Age de la Mort Rampante (AoW in french and in Greyhawk, Hero System)


Campaign Journals

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4ème Jour Libre du Mois du Cheptel
de l’Année Commune 595
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La journée se déroula sans aucun évènement digne d’être commenté, chacun vaquant de son côté à ses affaires.

Le soir, Khalil alla rejoindre Mathieu au Sanctuaire d’Heironéous, lui expliquant qu’il souhaitait lui prêter main forte dans ses investigations sur l’attentat commis sur la dépouille du patriarche Riggby. Ils se rendirent donc ensemble au temple de St Cuthbert où Mathieu comptait se rendre pour obtenir plus d’informations.

Bien que les inquisiteurs du culte aient eu beaucoup de nouveaux chats à fouetter ces derniers jours, ils avaient toutefois gardé un œil sur cette affaire et détenaient donc un peu plus d’informations que les gens de Boccob. Ils voulurent bien les partager avec les compagnons, qui apprirent donc que la fiole utilisée avait été vendue par un apothicaire du nom de Hauld, dont l’échoppe était située juste en face de la Taverne du Dragon Vert. Effectivement, les gens du Guet (dont aucun doppleganger n’avait fait partie) n’étaient pas parvenus à suivre plus loin la piste.

Les compagnons se satisfirent de ce constat d’échec, ne se pensant pas capables de faire mieux que le Guet, et reprirent donc le chemin de la Ville Nouvelle sans chercher à mener leur propre enquête. Khalil insista pour qu’ils fassent un détour par son monastère. Les lois de l’hospitalité aidant, ils y furent retenus tous deux pour prendre un thé à la menthe accompagné de succulents loukoums.

Note du MJ:
Ce qui n'empêche pas le joueur de Mathieu de sermonner régulièrement ses compagnons sur le thème "faut pas laisser les PNJ faire tout le boulot, faut y aller nous-même". Faites ce que je dis, pas ec que je fais...

En résumé, une journée entière perdue alors que le timing des méchants progresse.

Ce retard prémédité permit à Kalen de tenir une seconde réunion clandestine hors la présence du paladin, afin de tenter à nouveau de convaincre ses camarades de l’assister dans ses plans d’interrogatoire magique d’un employé des Arènes.

Seuls Aloïs et Hélebrank étaient présents, Barnabé ayant décliné l’invitation en raison d’engagements antérieurs : il lui fallait affiner le classement ébauché la veille. Le Suprême triple crème de Finéas Finegoule allait-il être finalement détrôné par la toute nouvelle création du pâtissier du Dragon d’Or, la Charlotte miel et mille fruits ? L’affaire était sérieuse, et une nouvelle dégustation s’imposait pour trancher.

C’est donc devant un auditoire très réduit que Kalen se lança dans un discours enflammé, exhortant ses camarades à embrasser leur destinée sans attendre que les évènements s’imposent à eux. En réponse, il n’obtint qu’un accord de principe sans aucune proposition d’action concrète. Tant de pusillanimité ne détourna pas pour autant Kalen de son projet : puisque personne ne voulait l’aider à le mettre en œuvre, il s’en chargerait tout seul, voilà tout.

L’arrivée tardive de Khalil et de Mathieu mit fin au débat, et le reste de la soirée fut consacré à des conversations parfaitement anodines.

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1er Jour des Etoiles du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595
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Le lendemain matin au réveil, Kalen se sentit nauséeux, l’estomac au bord des lèvres. Déjà la veille, il avait eu quelques maux d’estomac, qu’il avait alors attribués à la contrariété que lui avait inspirée l’indécrottable passivité de ses camarades.

Ecoutant son hypocondrie naturelle, encore renforcée par son récent accès de fièvre des ghoules, il fila tout droit se faire examiner au dispensaire jouxtant le Temple de Pélor. L'acolyte de garde était bien parti pour lui prescrire une simple tisane digestive, mais lorsque Kalen commença à lui parler de vers nécrotiques et de cultes maléfiques désireux d’en attenter à sa vie, il préféra procéder à des examens complémentaires pour en avoir le cœur net. Une Détection du Mal et une Détection du Poison plus tard, ces pistes là étaient définitivement écartées.

Kalen fut donc renvoyé dans ses foyers avec un sachet d’herbes à infuser, et la recommandation de revenir au cas où les symptômes persisteraient plus de vingt-quatre heures, si possible avec un échantillon de selles (récipient non fourni, à sa convenance). Un peu rassuré, il retourna à la Guilde des Mages poursuivre ses travaux.

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Khalil, qui passait le plus clair de son temps à s’entraîner avec ses coreligionnaires du Monastère de la Lune Noire, profita de la pause du midi pour aller au Petit Marché vérifier que rien de nouveau n’avait été placardé sur les panneaux consacrés aux affichages publics.

Deux annonces attirèrent plus particulièrement son regard. La première proclamait l’ouverture prochaine des Jeux de Greyhawk lors du Festival de la Richesse, dans tout juste un mois. Cette dixième édition était annoncée comme « exceptionnelle ». La seconde intéresserait sans doute Aloïs, depuis le temps qu’il rêvait de partir en pèlerinage dans de hauts lieux d’aventure sur les traces de ses héros du Cercle des Huit :

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Note du MJ:
Semez des pistes, il en restera toujours quelque chose...

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Aloïs avait pris l’habitude de sortir de la cité pour arpenter les bois alentour, ce qui lui permettait de pratiquer en toute quiétude le tir à l’arc et d’entretenir ses autres talents de coureur des bois.
Lors des discussions de la veille, avait été évoqué le fait qu’il serait intéressant de disposer des plans des Arènes. Le jour était venu d’agir pour réaliser cet objectif : cela ferait plaisir à Kalen, qui avait eu l’air de mal supporter de rester inactif.

Aloïs rentra donc plus tôt, déposant comme chaque jour son arc en consigne aux portes de la Cité. Puis il se dirigea vers l’hôtel particulier du Quartier des Etrangers abritant le siège de la Guilde des Cartographes. Officiellement, il en était toujours membre, avec rang de compagnon ; dans les faits, cette appartenance était si loin de ses aspirations que depuis son arrivée en ville, il n’avait pas ressenti la moindre envie de lui rendre visite. Mais bon, nécessité faisait loi…

Poussant la porte, il s’adressa à l’accueil et fit valoir sa qualité. Après un moment d’incrédulité bien compréhensible, vite dissipé par la mention du nom de son père, Aloïs fut bien accueilli par ses collègues, qui s’empressèrent de le présenter au Maître de Guilde, un noniz chenu, hors d’âge, du nom de Jawan Sumbar. Puis on lui fit faire un tour du propriétaire, lui expliquant que ce bel hôtel particulier avait été récemment racheté à un noble déchu.

Le rez-de-chaussée avait été aménagé pour accueillir le public : d’un côté, une salle d’exposition où étaient vendues des cartes bon marché de la Cité de Greyhawk, de son Domaine ou des principales villes des environs. De l’autre, une cartothèque bien fournie à laquelle tout un chacun pouvait accéder contre versement d’un droit d’entrée. Outre celles mises en vente, l’on pouvait y trouver d’autres cartes plus techniques, telles que des cartes marines ou des itinéraires caravaniers. Lorsque Aloïs posa la question sans trop y toucher, prétextant un intérêt pour l’architecture monumentale, on lui répondit que ne s’y trouvait toutefois aucune carte des bâtiments publics de la cité : pour des raisons de sécurité, ces cartes-là n’étaient pas librement accessibles.

Mais il ne s’agissait là que d’un pâle échantillon du véritable trésor de la guilde, conservé dans une chambre forte au sous-sol : un fonds documentaire composé de milliers de cartes originales sur les sujets les plus variés. C’était à partir de ces originaux que les cartes mises à disposition du public avaient été réalisées, ce travail étant effectué dans les scriptoriums aménagés au premier étage pour bénéficier d’une meilleure lumière. Le deuxième étage était lui consacré au logement des membres de la guilde.

