malheureuses victimes de signaler leur présence à d’éventuels sauveteurs. Barnabé gisait inconscient sur le véritable fond de la fosse, encore six mètres plus bas. Mathieu alla le ramasser, et remonta avec lui à la surface. Le remettre sur pieds ne fut ensuite que l’affaire d’une prière.
Comme de bien entendu, la double porte se révéla factice : sa seule fonction était d’attirer d’éventuels intrus vers la fosse. Mathieu défonça donc la porte la plus proche, déjà certifiée comme sûre par Barnabé. Derrière se trouvait une petite chambre meublée de deux lits jumeaux confortables, d’un grand miroir fixé au mur, sur la droite, et d’une armoire penderie. Cette dernière était garnie d’une abondante garde-robe, allant des guenilles de mendiants à l’habit de courtisan le plus riche, de toutes tailles et de tous styles, mais il n’y avait sinon aucun effet personnel ; tout était si parfaitement ordonné que l’on pouvait se demander si les lieux étaient réellement occupés.
Kalen détecta une aura magique sur le mur de gauche dont il déclara ne pas pouvoir identifier la nature (il lui semblait en fait qu’il s’agissait de nécromancie, mais cela lui parut si absurde qu’il n’y crut pas lui-même et préféra garder cette information pour lui). Puis il se concentra de toutes ses forces sur le mur, à la recherche du moindre petit défaut qui lui permettrait de déterminer s’il s’agissait ou non d’une illusion. Il y parvint sans peine avec l’aide de Mathieu, qui s’amusait comme un gamin à passer au travers.
De l’autre côté, il y avait une porte métallique sous laquelle filtrait un rai de lumière bleue. La serrure, bien apparente, n’était pas verrouillée. Les compagnons prirent silencieusement place de part et d’autre, se préparant à l’assaut. A l’arrière, Aloïs sortit de son sac à dos la précieuse fiole de feu grégeois que lui avait confiée son « oncle » Merris en cas de mauvaise rencontre avec un troll, se préparant à la lancer.
Lorsque tout le monde fut prêt, Mathieu ouvrit la porte. Derrière, une étrange salle octogonale aux murs entièrement tapissés de miroirs était éclairée par les flammes bleutées de trois lampes ouvragées, suspendues au plafond par de fines chaînes. Au centre de la pièce, six chaises avaient été disposées en arc de cercle, face à la porte. Sur chacune d’entre elles était ligoté et bâillonné un prisonnier en haillons dont l’aspect leur était très familier : un hobniz grassouillet, un jeune colosse, un baklunien tatoué au crâne rasé, un petit trapu à la gueule couturée de cicatrices, un jeune œridien, une caricature de mage barbu, complètement échevelé… Leurs sosies commencèrent à s’agiter dès qu’ils virent la porte s’ouvrir, comme pour se défaire de leurs liens.
Médusés, les compagnons contemplèrent quelques secondes ce spectacle ahurissant… jusqu’à ce que Kalen reçoive entre les deux omoplates une fiole de feu grégeois qui le transforma en torche humaine et éclaboussa au passage certains de ses camarades. A ce signal, leurs doubles « prisonniers » se levèrent de leurs chaises, se débarrassant sans efforts de leurs liens. Seul le double d’Aloïs fit exception, restant à s’agiter sur sa chaise encore ligoté. A moins qu’il ne s’agisse du vrai ?
Le combat fut violent, mais bref : les doubles se ruèrent en masse au contact, faisant jaillir de leurs mains des griffes acérées, mais ils ne portaient pas d’armure et se révélèrent être d’assez piètres combattants. Une fois l’effet de surprise dissipé, les compagnons eurent tôt fait de les tailler en pièces. Après leur mort, ils reprirent la forme d’humanoïdes à la peau grisâtre et aux traits flasques comme de la cire coulée, avec de grands yeux blancs de poissons morts : les compagnons les reconnurent comme étant des dopplegangers, une race artificielle de métamorphes télépathes, ayant une réputation de parasites aimant à prendre la place des honnêtes gens pour jouir du fruit de leur travail.
Ils ne parvinrent en fait à capturer vivant que le faux Aloïs, qu’ils ligotèrent et emmenèrent avec eux.
Une fois libéré, le vrai Aloïs put leur expliquer que la dernière chose dont il se souvenait (avant de se retrouver dans cette pièce, attaché sur une chaise) était d’avoir été amené devant le Prévôt pour interrogatoire, à l’Hôtel du Guet… Il y avait eu soudain un silence absolu, et il s’était fait promptement estourbir par les gardes qui l’escortaient.
S’ensuivit de longues discussions, durant lesquelles les compagnons réexaminèrent les évènements des deux derniers jours à la lumière de cette révélation. Ils essayèrent de se remémorer tous les sujets dont ils avaient discuté avec le faux Aloïs, c’est-à-dire à peu près tout ce qu’ils savaient sur la Mort Rampante. Ils comprirent aussi que c’était à dessein qu’il avait du se rendre dans l’échoppe d’archerie, et que son récit du combat avec les gardes devait être un tissu de mensonges, de même que la découverte « fortuite » de la clé de l’entrepôt… qui lui-même n’avait donc du être qu’un vaste guet-apens, dont ils s’étaient heureusement bien tirés. A posteriori, la totale inefficacité du faux Aloïs lors du combat contre les mimics prit un éclairage sinistre. Avec une horreur rétrospective, les compagnons réalisèrent que leur survie n’avait tenu qu’à un cheveu : à quelques secondes près, Mathieu aurait pu se retrouver cerné par deux mimics, et qui sait si l’épée courte d’Aloïs ne se serait pas alors retournée contre lui, en l’absence de témoins ?
Saisi d’un doute affreux, Kalen ressortit les documents trouvés plus tôt, mis de côté sans même leur accorder un regard : ils mentionnaient une compagnie commerciale portant un tout autre nom que « la pieuvre en cale ». Cela aussi avait été pure invention.
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Barnabé se rappela soudain des prisonniers confiés à la garde du faux Aloïs. Craignant pour la vie de ces innocents laissés à la merci d’un imposteur, les compagnons se précipitèrent toutes affaires cessantes vers la surface.
Lors de leur ascension dans le puits, ils furent chaleureusement accueillis à coup d’arbalètes lourdes par les deux prétendus gardes de caravane. Fort heureusement, compte tenu de l’angle de tir peu favorable, les carreaux ripèrent sur les protections magiques de Kalen et d’Hélebrank, évitant aux compagnons une dégringolade. Une fois arrivés en haut, ils n’eurent aucune difficulté à régler leur compte à leurs adversaires, qui post-mortem reprirent eux aussi leur forme naturelle de dopplegangers.
Certains se firent la réflexion, mais un peu tard, que l’absence de geôliers avait décidément été très suspecte, d’autant que (comme l’avait démontré Khalil avec ses acrobaties) les cellules n’étaient pas construites assez solidement pour contenir deux solides gaillards. Hélas, il était trop tard pour Ilya et le vieux fou, qu’ils retrouvèrent proprement égorgés. Ils se posèrent brièvement la question de savoir où les deux « gardes » avaient trouvé armes et armures, avant de réaliser qu’ils ne s’étaient jamais donné la peine de fouiller la paille de leur cellule. Un arsenal complet aurait pu y être dissimulé.
Penauds, ils rebroussèrent chemin pour reprendre l’exploration du complexe là où ils l’avaient laissée. Le sort adéquat révéla la présence d’une porte secrète dans la salle des doubles. Le couloir qui s’ouvrait derrière les mena jusqu’au seuil d’un vaste labyrinthe de miroirs.
Là encore, ils se refusèrent à jouer selon les règles de leurs adversaires, préférant une approche plus directe, à savoir la destruction systématique des panneaux qui constituaient le labyrinthe. Par deux fois, ils eurent ainsi l’occasion d’apercevoir un inconnu juste derrière un miroir qu’ils venaient de briser, qui chaque fois prit la fuite sans demander son reste. A la demande insistante de Barnabé, Mathieu retourna en sa compagnie dans le couloir d’entrée afin de couper la route à d’éventuels fuyards, le temps que la besogne de démolition soit achevée ; ils ne virent rien de suspect.
Le résultat de cette tactique aussi brutale qu’efficace fut une vaste pièce au sol parsemé d’éclats de verre, dotée de deux issues : l’une évidente, une porte de bois non verrouillée ; l’autre non, sous la forme d’un passage secret. Les compagnons optèrent d’abord pour ce dernier, qui les mena à une vaste pièce. Sur leur droite, une double porte devait donner accès au couloir d’entrée. Deux tables placées en son centre croulaient sous les documents : un ensemble de biographies et d’organigrammes détaillés présentant le fonctionnement interne du Guet, de la Prévôté, des services fiscaux (plus particulièrement du Bureau des Licences et Patentes) et de façon plus surprenante, de la Guilde des Egoutiers. Ils donnaient une image précise des tâches assignées à chacun des membres de ces organisations, indiquaient qui était censé contrôler leur activité et évaluaient la réelle efficacité de ces contrôles, en faisant la part des choses entre attributions théoriques et pouvoir réel. En résumé, ils constituaient un guide précieux pour qui voudrait les infiltrer avec un minimum de risques. Par contre, au grand dam des compagnons, ils ne contenaient aucune indication précise sur l’identité des personnes ayant effectivement été remplacées par des imposteurs. Ils prirent le temps de les rassembler et de les mettre en ordre avant de les emporter.
Ils repartirent ensuite par la double porte donnant sur le couloir d’entrée, où ils défoncèrent une à une les trois portes encore inexplorées. Chacune d’elles donnait accès à une chambre double en tous points identique à celle déjà visitée, le mur illusoire en moins. Ils en profitèrent pour se débarrasser de leur encombrant prisonnier en l’enfermant dans une armoire fermant à clé.
Ne leur restait plus qu’à revenir à la porte aperçue dans la salle du labyrinthe. Comme à leur habitude, ils prirent position de part et d’autre avant de l’ouvrir. Derrière se trouvait une très grande salle, au moins aussi vaste que le bassin du poulpe (mais bien moins haute de plafond). Sur la gauche, deux courtes volées de marches donnaient accès à une partie surélevée d’un mètre, sur laquelle se trouvaient une estrade et un joli trône de bois sculpté. Sur la gauche, était adossé au mur une sorte de chevalet de torture garni de sangles, surplombé par un heaume métallique serti de cristaux de quartz bleu, eux-mêmes reliés à des sortes de filaments cristallins. Aux yeux exercés d’Hélebrank, l’ensemble brillait d’une puissante énergie psionique latente.
Le plus surprenant était sans doute la présence d’occupants : durant leur lente et méthodique exploration du complexe, les compagnons leur avaient pourtant fourni plus d’une occasion de s’esquiver en douce. Quatre dopplegangers sous leur forme naturelle faisaient ainsi face à la porte, disposés en arc de cercle. Au fond de la salle, confortablement assis sur le trône, il y avait aussi… Eligos, le mage auquel ils avaient rendu visite dès leur arrivée en ville.
- « Ah, enfin ! Très aimable de vous joindre à nous », s’exclama ce dernier, en se levant à leur entrée. « Il est temps de vous révéler la vérité des choses. Entrez en paix, et voyez ce qu’il y a au-delà des apparences ! »
- « Va te faire voir toi-même, face de pet », rétorqua Mathieu de façon assez peu protocolaire, réussissant l’exploit de libérer le majeur de sa main droite sans compromettre la fermeté de sa prise sur le manche de sa hache.
Le chef des dopplegangers, dont les compagnons n’auraient jamais l’occasion d’apprendre que le véritable nom était Telakin, haussa les épaules.
- « Très bien, qu’il en soit ainsi… Tuez-les ! » ordonna t’il à ses sbires, qui à ces mots firent jaillir de leurs poings serrés des griffes de dix centimètres.
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Lui-même se transforma, prenant l’apparence d’un humain voûté et barbichu, avant de prononcer une courte incantation. Un rayon d’énergie noire craquelante jaillit de son doigt pour aller frapper Mathieu en pleine poitrine, affaiblissant dangereusement ses muscles. Il dut avaler aussitôt la Potion de Force qu’il portait à la ceinture pour retrouver assez de tonus pour manier correctement sa hache.
Aloïs et Khalil passèrent en trombe derrière lui, pénétrant dans la salle avant que les dopplegangers ne puissent en barrer tout à fait l’accès. Ils tentèrent ensuite de gagner l’estrade par le plus proche escalier, pour aller y croiser le fer avec « Eligos » et ainsi l’empêcher de les bombarder de sortilèges. C’était une intention louable, qui se heurta à une première difficulté lorsqu’une trappe s’ouvrit sous les pieds d’Aloïs, le faisant basculer dans une profonde fosse. Par chance, il ne s’empala sur aucun des pieux qui en garnissaient le fond, huit mètres plus bas…
Khalil, qui était sur ses talons, contourna l’obstacle et poursuivit sa route, gravissant le plus proche escalier quatre à quatre. Il était déjà en train de calculer le meilleur angle d’attaque pour son coup de pied tournoyant lorsqu’une dalle s’enfonça légèrement sur son passage avec un petit cliquètement, faisant violemment s’abattre depuis le plafond une demi-douzaine de pieux généreusement empoisonnés qui l’épinglèrent comme un insecte à quelques pas du but. Il n’eut pas le temps de regretter son échec : Telakin l’acheva d’un double Rayon Calcinant décoché à bout portant, le plongeant dans une douillette inconscience.
Barnabé s’efforça de se faire discret, soutenant ses camarades par ses sorts. Il commença par utiliser sa Baguette d’Agrandissement pour faire de Mathieu un véritable semi-ogre, compensant la force qu’il avait perdue, puis s’appliqua à faire bénéficier autant de ses camarades que possible d’un sort de Course Eperdue pour accroître leur mobilité.
Profitant honteusement de son avantage de gabarit, Mathieu entreprit d’éliminer systématiquement les gardes dopplegangers, certains par un classique coup de hache, d’autres en les précipitant d’un revers de bouclier dans la fosse encore ouverte. Il espérait juste qu’ils ne tomberaient pas sur Aloïs…
Kalen se téléporta au milieu de la salle pour disposer d’un meilleur angle de tir, et fut promptement mis hors de combat par un double Rayon Calcinant. Manifestement, l’angle de tir était tout aussi excellent depuis le trône.
Hélebrank, après avoir débarrassé Mathieu de l’un des gardes, chargea à son tour Telakin. Le coup de bâton qu’il parvint de justesse à lui asséner n’eut pas l’air de lui faire beaucoup d’effet.
- « Ah, tu veux jouer à cela ? Je vais te faire regretter cette impudence », grogna Telakin avant de se métamorphoser en un orc à la musculature de colosse, puis de se saisir de la hache de bataille appuyée contre le dossier de son trône. « Cryophas ! »
La lame de son arme se mit à luire, émettant une lumière bleutée de plus en plus vive ; une fumée froide commença à s’en dégager pour aller se répandre sur le sol. Hélebrank n’attendit pas de voir la fin de ce spectacle et prit ses jambes à son coup : sa vitesse était telle qu’il ne lui fallut qu’une poignée de secondes pour aller se mettre à l’abri à l’autre bout de la salle, se retourner, et décocher à bonne distance un rayon de feu qui atteint le maître doppleganger en pleine tête, le laissant chancelant.
Il n’eut pas le temps de s’en remettre que déjà fondait sur lui Mathieu, également doté d’une vitesse de cheval au galop par Barnabé. Son puissant coup de hache, encore augmenté par son pouvoir de Châtiment du Mal, lui brisa net un fémur.
Sans cause apparente, sa tête se détacha aussitôt de ses épaules pour aller rouler au pied du trône. Un court instant, Mathieu crut qu’il s’agissait là d’un étrange effet secondaire de son propre coup. Puis il vit apparaître juste à côté Aloïs, tenant à deux mains son épée courte ensanglantée. En fait, il avait mis à profit le temps nécessaire à ressortir de la fosse pour réfléchir, et était parvenu à la conclusion qu’une approche directe n’était pas forcément la plus adaptée à la situation présente : il avait donc bu une Potion d’Invisibilité, et s’était sournoisement faufilé à proximité du chef doppleganger, attendant le moment opportun pour lui régler son compte.
Mathieu l’engueula pour la forme, car il avait horreur que l’on lui chipe ses adversaires. Mais ils eurent vite mieux à faire, car Telakin avait repris sa forme naturelle. Sur son front était désormais visible un tatouage dont la sinistre signification ne put leur échapper : un crâne humain dont s’échappaient par tous les orifices une nuée de vers grouillants… Au cas où ils en auraient douté, cette marque témoignait d’un lien entre ces dopplegangers et la Mort Rampante.
Les compagnons procédèrent ensuite à la fouille des lieux selon leur routine habituelle. Outre sa hache, Kalen détecta deux objets magiques sur la personne de Telakin : un anneau portant une magie thaumaturgique, et une baguette en os non identifiée. Barnabé trouva également une porte secrète à la droite du dais, juste derrière le trône et commandée depuis celui-ci.
Pendant ce temps, Hélebrank était allé inspecter de plus près l’étrange machine : il put constater que tous les filaments cristallins convergeaient vers un réceptacle équipé de vis, comme pour y maintenir en place un objet de petite taille. Fouillant à proximité, il trouva un petit coffret dont l’intérieur capitonné était divisé en une douzaine d’alvéoles : deux d’entre elles contenaient des cristaux bleus taillés en forme de cônes tronqués. Par la forme et la taille, ils semblaient tout à fait correspondre au réceptacle.
Ces objets lui semblèrent étrangement familiers… Lorsqu’il en toucha un timidement, du bout des doigts, il se passa quelque chose d’inattendu : durant une fraction de seconde, la pièce chavira et il se sentit tomber vers le cristal. Défilèrent rapidement dans son esprit des images, des sons et des sensations correspondant aux souvenirs d’un autre, un homme du Guet. Surpris, il rompit instinctivement le contact, et tout rentra dans l’ordre. Enhardi par cette première expérience, il toucha le second cristal, avec le même résultat : cette fois, il effleura la mémoire d’un ingénieur de la Guilde des Egoutiers.
- « Euh, les gars, je crois que je sais à quoi sert la machine… »
Heraut de la Mort Rampante |
TOUS A L’EGOUT !
(séance du 15 février 2013)
4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (vers midi)
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Hélebrank fit aussitôt part de sa découverte : cette étrange machine devait d’une façon ou d’une autre avoir pour fonction de transférer dans un cristal la mémoire de ses victimes. Il fut ensuite bien en peine de répondre à l’avalanche de questions qu’engendra cette déclaration fracassante, n’ayant jamais vu d’appareil semblable (ou du moins n’en ayant pas gardé le moindre souvenir).
Comme à leur habitude, le premier mouvement des compagnons fut de remettre à plus tard l’examen de ces nouvelles pièces à conviction. Mais à la réflexion, ils se ravisèrent : comme les effets débilitants du rayon noir ayant frappé Mathieu ne s’étaient pas encore tout à fait dissipés, ils avaient un peu de temps devant eux. De plus, Khalil avait lui aussi bien besoin d’une petite pause.
Hélebrank s’installa donc confortablement en tailleur et prit entre ses mains l’un des cones cristallins. Il se concentra sur lui et très rapidement eut à nouveau l’impression étrange de plonger à l’intérieur. Une fois le contact établi, accéder à la mémoire contenue dans le cristal ne lui était pas plus difficile que de fouiller ses propres souvenirs (un comble pour un amnésique !).
Il navigua ainsi quelques instants dans la mémoire d’un sergent du Guet chevronné dont le nom et le visage ne lui évoquèrent rien. Vers la fin de sa carrière, il avait été affecté au bureau du personnel ; à ce titre, il connaissait par le menu les forces et les travers des membres de l’effectif, ayant eu accès à leurs dossiers. La dernière chose dont il se souvenait était de s’être réveillé dans le noir absolu, les bras et les jambes entravés, la tête enserrée dans une sorte de heaume fermé. Quelques instants plus tard, il avait vu une faible lueur bleutée émise par une étrange machine juste au dessus de lui, puis ressenti une violente douleur…
Hélebrank rompit le contact et se saisit du second cristal, celui contenant la mémoire de l’ingénieur égoutier. Là encore, son nom et son visage étaient ceux d’un inconnu. Au sein de sa guilde, il avait été plus particulièrement chargé de l’entretien du réseau desservant le Quartier des Artisans. Il se souvenait d’avoir été approché par des inconnus à la recherche d’un site propice à l’installation d’un repaire secret, et de leur avoir révélé contre grasse rémunération l’existence de grottes naturelles jouxtant un tunnel particulièrement profond… Il avait été enlevé moins d’une semaine plus tard, et ses souvenirs s’achevaient comme ceux du sergent, sous la machine.
Saisi par une intuition, Hélebrank rechercha dans les souvenirs de l’égoutier la date de son enlèvement : celui-ci remontait à l’automne de l’Année Commune 580, quinze ans auparavant… Reprenant le premier cristal, Hélebrank obtint rapidement confirmation de ce que la disparition du sergent remontait à peu près à la même époque. Sa connaissance encyclopédique du Guet était désormais un peu datée : peut-être avait elle servi à initier l’infiltration de cette institution, avant d’être laissée de côté au profit d’informations plus récentes ?
Les compagnons discutèrent quelques instants de ces nouvelles informations, mais beaucoup de points restaient encore nébuleux. Comment mettait-on en marche la machine ? Qu’advenait-il des personnes ayant subi ses effets ? Leur mémoire était elle simplement copiée, ou bien volée ? Etaient-elles tuées par l’extraction de leurs souvenirs, ou bien se retrouvaient-elles dans le même état que le vieillard dément trouvé dans l’une des cellules du rez-de-chaussée ? L’amnésie d’Hélebrank avait elle été provoquée par un procédé du même genre ? La machine pouvait-elle fonctionner sur un cadavre, voire une tête séparée de son corps ?
Peut-être en apprendraient-ils un peu plus en interrogeant leur prisonnier, le doppleganger qui s’était substitué à Aloïs… Ce qui leur fit penser qu’il était sans doute temps d’aller le récupérer dans l’armoire où ils l’avaient laissé. Par prudence, ils choisirent de s’y rendre en groupe. Comme d’habitude, Mathieu ouvrit la marche, prêt à toutes éventualités.
Lorsqu’il sortit de la chambre au mur illusoire pour entrer dans le couloir d’accès, il n’en fut pas moins stupéfait de se retrouver face à deux olves noirs en cotte de maille, arbalète de poing et rapière à la main, couvrant la retraite de deux autres qui entraînaient vers la salle du poulpe leur précieux prisonnier… Que venaient faire ici des membres de cette race mythique des royaumes souterrains ?
Il s’arrêta net devant la porte, se mettant d’instinct en position défensive pour faire rempart de son corps à ses compagnons.
- « Gare ! Des olves noirs ! » s’écria t’il pour les avertir du danger, tandis que deux carreaux ricochaient sur sa cuirasse.
Puis il prononça pour la seconde fois de la journée le mot de commande de son bouclier, invoquant une explosion de lumière qui aveugla les deux adversaires qui lui faisaient face… ainsi que ses compagnons, juste derrière lui.
Fines rapières aveugles contre grosse hache qui ne l’était pas : même à un contre deux, le combat fut particulièrement inégal. Avant même que les effets de l’éclair ne se dissipent, l’un des olves était déjà au sol dans une mare de sang, et le second était blessé.
Les compagnons furent les premiers à recouvrer la vue, grâce à la Persistance Sensorielle dont Kalen les avait fait bénéficier. Par une superbe pirouette, Khalil parvint à contourner la mêlée pour se retrouver derrière l’olve survivant, qu’il faucha violemment d’un revers de bâton avant de l’achever au sol dans le même mouvement. Curieusement, Mathieu n’avait pas l’air du tout content.
- « Mais non, pas lui ! Occupe toi plutôt des autres ! » tempêta le paladin, avant de réaliser que ses compagnons n’avaient pu apercevoir ceux de leurs adversaires qui avaient pris la fuite, ayant été aveuglés avant même d’avoir franchi le seuil de la chambre. « Barnabé, vite ! Lance-moi un de tes sortilèges de course ! »
Une fois exaucé, il se lança aux trousses des fugitifs, arrivant sur la passerelle surplombant le bassin à peine une douzaine de secondes après les avoir perdus de vue. Bien que ce laps de temps lui semblait bien trop court pour descendre au fond de la pièce et disparaître par le conduit menant au puits, il ne les aperçut nulle part.
Moonbeam |
Ouf! J'ai enfin rattrapé ton histoire!
En effet, en arrivant à Greyhawk, ça peut ne pas être évident de savoir ou continuer, du point de vue des joueurs. Le truc du faux-Alois était bien pensé, même si je crois que c'est comme ça dans l'aventure, comment t'y es-tu pris pour que le joueur d'Alois se comporte comme il faut?
Dans ma campagne (ou je suis le seul joueur), le DM avait remplacer un NPC par le doppleganger, parce qu'évidemment, ça aurait été bizarre s'il avait fait ça avec un de mes persos. :)
Comment est-ce que les joueurs on réagi quand ils ont découvert cette supercherie?
Même si parfois je ressens un certain sarcasme de ta part face aux joueurs (j'espère qu'ils ne se sentent pas offensés s'ils lisent le log! :) ), j'ai trouvé qu'il ont été malins de détruire les miroirs dans la salle avec tous les miroirs... Moi j'avais eu beaucoup plus de difficulté dans cette salle.
C'était sympathique aussi qu'ils discutent avec les Invisible Stalkers... moi je les avais juste tué. Auraient-ils pu faire ça avec les Mimics aussi? Ils semblaient vouloir discuter durant le combat.
En tout cas, franchement bien raconté, comme toujours... Tu es vraiment doué!
Smarnil le couard |
Ouf! J'ai enfin rattrapé ton histoire!
Cool ! Je craignais d’avoir dépassé le point au-delà duquel tu ne t’autorisais plus à me lire par crainte des spoilers.
D’un autre côté, ce n’est plus les campagnes qui manquent, et vos chances de revenir à Age of Worms s’amenuisent…
En effet, en arrivant à Greyhawk, ça peut ne pas être évident de savoir ou continuer, du point de vue des joueurs. Le truc du faux-Alois était bien pensé, même si je crois que c'est comme ça dans l'aventure, comment t'y es-tu pris pour que le joueur d'Alois se comporte comme il faut?
Tout simplement en ne lui disant rien !
J’ai considéré que le doppleganger était dans une position si favorable (informations complètes sur les PJ fournies par le « Maître » après sa fuite de Lac-Diamant , totale absence de soupçons de quoi que ce soit chez mes joueurs) que c’était la meilleure façon de retranscrire la situation.
Je dois dire que le vrai/faux Aloïs a été parfait : il a été le premier à dire que l’affaire du « faux Hélebrank » n’avait aucune importance et ne méritait pas leur attention, qu’il s’agissait probablement d’un plan idiot pour leur nuire qui avait lamentablement échoué, et que ce n’était donc pas la peine de chercher à comprendre. Parfait, je te dis !
J’étais prêt à tout moment à reprendre le contrôle si nécessaire, mais cela n’a jamais été le cas. Je me suis contenté de prendre à part le joueur de temps en temps pour lui soumettre des suggestions, acceptées et exécutées comme autant de « bons » conseils du MJ. Du genre aller faire des courses pour s’acheter un arc, ou se porter volontaire pour garder les « prisonniers » et ensuite les laisser se garder tous seuls, etc.
Dans la boutique d’archerie, j’ai même été jusqu'à jouer le combat (totalement fictif, mais l’autre témoin était HS) contre les faux hommes du Guet en prenant un plaisir pervers à exagérer délibérément ses prouesses. "Aloïs" a pu ainsi raconter sans rire qu'il les avait mis en déroute une main dans le dos, alors que d’habitude il faut bien dire qu’il n’est pas d’une grande efficacité en combat au contact.
Le scénario suggère d’avoir un complice parmi les joueurs, mais d’expérience je sais que c’est TRES difficile à mener à bien. Soit que le joueur ne veut pas nuire au groupe et sabote le travail, ne serait-ce qu’en réclamant à tout bout de champ une entrevue avec le MJ, soit qu’il y mettre trop de zèle et finisse par s’attirer la rancune des ses petits camarades. Là au moins, il pouvait dire que lui-même n’en savait rien.
Pour ce qui est de savoir quoi faire, mon problème est que l’un des joueurs a depuis le début toutes les cartes en main mais qu’il ne veut pas partager les informations qu’il détient avec ses camarades (sans raison apparente, rationnelle du moins). Cela ne serait pas si grave s’il prenait la peine de les exploiter correctement. Mais comme il ne veut pas que l’on sache qu’il sait, il n’en fait rien de peur que l’on se doute qu’il a des informations particulières… Argh. Le résultat est que ses camarades tournent en rond en se demandant quoi faire, et s’arrachent les cheveux pour trouver des pistes.
Si cela continue, je vais devoir faire tomber des coincidences de plus en plus improbables pour les remettre sur le bon chemin, et cela m'ennuie...
Dans ma campagne (ou je suis le seul joueur), le DM avait remplacer un NPC par le doppleganger, parce qu'évidemment, ça aurait été bizarre s'il avait fait ça avec un de mes persos. :)
Comment est-ce que les joueurs on réagi quand ils ont découvert cette supercherie?
Par des jurons, et beaucoup de claquements de mains sur le front. Ils ont passé en temps réel une bonne demi-heure à détricoter les évènements des deux ou trois précédentes séances en relevant un à un tous les petits détails qu’ils avaient loupé, ou écartés parce que « sans importance », et ont fini par conclure qu’ils s’étaient bien fait avoir et qu’ils l’avaient bien mérité ! Beaux joueurs quoi.
Même si parfois je ressens un certain sarcasme de ta part face aux joueurs (j'espère qu'ils ne se sentent pas offensés s'ils lisent le log! :) ), j'ai trouvé qu'il ont été malins de détruire les miroirs dans la salle avec tous les miroirs... Moi j'avais eu beaucoup plus de difficulté dans cette salle.
Ce journal est d’abord fait pour eux, et ils en sont les premiers lecteurs. Pas de problème de ce côté.
Le ton effectivement sarcastique a donc plus pour but de leur souligner ce qu’ils ont loupé ou auraient pu faire, histoire de faire mieux et d’être un peu plus proactifs la fois suivante, plutôt que de les moquer stérilement dans leur dos.
Ils ont effectivement été récompensés pour avoir « pensé hors de la boîte » à plusieurs reprises, d’abord en évitant la rencontre avec les Stalkers, puis dans la salle aux miroirs. De ce point de vue, le scénario est assez mal ficelé car comportant certains obstacles aisément contournables, donc absurdes du point de vue des défenseurs. J’ai mis ça sur le compte de Telakin, dominé par le mind flayer et donc pas forcément d’uns stabilité mentale à toute épreuve.
C'était sympathique aussi qu'ils discutent avec les Invisible Stalkers... moi je les avais juste tué. Auraient-ils pu faire ça avec les Mimics aussi? Ils semblaient vouloir discuter durant le combat.
En tout cas, franchement bien raconté, comme toujours... Tu es vraiment doué!
Lorsqu’ils ont rencontré les mimics, ils n’étaient (hélas) pas en mode pourparlers.
Dommage, car l’un d’entre eux était sur le point de parler… Jusqu’à ce que « Aloïs » l’achève, spontanément. Il a été par-fait, je te dis !
Heraut de la Mort Rampante |
Il s’en étonna auprès de ses compagnons, arrivés sur ses talons, et il n’en fallut pas plus pour que Kalen lance une Détection des Portes Secrètes. Il y en avait bien une à leur gauche, accessible par l’étroite corniche qui faisait le tour de la pièce : voila qui pouvait expliquer la rapidité avec laquelle les fugitifs avaient disparu. Lors de leur précédent passage, l’attention des compagnons s’était tant focalisée sur la porte de chêne bien visible qu’ils n’en avaient pas du tout pensé à rechercher une autre issue.
Barnabé fit jouer le mécanisme d’ouverture, et tout un pan du mur s’enfonça avant de coulisser sur la gauche, révélant un long boyau. Non loin de l’entrée, le cadavre d’un doppleganger était appuyé contre la paroi, du sang coulant de ses narines et de ses oreilles. Un examen plus approfondi ne décela sur son crâne aucune trace d’impact, ni aucune autre blessure susceptible d’expliquer son état. Au vu de ses yeux rougis par l’explosion des capillaires, une hémorragie cérébrale massive semblait être la cause de décès la plus probable.
- « Peut-être qu’il a été terrassé par l’émotion ? » avança Aloïs, se croyant drôle.
- « On dirait plutôt qu’il a reçu un coup, mais à l’intérieur de la tête. Tu saurais faire ça, Hélebrank ? »
- « Euh… Je ne sais pas. Peut-être. Je n’ai jamais essayé en fait » répondit l’intéressé.
- « Nooonn ! » réagirent unanimement ses compagnons.
- « A la réflexion, il serait plus prudent que tu t’abstiennes », renchérit Mathieu. « Des fois que tu réussirais, tu comprends. »
Laissant là le cadavre, les compagnons poursuivirent leur exploration du boyau, qui rejoignait un peu loin les égouts. Aloïs parvint à suivre la piste des olves noirs sur une certaine distance, mais finit par la perdre dans ce dédale de galeries, de collecteurs et de déversoirs.
Dépités, les compagnons retournèrent achever l’exploration de la salle du trône. Barnabé confirma que la disposition des pièges était symétrique, découvrant une seconde fosse et manquant de peu se faire épingler par un second piège à pieux empoisonnés, puis ils ouvrirent la porte secrète donnant sur le sanctuaire privé de feu Telakin.
La décoration, toute en moulures dorées et tentures de velours rouge, était digne du plus kitsch des bordels. La pièce était meublée d’un monumental lit à baldaquin aux montants ornés d’angelots poupins, d’une armoire large comme une porte de grange, d’une jolie psyché ovale , d’un bureau et d’un gros coffre de marine. Le sol dallé était recouvert d’un tapis dont les motifs géométriques colorés étaient en perpétuel changement.
Pour ce qui est des auras magiques, Kalen en détecta trois : une première de Divination sur le miroir, une deuxième qu’il ne parvint pas à identifier en provenance du coffre, et une troisième de magie de Terre sur le tapis.
Lorsque ce dernier commença à s’élever doucement dans les airs sans cause apparente, les compagnons crurent un instant qu’il devait s’agir d’un tapis volant. Finalement, c’était juste Hélebrank qui l’avait écarté du chemin avec sa télékinésie sans en avertir quiconque, pour éviter que quelqu’un ne marche dessus ; il le roula avant de le déposer dans un coin de la pièce.
Kalen s’intéressa plutôt à la psyché. Ayant trouvé au dos une mystérieuse inscription susceptible d’en être le mot de commande, il se livra à une petite expérimentation :
- « Miroir, mon beau miroir… » psalmodia t’il le plus sérieusement du monde.
La surface du miroir se mit à briller, mais Kalen eut beau se concentrer de toutes les façons imaginables, il n’y vit rien d’autre que son reflet.
Le coffre contenait des documents de natures et de provenances très diverses, apparemment sans lien entre eux : acte de propriété d’un vignoble dans le Verbobonc, passeport kéolandais, carte d’un restaurant de Rel Mord, etc. Toutefois, les quelques noms et dates indiqués laissèrent penser aux compagnons qu’ils se rapportaient à de précédentes identités usurpées par le maître des lieux et avaient été conservés à titre de souvenirs. L’aura magique provenait d’un étui à parchemin en cuir que Kalen le mit de côté pour examen ultérieur. Le coffre contenait également un gros sac de cuir bien rebondi, plein à ras bord de pièces de diverses dénominations. Aloïs commença à les compter, faisant de jolis petits tas : il y en avait pour près de 1.500 pièces d’or.
Barnabé fouilla de fond en comble le bureau sans rien y trouver, pas même une feuille volante ou un vieux trombone. Il était complètement, étonnamment, vide.
Enfin, constatant que personne ne s’intéressait à l’armoire, Hélebrank se dévoua pour la mettre à sac. Il y trouva une garde-robe très fournie comprenant quelques tenues d’apparat fort luxueuses, mais aussi une petite fortune en bijoux assortis.
Inspirés par son exemple, les compagnons ne manquèrent pas de faire un détour par les chambres des dopplegangers lorsqu’ils reprirent le chemin de la surface, et en furent récompensés par la découverte d’autres bijoux dans les armoires. En l’absence d’auras magiques, ils ne s’étaient pas donné la peine de les fouiller lors de leur premier passage.
Heraut de la Mort Rampante |
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4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (début de l’après-midi)
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Instruits par l’expérience (ou devenus un rien paranoïaques, c’est selon), les compagnons ne sortirent de l’entrepôt qu’après que Kalen se soit assuré au moyen de sa Seconde Vue qu’aucune embuscade ne les attendait dans les ruelles avoisinantes. Lorsqu’ils mirent enfin le nez dehors, le soleil avait déjà dépassé son zénith.
Ne sachant trop dans quelle partie du Port ils se trouvaient, les compagnons se fièrent aux capacités d’Aloïs pour retrouver la route de la Ville Haute, tâche dont il s’acquitta admirablement en demandant son chemin au premier passant qu’ils croisèrent. Ils franchirent la Porte de St Cuthbert sans encombres, si ce n’est que Mathieu et Aloïs durent y abandonner qui sa vieille hache, qui son arbalète lourde, n’ayant pour ces armes ni permis ni intention d’en acquérir un.
Il ne leur fallut ensuite qu’une dizaine de minutes pour traverser le Quartier des Jardins et rejoindre le Sanctuaire d’Heironéous. Ils y étaient très attendus : dès leur arrivée, ils furent introduits dans les appartements du Parangon, où étaient déjà présents trois visiteurs cuthbertiens. Le premier était un moustachu d’âge mûr portant béret et robes de velours rouge, dont la poitrine arborait un pendentif serti de brillants représentant l’explosion d’une étoile. Le deuxième était un colosse revêtu d’une armure de chevalerie, coiffé d’un heaume fantaisie dont la forme évoquait celle d’un chapeau et portant gourdin et épée au ceinturon. Par effet de contraste, le troisième semblait banal : il ne s’agissait que d’un prêtre en robe de bure, le crâne tonsuré, sans aucun trait remarquable.
- « Ah, vous voilà, Heironéous en soit loué ! Nous commencions à sérieusement nous inquiéter. Figurez-vous qu’il n’a jamais existé de compagnie commerciale de la pieuvre en cale ! Mais permettez-moi de vous présenter le Juge Godbert, Grand Inquisiteur de l’Ordre des Etoiles » dit-il en désignant le moustachu en robe rouge.
Les compagnons réalisèrent qu’ils connaissaient déjà celui-ci de vue : il avait fait partie des enquêteurs dépêchés à Lac-Diamant suite à l’affaire de la Mine Pierrerude, et s’était chargé de leur interrogatoire aux côtés de deux autres membres de son ordre. Le Juge présenta à son tour ses compagnons comme étant Frère Talasek Fléau-des-Impies , Eradicateur de l’Ordre du Saint Gourdin, et Frère Anselme, son secrétaire particulier.
Ces présentations effectuées, Mathieu se lança dans un long récit de leurs aventures, expliquant que Aloïs avait été remplacé par un imposteur lors de leur passage à l’Hôtel du Guet, ce dernier devant avoir été infiltré par des dopplegangers, puis relatant la façon dont ils avaient été ensuite attirés dans un entrepôt abandonné qui s’était révélé n’être qu’un piège mortel, ce qu’ils y avaient trouvé, et comment ils s’en étaient sortis.
L’inquisiteur l’écouta attentivement, posant parfois quelques questions complémentaires, ou pointant telle ou telle information à son secrétaire pour s’assurer qu’il en avait bien pris note. Lorsque ce fut fini, il lui donna ses instructions.
- « Frère Anselme ? Pour action, au Temple. Réunion du ban et de l’arrière-ban, protocole de rassemblement Emeraude. Je veux une purge complète avant lancement de l’opération Chasse au Coucou sur les Veilleurs de Nuit, puis sur le Guet. Et demandez à la Matriarche Eritai de prendre contact avec Sire Gavin pour nous couvrir sur le plan politique. Confirmez ! »
Sire Gavin Ambus a succédé en 593 AC à Derider Fanshen dans la fonction de Premier Prévôt, et était précédemment le grand maître de la Guilde des Veilleurs de Nuit. Tout comme cette dernière, il a la réputation d’être très proche du culte de St Cuthbert.
- « Affirmatif, Juge », confirma l’intéressé, avant de répéter le tout mot pour mot.
Puis il resta là sans rien dire, les mains jointes dans ses manches, sans que son supérieur ne trouve à redire à son inaction.
- « Cela veut dire quoi, tout ce charabia ? Vous allez faire quoi, au juste ? »
- « Si j’en crois votre récit et les documents que vous nous avez rapportés, le Guet est infiltré par des agents hostiles. Or c’est précisément à lui que nous aurions fait appel. Il nous faut donc employer d’autres ressources, en l’occurrence notre propre milice paroissiale, avec pour faire bon poids le renfort de la Guilde des Veilleurs de Nuit dont nous avons de bonnes raisons de penser qu’elle n’est pas compromise. A quand remontent les dernières vérifications de sécurité au sein de la Guilde, Frère Anselme ? »
- « Six jours, Juge », précisa obligeamment celui-ci.
- « Merci. Nous en ferons néanmoins une nouvelle, par acquit de conscience. Dès que nous aurons suffisamment de personnel sûr à disposition, les opérations d’épuration pourront commencer. »
- « Et Eligos ? » demanda Mathieu.
- « Oui, ce serait bien d’envoyer quelqu’un chez lui pour vérifier » renchérit Aloïs, qui aurait bien aimé savoir qui il avait décapité au juste.
- « Pas dans l’immédiat. De deux choses l’une : soit c’est bien lui que vous avez affronté et occis, auquel cas le problème est réglé ; soit ce doppleganger s’était juste approprié son apparence, et il n’y a pas urgence. Nous nous en occuperons, mais ce n’est pas du tout dans nos priorités » leur opposa le Juge avec une logique implacable.
- « Vous allez faire quelque chose pour les égouts, aussi ? » s’inquiéta Hélebrank. « Ce cristal contient la mémoire d’un ingénieur qui a vendu à des inconnus des informations sur un site propice à l’installation d’une cache, il y a de cela quelques années. Un repaire secret y a peut-être été installé, depuis. »
- « C’est aussi prévu, de même que l’épuration de l’administration fiscale et de la Guilde des Egoutiers, mais notre premier objectif reste le Guet, et dans une moindre mesure la Prévôté. Une fois que ce sera fait, nous serons en mesure de traquer les coupables. Ils n’iront pas loin, soyez tranquilles. »
- « Du temple, reçu et compris », les interrompit soudain Frère Anselme. « Rappel du ban et de l’arrière ban selon le protocole désigné, confirmé, en cours. Achèvement estimé, une heure. Chasse au Coucou confirmée, à suivre. Déclenchement envisagé au crépuscule pour le Guet, lors de la relève de la garde. La Matriarche est déjà en route. »
- « Pas avant ce soir ? C’est pas un peu long, comme délai ? »
- « C’est un compromis peu satisfaisant, mais c’est le mieux que nous puissions faire : soit nous frappons vite avec les seuls moyens actuellement à notre disposition, qui ne nous permettraient pas de couvrir simultanément tous les postes du Guet, sans même parler des administrations suspectes d’avoir été infiltrées ; soit nous prenons le temps de rassembler suffisamment de nos gens. Dans le premier cas, il est quasiment assuré que des dopplegangers échapperaient à nos filets ; dans le second, nous ne pouvons qu’espérer que l’alerte ne sera pas donnée avant que nous ne soyons prêts. »
- « C’est quoi cette histoire, avec la matriarche ? » demanda Barnabé.