Aloïs se vit tout de suite proposer un travail de copiste : la guilde manquait cruellement de main d’œuvre qualifiée pour produire suffisamment de fac-similés commercialisables. De plus, son grand projet de duplication systématique du fonds documentaire n’avançait guère… Malgré l’aversion que lui inspirait cette tâche, qui lui rappelait beaucoup trop les longues journées d’apprentissage sous la férule paternelle, Aloïs répondit prudemment qu’il y réfléchirait. Une fois que l’accès à la chambre forte lui serait ouvert, il pensait bien pouvoir à un moment ou à un autre s’y retrouver seul suffisamment longtemps pour y dénicher une carte des Arènes.

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De son côté, convaincu qu’il ne pouvait compter que sur lui-même, Kalen décida de mettre à exécution un plan lumineusement simple : il rôda aux alentours des Arènes vers l’heure où les employés quittaient leur travail, jusqu’à ce qu’il en repère un qui fasse halte dans une taverne pour se désaltérer. Entrant à sa suite, Kalen s’efforça de s’en faire un ami en lui offrant un verre, puis de lui soutirer des renseignements sur la composition de la garde prétorienne. A défaut de moyens magiques ou psioniques de persuasion, cela lui parut une façon très habile de procéder.

Le ressenti était tout autre du point de vue de sa cible : ce personnage hirsute aux yeux brillants de fièvre, au front luisant de sueur et à l’haleine fétide qui essayait de le saoûler tout en le pressant de questions sur les gardes du pénitencier lui inspira très vite une sainte trouille. Le pauvre gratte-papier prit ses jambes à son cou sans même terminer sa consommation.

Note du MJ:
Faut bien dire que le pauvre Kalen est de loin le moins bien outillé de toute la bande pour tirer les vers du nez d'un PNJ, avec son Diplomatie à +2...

Kalen préféra s’éclipser rapidement, de peur que sa proie ne revienne avec du renfort. L’effort fourni et le stress lui nouèrent soudainement les tripes, et il dut faire une halte précipitée dans une contre-allée pour se soulager. Affolé par l’aspect et l’odeur pestilentielle du jus noir qui lui jaillit des entrailles, il courut ensuite aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permirent jusqu'au Temple de Pélor, où il fut admis en urgence.

L’acolyte de garde lui administra de suite une Guérison des maladies, sans résultat. Le Grand Prêtre en charge du pavillon des maladies infectieuses fut donc appelé en renfort, et diagnostiqua au vu des échantillons de selles qui maculaient le bas des robes de Kalen une putréfaction nécrosante des viscères déjà bien avancée. Il renouvela le traitement, sans plus de succès.

À titre de précaution, le patient fut de suite mis à l’isolement puis soumis à un interrogatoire plus poussé : avait-il eu récemment des contacts avec une momie, ou profané une tombe antique ? Une personne lui voulant du mal lui aurait-elle récemment offert un cadeau ? Kalen dut bien admettre que lui et ses amis avaient récemment mis fin aux agissements des suppôts d’un culte apocalyptique, ce qui sembla confirmer les soupçons du prêtre. Le diagnostic d’une malédiction dégénérative put ainsi être posé, mais le traitement curatif habituellement efficace en pareil cas (une Expurgation des malédictions immédiatement suivie d’une Guérison des maladies) ne soulagea pas le patient. De toute évidence, il devait s’agir d’une souche multi-résistante de malédiction.

Le Temple de Pélor dépêcha aussitôt un prêtre au Relais de l’Habile Cocher, d’une part pour prévenir les compagnons de l’état de santé de Kalen, et d’autre part pour s’assurer du leur. Le cas de Barnabé donna de prime abord quelques inquiétudes, le hobniz se plaignant d’embarras gastriques et d’une perte d’appétit. Il s’avéra toutefois que celle-ci était toute relative, puisqu’il n’avait fait que sauter la collation de dix heures et renoncer à la troisième gaufre miel et noix servie en dessert le midi. Son trouble digestif fut finalement attribué à ses excès de la veille et il lui fut simplement recommandé d’éviter quelque temps toute nouvelle orgie pâtissière.

Sovereign Court

Wow, pauvre Kalen, il semble être dans un sérieux pétrin... :(

+2 en diplomacy, c'est pas trop mal pour un Mage, non? D'habitude, le moins bon du groupe a -1 en diplomacie (celui qui a mis genre un 8 en charisme, en tant que "dump stat" :) ).


Il a conservé un 10 en Charisme. Il en voulait pas que son perso soit effacé ou dépourvu de personnalité.

Le +2 est pas si mauvais, mais il fait pâle figure comparé à son +10 en Intimidation (trait : Bruising intellect, pour appliquer son bonus d'INT en écrasant l'adversaire de sa supériorité intellectuelle).

Je retire d'ailleurs ce que j'ai dit : le plus nul (+0) en Diplomatie est Hélebrank. Trop bizarre pour interagir avec les gens, je suppose.

Quand au pétrin, voila ce qui arrive quand on met systématiquement de côté les objets magiques "pour analyse ultérieure" et qu'on les oublie... Avec certains objets maudits, cela ne pardonne pas !


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1er Jour du Soleil du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595
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Une Communion lancée dans la nuit avait permis aux prêtres de Pélor de confirmer leur diagnostic : il s’agissait bien d’une malédiction. En raison de sa particulière puissance, la briser nécessiterait une Guérison Vraie en sus des prières habituelles. En outre, ils avaient appris par le même biais que son vecteur avait été un objet ; Kalen fut donc invité à effectuer au plus vite un inventaire poussé de ses possessions et à détruire tout ce qui lui semblerait suspect.

En attendant, il devint le clou de la grande cérémonie de l’Aube, devant la congrégation au grand complet. Revêtu d’une simple toge blanche, il fut conduit dans la nef de la cathédrale où il dut s’allonger sur le grand autel doré. L’officiant n’était autre que la Grande Matriarche Sarana, la plus puissante prêtresse de Pélor de la contrée. Les chants commencèrent alors que le ciel s’éclaircissait à l’est. Au moment précis où le soleil parut derrière l’horizon, frappant l’autel de ses premiers rayons au travers d’un gigantesque vitrail, la Grande Matriarche invoqua sur Kalen la succession de miracles divins nécessaires à sa complète guérison. Ce fut un complet succès, et c’est complètement ragaillardi qu’il quitta la cathédrale.

En sa qualité de « champion » désigné pour affronter la Mort Rampante, aucun paiement ne lui fut demandé pour les soins reçus. Les prêtres qui le raccompagnèrent vers la sortie après qu’il eut récupéré ses affaires n’en furent pas moins outrés par son inélégante radinerie lorsqu’il dédaigna le tronc des pauvres qui lui était désigné, prétextant qu’il ne pouvait donner le moindre sou « car il en avait grand besoin ».

Kalen entreprit de rattraper le temps perdu dès son retour au Relais. Il avait achevé la veille la modification de son sort d’Identification, qui désormais pouvait être lancé sans le coûteux sacrifice d’une perle. Mais avec sa soudaine maladie, il avait eu d’autres sujets de préoccupation et n’avait pas pris le temps de procéder enfin à l’examen des objets magiques trouvés dans le repaire des dopplegangers, puis dans celui de l’illithid.

Il s’attela donc à cette tache, les prenant par défaut dans l’ordre chronologique de leur découverte. Sans surprise, l’anneau décoré de motifs aquatiques trouvé dans l’entrepôt, que Mathieu avait déjà utilisé, se révéla être un Anneau de nage mineur. Celui qu’avait porté le chef des dopplegangers était un Anneau de protection à l’enchantement légèrement plus fort que celui déjà en possession des compagnons. La baguette d’os qu’il avait eue à la ceinture contenait elle 26 charges de Guérison des blessures moyennes.

Kalen passa ensuite en revue les objets pris à la prêtresse olve : une Cuirasse de fortification mineure et une Etoile du matin de stase de sortilèges, toute prête à décharger sur commande le miracle de Paralysie mentale qu’elle contenait.

Les possessions de l’illithid furent un peu décevantes. Ses bottes et sa cape portaient toutes deux un enchantement mineur destiné à les préserver en toutes circonstances des salissures. Il avait du être un maniaque de la propreté, ce qui à la réflexion n’étonna guère Kalen : qu’attendre d’autre de quelqu’un qui vivait entouré de marbre blanc et triait ses pièces par dénominations ? Ses deux Potions de guérison des blessures graves, son Anneau de contresorts et son Collier de boules de feu de faible puissance relevèrent à peine le niveau. Aucun doute là-dessus, Hélebrank avait eu la meilleure part.