- « Nous ne voudrions pas que les autorités se méprennent sur nos intentions, n’est-ce pas ? Elle va prendre contact avec certains dirigeants pour dissiper d’avance tout malentendu et les assurer que nous ne fomentons pas un coup d’état. Vous avez d’autres questions ? »
- « Euh oui… Je me demandais si vous aviez une idée de la raison pour laquelle cette bande de dopplegangers s’en est pris à nous ? » demanda timidement Kalen, se faisant le porte-parole de ses compagnons qui restaient à fixer leurs chausses.
- « Et bien, cela paraît pourtant clair. Ne m’avez-vous pas dit que leur chef portait sur le front un curieux tatouage, probablement en rapport avec la Mort Rampante ? » répondit l’Inquisiteur sans plus développer sa pensée, considérant (à tort) que les implications de ce fait devaient être claires pour tout le monde.
- « Il correspond à quelque chose de connu, ce symbole ? » intervint Hélebrank.
- « Non, absolument pas. Si nous avions connaissance d’un culte ou d’une organisation dont le symbole est un crâne grouillant de vers, nous vous en aurions déjà touché un mot. »
- « Je crains que nous ne nous soyons mal compris », revint à la charge Kalen, reformulant un peu sa question pour tenter de sauver la face. « Effectivement, il semble qu’il puisse y avoir une sorte de lien ténu entre ces dopplegangers et la Mort Rampante. Je n’en disconviens pas... Toutefois, ce que je me demande, c’est ce qui a bien pu attirer sur nous leur attention. »
- « Mis à part contrecarrer deux de leurs opérations coup sur coup, d’abord à Lac-Diamant puis au beau milieu des Marais-aux-Brumes, vous voulez dire ? » ironisa l’Inquisiteur. « En fait, ce qui aurait été étonnant, c’est qu’ils ne s’intéressent pas à vous. Que des aventuriers viennent leur chercher des noises une fois, cela peut être une simple coïncidence. Mais deux fois de suite… A leur place, moi aussi j’aurais pensé que vous en saviez beaucoup trop long sur mon compte. »
- « Oui, bon, d’accord. Mais comment ont-ils su que nous étions responsables ? Personnellement, je veux dire ? » insista Kalen, ne parvenant pas à s’avouer vaincu mais ne réussissant au final qu’à s’enfoncer encore un peu plus.
- « Vous plaisantez, là ? » répliqua aussitôt le Juge Godbert sans parvenir à cacher tout à fait sa stupéfaction. « Il me semble que vous avez été remerciés publiquement pour votre rôle héroïque dans l’affaire de la Mine Pierrerude, et que votre participation à la levée du siège du donjon de Blackwall n’est pas non plus un secret bien gardé. La question serait plutôt de savoir comment ils auraient pu ignorer votre identité ! »
- « Effectivement, vu sous cet angle… » admit Barnabé, reprenant la suite de Kalen qui avait baissé pavillon. « Moi, ce que j’ai du mal à comprendre, c’est leur façon d’opérer. Ils n’ont eu aucun mal à remplacer l’un de nous, à l’Hôtel du Guet. Pourquoi ne pas nous avoir tous éliminés à cette occasion ? »
- « Euh… Pour mieux nous attirer ensuite vers l’entrepôt ? » suggéra Hélebrank. « Peut-être avaient-ils besoin d’un coin plus discret pour nous trucider ? »
- « C’est possible, mais à mon humble avis, c’est pour une toute autre raison qu’ils ont procédé de la sorte. Ils souhaitaient probablement apprendre d’abord ce que vous saviez de leur conspiration. Or, si les dopplegangers sont télépathes, ils ne peuvent lire que les pensées superficielles, pas la mémoire. Glisser un espion parmi vous puis vous faire parler en toute confiance est pour eux un excellent moyen de vous soutirer un maximum d’informations. »
- « Ah les nuls ! Ils ont du être rudement déçus. De toute façon, on ne sait rien sur eux ! » ricana Aloïs.
Le Juge Godbert prit le temps d’une longue et profonde inspiration avant de répondre.
- « Comment vous dire, jeune homme… S’ils font partie de la conspiration, ce n’est pas des renseignements sur celle-ci qu’ils cherchaient à obtenir, bien évidemment ! De leur point de vue, le fait que vous ne sachiez rien de précis sur leurs complots est en soi une information très précieuse. »
- « Et ensuite, ils ont décidé de nous attirer dans un piège pour nous éliminer ? » insista Barnabé.
- « Sans aucun doute. Mais peut-être avaient ils l’intention de le faire dès le départ. Qui sait ce qui se serait passé si la Protectrice Derider Fanshen n’était pas venue si rapidement assurer votre défense ? N’oubliez pas que suite à un ‘‘oubli’’, le temple d’Heironéous n’avait pas été avisé de l’arrestation de Frère Mathieu : peut-être était-ce pour mieux le faire disparaître. La seule chose qui soit sûre, c’est que vous représentez à leurs yeux une menace suffisante pour justifier votre élimination. »
- « Peuh, ils n’avaient aucune chance ! On les a écrasés ! » fanfaronna Kalen, embellissant les faits et oubliant au passage que lui-même n’avait guère contribué à ce résultat, ayant presque chaque fois été mis hors de combat dès le début des hostilités.
- « Si vous le dites… Auriez-vous par hasard discuté devant le doppleganger du fait que vous étiez porteurs d’une ‘destinée héroïque’ faisant de vous des obstacles potentiels à l’avènement de la Mort Rampante ? »
- « Euh si, probablement. On discute quasiment tous les soirs de nos plans à l’auberge, pendant le dîner. Le sujet a sans doute été abordé à un moment ou à un autre », admit Kalen.
- « Et sauf erreur de ma part, le lendemain au petit-déjeuner, on a aussi évoqué le fait que les temples de la ville gardaient un œil sur nous, de même que le Cercle des Huit. Et aussi que Bucknard aurait laissé des renseignements les concernant au château de Tenser. J’en oublie, là ? » ajouta Khalil, enfonçant le clou.
- « Je vois. Manifestement, la sécurité opérationnelle n’est pas votre point fort. Le mieux que vous ayez à faire désormais, c’est de partir du principe que l’adversaire est au courant de tout ce que vous savez. »
- « Récapitulons et tâchons de procéder avec ordre et méthode, pour changer » déclara Kalen, avant de commencer à concrétiser cette bonne résolution en prenant des notes sur un parchemin sorti de sa besace. « Primo, ils savent que nous leur avons déjà mis des bâtons dans les roues par deux fois, c’est un fait établi <scritch, scritch>… Deusio, ils sont en lien avec la Mort Rampante <scritch, scritch>… »
- « Tout à fait ! Nous n’y avons vu que du feu jusqu’à présent, et c’était tant mieux… Mais maintenant que nous n’avons plus d’espion parmi nous, il serait temps de nous mettre sérieusement à réfléchir » plaisanta Barnabé. « Par exemple, je me demande par quel moyen ils ont été informés de notre présence ici, en ville. C’est grand, Greyhawk ! »
- « Peut-être est-ce quelque chose que nous avons fait depuis notre arrivée ? Il est possible que, sans le savoir, nous ayons touché un point sensible… » suggéra Khalil.
- « Ah ! Et comme par hasard, la première personne que nous ayons rencontrée ici, c’est Eligos ! » souligna Aloïs.
- « N’oublions pas aussi qu’une certaine personne nous a reconnus », ajouta Barnabé en pensant à Tirra, contre laquelle il avait décidément une dent.
- « On a aussi été poser des questions à la Grande Bibliothèque, aux Arènes, aux fabricants de fioles, aux aubergistes… » énuméra Khalil en comptant sur ses doigts.
- « Bref, cela pourrait être n’importe quoi » résuma Hélebrank pour couper court aux suppositions oiseuses.
- « Sans vouloir réfuter l’hypothèse de Maître Khalil, qui me semble pouvoir être envisagée, n’oubliez pas qu’il leur aurait tout simplement suffi de disposer d’un seul espion à Lac-Diamant pour être informés à l’avance de votre arrivée. A moins bien sûr que vous n’ayez pris des précautions particulières pour que votre départ et votre destination restent secrètes. Très franchement, j’en doute. »
- « Ah oui tiens, on y avait pas pensé » admit Mathieu, penaud.
- « Vous m’en voyez étonné ! » commenta acidement le Juge Godbert. « Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je dois rentrer à mon temple. J’ai une rafle à organiser. »
Moonbeam |
En fait, je crois que je n'aurai pas à me soucier des spoilers dans ton journal, car nous ne finirons probablement pas la campagne de mon côté. On a commencé en juin 2008 (5 ans déjà!) et on a juste fait la moitié de la campagne, parce qu'on a pris de nombreuses poses. Donc on a joue les aventures 1-5, et pour la 6e, le GM m'a fait joué une aventure différente, parce qu'il n'aimait pas celle de la campagne.
Mais là, vu qu'il n'aime pas tellement les règles de Pathfinder aux hauts niveaux (combats trop longs, etc), je crois qu'on ne recommencera pas à jouer. Ça fait déjà depuis janvier qu'on n'a pas joué. Dommage, j'aimais bien mes personnages...
C'est cool que tu aies pu rester aussi 'hands off' avec le joueur d'Alois, et que de manière naturelle son comportement aille tellement dans la bonne direction. :)
Par contre, peut-être qu'il faudra que tu parles au joueur de Barnabé pour partager les informations avec le reste du groupe... Je sais que tu veux rester subtil et qu'ils le découvrent d'eux-mêmes, mais ça sera peut-être inévitable. Là, je vois qu'ils ont déjà la piste pour la 2e moitié de la 4e aventure, mais les trucs de Barnabé, c'est pour la 5e? Je ne me souviens plus... ça fait trop longtemps. Et en plus, mon GM avait changé certains trucs dans l'aventure.
Pour les prêtres de St-Cuthbert, en effet, les personnages ont dû mal paraître. C'est souvent comme ça, hélas, les plans des PJs semblent souvent très 'Mickey Mouse' quand on les regarde par la suite. Je me demande si c'est comme ça dans tous les groupes, parce que chez nous c'est souvent comme ça aussi...
Hélas, je ne suis pas familier avec le PNJ célèbre que tu as présenté cette semaine, cet inquisiteur de St-Cuthbert. Quels étaient les noms des aventures où il apparaissait? C'était un PJ pré-roulé ou un PNJ?
Smarnil le couard |
En fait, je crois que je n'aurai pas à me soucier des spoilers dans ton journal, car nous ne finirons probablement pas la campagne de mon côté. On a commencé en juin 2008 (5 ans déjà!) et on a juste fait la moitié de la campagne, parce qu'on a pris de nombreuses poses. Donc on a joue les aventures 1-5, et pour la 6e, le GM m'a fait joué une aventure différente, parce qu'il n'aimait pas celle de la campagne.
Mais là, vu qu'il n'aime pas tellement les règles de Pathfinder aux hauts niveaux (combats trop longs, etc), je crois qu'on ne recommencera pas à jouer. Ça fait déjà depuis janvier qu'on n'a pas joué. Dommage, j'aimais bien mes personnages...
Pas cool. Rien de plus triste qu'une histoire inachevée...
C'est cool que tu aies pu rester aussi 'hands off' avec le joueur d'Alois, et que de manière naturelle son comportement aille tellement dans la bonne direction. :)
Par contre, peut-être qu'il faudra que tu parles au joueur de Barnabé pour partager les informations avec le reste du groupe... Je sais que tu veux rester subtil et qu'ils le découvrent d'eux-mêmes, mais ça sera peut-être inévitable. Là, je vois qu'ils ont déjà la piste pour la 2e moitié de la 4e aventure, mais les trucs de Barnabé, c'est pour la 5e? Je ne me souviens plus... ça fait trop longtemps. Et en plus, mon GM avait changé certains trucs dans l'aventure.
Oui, David (le joueur d'Aloïs) m'a bien aidé ! :)
Je suis sur le point de mettre les pies dans le plat pour Barnabé, mais j'hésite encore sur la façon de le tourner, pour ne pas vexer le joueur. Mais il est clair qu'en ne divulguant pas ses informations (par goût du secret) et en ne les exploitant pas lui-même (par peur du risque), il me fout tout en l'air.
Ses informations auraient permis aux PJs de mieux aborder HoHR en leur donnant une chance supplémentaire de ne pas tomber dans le panneau et contient une piste menant directement au scénario suivant (TCB). Le lien vers le 6ème scénario est déjà planté et germera dans Return of the Eight, que j'ai ajouté au mix avec deux ou trois autres mini-scénarios tirés de Dungeon et intégrés comme fausses pistes dans les éléments en possession de Barnabé.
L'idée était de faire de leur passage dans Greyhawk un vaste buffet (ou un sandbox) où ils auraient été libres de choisir et de suivre les intrigues qui leur plaisaient le plus, avec quelques passages obligés.
Le silence de Barnabé a fait que c'est devenu un lent marathon dans les sables mouvants où la majorité de l'équipe cherche des pistes qu'un petit cachottier a déjà, ponctué par les actions des méchants qui eux continuent à faire avancer leurs plans, merci pour eux.
Je suis partagé entre le désir de faire avancer le récit coûte que coûte et la volonté de NE PAS récompenser une attitude aussi passive. C'est quand même censé être un loisir participatif, pas un pur spectacle pour les joueurs.
Pour les prêtres de St-Cuthbert, en effet, les personnages ont dû mal paraître. C'est souvent comme ça, hélas, les plans des PJs semblent souvent très 'Mickey Mouse' quand on les regarde par la suite. Je me demande si c'est comme ça dans tous les groupes, parce que chez nous c'est souvent comme ça aussi...
En l'occurrence, c'est la totale absence de plan qui a fait mauvaise impression. De fait, les PJs sont restés très passifs devant les évènements, n'ont pas cherché à comprendre et ont compté sur leur bonne étoile pour que les indices leur tombent tout droit dans le bec...
En résumé, une approche du problème très "chaotique" que ne pouvait que réprouver l'inquisiteur. StCuthbert est une divinité très "loyale", avec un culte très organisé, quasiment militaire dans son organisation.
Hélas, je ne suis pas familier avec le PNJ célèbre que tu as présenté cette semaine, cet inquisiteur de St-Cuthbert. Quels étaient les noms des aventures où il apparaissait? C'était un PJ pré-roulé ou un PNJ?
C'est la série des WGA, "Falcon's return", "Falcon's revenge", etc. Parution au début des années 90 je crois : l'introduction était particulièrement calamiteuse, puisque les méchants n'avaient rien trouvé de mieux pour préparer leur coup d'état en ville que d'aller rosser un jeune paladin de St Cuthbert pour qu'il fasse passer le message à son culte de ne pas se mettre en travers de leur chemin. Révélant ainsi leur existence, jusqu'alors insoupçonnée. Bleh.
[edit : oops, mal lu. Le Juge Godbert est une pure invention de ma part.]
Heraut de la Mort Rampante |
Après le départ des visiteurs, les compagnons prirent eux-mêmes congé du Parangon pour aller discuter entre eux de leurs plans. Barnabé suggéra qu’il serait peut-être bon qu’ils se fassent discrets et restent cachés au temple jusqu’à nouvel ordre, au moins jusqu’au déclenchement des opérations le soir même. Hélebrank lui était d’avis qu’il était urgent d’aller voir dans les égouts si un second repaire secret n’avait pas été aménagé à l’endroit indiqué quinze ans auparavant par l’égoutier.
Aloïs semblait étrangement réticent à cette idée, et proposa de rendre plutôt visite à Eligos afin d’en avoir le cœur net. Mais ses compagnons s’y opposèrent avec une belle unanimité, estimant que cela pouvait attendre au lendemain, et lui rappelant que quand bien même ils le trouveraient à son domicile, il seraient incapables de déterminer s’il s’agissait d’un humain ou d’un autre doppleganger. De ce fait, cette visite était au mieux inutile, car ils n’en seraient pas plus avancés ; et au pire, elle ne ferait qu’alerter l’ennemi et réduire à néant les efforts du culte de St Cuthbert.
Aloïs insista tant sur son projet, et s’opposa avec une telle véhémence à celui d’Hélebrank, qu’un atroce soupçon commença à germer dans l’esprit de certains de ses compagnons : cet Aloïs-là était-il le bon, ou bien s’agissait-il encore d’un doppleganger décidé à leur faire perdre un maximum de temps ? Le Juge s’en serait-il aperçu si cela avait été le cas ? Fort heureusement, ils finirent par réaliser que la réticence d’Aloïs provenait de ce qu’il n’avait pas du tout saisi que le cristal détenu par Hélebrank contenait un souvenir détaillé du chemin menant au site d’un repaire potentiel. En l’absence de cette information cruciale, dont pourtant ses compagnons discutaient ouvertement devant lui depuis de nombreuses minutes, il s’était imaginé qu’ils auraient à fouiller minutieusement des kilomètres et des kilomètres de conduits boueux. Tout le monde en fut soulagé : il n’y avait que le véritable Aloïs pour être aussi incroyablement distrait.
Hélebrank fit alors observer que les accès aux égouts étaient tout de même verrouillés par une serrure très simple, destinée à éviter que tous les gosses du quartier aillent s’y perdre en jouant aux aventuriers. S’ensuivit une interminable discussion sur le meilleur moyen de circonvenir ce considérable obstacle. D’entrée, Barnabé repoussa l’idée de s’acheter (enfin) une trousse d’outils pour crocheter cette serrure : mieux valait laisser ses talents de serrurier inexploités que de se conformer au stéréotype racial du hobniz cambrioleur. L’option consistant à partir du port pour traverser toute la ville par les égouts fut également envisagée. Les compagnons en étaient à planifier un casse à la Guilde des Egoutiers afin de s’emparer de l’une des précieuses clés qui y étaient conservées (en fait, de simples tiges à section triangulaire), lorsque Mathieu alla demander à ses supérieurs si par hasard ils n’en auraient pas une à leur disposition. Ce n’était pas le cas, mais il se trouvait que le culte de St Cuthbert s’en était procuré une « au cas où » et était disposé à la prêter.
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4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (fin de l’après-midi)
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Deux bonnes heures plus tard, le temps de lever cet obstacle et de se rendre sur place, les compagnons descendaient par une bouche d’égout commodément située au fond d’une impasse, qu’Hélebrank avait trouvée en faisant appel aux souvenirs de l’ingénieur égoutier.
Il les guida ensuite sans la moindre hésitation jusqu’à une section particulièrement ancienne et profonde du réseau, évitant toute rencontre avec les autres occupants des lieux (légitimes ou non). Une fois sur place, il ne manqua pas de relever une différence inexplicable entre « ses » souvenirs et ce qu’il avait sous les yeux : là où aurait du se trouver une section de maçonnerie à moitié éboulée, laissant entrevoir une caverne naturelle, il y avait un mur de facture ancienne mais en parfait état, ne portant aucune trace de travaux de restauration.
Sans surprise, le sort de Kalen y révéla la présence d’une porte secrète admirablement bien dissimulée, aussitôt ouverte. Derrière, quelques mètres plus loin, les compagnons arrivèrent au seuil d’une petite grotte naturelle de forme grossièrement ovale. Une épaisse couche de moisissure parsemée de ci de là de gros champignons s’étendait au beau milieu, barrant le passage. Si les compagnons avaient disposé d’un peu de lumière, au lieu de la vision monochromatique octroyée par le sort de Barnabé, ils auraient pu en admirer la belle teinte jaune relevée de chaudes pointes d’orangé.
- « Pas de traces de pas », conclut Aloïs après avoir examiné d’assez loin la moisissure, effectivement vierge de toute empreinte. « Apparemment, personne n’est passé par ici depuis belle lurette. »
- « Mais peut-être que la moisissure ne marque pas, ou qu’elle repousse trop vite pour conserver une trace, quelque chose de ce goût là ? » supposa Barnabé.
- « C’est ce qu’on va voir… Je m’en charge ! » lui répondit Khalil, avant de joindre le geste à la parole en posant lourdement un pied dans l’épais tapis, juste à côté d’Aloïs.
Un dégagement explosif de spores jaillit aussitôt de la moisissure jaune autour du moine et du rôdeur, les faisant un court instant disparaître à la vue de leurs compagnons : c’est en titubant qu’ils sortirent du nuage, pliés en deux par de violentes quintes de toux. Consterné, Barnabé les regarda cracher littéralement leurs poumons de longues secondes, avant de se dire qu’il s’agissait peut-être d’un cas d’empoisonnement et de leur sauver la vie par une double application de son sort d’Immunisation. Ils en conservèrent quelques séquelles, et le souffle court.
Après avoir vertement engueulé le moine pour son impulsivité, Hélebrank décocha un rayon de feu sur la moisissure, histoire de tester expérimentalement sa combustibilité. Elle brûla fort bien, mais la lumière dégagée par le rayon eut un autre effet, moins heureux : certains des plus gros champignons se mirent à émettre un cri perçant, extrêmement aigu.
- « Zut, des champignons hurleurs ! » pesta Aloïs, qui connaissait ses classiques. « C’est pas censé pousser dans les égouts, pourtant. »
Réalisant qu’ils pouvaient désormais faire une croix sur l’effet de surprise, les compagnons poursuivirent méthodiquement leur œuvre de destruction, hachant tous les champignons et carbonisant chaque pouce de moisissure. La fumée dégagée par celle-ci était si âcre et si épaisse qu’ils durent prendre un peu de champ ; il s’écoula dix bonnes minutes avant que l’air de la grotte redevienne assez respirable pour leur permettre de rejoindre son autre issue, un étroit boyau pentu.