Kalen s’attaqua ensuite aux objets récupérés dans le petit musée des horreurs de l’illithid. A sa grande joie, le volume V des « Tomes innommables » se révéla être une Bible bénie de Boccob, un grimoire de sorts enchanté aux multiples avantages : quasiment indestructible et contenant dix fois plus de pages que le plus gros des grimoires ordinaires, il permettait également de faire l’économie des encres spéciales (et horriblement coûteuses) utilisées pour la retranscription des runes magiques. Voila qui remplacerait très avantageusement le très ordinaire grimoire de voyage qu’il utilisait actuellement. Tout de même, quel drôle de titre : il lui faudrait sans doute le faire effacer de la tranche par un artisan compétent, à condition d’en trouver un qui ne soit pas trop cher…

Tremblant d’excitation à l’idée des nombreux sorts qu’il y trouverait peut-être, Kalen ouvrit le grimoire au hasard et y jeta un œil. Dès le tout premier regard sur le tout premier des caractères bizarres qui y étaient inscrits, il fut complètement happé par sa lecture. Ses pensées se fragmentèrent, voletant en tous sens sous son crâne comme une nuée de chauve-souris fuyant l’attaque d’un prédateur. Il ne savait plus ce qu’il lisait, ni pourquoi, mais s’en moquait complètement, continuant à parcourir des lignes d’écriture pourtant dépourvues de sens. Néanmoins, parmi le concert discordant de pensées kaléidoscopiques qui lui explosait les méninges, une petite voix encore cohérente se fit entendre, l’exhortant à cesser sa lecture avant qu’il ne soit trop tard. Par un suprême effort de volonté, il parvint à détourner les yeux. Il était en nage.

Il avait entendu parler de tels ouvrages, appelés Tomes de vacuité intellectuelle, qui vampirisaient les facultés mentales de leurs lecteurs jusqu’à ce qu’on les retrouve à l’état d’idiots bavants, ou carrément morts de soif car trop absorbés par leur lecture pour conserver le moindre instinct de survie. Il l’avait échappé belle : il était parvenu à briser le mauvais sort au bout de quelques minutes seulement et en était donc quitte pour la frousse. C’était heureux, car il se voyait mal retourner au Temple de Pélor réclamer une Restauration majeure gratuite.

Saisi d’un doute affreux, il relança son sort d’Identification et acheva l’examen des objets tirés du musée : tous étaient porteurs d’une malédiction, sous une forme ou une autre. L’épée bâtarde était certes magiquement affutée, mais quiconque l’utiliserait en combat perdrait tout discernement, trucidant ami comme ennemi en proie à une rage meurtrière. Le griffon de bronze ne valait pas mieux : à première vue, il s’agissait bien d’une Statuette merveilleuse permettant d’invoquer un vrai griffon, mais celui-ci avait été contaminé par des énergies abyssales et se retournerait contre son invocateur. Enfin, derrière la façade d’un Médaillon de santé censé protéger son porteur de toutes infections et maladies, se cachait en réalité un Médaillon d’ignoble putréfaction qui infligeait une longue et atroce agonie à quiconque le gardait en sa possession plus d’une journée. Voila donc d’où lui était venue cette atroce maladie…

Il avait beau se creuser la cervelle, Kalen ne voyait pas comment tirer le moindre bénéfice de ces objets maudits. Ils n’étaient pas côtés à la Bourse des Enchanteurs, la Guilde des Mages ayant pour politique de les détruire systématiquement. Il devait bien exister des acquéreurs potentiels pour ce genre d’articles, des gens suffisamment pragmatiques pour en voir les multiples usages, mais comment les contacter ? Ce n’est pas comme s’il lui suffisait de placarder une annonce au Petit Marché… Poussant un grognement dégoûté, il remit cette question à plus tard et se replongea dans ses chères études, trop longtemps délaissées.

Note du MJ:
Dans la vraie vie, le joueur de Kalen avait fait d'abord toutes les Identifications. Il ne s'était pas étonné que seulement 3 des 4 objets récupérés dans le musée des horreurs de l'Illithid soient maudits, et n'avait ouvert le Tome qu'ensuite. Je le raconte dans ce sens là pour que son mage fasse un peu moins nigaud...

Et oui, vous avez bien lu, une fois les objets maudits identifiés, il n'a rien fait pour les détruire et est pasé à autre chose. Bis repetita?

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Lorsque les compagnons se retrouvèrent le soir pour faire le point sur leurs activités de la journée, ils commencèrent par se répartir les objets magiques nouvellement identifiés et à dresser la liste de ceux qui allaient pouvoir être mis en vente.

Une fois ce sujet épuisé, Khalil demanda d’une voix une peu lasse si quelqu’un avait une contribution nouvelle à apporter concernant leurs affaires en général et la Mort Rampante en particulier. Quelques uns des compagnons avaient déjà répondu par la négative lorsque vint le tour de Barnabé. Sa réponse surprit tout le monde :

- « J’aurais bien quelque chose à dire, mais pas ici. Les murs ont des oreilles » murmura t’il en jetant un regard appuyé sur les autres clients présents dans la salle commune de l’auberge. « Allons d’abord dans un endroit sûr. »

Il se leva et entraîna ses compagnons jusqu’au temple de St Cuthbert, refusant de dire un mot de plus tant qu’ils ne furent pas rendus à destination et installés dans une salle protégée, aimablement prêtée par le Juge Godbert. En remerciement de son hospitalité, celui-ci fut autorisé à participer à la discussion : autant lui épargner la peine d’écouter à la porte.

- « Voila » commença le hobniz, lorsqu’il eut toute l’attention de son auditoire. « Ce que je voulais vous dire, c’est que le nom de Loris Raknian ne m’est pas du tout inconnu… »

Sovereign Court

Ah oui, les foutus objets maudits... :(

Je trouve ça comique que le personnage Kalen soit si radin... Le joueur le joue ainsi pour le role-play, ou plutôt pour garder son argent pour des objets magiques et sorts? :)

Par curiosité, quels sont les alignements des personnages? Je ne me souviens pas si tu nous l'a déjà dit.

J'assume que Mathieu est Loyal Bon, mais d'autres semblent plus vers le neutre absolu... ?


Moonbeam wrote:

Ah oui, les foutus objets maudits... :(

Je trouve ça comique que le personnage Kalen soit si radin... Le joueur le joue ainsi pour le role-play, ou plutôt pour garder son argent pour des objets magiques et sorts? :)

Par curiosité, quels sont les alignements des personnages? Je ne me souviens pas si tu nous l'a déjà dit.

J'assume que Mathieu est Loyal Bon, mais d'autres semblent plus vers le neutre absolu... ?

Non, c'est un pur trait de caractère. Il amasse pièces, objets magiques et indices avec la même ferveur, "parce que ça peut servir plus tard". Le gag de l'absence d'obole "parce que vous comprenez, j'en ai besoin", c'est sorti spontanément ! Le reste de la table était mort de rire.

Tu supposes bien pour Mathieu (bel anglicisme, cousin !). Les autres se sont vus attribuer un alignement en fonction de leur comportement en jeu jusqu'à présent :
- Aloïs : CN (pour son côté rebelle à toute autorité, et sa propension à égorger les blessés sans battre un cil "parce que c'est l'usage chez les aventuriers". Il est plus innocemment amoral qu'activement anti-establishment);
- Barnabé : NB (fondamentalement gentil et non violent);
- Kalen : N pur (pas d'inclinaison particulière, pas de scrupules au besoin);
Khalil : LN (mais c'est bien parce les moines ne peuvent être chaotiques!);
- Hélebrank : LN (pareil, serait N pur sinon).


Livre IV bis
Le berceau du Mal

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QUAND LE MUTIQUE ETONNE (TONNE, TONNE, TONNE…)
(séance du 4 octobre 2013)

1er Jour du Soleil du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (soir)
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- « C'est une assez longue histoire, donc si vous pouviez écouter en silence sans m'interrompre... » commença Barnabé. « Voilà : un enquêteur privé a disparu depuis quelque temps. Il se sentait épié, et m'a laissé des messages indiquant que l'une des trois affaires qu'il suivait était probablement à l'origine de ses ennuis. Or il y en avait une qui touchait de près Loris Raknian, puisqu'elle portait sur la disparition mystérieuse d'une certaine Lahika Barriquaud qui avait été sa compagne. »
- « Ce nom me dit quelque chose... » intervint Mathieu. « Il n' y a pas un Barriquaud qui s'est inscrit comme gladiateur aux Jeux de Greyhawk ? »
- « Oui, il s'agit de son frère, Ephraïm Barriquaud » confirma Barnabé sans se formaliser de l’interruption. « Mais il a juste fait l'acquisition d'une licence pour ouvrir une écurie de gladiateurs, ce qui n'est pas tout à fait pareil que de concourir soi-même. C'est un riche marchand, originaire du Kéoland. Lui et sa sœur sont arrivés ensemble à Greyhawk durant l'automne 593. Il est reparti deux mois plus tard après avoir traité ses affaires, mais elle est restée. »
- « Toute seule ? » s'étonna Kalen, un rien misogyne à ses heures.
- « Oui, pourquoi pas ? A ce que j'en sais, c'est une ménestrelle accomplie formée dans un collège bardique renommé, donc tout sauf une oie blanche incapable de veiller à sa propre sécurité. Bref, elle s'est mêlée à la bonne société de Greyhawk et c'est là qu'elle aurait rencontré Loris Raknian et serait devenue sa concubine : elle fait état de cette relation dans plusieurs lettres adressées à son frère au fil des mois. Mais lorsque ses affaires ont conduit ce dernier à revenir à Greyhawk un an plus tard, au mois des Vendanges 594, sa sœur avait disparu. D'après Loris Raknian, ils auraient rompu leur liaison d'un commun accord, et elle lui aurait fait part de son intention de se rendre à la Cité de Radigast, dans le Duché d'Urnst. L'enquêteur disparu a vérifié tant auprès de la Guilde des Pontonniers et Nautonniers que de plusieurs clans Rheenee, sans succès. Il n'a pas plus trouvé trace d'elle à sa destination supposée. Mais bien sûr, elle a pu changer d'avis, choisir un autre moyen de transport, ou avoir un ennui lors de la traversée du lac Nyr-Dyv. »
- « Et tu le connais d'où, cet enquêteur ? » demanda Khalil.
- « Il y a une guilde, pour les enquêteurs privés ? Je savais même pas que cela existait, comme profession » s'étonna Hélebrank, sans laisser le temps au hobniz de répondre à la question du moine.
- « Non, ce n'est pas très répandu en effet. C'est juste quelqu'un qui sait y faire et que l'on paie pour mener des investigations, voilà tout » précisa Barnabé, ravi de la diversion.
- « Il a disparu quand, cet enquêteur ? » poursuivit Hélebrank.
- « C'est absolument impossible à savoir » affirma Barnabé, très sûr de lui. « Tout ce que je peux dire, c'est que je l'ai vu pour la dernière fois au tout début du mois des Apprêts, lors de mon départ pour Lac-Diamant. C'est là qu'il m'a dit qu'il se sentait épié. »

Note du MJ:
Bien sûr, ce n'est impossible à savoir que si l'on abstient scrupuleusement de la moindre recherche, comme interroger les voisins (la classique enquête de voisinage vue mille fois à la télé) ou la gouvernante censée faire le ménage mais qui ne le fait plus pour une raison inconnue.

- « Donc c'est bien ça, tu le connais. Quels sont tes liens avec lui, au juste ? » insista Hélebrank, reprenant à son compte la question de Khalil.
- « Oh, c’est une relation, voilà tout. Quelle importance ? » biaisa le hobniz, qui décidément répugnait à lâcher la moindre information, même anecdotique. Admettre qu’il en avait été le cuisinier attitré puis l’apprenti ne lui aurait pourtant rien coûté.
- « Pourriez-vous au moins nous révéler son nom ? » demanda courtoisement le Juge.
- « Bien sûr ! Il s’agit de Korenth Mauk » répondit Barnabé en observant attentivement la réaction de l’inquisiteur.

En effet, il savait pertinemment que son mentor avait entretenu des liens avec le culte de St Cuthbert, même s’il n’en connaissait pas la nature exacte. Il fut un peu déçu de constater que le Juge Godbert resta de marbre, sans le moindre frémissement de sourcil : au Jeu des Tours, il devait être un bluffeur redoutable.

- « Pourriez-vous nous indiquer ce qui au juste vous fait croire que l'absence de votre maître est suspecte ? » poursuivit le Juge. « Ce ne serait pas la première fois qu’il disparaîtrait plusieurs mois pour les besoins d’une enquête. »

L’information lâchée (sans doute sciemment) par l’inquisiteur fit grincer des dents Barnabé. Heureusement, aucun de ses compagnons ne semblait l’avoir relevée.

- « Et bien, comme je l'ai déjà dit, il avait le sentiment d’être sous surveillance. Et sa maison a bel et bien été fouillée : j'y suis allé, et tout était sens dessus-dessous dans son bureau. Mais j'ai pu récupérer des informations sur ses enquêtes à un endroit convenu d'avance » expliqua le hobniz.

Il lui parut inutile d’ajouter que cela faisait maintenant dix jours qu’il détenait ces informations, et que depuis lors il n'en avait pas fait grand chose. Comme personne n'eut le mauvais goût de lui demander des explications sur ce point, cela passa comme une lettre à la poste.

- « Bref, je reprends : Barriquaud est revenu au mois des Vendanges 594 et a engagé Korenth Mauk trois mois plus tard, au mois de Closeporte. Deux mois plus tard, il s'est senti surveillé, et je ne l'ai plus revu depuis » résuma t'il. « Il s'était renseigné sur le dispositif de sécurité qui entoure la résidence de Loris Raknian. Peut-être a t'il tenté d'y pénétrer et qu'il lui est arrivé malheur. »
- « Il fait quoi comme commerce, ce Barriquaud ? » demanda Hélebrank.
- « Attends voir... il est dans les denrées alimentaires de son pays, en gros volumes : olives, huile, agrumes, riz, ce genre de choses. Il possède sa propre flotte de caravelles » précisa Barnabé après avoir rapidement consulté une fiche cartonnée sortie de sa chemise.
- « Des denrées alimentaires, hein ? Quelle coïncidence ! » déclara Aloïs sur un ton laissant penser qu’il tenait le négoce de fruits et légumes pour une activité hautement suspecte.
- « Est-ce qu'il en fournirait pour les Jeux de Greyhawk par hasard ? » renchérit Hélebrank, qui manifestement avait encore à l’esprit le plan diabolique imaginé lors de leur récente soirée de beuverie, dans lequel des olives fourrées aux vers nécrotiques auraient pu figurer en bonne place. « Si cela se trouve, c'est un doppleganger. »
- « Cela n'a pas de sens... Pourquoi aurait-il engagé un enquêteur pour retrouver sa sœur, si c'était un doppleganger ? » objecta sèchement Barnabé.
- « Il n'aura été remplacé qu'après, tout simplement » insista Hélebrank, s’accrochant obstinément à son intuition que ce marchand avait quelque chose de louche.
- « Supputations inutiles », coupa le Juge. « Si c'est un doppleganger, c'est qu'il dispose de moyens magiques lui permettant d'échapper à nos divinations. Vous aurez beau en discuter des heures, vous n'en serez pas plus avancés. »
- « Il est en ville actuellement, ce Barriquaud ? » reprit Mathieu, dans l’espoir de remettre la conversation sur des rails plus sensés. « Ce serait intéressant de lui poser quelques questions. »
- « Euh, probablement. Ou du moins il le sera prochainement, puisqu’il a probablement l'intention de participer aux Jeux de Greyhawk. Sinon, pourquoi se serait-il procuré une licence pour une écurie de gladiateur ? » répondit Barnabé. « Il a l'habitude de descendre à l'auberge du Dragon d'Or, la plus luxueuse de la ville. Je n'ai pas encore pris contact avec lui, mais je serais effectivement curieux de savoir ce qu'il compte faire de cette licence. Et peut-être aura t'il d'autres renseignements à nous communiquer. »
- « Très bien… Mais tu as parlé de trois affaires. Tu as des éléments sur les deux autres ? » poursuivit le paladin.
- « Oui » répondit le hobniz, avec une admirable économie de mots.
- « Et cela te ferait mal aux gencives de nous en dire plus ? » insista le paladin, un sourire figé aux lèvres, car la parcimonie avec laquelle le hobniz distillait ses informations commençait à l'échauffer.
- « Bah, c’est sans intérêt. Je n’ai pas trouvé le moindre lien entre ces autres affaires et nos histoires de Mort Rampante » l'assura Barnabé, péremptoire, omettant de préciser qu’il n’en avait pas cherché pour commencer.