Ce dernier débouchait au bout d’un dizaine de mètres dans une seconde caverne naturelle, plus vaste mais partiellement obstruée par des colonnes massives formées au fil du temps par les dépôts minéraux charriés par l’eau gouttant du plafond. Un petit bassin empli d’un liquide faiblement phosphorescent jetait sur les parois des lueurs dansantes d’un beau vert pâle.
Les compagnons s’immobilisèrent sur le seuil, attendant que Kalen procède aux vérifications d’usage. Rien de magique en vue… Pas de portes secrètes… Par contre, sa Vision de l’Invisible lui révéla à sa grande horreur qu’ils n’étaient pas seuls.
- « Attention ! Là-bas il y a une dame invisible qui… Incante ! » cria Kalen avec la louable intention d’avertir ses camarades du danger, mais n’y parvenant que très imparfaitement.
- « Hein ? Une dame ? Où ça ? » fut la réaction très naturelle de Mathieu. Comme il était devant, il n’avait pu voir dans quelle direction pointait le doigt tendu du Mage.
Il n’eut pas le temps d’en dire plus : une seconde plus tard, il se figeait la hache à moitié levée, les muscles tétanisés par une Paralysie Mentale, tandis qu’une pluie de fioles de feu grégeois s’abattait sur les compagnons.
Moonbeam |
Je crois qu'en ce qui concerne l'information que détient Barnabé, ça serait plus sympathique pour les autres joueurs que tu lui fasses réaliser que sa décision de tout cacher affecte le groupe entire (toi, et les 5 autres). Ça peut aussi être une leçon pour lui, de ne pas sous-estimer l'information qu'il reçoit. C'est une situation délicate... Quand on est joueur, on est forcé d'assumer certaines choses, comme par exemple, quels indices sont pertinents et lesquels ne le sont pas, mais quand on fait une erreur de ce genre, ça peut en effet être frustrant pour le DM....
La scène ou les PJs interagissent de manière très non-optimale avec les fongus est aussi un classique de beaucoup de groupes de D&D ;)
Smarnil le couard |
Je crois qu'en ce qui concerne l'information que détient Barnabé, ça serait plus sympathique pour les autres joueurs que tu lui fasses réaliser que sa décision de tout cacher affecte le groupe entire (toi, et les 5 autres). Ça peut aussi être une leçon pour lui, de ne pas sous-estimer l'information qu'il reçoit. C'est une situation délicate... Quand on est joueur, on est forcé d'assumer certaines choses, comme par exemple, quels indices sont pertinents et lesquels ne le sont pas, mais quand on fait une erreur de ce genre, ça peut en effet être frustrant pour le DM....
La scène ou les PJs interagissent de manière très non-optimale avec les fongus est aussi un classique de beaucoup de groupes de D&D ;)
Je vais être forcé de lui tordre un peu le bras dans le dos de toute façon : c'est çà où multiplier les coïncidences au-delà du raisonnable. Mais je ne pense pas qu'il puisse avoir loupé le fait que les points de contact entre les infos qu'il détient et ce qui arrive au groupe se multiplient. C'est juste qu'il aime un peu trop avoir des infos secrètes à mon avis.
Ah la moisissure jaune : disons que ce soir-là ils n'étaient pas au mieux de leur forme. Entre ceux qui étaient un peu grippés, les fatigués et ceux qui manquaient de soleil, on a eu droit à une séance entière de bourdes, de déductions foireuses, etc. Cela arrive parfois.
Allez la dernière avant les deux séances de mai, que je rédigerai cet été :
Heraut de la Mort Rampante |
Quatre guerriers olves noirs redevinrent visibles : deux faisaient écran devant une sculpturale prêtresse, sans doute à l’origine de la condition du paladin. Khalil en fit aussitôt sa cible prioritaire. Démarrant comme une flèche, il traversa la salle, esquiva acrobatiquement ses deux gardes du corps en rebondissant d’une paroi à l’autre, et termina sa charge en lui plantant son bâton dans le sternum. La prêtresse en eut le souffle momentanément coupé. Profitant de ce fugace instant de faiblesse, Barnabé, Kalen et Hélebrank concentrèrent sur elle leurs tirs, la mettant promptement hors de combat.
Une fois la principale menace neutralisée, les compagnons n’eurent aucun mal à venir à bout des simples guerriers, même sans l’aide de leur principal combattant. Ils s’étonnèrent un peu de l’acharnement que mirent leurs adversaires à attaquer, même après que la situation n’ait clairement tourné en leur défaveur, se faisant massacrer jusqu’au dernier plutôt que de céder un seul pouce de terrain. D’ailleurs, à la réflexion, les dopplegangers n’avaient-ils pas eux aussi eu un comportement à la limite du fanatisme suicidaire ?
Ce n’est que plusieurs dizaines de secondes après la fin des hostilités que Mathieu retrouva enfin l’usage de ses muscles.
- « Voyez si certains d’entre eux sont encore en vie », suggéra Hélebrank. « Ce coup ci, ce serait bien de ramener des prisonniers pour interrogatoire. »
- « Oups… » murmura Aloïs en essayant de cacher derrière son dos la tête de l’olve noir qu’il venait de décapiter.
Au final, seule la prêtresse n’avait reçu aucune blessure mortelle et put donc être capturée. Les compagnons trouvèrent sur elle un médaillon représentant une araignée à tête d’olve, que Mathieu identifia comme un symbole maudit de Lolth et détruisit. Sa cuirasse et sa masse d’armes furent également mises de côté, car magiques.
Les compagnons visitèrent ensuite une caverne voisine dont les olves noirs devaient avoir fait leur repaire. Sur la droite, une rampe naturelle donnait accès à deux petites grottes situées en hauteur où avaient été disposées des paillasses. L’une des deux, manifestement réservée à la prêtresse, contenait également un autel improvisé sur lequel trônait une petite statuette de jade de la démone araignée, de très belle facture, qui fut vite réduite en mille morceaux. Dans l’ensemble, leurs conditions de vie semblaient avoir été extrêmement spartiates, avec un ordinaire composé de champignons et de viande séchée.
Sur la gauche, une grille fermait l’accès à une nouvelle grotte. Non loin de l’ouverture, quatre humains se tenaient debout, tournant le dos aux compagnons et ne réagissant d’aucune façon à leur présence. Avec une rapide Détection du Mal, Mathieu confirma ce que tous soupçonnaient déjà : il s’agissait de morts-vivants, probablement des zombis. A y regarder de plus près, ils avaient d’ailleurs en commun une plaie béante à la tête, laissant voir une boîte crânienne vide de tout contenu.
Une voix se fit soudain entendre depuis le fond de la caverne. Lorsque les compagnons lui demandèrent de s’avancer et de se faire connaître, ils virent juste une main s’agiter au loin, et la voix expliqua qu’elle était confinée dans une caverne attenante et ne pouvait s’avancer plus sans provoquer une réaction agressive de ses gardiens morts-vivants, ce qu’elle ne tenait pas à faire.
S’engagea ensuite un étrange dialogue par-dessus la tête creuse des zombis, impassibles. D’autres voix s’élevèrent, portant le nombre des prisonniers à quatre : deux marchands ambulants (Robin et Bélion) capturés hors la ville alors qu’ils se rendaient au marché, et deux serveuses de taverne (Isaberthe et Esmelda), enlevées sur le chemin du retour après une rude soirée de travail. Il y aurait eu d’autres prisonniers, mais ils avaient été emmenés un à un par les olves noirs et n’étaient jamais revenus.
Les zombis gardiens ne posèrent aucun problème majeur. Ils se laissèrent massacrer sur place, probablement parce qu’ils n’avaient pas reçu d’autres instructions que de prévenir les tentatives d’évasion. Ne resta plus qu’à pousser un simple loquet pour ouvrir la grille, et à faire preuve d’un peu de persuasion pour amener les prisonniers à sortir de leur cachette. Ils avaient bien l’air d’humains sous la couche de crasse qui les recouvrait, mais comment en être sûrs ? Echaudés par leurs précédentes expériences, les compagnons discutèrent longuement de la conduite à tenir. Fallait-il reconduire de suite les prisonniers à la surface, au risque de trouver le complexe déserté à leur retour ? Ou bien les emmener avec eux, avec tous les dangers que cela pouvait comporter ? Ils ne purent tomber d’accord que pour exclure de se séparer en plusieurs groupes ou de les laisser seuls, tant pour les protéger que pour les garder à l’œil au cas où ils ne seraient pas ce qu’ils prétendaient être. La question fut donc mise aux voix, et la solution consistant à poursuivre l’exploration en leur compagnie l’emporta d’une courte majorité.
Bien qu’ayant été partisan d’un départ immédiat, Barnabé fit contre mauvaise fortune bon cœur et proposa de partir en reconnaissance dans l’unique galerie encore inexplorée. Rapetissé, magiquement camouflé et se déplaçant au plafond, il comptait bien éviter les ennuis : après tout, il était presque impossible de l’apercevoir à l’œil nu.
Malheureusement pour lui, le glyphe gardien gravé dans la voûte du tunnel n’avait cure de toutes ces précautions. Il se déclencha à son approche, lui explosant littéralement à la figure. Couvert de la tête au pieds par un acide particulièrement mordant, le hobniz revint en hurlant, courant en tous sens tandis que ses compagnons tentaient pour certains de le plaquer au sol, pour d’autres de le convaincre de plonger dans le bassin pour rincer l’acide, ce qu’il finit par faire. Sa peau rongée retrouva ensuite toute sa douceur originelle grâce aux très efficaces soins magiques de Mathieu.
Kalen n’eut aucun mal à localiser le glyphe responsable avec une Détection de la Magie. Comme il ne disposait d’aucun sort susceptible de l’effacer, il demanda à Hélebrank de détruire le support sur lequel il était tracé. Il commença tout d’abord par lui indiquer oralement l’endroit où viser, puis comme cette méthode manquait de précision, il utilisa un carreau d’arbalète porté par sa Main de Mage pour pointer la cible. Hélas, la roche naturelle se montra remarquablement résistante aux rayons de feu, de froid ou de foudre du Psion, qui finit par jeter l’éponge.
A cet instant seulement, Kalen réalisa qu’il pouvait tout aussi bien se charger lui-même de la besogne : il fit sauter un gros éclat de roche d’un seul Projectile Télékinétique, d’autant mieux ajusté que lui au moins voyait sa cible, détruisant l’intégrité du glyphe.
Barnabé n’étant plus très chaud pour partir en éclaireur, les compagnons optèrent pour la solution alternative d’un Œil de Mage mineur. Une fois les longues et complexes incantations du sort achevées, Kalen envoya son espion invisible en reconnaissance au-delà du glyphe « découvert » par Barnabé. Il s’aperçut alors que quelques mètres plus loin, juste derrière un coude, le boyau débouchait dans une autre petite caverne naturelle. Son attention fut de suite attirée par deux colonnes cannelées faites d’un beau marbre blanc veiné de lilas, encadrant les deux battants massifs d’une double porte taillée dans le même matériau ; sur cette dernière brillait d’un feu pourpre un étrange symbole, tout en courbes et lacets.
Heraut de la Mort Rampante |
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PRISES DE TÊTE
(séance du 3 mai 2013)
4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (fin de l’après-midi)
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Kalen décrivit ces premiers éléments du décor à ses compagnons d’une voix que l’intense concentration nécessaire au maintien de son sort rendait monocorde. Puis il entreprit d’explorer la caverne jusque dans ses moindres recoins, dirigeant son Oeil de Mage de façon à en longer au plus près les parois.
Celles-ci, tout comme le plafond festonné de stalactites, avaient conservé un aspect naturel ; le sol avait lui été aplani pour faciliter le passage. Bien que ses connaissances en matière de spéléologie soient très limitées, l’attention de Kalen fut de suite attirée par certaines concrétions suspectes. Lisses et de forme grossièrement arrondie, elles avaient à ses yeux le tort d’être situées en hauteur : logiquement, des dépôts calcaires formés par l’écoulement naturel de l’eau n’auraient-ils pas plutôt du être au sol ? Il dénombra trois de ces concrétions à différents endroits de la caverne, ayant toutes sensiblement la même taille.
Approchant son capteur magique au plus près, il aperçut une fine ligne de démarcation autour de la base de l’une des concrétions, et en conclut qu’elle n’était pas solidaire de la paroi rocheuse. De quoi pouvait-il bien s’agir ?
Il en était là de ses réflexions lorsque, à sa grande surprise, un globe oculaire de la taille d’un poing s’ouvrit au beau milieu de la concrétion qu’il observait. Une pupille en forme d’étoile scruta les alentours quelques instants, avant de disparaître à nouveau sous une épaisse paupière. Sous le coup de la surprise, Kalen eut un mouvement de recul avant de se souvenir qu’il n’était pas physiquement présent dans la caverne et ne pouvait donc (en principe) ni être repéré par la créature, ni finir dans son estomac.
Rompant sa concentration, il avisa aussitôt à voix basse ses compagnons de la présence de trois créatures inconnues et présumées hostiles, probablement placées là pour garder l’accès à la porte de marbre. Ils envisagèrent d’abord plusieurs plans d’attaque sophistiqués, regrettant de n’avoir ni brouette ni cape anti-feu à leur disposition, mais finirent par opter pour une approche plus directe. Comptant sur leur avantage numérique de quatre contre un (six aventuriers avertis en valant douze, contre trois monstres), ils chargèrent au pas de course dans la caverne, le paladin et Hélebrank en tête, les éclopés derrière, les Mages au milieu.
La réaction fut immédiate : des tentacules jusqu’alors repliés sous le corps bulbeux des « concrétions » se déployèrent en position de combat. De la taille d’un très gros chien, les créatures ainsi dévoilées semblaient issues d’un croisement contre nature entre une étoile de mers, un poulpe et un crabe, avec leur unique œil central entouré de huit tentacules : six courts pour la locomotion, et deux longs portant chacun une énorme pince barbelée.
La première créature resta au fond de la caverne, ouvrant grand sa pupille. Mathieu eut une sensation bizarre, ses membres lui semblant aussi lourds que s’il se mouvait au fond de l’eau, mais cette impression disparut presque aussitôt. Il n’en sut rien, mais la Protection contre la Magie que lui avait lancé Kalen juste avant l’assaut venait de le protéger des effets ralentissants du regard du monstre.
Toutefois, cela ne le sauva pas des pinces de la seconde créature, qui l’attendait de tentacule ferme sur la gauche de la caverne. Sans doute distrait par l’attaque magique à laquelle il venait d’échapper, il leva son bouclier une fraction de seconde trop tard pour empêcher l’une des pinces barbelées de se refermer entre ses jambes avec le bruit d’un piège à ours. Le métal enchanté de sa braconnière crissa, ploya mais ne céda point, et Mathieu en fut quitte pour une grande douleur qui le laissa muet, les larmes aux yeux. La réplique fut à la hauteur de l’offense : un premier coup de hache trancha net un tentacule, un second ouvrit le corps de la créature comme une pastèque.
Derrière lui, la troisième créature chargea Kalen, les pinces avidement tendues, se déplaçant le long des parois à une vitesse surprenante. Voyant que son compagnon était dangereusement exposé, Khalil le saisit et le projeta en arrière juste avant que les pinces de monstre ne se referment avec un claquement sinistre sur l’espace occupé une fraction de seconde auparavant par sa gorge. Le Mage se retrouva les quatre fers en l’air quelques mètres plus loin dans le boyau d’accès, sonné mais bien vivant.
Frustrée, la créature reporta sa fureur sur le moine. Après quelques passes d’armes peu concluantes, elle parvint enfin à le saisir fermement entre ses deux pinces et tenta de le déchiqueter par une violente secousse. Elle n’eut heureusement que le temps d’aggraver les blessures qu’elle venait de lui infliger avant d’être achevée par un Projectile Télékinétique décoché à bout portant par Kalen, revenu dans la bataille.
La première créature était restée en retrait à échanger des tirs avec Hélebrank. Voyant ses congénères succomber, elle fonça vers le paladin, qui fit de même en sens inverse pour chercher le choc frontal. Mathieu fut légèrement plus rapide : sa hache s’abattit droit sur l’œil de la créature qui tomba comme foudroyée, les tentacules agités de spasmes d’agonie.
Pendant que Barnabé et Kalen déployaient leur batterie habituelle de divinations, Hélebrank se livra à quelques expériences post-mortem sur l’une des créatures, ce qui lui permit de découvrir que leur chair était étonnamment insensible aux effets de la foudre. Il fit part de ses conclusions à ses compagnons, au cas où.
Smarnil le couard |
Ca faisait un bout de temps. :)
Oops, je ne viens pas assez souvent sur ce site...
Oui, j'ai mis beaucoup de temps à écrire le journal pour les séances de mai (3 et 31). Je suppose que j'étais un peu découragé par l'insistance du hobbit à garder pour lui toutes les infos obtenues, au risque de faire dérailler les enchainements et autres scénarios secondaires prévus...
Le barrage vient d'ailleurs de se rompre : il a annoncé par mail à ses copains qu'il allait déballer ce qu'il savait à la prochaine partie, le 4 octobre. S'il survit au lynchage, ils auront enfin toutes les infos pour comprendre le pourquoi du comment de la grande conspiration des dopplegangers.
Autre nouvelle : plus on avançait dans les scénarios, plus ma charge de travail liée à la conversion en règle Hero de ces scénarios D&D devenait lourde. Et c'est encore pire dans ce passage de la compagne, très orienté bac à sable, où les infos détenues par le hobbit peuvent les conduire vers 4 ou 5 scénarios différents, que je dois donc tous avoir sous la main en simultané. Donc on s'est tapé la conversion des persos en Pathfinder.
Heraut de la Mort Rampante |
Les compagnons reportèrent ensuite leur attention sur la porte, deux dalles de marbre poli sans aucune serrure ou autre moyen d’ouverture visible. Une Détection de la Magie confirma l’évidence, à savoir que le glyphe lumineux qui flottait juste devant elle projetait une aura d’Illusion.
Par prudence, au cas où il s’agirait d’un piège, ils laissèrent d’abord Hélebrank essayer d’ouvrir les portes à distance par télékinésie. Mais le seul résultat obtenu fut une série d’impacts retentissants ; les battants ne bougèrent pas d’un pouce. Mathieu dut aller au charbon pour joindre ses efforts à ceux du psion, et la porte finit par céder dans un grand craquement : manifestement, elle avait été fermée de l’intérieur par une barre de bois de forte section.
Derrière s’ouvrait une salle parfaitement ronde, dont la principale caractéristique était son extrême blancheur : sol, murs et aménagements mobiliers, tout était fait d’une pierre immaculée. Au centre, un gros piédestal ventru portait la seule note de couleur des lieux, une sculpture de marbre veiné de mauve de la taille d’une citrouille représentant un cerveau humain dans ses moindres détails, jusqu’aux dernières circonvolutions des méninges.
Les diverses détections opérées ne révélèrent rien d’anormal. Mathieu allait donc pénétrer dans la pièce lorsque Barnabé l’arrêta, insistant pour passer le premier afin de rechercher d’éventuels pièges.
De son côté, méfiant, Hélebrank gardait le cerveau de pierre en ligne de mire. Il put donc réagir sans délais lorsqu’une énergie psionique que ses yeux seuls pouvaient voir commença à s’en dégager, à l’instant même où Barnabé franchissait le seuil de la pièce :
- « Attention ! » cria t’il en décochant un rayon glacial sur la sculpture, que cette attaque laissa complètement de marbre.
Cette frappe préventive ne sauva pas le pauvre hobniz d’une puissante attaque mentale qui pulvérisa ses faibles défenses. En dehors d’Hélebrank, ses compagnons n’en perçurent rien : ils virent seulement Barnabé tressaillir violemment puis se retourner lentement. Les dents découvertes par un rictus mauvais, il saisit sa fronde et commença à y charger un projectile.
Avertis par Hélebrank que leur camarade n’avait sans doute plus toute sa tête, les compagnons tentèrent de le neutraliser. La tâche était difficile, du fait de la petite taille et de la grande capacité d’esquive du hobniz. Khalil tenta d’abord de le faucher avec son bâton, sans succès, mais au final, ce fut l’approche novatrice de Mathieu qui emporta le morceau : maniant son bouclier comme une tapette à mouches géante, il l’abattit sur la tête du hobniz, l’écrasant contre le sol. Hélebrank n’eut plus qu’à profiter de son inconscience pour le faire sortir de la pièce par télékinésie.
- « Le problème, c’est ce fichu cerveau » se plaignit Hélebrank. « Mais j’ai un plan : vous n’avez qu’à me ligoter les bras. Ensuite j’entre dans la pièce, et je verrai bien s’il tente de m’attaquer. Comme cela, même s’il prend le contrôle de mon esprit, je ne pourrai pas vous faire grand mal. »
- « Un stratagème ô combien excellent ! Mais n’est-ce pas toi qui disais ne pas être Mage ? Et donc ne pas avoir besoin d’avoir les mains libres pour activer tes pouvoirs ? » objecta aussitôt Khalil, aussi poliment qu’il le put.
- « Oui, faudrait savoir à la fin ! » protesta Kalen.
- « Euh, c’est vrai, désolé… Parfois je m’y perds moi-même. Je retire ce que j’ai dit : en fait, ce n’était pas du tout une bonne idée. »
Leurs réflexions furent à cet instant interrompues par le réveil de Barnabé, qu’ils avaient laissé inconscient dans un coin de la pièce. Se saisissant de son épée courte hobnize, réduite à la taille d’un gros couteau à beurre, il tenta de poignarder sauvagement le mollet blindé du paladin. De toute évidence, même en dehors de la pièce, il restait sous l’emprise du cerveau de pierre.