Mais il vit au regard du paladin qu’il ne pourrait s’en tirer si facilement, et se résigna donc à lâcher quelques éléments supplémentaires.

- « Comme tu voudras... » soupira t'il. « La première de ces enquêtes portait sur la disparition de la fille d'un marchand de Greyhawk. La jeune Lyza a disparu du manoir familial au mois de Doufoyer 595. Il n'y a eu ni traces d'effraction, ni demande de rançon : probablement une fugue. Et l'autre concerne Ricardo Damaris, le propriétaire de l'auberge du Dragon Vert que nous avons déjà rencontré. Il aimerait retrouver son épée, qu'il a perdu lorsque la caravane dont il faisait partie été prise en embuscade à proximité du Pont de Zagig par une troupe de brigands euroz menée par un demi-euroz chevauchant une wyverne. »
- « Un autre marchand, tu dis ? Et il vend quoi, celui-là ? » demanda Hélebrank, allant droit aux détails essentiels.
- « Oh, toutes sortes de choses : bijoux, antiquités, objets d'art, épices... Toutes marchandises à faible volume et forte valeur. »
- « Ah, il faisait donc commerce d'antiquités… Ca c’est intéressant » releva Hélebrank sans donner la moindre explication sur son raisonnement.
- « Pourquoi ? Quel rapport avec nos affaires ? » s’étonna Barnabé.
- « Et bien c'est évident non ? C'est vieux aussi, la Mort Rampante : cela ne date pas d'hier, tout comme ses antiquités. On pourrait avoir les dates d'entrée et de sortie de ses cargaisons ? Si cela se trouve, cela concorde avec des dates qu'on connaît déjà. »

Le Juge laissa échapper un petit bruit aigu, à mi-chemin entre un couinement de souris et le hennissement d'un cheval, qu'il camoufla aussitôt en faisant mine de tousser.

- « Hmm, excusez-moi. Un chat dans la gorge. Désolé d'interrompre à nouveau vos... intéressantes spéculations, mais pour en revenir au sujet d'Ephraïm Barriquaud, ne trouvez-vous pas étrange qu'il ait attendu trois mois avant d'engager Korenth Mauk ? »
- « Pourquoi cela ? Il ne s'est pas forcément inquiété tout de suite, et aura pris le temps de mener son enquête lui-même, voilà tout » contra Barnabé.
- « C'est un fait établi, ou juste une supposition de votre part ? »
- « Et bien euh... »
- « Parce que voyez-vous, il serait vraiment préférable que dans votre récit vous fassiez bien la part des choses entre ce que vous savez et ce que vous imaginez » insista le Juge.
- « Mais j'allais le faire justement, c'est vous qui m'en empêchez en m'interrompant tout le temps ! » protesta Barnabé avec un culot admirable. « En fait, ce n'est qu’une hypothèse, mais elle est parfaitement vraisemblable. »
- « Vous ne pensez pas que le premier réflexe d'un marchand étranger qui constate la disparition suspecte de sa sœur serait plutôt de s'en plaindre aux autorités compétentes ? Or je vous rappelle qu'il n'y a aucune trace dans les archives du Guet d'une affaire touchant de près ou de loin Loris Raknian : c'est vous-même qui m'avez posé la question, hier. »
- « Ah oui, tiens. Effectivement, cela semble louche » reconnut Barnabé.
- « Mais peut-être qu'il s’est rendu en Urnst en personne pour voir si sa sœur y était, et que c'est cela qui explique le délai de trois mois » intervint Hélebrank, volant au secours de son camarade.
- « Il y serait donc allé à pied ? Si j'étais à votre place, j'irais poser la question au dit marchand au lieu de continuer à jouer aux devinettes » coupa le Juge.
- « Mais on le fera, vous pensez bien ! Dès demain, à la première heure » l'assura le hobniz. « Parce que là, il se fait un peu tard pour faire irruption au Dragon d'Or. »
- « Parfait ! S'il se confirme que Barriquaud a bel et bien signalé au Guet la disparition de sa sœur, Loris Raknian aurait bien évidemment du être l'un des principaux suspects en tant que compagnon de la personne disparue. Un dossier aurait été ouvert au tribunal, l'enquête aurait été confiée à un Prévôt, et son nom aurait figuré en bonne place dans les fichiers du Guet. »
- « C'est drôle, cela correspond exactement aux endroits où il y avait des dopplegangers infiltrés... » observa Kalen. « C’est donc à cela qu'ils auraient servi, à couvrir les traces de Raknian ? »
- « Possible, mais non prouvé. Gardez à l'esprit ce saint précepte de notre inquisition : ‘‘rien ne sert de rassembler le petit bois avant les preuves’’. Autrement dit, ce n’est sur des hypothèses qu’on bâtit un bon bûcher. Mais je suis heureux que vous ayez remarqué cette corrélation : l’espoir nous est donc encore permis » ironisa l'inquisiteur.
- « En attendant, je propose que nous allions dès maintenant visiter la maison de Korenth Mauk. Je m'y suis déjà rendu, mais bien évidemment, tout seul, je n'ai pas pu faire grand chose. Qui parmi vous est le plus qualifié en matière de pièges et de fouille ? » demanda Barnabé, histoire de changer de sujet.
- « Ben, c’est toi. Pour ces choses là, tu es notre seul spécialiste » lui rappela de suite le paladin.
- « Mais on pourra t'aider un peu, si tu veux » proposa gentiment Hélebrank.
- « D’accord. Mais vous devez me promettre de ne rien faire sans mes instructions. Je ne voudrais pas que vous détruisiez des indices par maladresse » exigea Barnabé, prompt à endosser le rôle de chef qui lui était proposé.
- « Avant qu'on y aille, je vous signale que je dispose désormais d'un sort de Scrutation qui me permet d'épier magiquement n'importe quelle personne, où qu'elle soit et pour peu qu'elle me soit connue. Je pourrais l'utiliser pour retrouver Lahika Barriquaud » suggéra Kalen.
- « J'ai un portrait d'elle, si cela peut aider » proposa Barnabé, sortant de sa chemise une miniature représentant une belle suéloise blonde, qu’il avait trouvée avec le reste des documents cachés par son maître.
- « C'est une excellente idée, mais sans vouloir vous décourager, il est fort probable qu'un homme ayant les ressources financières d'Ephraïm Barriquaud ait déjà eu recours à ce genre de moyens. Je crains que le résultat ne soit décevant » fit observer le Juge Godbert.
- « Peu importe, j’essaierai et nous verrons bien si j’ai de la chance. Je ferai pareil pour Korenth Mauk. Tu aurais aussi son portrait, Barnabé ? »
- « Pas sur moi, mais à moins qu'on ne l'ait volé, il doit y en avoir un au dessus de la cheminée du salon. »
- « Je suis ravi de voir que vous enquêtez avec diligence sur la disparition de Mauk » conclut le Juge en toisant le hobniz d'un drôle de regard calculateur. « Si vous avez besoin de notre aide dans cette entreprise, n’hésitez pas. »


Le bazar ci-dessus illustre assez bien la tendance qu'ont mes joueurs à se raccrocher à un petit détail pris au hasard pour bâtir des hypothèses à rallonge, dont ils discutent ensuite longuement (le dialogue ci-dessus, c'est du live, mais condensé).

Ils semblent préférer cela à des choses beaucoup moins drôles, comme sortir sur le terrain pour rechercher des indices concrets...

On voit aussi assez bien la tendance du hobbit à l'autoritarisme : il veut tout diriger, tout faire lui-même, c'est plus fort que lui.

Sovereign Court

Ouais, les hobbits, ils sont tous comme ça!

...

Hmm, tiens, je viens de remarquer ton icône... ;)

Sinon, je remarque que le Juge semble te permettre de sortir de ta frustration vis-à-vis des joueurs "in character". :)


Moonbeam wrote:

Ouais, les hobbits, ils sont tous comme ça!

...

Hmm, tiens, je viens de remarquer ton icône... ;)

Sinon, je remarque que le Juge semble te permettre de sortir de ta frustration vis-à-vis des joueurs "in character". :)

Hé hé ! Un PNJ qui se fout d'être populaire et est compétent en matière d'enquête, rien de mieux pour leur pointer du doigt tous les trucs qu'ils ont laissé passer !

Le prix à payer pour eux, c'est que leur cote parmi les PNJ du cru ne fait que descendre au fur et à mesure qu'ils loupent coche après coche (louper le coche = mettre à côté de la plaque = patiner dans la semoule = ne pas percuter = manquer de pertinence dans leur analyse des faits objectifs).


Avant de partir, Kalen se débarrassa de tous ses objets maudits en les laissant aux bons soins du culte de Saint Cuthbert. Les compagnons s’en remirent à Barnabé pour les guider jusqu’au domicile de Korenth Mauk, situé dans le Quartier des Artisans. En chemin, ils commencèrent à discuter de leurs plans.

- « Il va falloir qu'on casse la porte ? » demanda Mathieu. « Parce que nous, on est pas des cambrioleurs, on ne passe pas par les lucarnes de toit. »
- « Surtout pas, quelle drôle d'idée ! » s’étonna Barnabé. « J'ai la clé : nous passerons par l’entrée principale, tout simplement. »
- « Rappelle-moi, c’était quoi tes liens avec Korenth Mauk déjà ? Une vague relation ? Comment se fait-il que tu aies la clé de son domicile ? » s’étonna Hélebrank.
- « Euh, en fait, il était enquêteur mais aussi Mage. Transmutateur pour être précis. Alors, c’est un peu lui qui, euh… »
- « Donc c’était ton maître ? Et là où on va, c’est en fait l’endroit où tu habites, normalement ? »
- « Oui, mais je n’y suis presque pas retourné depuis notre arrivée à Greyhawk, sauf deux petites incursions discrètes. J’avais trop peur que ceux qui l’ont fait disparaître ne surveillent encore le bâtiment, ou y aient posé des pièges. Justement, voici ce que nous allons faire… »

Barnabé leur exposa rapidement son plan, puis mena ses compagnons jusqu’à une allée discrète du Quartier des Artisans. Il leur indiqua clairement le chemin restant à parcourir, puis partit le premier. Rapetissé et magiquement camouflé, il escalada une façade et parcourut les toits jusqu’à se trouver un point d’observation d’où il pourrait surveiller non pas la porte où devaient se rendre ses camarades, mais les meilleures cachettes pour observer celle-ci.

Une fois le délai convenu écoulé, ses cinq compagnons se mirent à leur tour en route. La rue commerçante dans laquelle se situait le domicile de Korenth Mauk était encore animée, bien que la plupart des échoppes soient fermées à cette heure tardive. Ils trouvèrent sans difficultés le bon immeuble : bâti sur le même modèle que ses voisins, il s’en distinguait toutefois nettement par l’absence d’enseigne et de devanture. Ils se dirigèrent droit vers la porte sans s’embarrasser de précautions inutiles, l’ouvrirent avec la clé qui leur avait été fournie et s’engouffrèrent à l’intérieur.

Barnabé ne remarqua aucune activité suspecte aux alentours. Apparemment, l’entrée de ses compagnons n’avait pas provoqué de réaction. Juste au cas où, il resta toutefois à l’affût encore un bon quart d’heure sans rien voir d’anormal, juste le trafic habituel : une équipe de nuit de la Guilde des Voleurs en route par les toits vers son lieu de travail, qui échangea avec lui les signes de reconnaissance convenus. Etait-il possible qu’il ait pêché par excès de prudence en imaginant que le domicile de son maître serait soumis à une surveillance constante par de mystérieux ennemis quatre mois après sa disparition ?

Il finit par rejoindre à son tour le bâtiment, empruntant lui aussi la porte de devant. Mais à sa grande contrariété, il ne retrouva pas ses compagnons dans l’entrée en train de l’attendre sagement, comme il leur en avait donné l’instruction, mais dans la chambre de son maître au premier étage.

- « Mais qu’est ce que vous fichez là ? Je vous avais dit de ne rien faire sans moi ! Comment va-t-on faire pour voir où sont allés les intrus, maintenant que vous avez mis votre sale nez partout ? »
- « Mais nous n’avons touché à rien ! » protestèrent en cœur Hélebrank, Kalen et Khalil.
- « Et j’ai bien regardé partout où nous sommes allés, et je peux te garantir que personne n’y est passé avant nous » ajouta Aloïs en sortant de la garde-robe où il était en train de farfouiller. « On est juste monté ici s’assurer qu’il n’y avait pas de danger. C’est tout, juré ! »
- « Tiens, nous avons trouvé un pli cacheté, adressé à ton maître. Il était par terre dans l’entrée, comme s’il avait été glissé sous la porte » coupa Mathieu, préférant faire diversion plutôt que de proférer d’aussi gros mensonges. « Aloïs nous a affirmé qu’au vu de la couche de poussière qui le recouvrait, il devait être là depuis presque un mois. Mais je ne comprends pas comment cela peut être possible : tu l’aurais vu lors de tes précédentes visites, non ? »
- « Euh, en fait je suis passé chaque fois par la cheminée, sans trop m’en éloigner. Trop dangereux, tu comprends… »
- « C’était donc ça les traces bizarres de petits pieds nus dans la cheminée de la salle à manger » s’exclama Aloïs, sans sembler s’apercevoir qu’il se trahissait lui-même. « C’est le seul truc que je n’arrivais pas bien à m’expliquer. »
- « Ah ! Je le savais ! Vous êtes donc allés aussi dans la salle à manger. Où d’autre ? »
- « Euh… Dans la cave aussi. Et on a un peu bougé des étagères, parce qu’on voulait voir si le sol avait été creusé récemment » avoua Hélebrank. « Mais je te rassure, on a pas du tout touché à la grosse porte. Kalen nous a dit qu’il y avait un piège magique dessus. »

Grommelant que puisqu’il ne pouvait faire confiance à personne, il ferait le travail tout seul la prochaine fois, Barnabé s’empara du pli que lui tendait toujours le paladin. Il s’agissait d’une simple feuille de parchemin repliée et cachetée à la cire rouge. Il ne reconnut pas le sceau, dont le principal élément était une sorte de forme courbe stylisée qui aurait pu tout aussi bien figurer un croissant de lune qu’une banane ou un navire. Au dos était inscrit en belles lettres cursives « Korenth Mauk ». Il décacheta habilement le pli sans en briser le sceau et l’ouvrit. Le texte était court, écrit de la même main que la mention du destinataire :

Korenth,
De grâce, venez immédiatement me voir à mon auberge. Je ne quitterai pas Greyhawk avant que cette affaire ne soit tirée au clair.
J’ai une suggestion à vous faire pour accéder aux Arènes. Je pense qu’elle vous plaira…
Ephraïm Barriquaud

Les compagnons en conclurent que décidément, il leur fallait prendre contact de toute urgence avec ce marchand, puis reprirent ensemble l’inspection des lieux.

L’immeuble tout en longueur avait été bâti pour accueillir un commerce, puis modifié pour devenir un hôtel particulier modeste mais confortable. Ainsi le premier étage, qui normalement aurait du accueillir le logement du commerçant et de sa famille, avait été divisé en deux pièces seulement, une vaste chambre de maître avec cabinet de toilette attenant et un immense bureau.

Celui-ci était dans l’état où Barnabé l’avait laissé, dix jours auparavant : les meubles avaient été fouillés sans management, et les documents, livres, fiches et registres qu’ils avaient contenus avaient été méthodiquement brûlés dans la cheminée. Aucun n’était récupérable.

Par acquît de conscience, Barnabé alla vérifier une nouvelle fois qu’il n’avait rien oublié au fond de la cache aménagée dans le conduit de fumée.