Kalen eut tôt fait de mettre fin à cet ambitieux projet par un double Projectile Magique. Cette fois, Mathieu préféra ne prendre aucun risque et le garda serré dans son poing gantelé, ignorant stoïquement ses gesticulations, menaces et morsures. Il fallut bien une minute avant que la folie meurtrière qui avait embrumé l’esprit du hobniz ne se dissipe.
Craignant que le cerveau de pierre soit toujours actif mais ne sachant pas comment s’en assurer sans prendre de risques, les compagnons optèrent pour la solution prudente d’une exploration par Œil de Mage interposé. Hélas, Kalen échoua à tisser la trame de son sort, et ils préférèrent se rabattre sur une solution brutale plutôt que de consacrer vingt minutes supplémentaires à une seconde tentative.
Kalen commença donc à démolir méthodiquement le cerveau de marbre, d’abord par deux décharges de sa Baguette d’Eclatement, puis voyant le peu de gravité des dommages causés, par une salve de Projectiles Télékinétiques. Le dernier traversa de part en part la sculpture, la faisant voler en éclats.
Hélebrank en récupéra un, et s’aperçut que sa surface était parsemée de fines lignes argentées imprimées dans la masse, décrivant des motifs complexes composés de traits parallèles et de boucles. A cette vue, le terme de « circuit psionique » lui vint spontanément à l’esprit : comme d’habitude, il resta incapable de dire d’où lui venait cette réminiscence, ou ce que cette expression signifiait exactement.
Comme la sculpture s’était laissée détruire sans manifester la moindre velléité de résistance, ils en conclurent que son attaque sur Barnabé l’avait entièrement déchargée, ou que sa portée avait été limitée à la pièce.
Les compagnons purent enfin pénétrer dans celle-ci pour l’examiner plus en détail. Au dessus de leurs têtes, un plafond parfaitement hémisphérique culminait à huit mètres de hauteur. Le long des murs, quatre banquettes taillées dans la pierre faisaient face au piédestal central. Comme elles étaient équipées de fers pour les chevilles et les poignets, Hélebrank émit la supposition incongrue que la pièce devait servir à conditionner de futurs esclaves en érodant leurs défenses mentales par des attaques répétées.
Sur la gauche, un passage courbe menait à un escalier. Le long des murs, à hauteur d’homme, une frise décorative composée de motifs sinueux était gravée dans les murs de marbre blanc.
Avant de pousser plus loin leur exploration, les compagnons allèrent chercher les prisonniers qu’ils avaient libérés, leur demandant d’attendre leur retour dans la caverne où ils avaient affronté les créatures gardiennes. Ils leur recommandèrent surtout de veiller à ce que la prêtresse ne s’échappe pas (au besoin en la maintenant dans l’inconscience par quelques torgnoles bien calibrées).
Une fois ces instructions transmises, ils descendirent l’escalier jusqu’à une salle hémisphérique aménagée en laboratoire, s’ouvrant sur la gauche du couloir. Le long du mur courbe étaient disposés un meuble d’apothicaire ; une grande cuve de verre emplie presque à ras bord d’une eau vaseuse, d’un gris-vert maladif ; et enfin, une bibliothèque chargée de livres. Le couloir lui-même se poursuivait au-delà de la pièce, aboutissant à un second escalier. Une porte de pierre à battant unique était visible dans le mur de droite, à l’intérieur de la courbe décrite par le couloir. Les compagnons se répartirent les tâches et commencèrent à fouiller les lieux.
Barnabé parcourut rapidement quelques uns des grimoires présents sur les rayonnages : il s’agissait pour la plupart d’ouvrages de référence sur la tératogénèse, une branche très spécialisée de la transmutation qui traitait de la création de créatures monstrueuses par divers processus alchimico-magiques mutagènes. Il reconnut sur différents croquis esquissés sur des feuillets de note les créatures octopoïdes rencontrées à l’entrée ; elles y étaient baptisées du nom d’octopinces.
Kalen s’intéressa lui au meuble d’apothicaire, dont les nombreux tiroirs et étagères débordaient de bocaux, fioles et autres récipients au contenu plus ou moins ragoûtant. Soulevant le couvercle d’une jarre de verre contenant une poudre jaune, il reconnut sans peine l’odeur du soufre. Il s’aperçut alors qu’une série de points et de traits étaient gravés dans le verre, sur trois lignes ; après vérification, chacun des récipients portait une inscription du même genre. Il en était à se demander s’il pouvait s’agir d’un code destiné à identifier leur contenu lorsque Hélebrank, qui s’était silencieusement rapproché pour regarder par-dessus son épaule, lui fit une observation très pertinente :
- « C’est rigolo. On dirait presque les marques que j’ai sur la figure, tu ne trouves pas ? »
A ces mots, Kalen ne put retenir un grognement. Mais oui, bien sûr ! Voilà qui expliquait cette désagréable impression d’avoir raté un élément du mystère entourant Hélebrank, qui le taraudait depuis si longtemps. Et dire qu’il l’avait eu sous le nez depuis le tout premier jour ! Dans sa précipitation, il jeta presque à la figure du psion la pincée de cendre et de sel nécessaire à son sort de Compréhension des Langues. Lorsqu’il prit effet, il s’aperçut que les lignes de scarifications qui parsemaient son visage, jusque sur son crâne, répétaient de maintes fois un seul et unique message :
Sujet expérimental C/1427-DK. Ne pas consommer. Propriété infongible et inaliénable du collectif Kbro’glk*blur.
Mais jusqu'à présent le joueur de Kalen (qui s'était passionné pour le mystère entourant les origines de son camarade) n'avait jamais compris mes nombreuses allusions au fait qu'il lui semblait avoir loupé quelque chose d'évident "comme le nez au milieu de la figure"...
A son visage stupéfait, ses compagnons virent bien qu’il avait découvert quelque chose. Il essaya bien de biaiser ou de remettre la question à plus tard, mais devant les demandes insistantes d’Hélebrank il lui fallut bien cracher le morceau et lui révéler que selon toutes probabilités il avait du par le passé être le prisonnier d’un groupe de créatures non humaines.
Bien qu’il s’efforçât de conserver un calme de façade, cette information ne manqua pas de donner des sueurs froides à Hélebrank. Ses cauchemars récurrents, où il se voyait enfermé ou attaché, victime impuissante de mystérieux bourreaux à la tête monstrueusement difforme, étaient-ils le reflet déformé par sa mémoire défaillante des sévices subis aux mains de ce « collectif » ? Etait-ce de là que venait sa phobie des espaces clos et de l’isolation, et ce sentiment aussi persistant qu’irrationnel d’être pourchassé, à la limite de la paranoïa ?
Alors que les discussions sur ce rebondissement inattendu allaient bon train, les compagnons s’avisèrent d’un mouvement suspect en provenance de la cuve. Quelque chose de gros était en train d’en émerger… en l’occurrence, un spécimen d’octopince d’une taille impressionnante, gros comme un bœuf. Il n’eut toutefois pas l’occasion de faire la démonstration de ses capacités, et succomba sous les coups des compagnons avant même d’avoir complètement franchi le rebord.
Par acquit de conscience, Khalil touilla le fond de la cuve avec son bâton afin de s’assurer qu’elle ne contenait aucune autre mauvaise surprise. Une fois ceci fait, les compagnons choisirent de poursuivre leur exploration du complexe par la porte, juste en face.
Barnabé fut désigné d’office comme éclaireur : il entrebâilla à peine le battant et se glissa de l’autre côté, pénétrant dans un couloir menant à une nouvelle salle ronde, mais de bien plus petite taille que celles déjà visitées. Au centre, un piédestal était surmonté d’une sorte de cerceau métallique planté verticalement, au centre duquel flottait un disque de cristal en rotation rapide. En s’approchant de plus près, Barnabé put apercevoir au centre de ce disque l’image d’une vaste salle au sol creusé de larges fosses, un trône sur un dais… Il reconnut de suite l’endroit où ils avaient le matin même affronté le chef des dopplegangers. Il devait s’agir d’un dispositif de scrutation magique quelconque ; deux petites banquettes avaient d’ailleurs été disposées le long des murs pour le confort de l’utilisateur.
De l’autre côté de la pièce, le couloir se prolongeait jusqu’à une sorte de balcon donnant sur une vaste pièce. Ne voyant rien d’alarmant, le hobniz préféra ne pas pousser plus loin sa reconnaissance (il s’était déjà éloigné de presque quatre mètres, une folie !) et retourna chercher ses camarades.
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C’est donc tous ensemble qu’ils empruntèrent ce couloir, s’ébahirent devant le spectacle impossible du cristal tournoyant, puis enfin débouchèrent sur le balcon, neuf mètres au dessus du sol d’une immense salle de près de dix mètres de diamètre. Sur leur droite, un colossal demi-pilier octogonal de pierre noire luisante, apparemment monolithique, rejoignait presque le plafond en dôme, sept mètres au dessus de leurs têtes. L’une de ses faces était recouverte sur toute sa hauteur des lignes luminescentes d’un circuit psionique actif.
Deux mètres au dessus du pilier, flottait majestueusement dans les airs un humanoïde à la peau pourpre vêtu de robes. Une tête bulbeuse aux yeux blancs, allongée par quatre tentacules dissimulant la bouche… Les compagnons reconnurent de suite les principales caractéristiques physiques d’un « flagelleur mental », ou illithid, une race souterraine d’esclavagistes aux mystérieux pouvoirs mentaux dont la seule mention faisait pâlir les aventuriers les plus intrépides.
Cet illithid là était coiffé d’un étrange diadème de fer et tenait à la main un bâton ouvragé, qu’il leva bien haut avant de se lancer dans le genre de discours introductif qui est l’apanage des vrais méchants :
- « Vous osez pénétrer mon repaire, misérables vermisseaux ! Mes esclaves n’ont pas su vous arrêter : qu’à cela ne tienne, je dévorerai moi-même vos cervelles. Votre terreur sera un assaisonnement de choix ! Bwa ha ha ! »
Il fit ensuite s’abattre sur les compagnons la terrible Déflagration Mentale qui avait fait la renommée de sa race : le cerveau vrillé par une terrible douleur, Khalil et Barnabé titubèrent, le souffle coupé, à la merci d’une nouvelle attaque. Heureusement, compte tenu de l’angle de tir, il n’avait pu inclure dans sa zone d’effet ni Aloïs, ni Hélebrank, ni Kalen, et Mathieu était trop têtu pour se laisser terrasser par une banale migraine, même aussi violente.
Ce dernier se lança aussitôt une Protection contre le Mal afin de mieux résister à un nouvel assaut mental, tandis que Kalen se préparait au combat avec un sort de Coup Parfait. Aloïs préféra se ruer sur le balcon en bousculant au passage ses compagnons encore sonnés, prenant à peine le temps de viser avant de décocher un carreau de son arbalète à main, atteignant l’illithid en pleine poitrine.
Dans sa précipitation, il ne vit pas les deux octopinces positionnées au dessus de sa tête de part et d’autre du balcon. Les pinces de l’une d’entre elles se refermèrent sur lui puis le secouèrent en tous sens avant de le projeter au sol, où il resta inconscient et ensanglanté.
Hélebrank activa son tout nouveau pouvoir de Vol et démarra en trombe, passant sous le nez de la seconde octopince. Son intention était de foncer droit sur l’illithid pour lui rentrer dedans sans autre forme de procès. Mais il était sans doute encore un peu novice en matière d’évolutions aériennes, et ne réussit qu’à s’écraser sur le mur à côté de sa cible, qui pourtant n’avait pas esquissé le moindre geste de défense.
Ce choc lui fut salutaire : d’un coup, il réalisa qu’il avait été sur le point de commettre une grave erreur en attaquant cet illithid, qui au fond avait l’air tellement sympathique avec son joli diadème brillant d’un intense feu psionique. Encore un peu étourdi, il ne put émettre qu’un grognement consterné en voyant Khalil, qui avait rejoint la plateforme en courant sur les murs comme à son habitude, lui asséner un violent coup de bâton. Angoissé de voir deux de ses plus chers amis se déchirer ainsi, il était sur le point de saisir le moine à bras le corps pour le ramener à la raison lorsque l’une des octopinces vint s’en prendre à lui, l’obligeant à se défendre. Stupide bestiole ! Ne voyait-elle pas qu’il n’avait aucunement l’intention de s’en prendre à son maître, mais voulait au contraire voler à son secours ?
Une seconde plus tard, l’illithid s’étalait au sol, le coup reçu ayant brisé la concentration nécessaire au maintien de son pouvoir de lévitation. Il avait cru pouvoir écraser les intrus depuis les airs sans coup férir ; comment aurait-il pu savoir qu’ils disposaient de capacités leur conférant une mobilité à même de réduire à néant cet avantage tactique ? Lors de leur combat contre Telakin, qu’il avait très attentivement observé au travers de sa psycholentille de téléperception, ils n’avaient rien fait de tel !
Il n’eut pas le temps de ressasser plus longtemps ces amères réflexions sur l’injustice de son sort, car déjà Khalil renouvelait son attaque, lui écrasant la cage thoracique comme une vieille boîte de fer blanc. Le cri de désespoir horrifié que poussa Hélebrank se mua vite en rugissement de triomphe et de rage lorsque la mort fit se desserrer l’emprise qu’avait exercée la créature sur son esprit. Terrasser l’octopince ne fut ensuite qu’une question de secondes.
Tout était donc déjà fini lorsque leurs trois compagnons purent enfin rejoindre le balcon pour leur prêter main forte. De leur côté, ils avaient eu à affronter la seconde octopince, qui était entrée dans le couloir à la recherche de proies et avait eu raison de Mathieu avant de succomber sous le feu conjugué de Barnabé et de Kalen.
Une fois Aloïs remis sur pied, leur seule contribution fut donc de procéder à diverses détections, pointant du doigt celles des possessions de l’illithid qui étaient dotées d’une aura magique : ses bottes, un collier à pendentifs de cuivre, sa cape, un anneau et les deux potions qu’il portait à sa ceinture. Ils trouvèrent également sur lui une grosse clé, qu’ils empochèrent.
Au grand dépit de Kalen, le diadème de fer porté par l’illithid semblait tout à fait ordinaire. Il ne fit donc aucune objection lorsque Hélebrank le revendiqua pour son usage personnel et le posa sur sa tête. D’étranges signes et inscriptions en trilinéaire apparurent dans son champ de vision, comme flottant dans les airs, se superposant aux choses qui l’entouraient. Puis elles disparurent brièvement avant de réapparaître, cette fois en langue commune. Hélebrank n’eut ensuite qu’à consulter un menu déroulant d’aide fort bien agencé pour avoir un bon aperçu des capacités de son tout nouveau « diadème mineur de domination mentale » (il était même précisé qu’il s’agissait de la version 1.2.1471, quoi que cela veuille dire). Une barre colorée presque pleine indiquait le degré de charge des accumulateurs d’énergie psioniques intégrés. Un second menu déroulant donnait accès aux diverses fonctions disponibles : Séduction Empathique, Voix Impérieuse et Asservissement Mental, ainsi qu’une fonction de recharge.
Moonbeam |
Sujet expérimental C/1427-DK. Ne pas consommer. Propriété infongible et inaliénable du collectif Kbro’glk*blur.
Trop cool.... :)
Le combat contre l'illithid était encore avec les règkes du Hero System, n'est-ce pas? Parce que sinon, je crois qu'il est supposé être beaucoup plus difficile avec les règles de 3.5. Dans mon cas, le DM avait carrément enlevé ce combat (on avait négocié avec le Illithid à la place), parce qu'il le trouvait trop sadique. Les octopinces étaient aussi pas mal tough...
Personnellement, je suis content que vous passiez à Pathfinder, ton récit sera plus facile à suivre pour moi, parce qu'en ce moment j'ai du mal à bien évaluer les capacités des personnages.
Smarnil le couard |
Heraut de la Mort Rampante wrote:Sujet expérimental C/1427-DK. Ne pas consommer. Propriété infongible et inaliénable du collectif Kbro’glk*blur.Trop cool.... :)
Le combat contre l'illithid était encore avec les règkes du Hero System, n'est-ce pas? Parce que sinon, je crois qu'il est supposé être beaucoup plus difficile avec les règles de 3.5. Dans mon cas, le DM avait carrément enlevé ce combat (on avait négocié avec le Illithid à la place), parce qu'il le trouvait trop sadique. Les octopinces étaient aussi pas mal tough...
Personnellement, je suis content que vous passiez à Pathfinder, ton récit sera plus facile à suivre pour moi, parce qu'en ce moment j'ai du mal à bien évaluer les capacités des personnages.
Oui, toujours en Hero. Le premier coup l'a étourdi, et il n'a jamais eu l'occasion de s'en remettre (Hélebrank était trop lent pour s'interposer, et de toute façon le paladin était pas si loin derrière).
En règle générale, mes joueurs ont pas mal de chance quand même. Sur le papier, c'était loin d'être gagné.
On verra ce que ça donne en Pathfinder : nous avons fait la première partie après conversion vendredi dernier, mais il n'y a pas eu de combat (sauf une petite reconstitution du premier combat contre les octopinces pour prendre en main le système).
Heureux que cela te convienne ! Que ne ferais t'on pas pour satisfaire son public... :)
Heraut de la Mort Rampante |
Les compagnons ne s’attardèrent ensuite que le temps de constater depuis le balcon que la salle comportait deux autres accès au niveau du sol, une porte et un passage ouvert, et que le pied du pilier octogonal baignait dans l’eau d’un bassin carré. Puis ils rebroussèrent chemin par la salle au cristal tournoyant pour rejoindre le laboratoire. Là, tournant à droite, ils descendirent une volée de marches au pied desquelles ils trouvèrent une nouvelle double porte de marbre blanc qu’ils purent ouvrir sans difficultés.
Juste derrière, une autre salle ronde abritait ce qui semblait être un cabinet des curiosités. Disposées le long des murs, trois vitrines contenant chacune trois étagères étaient chargées d’objets étranges. Au centre, il y avait une grande statue de bois noir, représentant une sorte d’homme-oiseau difforme, que Mathieu identifia comme une variété majeure de démon. De l’autre côté de la pièce, une porte identique à celle qu’ils venaient de franchir était visible.
Les compagnons entreprirent de faire un inventaire des lieux, sans rien toucher dans un premier temps. Ils commencèrent par les vitrines en soumettant leur contenu, étagère par étagère, à un examen magique méthodique.
Ainsi, ils examinèrent successivement dans la première vitrine la tête naturalisée d’un jeune dragon noir aux yeux verts ; une étrange cage métallique aux barreaux ornés de barbelures ; une dague d’aspect sinistre reposant sur un coussin de velours rouge, qui se révéla être à la fois maléfique et magique ; et enfin des chaînes animées d’une vie propre, tout aussi maléfiques.
La deuxième vitrine contenait une série de quatre livres identiques reliés de cuir noir, portant sur la tranche le titre de « Tomes innommables », dont émanait une aura magique de transmutation ; une petite statuette de bronze terni représentant un griffon, également magique ; et dix jarres de verre emplies d’un liquide jaune, dont quatre contenaient un curieux pédoncule annelé dont l’une des extrémités portait un gros œil globuleux. Au vu de la ressemblance, Barnabé émit la supposition que les pédoncules manquants avaient peut-être été fusionnés pour confectionner les Strangulateurs Furtifs déjà rencontrés, l’un dans le Cairn aux Murmures et l’autre autour du Sans Visage. Se pouvait-il que ces créatures artificielles soient nées dans le laboratoire de l’illithid ?
Dans la troisième vitrine, il y avait une statue étonnamment détaillée d’un pseudodragon ; une poupée hideuse bardée d’épingles, à la fois nécromantique et maléfique ; un épais grimoire entouré de chaînes ; une épée bâtarde d’aspect assez ordinaire ; et un joli pendentif fait d’une pierre d’ambre sertie d’or. Tous ces objets étaient magiques, à l’exception du pseudodragon.
Les compagnons en étaient là de leur inspection lorsque Khalil commença à s’intéresser de trop près à la statue centrale ; en effet, il n’avait guère prêté attention aux activités de ses camarades et pensait sincèrement qu’elle avait déjà été examinée magiquement (alors qu’en fait ils comptaient en terminer par elle). Il essaya de faire bouger ses membres, pour voir si elle était articulée. Le charme qui avait maintenu le démon gardien sous la forme d’une innocente statue se rompit aussitôt, et le moine se retrouva donc à tenir la serre squameuse d’un homme-vautour de plus de deux mètres de haut.
Le démon poussa aussitôt un cri d’une stridence surnaturelle, insoutenable, qui étourdit les compagnons. Puis il s’ébroua, répandant dans la pièce un nuage de spores démoniaques qui prirent aussitôt racine dans leur chair, y faisant pousser des radicelles barbelées horriblement douloureuses. Et ceci avant même qu’ils aient eu le temps de réagir…
Non pas que cela aurait changé grand-chose, car leurs premières attaques rebondirent sur son cuir écailleux sans y laisser la moindre marque. Au grand dam de Mathieu, il était à court de Châtiments du Mal pour la journée. Même agrandi à la taille d’un ogre par un coup de baguette magique de Barnabé, il ne donnait pas cher de ses chances contre un adversaire de ce calibre… Du moins jusqu’à ce qu’une voix chargée d’étranges harmoniques s’élève dans la pièce :
- « Retourne à tes Abysses ! » ordonna Hélebrank en utilisant le pouvoir de Voix Impérieuse de son tout nouveau Diadème de Domination mineur.
Le démon, qui ne brillait pas spécialement par la puissance de son intellect, ne se le fit pas dire deux fois et disparut dans un nuage de vapeurs soufrées. Les compagnons consacrèrent les quelques minutes qui suivirent à s’arracher des poignées entières de radicelles barbelées, dont la croissance avait heureusement été stoppée par une Bénédiction de Mathieu, et à maudire copieusement Khalil pour sa malencontreuse initiative.
Derrière la seconde porte, un couloir descendait en forte pente, décrivant un large arc de cercle vers la droite. D’un coup d’œil, Aloïs estima au vu de sa courbure et de sa déclivité qu’il devait rejoindre l’ouverture aperçue au niveau du sol de la grande salle du pilier.
Le mur extérieur du couloir portait une série de trois bas-reliefs surmontés de lignes d’écriture en trilinéaire. Le premier représentait une troupe d’humains habillés à la mode flannae qui sortaient en procession d’un temple ou d’une ville ; ils étaient menés par un étrange personnage, figuré comme une simple silhouette noire. Le deuxième représentait ces mêmes humains construisant dans une forêt ou une jungle une grande pyramide à degrés, sous la direction de l’homme noir. Le troisième représentait ce dernier, devenu d’une taille colossale, campé au sommet de la pyramide achevée et entouré d’humains prosternés, en adoration. Juste à côté de lui, à sa droite, l’on pouvait apercevoir la petite silhouette d’un illithid.
Après traduction magique, les écrits trilinéaires se révélèrent être des écrits religieux relatifs au « Héraut de la Mort Rampante ». Il était question de son apothéose prochaine, de l’avènement d’un âge nouveau qui s’ensuivrait, et de la joie extatique ressentie par l’auteur à l’idée de le servir.
La supposition savante d’Aloïs s’étant révélée exacte, les compagnons débouchèrent ensuite dans la salle du pilier. Depuis le seuil, l’eau du bassin semblait agitée par une inexplicable houle. En y regardant de plus près, les compagnons s’aperçurent qu’il était empli presque à ras bord d’étranges têtards à quadruple flagelle de la taille d’un pamplemousse. Révulsé par un dégoût aussi soudain qu’inexplicable, Hélebrank usa de ses différents rayons pour les électriser, congeler et brûler, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une purée infâme.
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Ne leur restait plus qu’à inspecter la petite porte à droite du monolithe noir. La pièce qu’ils trouvèrent derrière devait avoir été le sanctuaire privé de l’illithid. Aménagée de façon très spartiate, elle ne contenait en tout et pour tout que cinq meubles : un grabat nu ; une table de travail remarquablement vierge de tout document, accompagnée de sa chaise ; une bibliothèque chargée d’ouvrages de référence sur l’histoire, la géographie et le système politique de la Cité de Greyhawk ; et enfin un coffre, sur lequel Barnabé ne décela pas le moindre piège malgré tous ses efforts.
La clé trouvée sur l’illithid l’ouvrit sans difficultés. A l’intérieur, étaient rangés cinq sacs de velours noir. Quatre d’entre eux, les plus lourds, contenaient chacun une grande quantité de pièces classées par dénominations : plaques de platines, orbes d’or, nobles d’argent et communs de cuivre. Le cinquième, plus léger, recelait un assortiment de petites pierres précieuses. En dessous, dans un coin, les compagnons trouvèrent également une mince tige de cristal bleutée à section hexagonale longue de dix centimètres. Sans qu’il sache exactement pourquoi, Hélebrank associa de suite cet étrange objet à l’image d’un livre.
Il le prit en main et se concentra. Ses compagnons virent son regard se fixer, puis devenir flou. Le cristal se mit à luire d’une douce lumière bleutée, qui vira au rouge à peine quelques secondes plus tard avant d’exploser en mille fragments acérés. Hélebrank revint à lui en poussant un cri perçant sous l’effet de la douleur et de la surprise, les mains lacérées.
Une fois ses blessures guéries, il entreprit de raconter son étrange expérience à ses compagnons. Dès son entrée en contact télépathique avec la « matrice psionique » du « cristal mémoriel », pour reprendre les termes qu’il employa spontanément, il s’était retrouvé à flotter au milieu du vide, entouré de toutes parts par un espace bleu infini. Ce n’est qu’en apercevant au loin une sphère irisée qui grossissait de plus en plus qu’il comprit qu’il n’était en fait pas immobile mais se déplaçait à une vitesse vertigineuse (à moins que ce ne soit la sphère qui lui fonçait dessus : difficile à dire en l’absence de repères).
Lorsqu’il en fut assez proche, il s’aperçut que cette sphère vers laquelle il semblait tomber était composée d’une multitude de bulles irisées distinctes, reliées entre elles par de fins filaments, presque invisibles. L’ensemble lui avait semblé immense, aussi vaste qu’une planète. Il ne tarda pas à en franchir la surface, continuant sa plongée au milieu de milliers de bulles. Il en frôla certaines d’assez près au hasard de sa chute, et constatat qu’il pouvait alors apercevoir à l’intérieur l’image d’une personne inconnue, généralement humaine. Curieusement, il la voyait simultanément sous toutes les coutures, de face comme de profil, du dessus comme du dessous, sans qu’il puisse expliquer ce curieux phénomène.
Puis sa trajectoire incontrôlée le fit percuter l’une de ces bulles. A ce moment, sa perspective avait changé du tout au tout. Il eut instantanément accès à une foule de détails biographiques sur un honorable artisan rempailleur de la cité, tandis que toutes les bulles alentour se réordonnaient selon un schéma précis, et que les filaments les reliant à la bulle qu’il occupait se mettaient à briller d’une couleur et d’une intensité qui était fonction de la nature et de la force des relations entretenues par les personnes qu’elles représentaient avec le dit rempailleur. Hélebrank eut alors le sentiment qu’il lui aurait été possible de parcourir ce réseau de filaments d’une simple pensée, si seulement il avait su comment s’y prendre. Puis le contact avait été rompu, et sa chute s’était poursuivie de l’autre côté de la bulle du rempailleur. Il avait ensuite commencé à apercevoir des bulles mauves, où l’image d’un doppleganger était superposée à celle d’un humain ; d’abord une, puis deux, plus trois... Elles s’étaient faites plus nombreuses au fur et à mesure qu’il s’approchait d’une immense bulle centrale, dont il eut l’intuition qu’elle devait être l’élément central de cette vaste « base de données ».
Il s’en était approché d’assez près pour y discerner l’image d’un quadragénaire grisonnant d’allure martiale, dont le visage buriné était marqué par une large balafre, lorsqu’une voix désincarnée lui avait réclamé un mot de passe pour accéder à des « données protégées », mot de passe qu’il avait été bien en peine de fournir. Le ciel avait aussitôt viré au rouge, tandis que la même voix annonçait l’activation d’un « protocole d’autodestruction ». C’est alors qu’il était revenu à lui, les mains en sang.
Qui pouvait bien être ce mystérieux individu, placé au centre des préoccupations de l’illithid ? S’agissait t’il d’un autre membre de la même organisation maléfique, ou bien au contraire de la cible de ses plans machiavéliques ?
Plusieurs raisons à cela. Primo, je vois mal la nécessité pour LR de signer de son nom ce genre de documents compromettants, et encore moins pour l'illithid de les conserver. Deusio, je ne vois pas ce qui dans le scénario original empêcherait les aventuriers d'agiter ce courrier sous le nez des autorités pour faire embastiller LR.
Donc, la lettre a été remplacée par un cristal dont l'illithid pouvait penser qu'il était seul à pouvoir le lire (les psions ne courent pas les rues), et avec un contenu beaucoup plus "neutre".
Heraut de la Mort Rampante |
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RETOUR D’EXPERIENCE
(séance du 31 mai 2013)
4ème Jour de la Lune du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595 (soir)
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Les compagnons ne s’attardèrent dans le complexe souterrain que le temps de rafler au passage tout ce qui pouvait être utile ou facilement négociable. Ils récupérèrent ainsi dans les vitrines du cabinet des curiosités tous les objets à la fois magiques et non maléfiques : le cinquième volume des « Tomes innommables » (qu’ils trouvèrent caché derrière les quatre premiers), la statuette de griffon, l’épée bâtarde, et le pendentif d’ambre et d’or. Puis Barnabé préleva dans la bibliothèque du laboratoire une sélection des meilleurs ouvrages de transmutation.
Ensuite, ils rejoignirent les quatre prisonniers et leur ancienne geôlière là où ils les avaient laissés, et tout ce petit monde regagna les égouts à la queue leu leu.
Ils n’avaient qu’une idée très vague du temps écoulé depuis leur arrivée en ces lieux, et n’auraient donc su dire si la rafle prévue au crépuscule avait ou non déjà commencé. Dans le doute, ils décidèrent de rejoindre la Ville Haute par les égouts plutôt que par la surface, considérant à juste titre que parader dans les rues avec une prisonnière olve noire manquerait de discrétion. En effet, tout doppleganger qui les apercevrait ne manquerait pas de comprendre que le repaire de l’illithid avait été découvert, ce qui pourrait gâcher l’effet de surprise.
Hélebrank les assura que les conduire jusque là-bas ne lui poserait aucune difficulté. L’ingénieur égoutier dont il disposait des souvenirs avait mieux connu la partie du réseau d’assainissement située sous le quartier des artisans pour avoir été longtemps en charge de son entretien, mais il en savait assez sur la structure d’ensemble du réseau pour les guider dans le dédale des galeries principales vers n’importe quel autre quartier de la cité.
Il les prévint toutefois que les passages menant à la Ville Haute étaient en principe fermés par des grilles nécessitant une clé spéciale dont ils ne disposaient pas. Cela ne dissuada pas les compagnons : même s’ils ne parvenaient pas à destination, ils pourraient à tout le moins s’en approcher au plus près.
Malheureusement, aucun d’entre eux n’avait envisagé que l’accès à la Ville Haute par les égouts puisse être tout autant (sinon plus) surveillé que l’était la Porte des Nobles à la surface. Lorsqu’ils débouchèrent sur le vaste collecteur d’où partait la galerie qu’ils comptaient emprunter pour passer sous le Mur des Jardins, ils furent donc pris au dépourvu lorsque surgirent de l’ombre une dizaine de silhouettes portant des armures de cuir sombre, les traits dissimulés sous la capuche rabattue de leurs capes. Toutes portaient un arc court à la main, flèche encochée.
- « Halte ! Plus un geste ! » ordonna l’une des silhouettes, probablement le chef de cette bande de spadassins.
- « Holà, braves gens ! » répondit Khalil sur un ton enjoué, plutôt décalé compte tenu des circonstances.
- « Ouais, c’est ça, holà. Que faites vous ici ? »
- « On ne fait que passer », répondirent en cœur Barnabé et Hélebrank.
- « Et bien, ce n’est pas un lieu de promenade. L’accès n’est pas libre. »
- « Ah ? Il est payant ? A combien se monte le droit de passage ? » demanda Khalil en mettant la main à la bourse.
- « Laisse Khalil. Je ne crois pas que c’est ce qu’il a voulu dire » le corrigea Barnabé avant de tenter la carte de l’innocence. « Nous ne sommes que de pauvres voyageurs égarés, Messire. Auriez-vous l’extrême amabilité de nous indiquer le chemin de la plus proche sortie ? »
- « Bien essayé, mais là n’est pas la question. Je vous tiens, je vous garde. Je répète : que faites-vous ici ? »
- « Et vous êtes qui, d’abord ? » lui répondit Hélebrank, essayant de biaiser.
- « C’est moi qui pose les questions. Pour la toute dernière fois, que faites-vous ici ? »
- « Nous voudrions rejoindre la Ville Haute, par le passage juste derrière vous. Nous sommes parfaitement conscients qu’il s’agit de votre territoire, et donc tout à fait disposés à vous payer un petit quelque chose pour le dérangement » intervint Khalil, poursuivant son idée initiale.
- « C’est très aimable à vous, mais non, pas aujourd’hui. Là nous sommes un peu dans les soucis, et l’accès à la Ville Haute est bouclé jusqu’à nouvel ordre » répondit le chef sur un ton nettement radouci.
- « Oui, mais cela ne s’applique pas à nous, car nous sommes en mission secrète ! » rétorqua Aloïs, qui pour sa première intervention dans ces négociations délicates fit très fort.
- « Si tu le dis… Vas-y, vide ton sac. Quelle mission ? Pour le compte de qui ? »
- « Ben, on peut pas vous le dire puisque c’est secret » lui répondit Aloïs avec un sourire d’excuse, pensant sans doute que ce genre de fine plaisanterie était de rigueur lorsque l’on est mis en joue par une dizaine de parfaits inconnus.
- « J’adore qu’on se foute de ma gueule » grinça son interlocuteur, avant de lever la main droite. Aussitôt, une dizaine de cordes d’arc se tendirent. « J’attends toujours une réponse. 5… 4… »
- « On est en mission pour le temple d’Heironéous ! » lâcha aussitôt Aloïs.
- « Très bien. Je t’en prie, continue. Quelle mission ? 3… » l’encouragea le chef spadassin, la main toujours levée.
- « Oh, eh, ça suffit comme ça. On vient de capturer une olve noire, alors si tu nous laisses pas passer, euh… Hein, attention… » menaça Hélebrank, tentant d’intimider leur interlocuteur avec un manque de conviction pathétique.
- « Je ne vous laisse pas passer. Et ensuite, tu fais quoi ? 2… »
- « On enquête sur des dopplegangers ! » lâcha encore Aloïs, qui sentait la panique le gagner.
- « Des dopplegangers, tu dis ? Voila qui devient intéressant. Et qu’est ce qui me prouve que vous n’en êtes pas vous-mêmes, des dopplegangers ? 1… »
C’est le moment que choisit Mathieu pour intervenir, voyant que la situation était sur le point de dégénérer complètement du fait des réponses incohérentes de ses compagnons. Hélas, au lieu de calmer le jeu, il adopta d’entrée un ton résolument agressif au risque de jeter encore un peu d’huile sur le feu.
- « Bonjour, je suis Mathieu, paladin d’Heironéous. T’es qui toi ? »
- « Cela ne te regarde pas. Encore une fois, c’est moi qui pose les questions ici, vu que c’est moi qui ai les arcs. »
- « Très bien. Puisque tu ne me donnes pas ton nom, je ne vois pas pourquoi je te donnerais le mien. »
Cette réponse d’un comique parfaitement involontaire réussit miraculeusement à détendre l’atmosphère. Le chef des spadassins éclata de rire au nez du paladin.
- « Sauf que tu me l’as déjà dit, ton nom ! » s’esclaffa t’il en s’essuyant les yeux avec la main qu’il avait jusqu’alors gardée en l’air, levant de fait la menace. « T’es un marrant dans ton genre. Bon, tout ce que je vois c’est que tu ressembles à un paladin. Cela ne suffit pas, tout spécialement aujourd’hui. Prouve-moi que tu es bien ce que tu prétends. »
Encore fulminant de colère, Mathieu annonça qu’il allait lancer un sort divin, puis prononça une prière en vieil œridien à la gloire de l’Archipaladin. Sa main droite se mit à luire de la chaude lumière blanche caractéristique de l’énergie positive invoquée par un miracle de Guérison des Blessures.
- « Ca ira, comme preuve ? »
- « Félicitations, tu es bien ce que tu prétends être. Et je suppose que là derrière, c’est bien une olve noire. Vous voulez en faire quoi ? »
- « Quelle perspicacité ! » cracha Mathieu, qui n’arrivait toujours pas à décolérer. « L’amener au temple, pour interrogatoire. »
- « Je vois. Maintenant tu baisses d’un ton dans ton armure, et toi et tes copains allez attendre bien gentiment le temps qu’on demande des instructions. Pigé ? »
Les compagnons se tinrent cois comme demandé, de peur de relancer une querelle qui avait bien failli tourner à l’affrontement. Pris les chausses baissées comme ils l’avaient été, il n’est pas sûr qu’ils en auraient réchappé indemnes, sans même parler des quatre civils innocents et désarmés qu’ils escortaient… Le chef des spadassins fit signe à l’un de ses subordonnés, qui remit son arc dans son dos et détala le long d’une galerie secondaire.
Je me suis saisi du lapsus du paladin comme d'une perche pour sortir de cette situation, en espérant que mes joueurs finiront par comprendre que leur statut de "héros" ne leur permet pas pour autant de prendre impunément les PNJ de haut, ni ne les rend invulnérables...
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De longues minutes d’attente tendue plus tard, il était de retour avec une réponse, qu’il souffla à l’oreille de son chef. Celui-ci ouvrit la grille fermant la galerie qui menait à la Ville Haute, puis la désigna aux compagnons d’une courbette si exagérément obséquieuse qu’elle en devenait une moquerie.
- « Si leurs irascibles seigneuries veulent bien s’en donner la peine… Votre temple confirme vos dires. Mais il semblerait que les chapeautés veulent vous voir d’abord » leur précisa t’il avant de leur indiquer le chemin à prendre pour rejoindre le temple de Saint Cuthbert par les égouts.
Les compagnons défilèrent devant lui sans un mot, puis suivirent l’itinéraire qu’il leur avait donné. Chemin faisant, ils durent expliquer à Hélebrank (qui n’avait pas tout bien compris) que les gardes qu’ils venaient de rencontrer n’étaient probablement pas des prêtres de Saint Cuthbert déguisés, mais plutôt des membres patentés de la Guilde des Voleurs. De notoriété publique, les égouts étaient leur domaine réservé, leur réseau de communication bien à eux. Au premier signe d’un évènement inhabituel, ils avaient du en boucler tous les points névralgiques pour s’assurer que personne ne fuirait par là, ou pire, n’en prendrait le contrôle.
Au terme du parcours indiqué, ils remontèrent par l’échelle rouillée d’un puits d’accès vers une bouche d’égout déjà ouverte. Les attendaient à la surface deux acolytes en armure, accompagnés de weisshunds, ces gros chiens dont on disait que leur odorat était si subtil qu’ils pouvaient littéralement sentir le Mal. Les acolytes les aidèrent à s’extirper du puits d’accès, situé au beau milieu du parvis du temple de Saint Cuthbert, puis les pressèrent d’aller se mettre à l'abri à l’intérieur.
La prisonnière olve noire fut jetée dans une geôle appropriée, et les compagnons conduits aux modestes quartiers destinés aux pèlerins de passage. Un prêtre subalterne, mais le plus haut gradé encore disponible, vint recueillir le récit de leurs aventures pour le transmettre au Juge Godbert. C’est alors qu’ils apprirent que l’heure était bien plus tardive qu’ils ne l’avaient cru ; sous terre, ils avaient perdu la notion du temps.
Mathieu demanda ensuite à rejoindre son temple, mais leur hôte lui fit comprendre que cela n’était guère prudent compte tenu des circonstances. De plus, le Juge préférait les savoir bien à l’abri dans un endroit où ils ne risqueraient pas de gêner les opérations en cours par des initiatives inconsidérées. Les compagnons furent plutôt invités à prendre une collation et un peu de repos bien mérité. Ils ne se firent pas trop prier, la journée ayant été harassante.
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4ème Jour des Dieux du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595
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Ils n’eurent pas plus à se plaindre de l’hospitalité (insistante) des Saint Cuthbertiens le lendemain, mais toutes leurs demandes visant à rencontrer le Juge Godbert furent poliment repoussées. Ils purent juste apprendre qu’il était très occupé, car les opérations de la veille n’avaient pas eu le résultat escompté. On leur promit qu’il ne manquerait pas de venir les mettre au courant dès que possible, et on les incita à profiter de ce répit pour se détendre.
Malgré l’effervescence qui régnait dans le temple, l’on put toutefois trouver assez rapidement un prêtre pour soigner Khalil et Aloïs des séquelles de leur exposition aux spores de moisissure jaune. Quelques petites prières plus tard, ils purent à nouveau respirer librement.
Kalen profita de cette attente forcée pour examiner l’étui à parchemin trouvé la veille dans les affaires de Telakin. Après avoir dévissé l’un des embouts, il en sortit un parchemin couvert de runes magiques qui se révélèrent être un sort d’Asservissement mental. Quel dommage qu’ils n’aient pas eu cet indice plus tôt ! Cela aurait pu leur permettre de prendre des dispositions pour se prémunir de ce genre d’attaques.
En début d’après-midi, on leur fit enfin savoir que le Juge avait un peu de temps à leur consacrer, et ils furent conduits jusqu’à son bureau. Les y attendait l’inquisiteur lui-même, une fois encore accompagné de son fidèle secrétaire Frère Anselme et de l’Eradicateur Talasek Fléau-des-Impies.
- « Bien le bonjour, messieurs. Quelle nuit ! » les salua le Juge, se levant de son siège d’un pas alerte pour venir les accueillir. « On m’a fait part de votre petite escapade d’hier soir. C’est bien de prendre des initiatives… parfois. Mais je vous rappelle qu’en tant qu’« élus », vous êtes amenés à jouer un rôle central dans cette histoire de Mort Rampante. Il faudrait tout de même veiller à ne pas trop vous exposer. »
- « Peut-être. Mais comment savoir si notre destin n’est pas justement de prendre des risques ? » lui rétorqua Barnabé.