Les compagnons visitèrent ensuite (une nouvelle fois, pour la plupart d’entre eux) le rez-de-chaussée, partagé entre un salon côté rue et une salle à manger côté cour. Sur la cheminée du salon était effectivement accroché un portait en buste du propriétaire des lieux, un demi-euroz pas trop typé portant une robe de mage. Kalen grava ses traits dans sa mémoire pour référence ultérieure.

Barnabé traversa ensuite la cour pour aller jeter un coup d’œil dans les dépendances, vérifiant que ni sa cuisine ni le grenier où il avait ses quartiers n’avaient été dérangés, avant de descendre à la cave. Il la traversa rapidement en lâchant quelques commentaires désobligeants sur le désordre qu’y avaient laissé ses compagnons, puis il prononça le mot de commande qui désamorçait le Piège de feu protégeant la porte du laboratoire de son maître et ouvrit celle-ci. Régnait dans la pièce le désordre habituel : tout y était exactement comme lors de son départ quelques mois plus tôt. Il eut beau chercher partout, il ne trouva aucun message laissé à son intention.

- « Je ne comprends pas… Rien n’a été touché ici. Pourquoi n’ont-ils fouillé que le bureau ? » pensa t’il tout haut. « C’est comme s’ils avaient su où chercher. Je n’aime pas cela. »
- « Si ton maître est tombé entre les mains des dopplegangers et de l’illithid, rien d’étonnant » lui fit observer Hélebrank.
- « D’accord, mais en ce cas ils auraient su aussi pour la cache secrète dans la cheminée. Or j’y ai trouvé les documents laissés à mon intention. Cela n’a pas de sens ! »
- « Peut-être que c’est Korenth Mauk lui-même qui a détruit ses propres documents » suggéra Khalil. « Pour ne rien laisser de compromettant derrière lui avant de fuir la ville, par exemple ? »
- « C’est de mon maître que tu parles, un peu de respect ! Il n’avait rien à se reprocher. De plus, s’il avait voulu faire disparaître un document en particulier, il l’aurait pris au lieu de tout brûler. Et il m’aurait laissé un mot d’explication » protesta loyalement Barnabé.

Les compagnons en restèrent là de ce mystère. Ils débattirent rapidement de la possibilité d’utiliser l’hôtel particulier laissé vacant par Korenth Mauk, avant de l’écarter face à l’opposition véhémente de Barnabé. Ils regagnèrent donc leurs pénates habituelles.


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1er Jour de la Lune du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595
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Le lendemain matin, Barnabé insista pour aller seul à la rencontre d'Ephraïm Barriquaud, arguant du fait qu'il était le seul représentant légitime de l’enquêteur disparu et qu'une trop grosse troupe risquerait de l'effaroucher. Un autre motif moins avouable était que, bien qu'ayant fini par lâcher le morceau, il continuait à considérer les informations reçues de son maître comme sa chasse gardée et répugnait à en partager les fruits.

Il laissa donc ses compagnons en plan au Relais et se rendit seul à la luxueuse auberge du Dragon d'Or, située dans la Ville Haute juste derrière la Porte des Nobles. Il avait préparé d'avance un petit mot, qu'il remit au portier de l'auberge avec instruction de le transmettre au marchand. Il y faisait une allusion voilée au pli cacheté déposé au domicile de Korenth Mauk et à une disparition, sans citer aucun nom, précisant juste qu’il attendait à l’entrée.

Un long quart d'heure d'attente plus tard, alors qu'il commençait à se demander si son message n'avait pas été un peu trop cryptique, un valet vint le chercher pour le conduire dans un salon privé, richement meublé. Un humain de type suélois, très élancé, arpentait nerveusement la pièce lorsqu’il fit son entrée.

- « Monsieur Barnabé ? J’ose espérer que nous parlons bien de la même chose ? »
- « De l’enquête sur la disparition de votre sœur menée par Korenth Mauk, oui. Je suis son apprenti. »
- « Peut-être pourrez-vous alors m’expliquer son long silence ? »
- « Hélas non. Il m’avait envoyé loin de Greyhawk il y a de cela quelques mois. Je n’ai eu aucune nouvelle de lui, et depuis mon retour ces jours derniers, j’ai pu constater que son domicile avait été fouillé, et divers documents détruits dans son bureau. Je redoute le pire. »
- « Il a donc disparu. Tout comme ma sœur » constata amèrement le marchand. « Avez-vous quelque chose de nouveau à m’apprendre sur son sort ? »
- « Hélas non. Les dernières notes de mon maître font juste état du rapport qu’il vous a fait au mois de Longuenuit. Vous avait-il informé de son intention de surveiller les Arènes ? »
- « Oui, il m’en a parlé. Il avait cherché un moyen de s’introduire dans le Palais de Raknian à la recherche d’indices, mais avait fini par y renoncer en raison de l’étroite surveillance qui entoure ces lieux. »
- « Pensez-vous qu’il ait pu tenter sa chance et se faire épingler ? »
- « Cela m’étonnerait beaucoup. Il m’a clairement indiqué qu’il renonçait à cette idée. Justement, mon message avait pour objet de lui soumettre un autre moyen possible d’accéder aux Arènes. Je comptais lui proposer d’intégrer une équipe de gladiateurs montée de toutes pièces pour participer aux Jeux de Greyhawk. Une fois dans la place, je pense qu’il lui aurait été aisé de s’éclipser discrètement pour procéder à ses investigations. »
- « Ingénieux… Un genre de cheval de Troah » approuva le hobniz en faisant référence à un antique stratagème œridien. « Autre question : mon maître fait mention de sept lettres que vous auraient envoyées votre sœur durant son séjour ici. A quand remontait la dernière ? »
- « Elle était datée de deux mois avant mon arrivée. Mais rien dans son contenu ne pouvait laisser à penser qu’elle envisageait de rompre avec Raknian, ou de quitter Greyhawk. A mon arrivée ici, j’étais donc persuadé de la retrouver chez lui. »
- « Cela me fait penser à une autre chose que je voulais vous demander : lorsque vous avez constaté la disparition de votre sœur, avez-vous contacté les autorités ? »
- « Evidemment ! Que pouvais-je faire d’autre ? Mon prétendu beau-frère refusait de me voir et je n’avais aucune idée d’où pouvait être Lahika. J’ai donc aussitôt signalé la chose au Guet, rien de plus naturel à cela. »
- « Bien sûr, cela me semble tout à fait naturel. C’est bien ce que je pensais » approuva le hobniz, un rien hypocrite. « Mais vous dites ne pas avoir rencontré Raknian ? Comment avez-vous su alors pour la rupture, et l’Urnst ? »
- « Tout à fait. Voici comment les choses se sont passées, exactement : lorsque je me suis présenté à la porte de son Palais en demandant à voir Lahika, Loris Raknian a refusé de me rencontrer. L’un de ses sbires est venu m’affirmer que ma sœur avait quitté les lieux, avant de me congédier comme un malpropre. J’ai trouvé cela éminemment suspect, et me suis donc empressé de porter l’affaire à l’attention de votre Guet en faisant jouer toutes mes relations au sein de la Guilde des Marchands et du culte de Zilchus. Ce n’est que plus tard, par le biais du Prévôt chargé de l’enquête, que j’ai eu plus de renseignements : Loris Raknian n’a pu faire autrement que de répondre à ses questions. »
- « Vous vous souviendriez du nom de ce Prévôt, par hasard ? » le questionna Barnabé, saisi d’un doute affreux.
- « Bien sûr ! Il s’agissait d’un suélois, comme moi : un certain Ragnarsson. Un homme charmant, mais hélas peu diligent. »
- « Aïe ! » s’exclama le hobniz en grimaçant, ayant reconnu le nom du Prévôt qui avait fait embastiller les compagnons pour mieux capturer Aloïs. « Vous avez peut-être entendu parler de récentes difficultés, avec une bande de dopplegangers ? La Prévôté avait été infiltrée, et notamment ce Prévôt là. Je crains qu’il n’ait rien fait pour retrouver votre sœur. En fait, il n’y a plus la moindre trace de votre plainte ou de son enquête dans les archives du Guet. »
- « Zilchus m’hypothèque ! » jura le marchand. « Je voyais bien que l’enquête officielle traînait en longueur et n’aboutissait à rien, d’où le recours à votre maître d’ailleurs. Mais j’étais loin de me douter de quelque chose d’aussi sinistre. Je pensais plutôt que Raknian était parvenu à faire enterrer l’affaire grâce à de banales protections politiques… »
- « Mes amis et moi-même enquêtions sur ces dopplegangers, qui semblaient avoir un lien avec Loris Raknian. A ce titre, votre plan pour pénétrer dans les Arènes pourrait nous intéresser. Est-il prêt à être mis en œuvre ? »
- « A vrai dire, pas du tout. Comme je n’avais aucune nouvelle de votre maître, les préparatifs n’ont guère avancé. J’ai une licence pour ouvrir une écurie de gladiateurs, mais il me reste à recruter des mercenaires pour la peupler. Sans vouloir vous offenser, vous ne feriez pas un gladiateur très crédible… Mais peut-être vos amis seraient-ils intéressés ? »

Barnabé promit de leur transmettre cette proposition au plus tôt, et de reprendre ensuite contact. Puis, avant de prendre congé, il indiqua au marchand qu’il pouvait être joint au Relais de l’Habile Cocher, ou aux bons soins de Mathieu au temple d’Heironéous.