- « Oui, certes… Nous en reparlerons un peu plus tard. Pour l’heure, je voudrais d’abord vous exposer le résultat des opérations d’épuration entreprises hier soir. Il semblerait hélas que l’alerte ait été donnée avant que nous ne lancions notre intervention. Bien avant en fait, peut-être avant même que vous ne ressortiez de cet entrepôt sur les quais. Une étrange épidémie d’absentéisme a sévi en fin de matinée au sein du Guet et de certaines administrations, à peu près simultanément. Certains ont prétexté un flux de ventre, un problème familial, ou ont simplement anticipé sur la pause déjeuner ; d’autres sont partis sans donner la moindre explication. Nous pensons donc qu’ils n’avaient pas la moindre intention de revenir à leur poste. »
- « Peut-être que le chef des dopplegangers a eu le temps de leur envoyer un message avant que nous ne lui réglions son compte ? » supputa Hélebrank. « Ou alors ce sont les olves noirs que nous avons rencontrés au retour. »
- « Hmm… Je pencherais plutôt pour l’illithid » le corrigea Barnabé. « N’oublions pas qu’il a pu observer tout le combat au travers de son drôle de cristal. »
- « Tout à fait » approuva le Juge. « C’est votre expédition d’hier soir qui nous a donné la clé de ce mystère. Les illithids sont bien connus pour leurs pouvoirs mentaux, et notamment pour leur capacité à réduire n’importe qui à l’état d’esclave abjectement servile. A ce qu’on en sait, ils peuvent instaurer un lien mental avec leurs marionnettes. Il est très possible que votre illithid ait assisté à la débâcle du chef des dopplegangers et ait transmis télépathiquement un ordre de repli à tous ses agents infiltrés. En tout, nous avons recensé vingt-trois disparitions de cet acabit dans diverses institutions, donc autant de suspects : deux Prévôts, dont votre ami Ragnarsson ; un greffier du tribunal, en charge du rôle ; deux employés du bureau des licences et patentes ; un inspecteur du fisc ; seize hommes du Guet ; et enfin, un ingénieur de la Guilde des Egoutiers. »
- « C’est quoi, ce bureau des patentes et licences ? » demanda Hélebrank.
- « Oh, c’est une section spécialisée du fisc qui délivre contre espèces sonnantes et trébuchantes toutes sortes d’autorisations, en général pour exercer une activité réglementée. Cela va des titres nobiliaires de pacotille aux Prévôts du Peuple, que vous avez sûrement déjà croisés dans les rues en train d’escroquer les braves gens avec leurs règlements incompréhensibles, en passant par les notaires et les concessions minières », précisa obligeamment le Juge.
Il s’interrompit un moment puis, voyant qu’il n’y avait pas d’autres questions, s’éclaircit la gorge et reprit le fil de son récit.
- « Mais bref. Lorsque nous avons vu la tournure que prenaient les évènements, nous avons complètement changé notre arbalète d’épaule et poursuivi la traque par d’autres moyens. Les Localisations de créature visant des dopplegangers n’ont rien donné de concret ; nous en avons bien attrapé un sur les quais, mais il venait de débarquer d’un bateau et n’avait donc rien à voir avec notre affaire. Cela en fera toujours un de moins, hein ? Nous avons ensuite quadrillé la ville avec des Localisations d’objet à la recherche de cones de cristal identiques à ceux que vous nous aviez montrés, et en avons retrouvé trois sur des tas d’ordures ou au fond du fleuve, sans doute jetés là par nos fugitifs. »
- « Vous les avez gardés ? » demanda aussitôt Hélebrank.
- « Bien sûr. Nous savions que vous pourriez nous éclairer sur leur contenu, et les avons mis de côté à votre intention. Frère Anselme, je vous prie ? »
Sur un signe du Juge, son secrétaire présenta au psion les trois cristaux mémoriels qui avaient pu être récupérés. Sans surprise, ils se révélèrent contenir les mémoires de trois des portés disparus, tous des membres du Guet.
- « En tentant de localiser des cadavres de doppleganger, nous avons ensuite découvert un véritable charnier dans un entrepôt du quartier des Artisans : vingt-quatre corps, portant tous les signes d’une hémorragie cérébrale massive. »
- « Ils ont tous été liquidés, comme celui que nous avions capturé… » commenta Aloïs.
- « Il semblerait : cette piste là ne nous a pas conduits plus loin. En parlant d’entrepôt, nous avons pu identifier le vieux fou que vous aviez trouvé prisonnier des dopplegangers : c’était un employé du bureau des patentes et licences du nom de Gettel, censément toujours en activité. Il faisait partie des vingt-trois disparus d’hier matin. Notre meilleure hypothèse de travail est que, pour une raison quelconque, la « machine » des dopplegangers n’aurait pas bien fonctionné sur lui, et que faute d’avoir une copie de sa mémoire ils ont gardé l’original sous la main, pour référence. Sa folie pourrait être la conséquence de ce dysfonctionnement, et sa longue captivité n’a probablement rien arrangé. »
- « Ah oui, tout s’explique. C’est pour cela qu’il disait tout le temps ‘sortez de ma tête’… » confirma Hélebrank.
- « Et la fille, Ilya ? Qu’est ce qu’elle faisait là, elle ? » s’enquit Aloïs, toujours intéressé par tout ce qui touchait au beau sexe.
- « Nous pensons qu’elle était gardée prisonnière pour les mêmes raisons que Gettel : accéder à son esprit au besoin. »
- « Ne serait-ce pas plutôt pour pouvoir mettre en scène sa disparition plus tard, en produisant son vrai cadavre, lorsqu’elle n’aurait plus eu d’utilité ? » proposa Barnabé.
- « C’est une autre hypothèse envisageable, mais qui nous semble moins probable. Ce serait pour eux prendre le risque qu’une Nécromancie Vraie ne révèle le pot aux roses. Nous pensons plutôt qu’en tant qu’olve, sa résistance naturelle à la sorcellerie la mettait à l’abri des effets de la machine ; ou plus simplement, que les informations qu’elle détenait ne valaient pas le prix d’un cristal. Justement, c’est de dernier point qui nous a donné beaucoup de fil à retordre : nous ne comprenions pas l’intérêt qu’il pouvait y avoir à enlever cette jeune fille assez ordinaire, et qui plus est à la faire remplacer par un doppleganger puisque pour ses proches elle n’a jamais disparu. Mais nous avons fini par trouver en interrogeant sa femme de chambre : elle nous a confié que ces derniers temps sa jeune maîtresse fréquentait en secret un galant, un mage du nom de Grubek Castawen. »
- « Ce nom ne me dit rien », commenta Kalen en fronçant les sourcils.
- « Le contraire serait étonnant ! Son principal titre de gloire est d’occuper la charge de Conseiller Spécial ès affaires magiques du Directoire Oligarchique. Autrement dit, il traduit en langage clair le jargon technique à l’intention des conseillers qui ne sont pas de la partie. C’est un mage compétent mais sans plus ; il est clair qu’il doit plus son poste à ses relations politiques qu’à ses mérites propres. »
- « C’était quoi le but ? Manipuler Grubek pour qu’il transmette de fausses informations ? » supposa Aloïs.
- « J’en doute. Il s’agissait plus probablement d’une opération de renseignement plutôt que de désinformation : je vois mal Grubek tenir compte de l’avis d’une nymphette olve sur quelque sujet que ce soit. Il a reconnu l’avoir fréquentée, mais nie absolument lui avoir parlé de son travail, ou avoir commis la moindre impropriété à son encontre. Mais il est très déshonorablement connu pour son appétence pour la chair fraîche, si vous voyez ce que je veux dire. Si la fausse Ilya a tenté de le séduire, il est plus que probable qu’il ait fini dans son lit sans opposer trop de résistance. Dans l’extase du moment, qui sait quels secrets il a pu révéler, même involontairement ? Bien sûr, nous nous sommes fait un plaisir de lui révéler avec quoi il a fricoté, ce qui devrait l’aider à réfréner ses envies pour quelque temps. Les petits moments de joie sont rares dans le dur métier d’inquisiteur ; il serait dommage de s’en priver. »
Heraut de la Mort Rampante |
Il attendit que les compagnons ait fini de glousser en imaginant la tête qu’avait du faire l’infortuné conseiller, avant de reprendre son exposé.
- « Ce qui nous inquiète, c’est que la substitution d’Ilya pour approcher Grubek rompt nettement avec le mode opératoire habituel des dopplegangers. Jusqu’à présent, ils s’étaient bornés à remplacer de simples exécutants en veillant scrupuleusement à rester à l’écart des hautes sphères. Nos analystes pensent que… »
- « Vos analystes ? » l’interrompit Kalen, que ce terme technique étonnait.
- « Oui, ceux du Saint Diocèse d’Eradication des Cultes Ennemis, ou en abrégé le Sdèke. La menace étant globale, nous travaillons en étroite collaboration avec notre Saint Siège, dans le Vicomté de Verbobonc. Bref, nos analystes pensent que cette accélération du tempo peut être le signe que le plan de nos adversaires est proche de son achèvement. Le fait qu’ils aient retirés, et surtout liquidés, tous leurs agents à la première alerte plaide dans le même sens. »
- « C’était quoi le but des dopplegangers déjà ? Prendre le contrôle de la ville ? » hasarda Kalen.
- « C’était pas plutôt enlever des gens ? » ajouta Hélebrank, confondant un peu moyens employés et objectif poursuivi.
- « La vérité est que nous n’en savons rien, mais ce n’était certainement pas ceux-là ! A moins que vous ne considériez qu’usurper l’identité d’une quinzaine d’hommes du Guet et d’une poignée de scribouillards au terme de plus d’une décennie d’efforts soit en ligne avec ce genre d’objectifs. Nous ignorons complètement le but poursuivi par cette vaste conspiration, et c’est d’autant plus inquiétant. On ne met pas sur pied un plan mobilisant autant de moyens juste pour la beauté du geste : ils devaient bien avoir été placés là pour quelque chose. Mais aux dires de leurs collègues, que nous avons bien sûr interrogés, les imposteurs accomplissaient très sérieusement leur travail, avec ce qu’il faut de zèle. Un premier examen des registres n’a pu déceler la moindre trace d’un détournement de fonds. Il sera bien sûr procédé à des vérifications approfondies, mais pour l’instant tout semble parfaitement normal. »
- « C’est habituel pour des dopplegangers, cette façon de procéder ? » demanda Mathieu.
- « Aucunement. Au naturel, ce sont des bons à rien jouisseurs, des partisans du moindre effort : travailler dur des années durant pour atteindre un objectif à long terme, ce n’est pas du tout leur genre. Ce comportement hautement anormal nous conforte dans l’idée qu’ils devaient être sous le contrôle mental de l’illithid. D’ailleurs celui-ci était également atypique si l’on en croit les fresques que vous dites avoir trouvées dans son antre. D’après nos analystes, les illithids n’adorent que leur propre puissance. Ils réfutent l’idée même qu’un être puisse leur être intrinsèquement supérieur, et donc toute idée de religion : ce sont de purs mécréants, au sens propre du terme. Le grand dessein de leur peuple est de réduire les autres races à l’état d’esclaves, ou pire, de simple bétail de boucherie. Celui que vous avez rencontré semblait souhaiter ardemment l’avènement d’une apocalypse, ce qui aux yeux de ses congénères en fait un dangereux renégat. »
- « Vous avez eu notre rapport donc » releva Hélebrank. « Alors vous devez savoir que nous avons trouvé un autre genre de cristal, et que dedans il y avait l’image d’un homme auquel l’illithid semblait beaucoup s’intéresser. Je pense pouvoir le décrire avec suffisamment de précision pour qu’un peintre en esquisse le portrait. L’identifier nous aiderait sûrement à mieux comprendre leurs plans. »
- « J’ai une solution plus simple à vous proposer. Pourriez-vous penser très fort à l’image de cet homme ? Et maintenant, détendez-vous : cela ne fait pas mal… » l’assura le Juge, non sans malice.
Puis il prononça une courte prière et entra en contact avec l’esprit d’Hélebrank. Courtoisement, il s’abstint d’y pénétrer plus loin que les pensées superficielles.
- « Alors, c’est un membre du Directoire Oligarchique ? » demanda Aloïs, impatient.
- « Pas du tout. Mais il s’agit du titulaire d’une charge publique de tout premier plan : votre mystérieux inconnu n’est autre que Loris Raknian, le Grand Ordonnateur des Jeux des arènes de Greyhawk. »
- « Oh flûte, et nous qui y sommes allés y poser des questions dès le premier jour… » gémit Aloïs. « Tu m’étonnes qu’on se soit fait repérer ! »
- « Oui, même s’il n’est pas de mèche avec l’illithid, il était certainement sous surveillance » approuva Kalen.
- « Bon, y’a plus qu’à. On frappe à sa porte, on le chope et on l’amène ici pour interrogatoire » proposa aussitôt Aloïs.
- « Je crains que cela ne soit pas aussi facile, jeune homme » objecta le Juge Godbert, douchant ses espoirs. « Déjà, parce que l’urgence est passée et que nous ne pouvons plus si facilement piétiner les plates-bandes du Guet. Ensuite, parce que ce Raknian est un homme influent. Sous sa direction, les Arènes qui périclitaient sont devenues un commerce florissant, générant des rentrées fiscales conséquentes. Ces fameux « Jeux de Greyhawk » qu’il a lancés drainent une foule considérable, et lui valent l’adulation de la populace béotienne. Et pour couronner le tout, depuis sa participation active au programme des Jeux Pénitentiaires, il est devenu un protégé de Glodreddi Bakkanin, le directeur en charge des finances. Au sein du Directoire Oligarchique, le moins que l’on puisse dire est que nous ne sommes pas du même bord. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’il nous fasse une faveur. »
- « Je suppose donc que vous préférez garder cela secret pour l’instant, et mener votre propre enquête ? » devina Barnabé.
- « Tout juste ! » le félicita le Juge. « A mon humble avis, ce n’est pas avec le seul témoignage de votre ami, qui de surcroît ne permet pas d’établir si Loris Raknian est coupable ou victime en cette affaire, que nous allons pouvoir convaincre les autorités de la ville de prendre des mesures énergiques : ça va tergiverser, demander des compléments d’information… Et au final, il est quasiment certain que le principal intéressé finira par en avoir vent. Pour le moment, il me paraît préférable de voir ce que nous pouvons découvrir par nous-mêmes en furetant autour de Raknian. Nous en apprendrons bien plus s’il ne sait pas que nous sommes sur sa piste. »
Pour finir, il leur révéla le fin mot de diverses énigmes mineures. Ainsi, les enquêteurs du culte avaient-ils repris l’enquête sur la tentative d’assassinat d’une serveuse par le faux Hélebrank, censée avoir été menée par le Prévôt Ragnarsson. Il ne leur fallut que peu de temps pour découvrir que l’extrême rapidité de l’intervention du Guet n’avait rien eu d’extraordinaire : en interrogeant le personnel du Relais de l’Habile Cocher, ils apprirent que cela faisait déjà cinq minutes que la patrouille faisait le pied de grue juste devant l’entrée, tandis que son sergent (qui figurait au nombre des disparus) discutait de la pluie et du beau temps avec les gardes stationnés à la porte. De toute évidence, ils attendaient que l’attentat se produise pour intervenir et donc avoir un excellent prétexte pour embarquer tout le monde au poste le plus proche.
Ils avaient également découvert que le propriétaire de l’échoppe d’archerie où le faux Aloïs avait mis en scène son agression n’était au courant de rien : ce jour-là, il avait été attiré à l’autre bout de la ville par un client désireux de lui commander un arc luxueux. Bien sûr, le riche mécène s’était depuis volatilisé.
Enfin, l’ingénieur égoutier dont Hélebrank consultait à tout bout de champ la mémoire avait pris sa retraite en 592 AC. Un imposteur avait donc exercé à sa place douze années durant, et c’était son successeur qui faisait partie des fugitifs. Quant au sergent du Guet qui avait fourni la matière du second cone mémoriel trouvé à côté de la machine, cela faisait belle lurette qu’il avait quitté son poste, soit disant pour se lancer dans la culture maraîchère dans le lointain Urnst.
Forts de cette abondante moisson d’informations nouvelles, les compagnons se lancèrent dans leur activité favorite : la spéculation.
- « Récapitulons : d’après ce qu’a vu Hélebrank dans le cristal de l’illithid, les dopplegangers infiltrés seraient d’autant plus nombreux qu’ils étaient proches de Loris Raknian » raisonna fort justement Barnabé. « Mais d’un autre côté, nous avons une liste de personnes remplacées, composée essentiellement d’hommes du Guet et de petits fonctionnaires. Cela ne colle pas. Quel lien pouvait-il y avoir entre eux et Loris Raknian ? »
- « Hmm, bonne question… » acquiesça le Juge. « Il y a un lien fonctionnel évident entre les Arènes et le bureau des licences et patentes, puisque c’est ce dernier qui délivre les licences autorisant la création d’une écurie de gladiateurs. Sans oublier que la charge de Grand Ordonnateur des Jeux elle-même relève de son autorité. Pour les autres administrations, je ne vois pas, mais nous allons essayer de nous renseigner. »
- « Est-il possible de savoir si ce sont les dopplegangers qui ont délivré sa charge à Loris Raknian ? » demanda Hélebrank.
- « Pas avec certitude, hélas : toutes les autorisations portent seulement le cachet officiel du bureau et la signature de son chef, qui est aussi humain que vous et moi. Il est difficile après coup de déterminer lesquels des employés sont intervenus dans la préparation de tel ou tel dossier. Par hypothèse, il faut considérer que toutes les décisions intervenues ces quinze dernières années sont susceptibles d’avoir été trafiquées. »
- « Pourrions nous obtenir une liste des personnes autorisées à ouvrir une écurie de gladiateurs ? Notamment celles qui l’ont été cette année ? » demanda Barnabé.
- « Oui, c’est possible. Vous l’aurez dès ce soir. Je vous ramènerai aussi les quelques éléments biographiques déjà en notre possession sur ce Raknian. Et maintenant, à mon tour de vous présenter une requête un peu, euh… délicate. Avant tout, vous devez être bien conscients que ce culte qui a tenté de vous occire ne représente pas un danger que pour vous : au-delà de vos personnes, c’est toute la Cité de Greyhawk, les Flanaesses, que dis-je, le monde entier, qui est menacé par la Mort Rampante ! Tout le monde est concerné. Chacun doit participer à la mesure de ses moyens à cette lutte, et faire preuve d’esprit de sacrifice. »
Il s’interrompit un instant, les regardant droit dans les yeux.
- « Or, il se trouve que vous ayez reçu d’un adolescent fantôme une destinée particulière, qui vous confèrerait un rôle central dans ce combat. Comment vous présenter la chose au mieux… Gardez bien à l’esprit la notion de sacrifice personnel. Pensez-vous qu’il vous serait possible de transmettre cette destinée à d’autres qui seraient, disons, plus à même de mener à bien ce combat ? Essayez donc sur l’Eradicateur Talasek ici présent, pour voir. »
Les compagnons échangèrent un regard interloqué. Par on ne sait quel miracle, ils avaient tous compris de travers la proposition du Juge et étaient persuadés qu’il leur demandait de se sacrifier littéralement, autrement dit de se suicider pour la bonne cause.
- « Euh, là vraiment, sans façons… » bégaya Kalen
- « En plus, si cela ne marche pas, vous n’aurez plus de champions du tout » objecta Barnabé.
- « Mais je vous promets que si je venais à trépasser, je ferais mon possible pour revenir vous hanter et vous transmettre ce que je peux » promit Hélebrank, serviable.
Avant que Mathieu n’ait eu le temps de dire à quel point cette idée de sacrifice humain le révoltait, surtout dans la bouche du représentant d’un culte supposé ami, le Juge comprit et dissipa le malentendu.
- « Vous n’y êtes pas du tout…. une fois de plus » soupira t’il. « Je ne vous demande pas de vous trancher la gorge, mais de faire simplement preuve d’esprit de sacrifice, d’oublier un peu vos petites personnes en faveur du bien commun. Ma demande est tout à fait sérieuse : pensez-vous être en mesure de transmettre ce que vous avez reçu ? Par un gros effort de volonté, peut-être ? »
- « Je ne pense pas que cela soit si simple » répondit Kalen, qui pourtant n’était pas le dernier à se plaindre du fardeau qui leur était tombé sur les épaules. « Nous n’avons pas choisi cette destinée, mais nous devons faire avec maintenant. »
- « Vous ne voulez vraiment pas essayer ? Parce que le souci, voyez-vous, c’est que nous ne vous avons pas choisis comme champions, nous non plus. Comme vous dites, nous devons faire avec, et il se trouve que vos méthodes sont un peu trop… disons anarchiques, à notre goût. Pour dire les choses crûment, vous êtes tombés aveuglément dans toutes les chausse-trappes que nos adversaires communs ont bien voulu vous tendre ces derniers jours, et cela n’est pas pour nous rassurer. »
- « Bien sûr, ce n’est pas comme si nous avions réussi à nous en tirer chaque fois » ironisa Mathieu, un rien vexé.
- « Jusqu’à quand ? » lui répliqua le Juge du tac au tac. « La méthode qui consiste à sauter dans un trou pour en connaître la profondeur, très franchement… Mais brisons là. Vous ne voulez pas transmettre votre destinée, soit. En ce cas, j’ai une autre proposition à vous faire. Que diriez-vous d’agir à l’avenir avec un peu plus de moyens et de méthode ? Nous savons que désormais vous représentez une cible pour nos adversaires : il vous suffira de faire quelques apparitions sous surveillance dans des lieux publics choisis avec soin, et l’on verra bien ce qu’il adviendra. »
- « Vous nous proposez de jouer les chèvres, en somme » résuma Kalen.
- « En quoi cela diffère de ce que nous faisions avant ? » demanda Aloïs.
- « Personnellement je préfère parler d’appât, mais la peste soit de la sémantique. Et ce que vous faisiez avant, jeune homme, c’est foncer aveuglément quelque part sans prévenir personne et prendre des coups. Là, vous disposeriez d’un discret dispositif de protection à chacune de vos apparitions, et le reste du temps vous seriez bien à l’abri dans un endroit sûr, où on ne risquerait pas de vous tuer pour compromettre nos chances de contrer cette Mort Rampante. Mais je ne vous demande pas de me répondre sur le champ : réfléchissez y tranquillement, et vous me ferez part de votre décision ce soir. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai une prêtresse olve sur le grill, si j’ose dire. »
Les compagnons furent aussitôt reconduits à leurs appartements, où ils purent dire tout le mal qu’ils pensaient de la proposition qui venait de leur être faite, assez insultante il est vrai. En particulier, Barnabé fit observer que la méthode proposée par les Saint Cuthbertiens allait à l’encontre de ce que leur avait précédemment expliqué Jallarzi Sallavarian sur le fonctionnement de leur destinée, et qu’au contraire c’était en s’exposant qu’ils avaient le plus de chances de croiser par une nouvelle coïncidence extraordinaire les machinations de la Mort Rampante et donc de les contrecarrer. Quant à Hélebrank, la seule idée de plus être complètement libre de ses mouvements le révulsait profondément.
Smarnil le couard |
Ouais... ce genre de choses arrivent souvent dans mes parties aussi...
Un gros coup de fatigue !
Par contre, leurs méthodes un peu particulières et leur façon d'attendre que les PNJ fassent le boulot commencent à avoir des conséquences sur leur image auprès des dits PNJ. Héros élus ou pas.
D'où l'aimable proposition des St Cuthbertiens de passer le flambeau, suivie d'une autre visant à les mettre carrément sous tutelle (la seconde était un test pour évaluer le degré de passivité de mes joueurs : s'ils avaient accepté, je mangeais mon écran).
Olwen |
Moonbeam wrote:Ouais... ce genre de choses arrivent souvent dans mes parties aussi...Un gros coup de fatigue !
Par contre, leurs méthodes un peu particulières et leur façon d'attendre que les PNJ fassent le boulot commencent à avoir des conséquences sur leur image auprès des dits PNJ. Héros élus ou pas.
Certes, mais le passage avec les gardes, dans les égouts, m'a beaucoup fait rire ! ;)
Smarnil le couard |
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Le soir, le Juge revint avec les éléments complémentaires réclamés. Il s’avérait que cette année, trois personnes seulement avaient réclamé et obtenu une licence d’écurie gladiatoriale. Barnabé reconnut parmi elles le nom d’un certain Ephraïm Barriquaud, mais n’en souffla mot à quiconque.
- « Hmm, pas très concluant » grommela t’il plutôt. « S’il y avait eu une affluence de candidats étrangers, cela aurait pu être significatif, mais là, trois noms seulement... » Puis, s’adressant au Juge : « Avez-vous pu trouver un lien entre Loris Raknian et le Guet ? »
- « Pas vraiment, non. Hormis quelques incartades mineures dans sa jeunesse de gladiateur, il n’a fait l’objet d’aucune plainte, et n’en a déposé aucune. Un genre de citoyen modèle. En fait, la vie de Loris Raknian est à faire pleurer dans les chaumières : il serait né dans le caniveau quelque part dans la Vieille Ville, et n’aurait guère connu ses parents avant de rejoindre l’une de ces troupes d’enfants des rues qui semblent y pousser comme le chiendent. Il s’en est sorti à la force du bras pour devenir l’un des meilleurs gladiateurs qu’ait connu la Fosse... La suite vous est déjà connue. »
- « Est-il possible qu’un gladiateur réunisse assez d’argent pour se payer la charge de Grand Ordonnateur des Jeux ? » demanda Hélebrank.
- « Disons que ce n’est pas impossible. Cela représente une somme considérable, mais tout dépend de la façon dont il a géré ses gains, des paris qu’il a pu gagner … Sans compter qu’il a pu emprunter une partie de l’argent, tout simplement. »
Le Juge leur livra également l’essentiel des informations arrachées à la prêtresse de Lolth lors de son interrogatoire. C’était effectivement sous la contrainte qu’elle avait servi fidèlement l’illithid, depuis leur rencontre quelque part dans l’Infra-Taerre près de soixante-quinze années auparavant. Leur arrivée dans les égouts de la Cité de Greyhawk remontait elle à environ vingt ans. Sa principale mission avait été d’approvisionner l’illithid en cervelles fraîches, par des incursions hebdomadaires dans la cité ou aux alentours. Le Juge précisa que ce n’était parce qu’elle agi sous l’effet d’une compulsion mentale qu’ils comptaient la relâcher : elle était promise au bûcher.
Puis vint le moment où les compagnons durent décliner l’aimable proposition du Juge Godbert, lui expliquant avec tact que le rôle d’appât n’était pas conforme à leurs aspirations, mais l’assurant qu’ils ne manqueraient pas de le tenir informé de leurs futures initiatives. Il n’insista pas, et ils quittèrent enfin le temple pour retrouver leurs chambres du Relais de l’Habile Cocher avant qu’elles ne soient relouées.
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Lorsque ses compagnons se furent tous retirés pour la nuit, Barnabé quitta discrètement l’auberge. Après de nombreux détours destinés à égarer d’éventuels poursuivants, il finit par arriver derrière cette même maison qui avait été sa destination lors de sa précédente « promenade digestive », le soir de leur arrivée en ville.
Il procéda exactement de la même manière : réduit à la taille d’un gros chat, il escalada les façades comme une araignée avant de se glisser dans le conduit de l’une des deux cheminées. Cette fois, au lieu de s’arrêter au premier étage, au niveau du bureau, il descendit jusqu’à la salle à manger au rez-de-chaussée. N’osant pas sortir de la cheminée par peur d’éventuels pièges, il observa ce qu’il put depuis le foyer. Rien ne semblait avoir été dérangé depuis son départ pour Lac-Diamant, quatre mois auparavant. Il remarqua toutefois que la poussière commençait à s’amonceler : manifestement, la gouvernante Dame Marissa ne faisait plus le ménage, alors qu’en l’absence du Maître elle était censée passer une fois par semaine. Décidément, on ne pouvait plus faire confiance à personne…
Barnabé fit demi-tour et retourna se coucher sur cet amer constat.
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4ème Jour de l’Eau du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595
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Le jour suivant fut essentiellement consacré au repos, à la récupération, et à l’achat de quelques menues pièces d’équipement. Les compagnons commencèrent également à prendre leurs dispositions pour s’entraîner et accroître leurs capacités, leurs récentes aventures leur ayant ouvert de nouvelles perspectives.
Dans la journée, Hélebrank trouva néanmoins un peu de temps pour laisser traîner ses oreilles dans quelques tavernes, histoire de voir ce que la rumeur publique avait retenu des évènements de la veille. Il eut la surprise de constater que s’il était bien question d’une rafle des Saint Cuthbertiens à la recherche de dopplegangers, elle était assez largement tournée en dérision et présentée comme un lamentable échec. L’accent était le plus souvent mis sur le fait qu’aucun imposteur n’avait été démasqué au sein du Guet, et non sur les disparitions ou sur la découverte (plus discrète il est vrai) d’un charnier. Il se demanda si cette rumeur déformée était née spontanément, ou si quelqu’un avait sciemment œuvré à la faire enfler afin d’empêcher le culte de Saint Cuthbert de récolter les fruits politiques de son intervention.
De son côté, Kalen voulut se rendre à la Guilde des Mages pour y traiter diverses affaires. Khalil accepta de l’y accompagner, pour plus de sûreté. Le siège de cette vénérable institution était depuis sa fondation une vaste pyramide à quatre pans érigée dans le quartier le plus huppé de la Ville Haute. Le seul moyen d’y accéder était une monumentale double porte faite d’un alliage sombre d’adamantium. Des siècles auparavant, la garde et l’entretien de l’édifice avaient été confiés par Zagig Yragerne lui-même à une unique famille dwure, que l’on connaissait surtout sous leur sobriquet de « Portiers ». C’est donc l’un d’entre eux qui accueillit les compagnons à l’entrée, arborant fièrement la livrée rayée de pourpre et d’argent de sa fonction.
- « Ah, Sire Kertalen ! Quel plaisir de vous revoir ! Cela faisait longtemps » dit-il en s’adressant à Kalen, ignorant superbement les signes désespérés que ce dernier lui adressait pour le faire taire.
- « Hein ? Qu’a-t-il dit, là ? » réagit Khalil avec un peu de retard. Absorbé par la contemplation des splendeurs architecturales du bâtiment, il n’avait écouté que d’une oreille distraite.
- « Rien, laisse tomber » coupa Kalen avant de se tourner à nouveau vers cet aimable Portier, manifestement assez physionomiste pour ne pas avoir été trompé une seule seconde par sa nouvelle barbe. « Pourriez-vous conduire mon ami à la salle d’attente des invités ? J’ai quelques démarches à accomplir auprès de la Guilde. »
- « Mais bien sûr, Messire. Il y trouvera moult lectures édifiantes. »
- « Des quoi ? » balbutia Khalil, dont le vocabulaire en langue commune n’était pas si étendu.
- « Des choses intéressantes à lire, Monsieur » répéta obligeamment le dwur.
- « Avec des illustrations ? »
- « Mais certainement. Et des crayons de couleur, si Monsieur le désire » précisa le Portier avec dédain.
Une fois Khalil placé sous la garde de deux autres Portiers, aucun visiteur n’étant admis au sein de la pyramide sans avoir été annoncé au préalable, Kalen put tranquillement s’enquérir des modalités d’accès aux différents services qu’offrait la guilde à ses membres. Comme tout étudiant de l’Université des Arts Magiques, il s’était régulièrement acquitté de sa cotisation annuelle, mais sans manifester trop d’intérêt pour ce qu’il avait considéré comme une simple formalité.
Il se fit donc expliquer en détail les taux de change en vigueur à la Bourse des Enchanteurs, comptant bien y écouler leurs objets magiques les moins utiles, puis les conditions d’accès à la vaste sortilègeothèque de la guilde.
Enfin, il s’enquit du prix des composantes matérielles, et notamment de celui des perles nécessaires à son sort d’Identification. Lorsqu’il lui fut répondu qu’en qualité de membre, il ne bénéficiait que d’un approvisionnement garanti et non d’une substantielle ristourne, il préféra remettre son achat à plus tard, le temps de faire une collecte auprès de ses compagnons. A moins qu’il ne profite des jours à venir pour développer une version plus économique de son sort ?
Le Portier ne fit aucune objection à ce qu’il ouvre un second compte sous le nom de Kalen : à sa connaissance, aucune des dispositions du règlement intérieur n’interdisait à un membre de payer deux fois sa cotisation si tel était son bon vouloir. Il accepta même de bonne grâce de s’adresser à lui sous ce pseudonyme jusqu’à nouvel ordre. Il était rompu aux excentricités des membres, et il en fallait plus pour qu’il se formalise ou s’étonne.
Déjà plongé dans de complexes calculs de magicodynamique, Kalen retourna chercher Khalil à l’entrée pour le trajet du retour.
- « Au revoir, Sire Kalen » salua le Portier lors de leur départ, démontrant qu’il avait presque retenu la consigne.
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C’est avec plaisir que les compagnons renouèrent le soir avec leurs bonnes habitudes, se réunissant dans la salle commune du Relais autour d’une bonne chope de bière pour refaire le monde et analyser les indices en leur possession. Voici ce à quoi ils parvinrent en fin de soirée, lorsque leurs facultés déductives eurent été stimulées de façon appropriée par l’ébriété :
- « Moi je dis, jusqu’à présent, le but recherché par la Mort Rampante a toujours été de disséminer leurs mééééchants vers, comme au donjon de Blackwall » affirma péremptoirement Barnabé, excluant du périmètre de sa rigoureuse analyse l’affaire de la Mine Pierrerude et oubliant que la contamination plus ou moins accidentelle du dit donjon devait beaucoup à leur passage.
- « Ouaip. Même que j’ai remarqué que souvent, les trucs louches, c’est sous terre » ajouta Aloïs, oubliant pour la beauté de la démonstration leur escapade dans les Marais-aux-Brumes.
- « Farp… Parfaitement. C’est plus facile à cacher, sous terre. Donc, il faut aller fouiller dans les souterrains des Arènes » conclut le hobniz. « Tiens, passe-moi le pichet. Même que les Jeux de Greyhawk sont proches, et que ça ne peut pas être une coïncidence. Ils vont sûrement essayer d’en profiter pour contaminer la population »
- « En glissant leurs vers dans les boissons fraîches et les sandwiches, par exemple ? » proposa obligeamment Khalil, mi-figue mi-raisin.
- « Naaan ! Faut pas oublier que les vers, y peuvent vivre que dans du magique » objecta Barnabé, prenant pour argent comptant la suggestion du moine. « Comme l’alcool dwur là, celui avec la grosse larve de scarabée qui donne du goût. Et bien la larve, c’est pareil : t’en trouveras nulle part ailleurs. Y’en a jamais dans la bière. La preuve ! » conclut-il en inclinant sa chope presque vide de façon à ce que chacun puisse en voir le fond et se convaincre de la véracité du propos.
- « Attendez, j’ai mieux » renchérit Aloïs. « Les gladiateurs sont enfermés dans les Arènes tout le temps des Jeux, soit disant pour éviter la triche, pas vrai ? Ils ont qu’à les gaver de vers, et comme ça lors de la finale, pouf ! Ils explosent tous en arrosant la foule, contaminant toute la ville d’un coup. Cà, c’est du plan de méchant qui a de l’allure, qu’esse t’en dis ? Vas-y, ressers m’en un et fais pas ton radin, je peux encore monter les escaliers. »
Ils continuèrent ainsi quelque temps à faire assaut de théories, jusqu’à ce que Khalil et Mathieu (qui n’avaient participé ni aux libations ni aux divagations de leurs camarades) finissent par coucher ceux qui n’en étaient plus capables.
Ce qui m'a amusé, ce n'est pas tant leurs intutions plus ou moins justes, mais le fait qu'ils aient absolument tenu à les habiller avec un raisonnement statistico-logique tout pourri.
Heraut de la Mort Rampante |
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INTERLUDE
(échanges de courriels)
4ème Jour de la Terre du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595
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Le lendemain fut entièrement consacré aux entrainements. Certains des compagnons se dégagèrent toutefois un peu de temps pour mener à bien quelques démarches qui leur tenaient à cœur.
Par exemple, Barnabé entreprit de mettre à jour son palmarès personnel des meilleures pâtisseries de la ville, honteusement négligé le temps de son long exil à Lac-Diamant.
De son côté, Aloïs visita diverses tavernes de la ville en se faisant passer pour un nouveau venu dans afin de récolter le maximum d’informations sur les Arènes. Le plus gros de sa moisson se composait de renseignements déjà glanés à droite ou à gauche, mais il est toujours bon de recouper ses sources.
Il apprit ainsi que toutes sortes de spectacles y étaient donnés chaque semaine, les Jours Libres et les Jours des Dieux (tous deux chômés). La principale attraction restait toutefois les gladiateurs. Depuis que Loris Raknian avait mis fin aux combats d’esclaves non humains, il n’y avait plus que deux catégories de gladiateurs : ceux qui étaient libres et repartaient chez eux le soir ; et ceux qui purgeaient une peine de bagne commuée en Jeux Pénitentiaires, qui étaient logés dans la prison aménagée dans les caves du palais du Grand Ordonnateur des Jeux.
Celui-ci était un bâtiment attenant aux Arènes proprement dites. De notoriété publique, il était possible de passer de l’un à l’autre par un passage souterrain. Une troupe d’élite, surnommée la « garde prétorienne » était chargée de la sécurité du palais et de la prison ; elle était dirigée par un certain Okoral, dont la rumeur affirmait qu’il avait fait partie de la Guilde des Assassins. Ses membres étaient reconnaissables à leur cape et à leur surcot pourpre arborant le symbole des Arènes.
Etaient également employés sur place les gardes des Arènes, chargés de la sécurité du bâtiment du même nom, en surcot bleu, et les supplétifs, chargés du placement et du contrôle de la foule les jours d’affluence, en surcot vert. S’y ajoutait le personnel administratif et technique nécessaire au fonctionnement de l’institution et à l’entretien des bâtiments.
Outre les spectacles hebdomadaires, les Arènes accueillaient traditionnellement quelques évènements annuels de plus grande importance, comme le gala annuel de l’Ecole Bardique ou divers tournois opposant les équipes sportives des différentes universités de la cité. Les Jeux de Greyhawk étaient le plus récent de ces évènements annuels, n’ayant été inventés que dix ans plus tôt par Loris Raknian lui-même. Leur principe était simple : des équipes librement composées s’affrontaient dans de vastes combats où tous les coups étaient permis. Le public raffolait de cette formule, car les combats étaient aussi imprévisibles que spectaculaires. Toutefois, malgré une violence certaine, ils n’étaient pas censés être disputés jusqu’à la mort des membres de l’équipe perdante ; chacun des participants pouvait à tout moment donner sa reddition, même s’il arrivait parfois que certains malchanceux n’aient pas le temps d’exercer ce droit.
Mathieu avait passé toute sa journée au Sanctuaire d’Heironéous à alterner passes d’armes et prières. Le soir venu, il fit un petit crochet par le Temple de Boccob avant de rejoindre ses compagnons au Relais pour leur habituelle réunion vespérale. Il demanda aux prêtres s’ils avaient du neuf sur l’attentat perpétré le Jour des Etoiles précédent, mais hélas les prêtres lui indiquèrent n’avoir eux-mêmes reçu aucune nouvelle du Guet, celui-ci semblant avoir eu d’autres affaires plus urgentes à traiter ces jours derniers. Aux dernières nouvelles, les enquêteurs seraient rapidement remontés jusqu’à un alchimiste du quartier des Etrangers grâce au poinçon que portait la fiole utilisée, mais n’avaient pu retrouver le client à qui elle avait été vendue pour une raison qui ne leur avait pas été précisée.
Durant la soirée, les compagnons continuèrent sur leur lancée de la veille (avec tout de même plus de sobriété) et examinèrent les moyens dont ils disposaient pour accéder aux souterrains des Arènes (ceci malgré les protestations de Mathieu, qui ne voyait toujours pas par quel raisonnement ils avaient été conduits à s’intéresser aux dits souterrains et faisait son rabat-joie).
Hélebrank fouilla dans la mémoire de l’ingénieur égoutier pour en tirer quelques renseignements utiles. Ainsi, il put apprendre à ses camarades que les Arènes, dont la construction remontait déjà au règne de Punjes le Taureau au tout début du IIIème siècle, avaient été édifiées sur les ruines d’arènes pré-ærdiennes plus anciennes. Son édification était donc bien antérieure à celle du réseau des égouts, et il n’y avait pas à sa connaissance de collecteur dédié pour les desservir. Par contre, il était parfaitement possible qu’en proviennent un ou plusieurs des conduits non identifiés venant se déverser dans les galeries les plus proches ; il y en avait deux à proximité, orientées est-ouest, l’une au nord et l’autre au sud. Il était également possible qu’une canalisation parte des Arènes pour aller se jeter directement dans le ruisseau du Moulin.
Les compagnons caressèrent un instant l’idée d’aller y jeter un œil sur le champ, puis remirent l’affaire à plus tard, préférant rester au chaud à échanger de fines plaisanteries sur le fait que le hobniz, une fois réduit et revêtu d’un costume à poils durs, ferait merveille pour récurer même les plus étroites des canalisations.
Dès que Mathieu eut tourné les talons pour retourner à son temple, Kalen passa aux choses sérieuses, proposant d’utiliser les pouvoirs psioniques du diadème d’Hélebrank sur un membre du personnel des Arènes pour lui soutirer le maximum de renseignements. Il eut beau présenter ce projet comme une façon à la fois efficace et non violente de parvenir à leurs fins, Hélebrank se montra très réticent, craignant que la chose ne soit légalement répréhensible (ce en quoi il avait parfaitement raison).
En outre, il s’était aperçu plus tôt dans la journée en essayant de recharger son diadème que quelque chose clochait : même en se concentrant de toute ses forces, tout ce qu’il obtenait était un message d’erreur stipulant que « l’intensité était insuffisante pour la recharge » et l’invitant à « contacter l’aide en ligne ». Il préférait donc utiliser avec parcimonie cette ressource, du moins jusqu’à ce que le problème soit résolu. Les choses en restèrent donc là.
Moonbeam |
:)
Est-ce que les personnages ont déjà été convertis à Pathfinder? Si oui, ça donne quoi côté classes et niveaux?
J'ai pas trop compris la blague de Kalen/Kertalen... Est-ce que tout ce temps-là, "Kalen" n'est qu'un surnom?
Smarnil le couard |
:)
Est-ce que les personnages ont déjà été convertis à Pathfinder? Si oui, ça donne quoi côté classes et niveaux?
J'ai pas trop compris la blague de Kalen/Kertalen... Est-ce que tout ce temps-là, "Kalen" n'est qu'un surnom?
** spoiler omitted **
Coucou. Niveau conversion, je les ai tous remis sur un pied d'égalité avec des persos niveau 7. C'est ce qui correspondait le mieux au niveau puissance de feu.
Au final, cela donne (de mémoire) :
- Aloïs, Voleur 1 / Ranger (skirmisher orienté arc) 6
- Barnabé, Voleur 2 / Mage (transmutateur) 5
- Hélebrank, psion (kineticist) 7
- Kalen, Mage 7
- Khalil, Moine 7
- Mathieu, Prêtre 2 / Paladin 1 / Guerrier 4 (taper !)
Un mélange pas plus équilibré en Donj' qu'en Hero, mais c 'est eux qui voient...
La "blague" de Kalen, c'est qu'il vit sous une fausse identité après avoir du fuir Greyhawk. Tu te rappelles qu'il s'était fait pousser magiquement une barbe d'archimage, juste avant d'arriver en ville? Il ne veut pas être reconnu par les gusses qui l'ont poussé à fuir la ville. Ses manières hautaines et aristocratiques s'expliquent mieux si l'on sait qu'en plus d'être un mage pédant, c'est un véritable sang-bleu.
Pour ce qui est de la suggestion, ne t'inquiètes pas, la digue a fini par céder et tout (ou presque...) a été mis sur la table. Pas besoin de bidouiller a posteriori des backgrounds déjà tous chargés comme des mules, ou de faire dans le railroading trop lourd.
EDIT : 300 ! Yay!