Petite note pour ceux qui ont lu la campagne : normalement, Eligos était censé introduire Ephraïm Barriquaud et son plan génial (hmm...) pour s'infiltrer dans les Arènes après l'affaire des dopplegangers.

C'était un rien trop directif à mon goût, donc j'ai démonté l'intrigue et repris tous ses éléments en les présentant différemment, façon buffet ou bac à sable.

Le lien vers Barriquaud (Smallcask) s'est donc retrouvé parmi les documents retrouvés par le hobbit dès son arrivée en ville, au milieu d'autres affaires sur lequelles enquêtait son maître (qui tous mènent vers d'autres scénarios destinés à booster un peu les PJ en xp). Les PJs auraient donc pu prendre contact avec EB dès le départ, conclure qu'il y avait vraiment quelque chose de louche chez Loris Raknian, et éviter d'aller ouvertement poser des questions aux Arènes sur un certain guerrier homme-lézard. L'attaque des dopplegangers aurait probablement eu lieu quand même, mais plus tard, une fois les méchants alertés sur la présence des gentils héros en ville et de leur intérêt pour les Arènes. Ou peut-être même aurait-elle été complètement évitée, s'ils l'avaient joué fine.


Kalen commença sa journée par une visite à la Guilde des Mages. Il y déposa ceux des objets magiques que les compagnons avaient décidé de monnayer : la cape et les bottes de l’illithid, ainsi que la cuirasse de la prêtresse olve, Aloïs ayant été rebuté par ses formes nettement féminines. Le Portier lui fit savoir que son compte ne serait crédité que le lendemain, le temps que le Maître de Bourse procède aux examens usuels et fixe une cotation.

Il aurait souhaité en profiter pour se procurer le très coûteux miroir d’argent gravé de runes nécessaire au lancement de son sort de Scrutation, mais hélas il ne disposait pas de suffisamment de liquidités pour payer le millier d’orbes réclamé. Comme le dernier des va-nu-pieds, il dut donc se résoudre à faire appel au Service d’Assistance et de Location d’Articles pour Mages Impécunieux, irrévérencieusement baptisé le « salami » par les étudiants de l’Université des Arts Magiques. La mise à disposition d’un miroir usagé et d’un petit local lui fut facturée au tarif prohibitif de 100 orbes.

Dès qu’il eut en mains son nouveau joujou, Kalen lança successivement deux sorts de Scrutation visant Lahika Barriquaud puis Korenth Mauk. Aucune de ces deux tentatives ne produisit le moindre résultat. Il n’aurait su dire si c’était parce que les intéressés étaient morts, magiquement protégés ou avaient inconsciemment résisté aux effets du sort.

C’est donc bredouille mais avec la ferme intention de proposer à ses compagnons d’investir une partie des fonds communs dans un beau miroir neuf, que Kalen retourna au Relais.

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Pendant ce temps, Mathieu, Khalil, Aloïs et Hélebrank firent du porte à porte dans une tentative désespérée pour localiser une boutique vendant des antiquités. Hélas, les seules indications dont ils disposaient étaient le prénom de la fille du propriétaire, et le fait qu’elle aurait disparu au début de l’année. Sans surprise, ils ne parvinrent qu’à dénicher une ou deux échoppes vendant des meubles d’occasion dans la Vieille Ville, offrant un large choix de grabats miteux et de coffres vermoulus. Personne n’y avait entendu parler d’une Lyza.

Leur matinée entière gâchée en recherches impossibles, ils regagnèrent le Relais bons derniers.

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A la demande pressante d’Hélebrank, qui soutenait qu’il aurait été intéressant de savoir si la jeune Lyza avait été une connaissance de Loris Raknian, Barnabé consentit enfin à révéler le nom de son père marchand, un certain Owen Danwick.

Il leur raconta ensuite l’essentiel de sa conversation avec Ephraïm Barriquaud, sans rien omettre. Ses compagnons furent très intéressés d’apprendre qu’il avait bel et bien déposé une plainte, dont la disparition permettait d’avancer une explication du rôle joué par les dopplegangers.

D’emblée, Hélebrank trouva très suspect le fait que Loris Raknian et Ephraïm Barriquaud ne se soient jamais rencontrés. Suivant sa toute première intuition, il en conclut que le marchand kéolandais devait cacher quelque chose. Sinon, il aurait insisté jusqu’à avoir une audience, pas vrai ?

Note du MJ:
Par contre, il n'a rien trouvé à redire au comportement de Raknian, censé avoir rompu à l'amiable avec Lahika Barriquaud, mais refusant tout net de recevoir son ex beau-frère, disparition suspecte ou pas. Comprenne qui pourra.

Rappelons que le dit Raknian a étranglé sa compagne dans un accès de rage parce qu'elle voulait le quitter et/ou avait mis en cause sa virilité. Lorsque le beau-frère a débarqué par surprise, il a été pris de court et a paniqué, d'où son comportement suspect sur le moment. La belle histoire sur la rupture d'un commun accord et le départ pour l'Urnst est venue plus tard, après plus mûre réflexion. Le Prévôt désigné pour mener l'enquête s'est retrouvé remplacé par le gang des dopplegangers, qui ont fait leur possible pour noyer le poisson et faire disparaître toutes traces de l'affaire.

Par contre, Barnabé n’obtint pas le succès escompté lorsqu’il leur exposa le projet élaboré par ce dernier pour infiltrer les Arènes.

- « Il est idiot, son plan » trancha Aloïs, tout dans la nuance. « On a déjà été repérés par les méchants ; si on se présente la gueule enfarinée comme gladiateurs, ils vont nous surveiller comme le lait sur le feu, on ne pourra aller nulle part ! »
- « Oui, cela aurait pu marcher avec des gladiateurs anonymes, mais pas avec nous » confirma Mathieu. « Et encore ! Parce que ce n’est pas bien malin de sa part d’avoir pris la licence sous son vrai nom. Si Loris Raknian a quelque chose à se reprocher au sujet de la disparition de sa sœur, il ne manquera pas de se douter que son ex-beau-frère lui prépare un coup fourré. »
- « Sans compter que les Jeux, c’est dans presque un mois. On ne va pas rester les bras croisés d’ici là, non ? » ajouta Hélebrank, achevant d’enterrer le projet.

Barnabé dut bien admettre que le plan du marchand pêchait sur de nombreux points, et qu’il valait mieux y renoncer. Sa proposition lui avait pourtant semblé tellement convaincante sur le moment…

Note du MJ:
Là ils ont tout de suite percuté et mis le doigt sur les failles du plan, tel que prévu d'origine. Selon le scénario, cela aurait quand même marché parce que Raknian "est trop occupé par l'organisation des Jeux pour faire surveiller les PJs". Ben voyons.

Sovereign Court

Spoiler:
Ouais, je suis d'accord, ce plan est un peu simpliste...


Moonbeam wrote:
** spoiler omitted **

Spoiler:
Oui da. D'où le recyclage en "plan stupide proposé par le PNJ de service" , histoire que mes joueurs ne se reposent pas trop sur les conseils des figurants. C'est eux les héros ou non ?

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UN MYSTERE RESOLU, DIX DE RETROUVES
(séance du 15 novembre 2013)

1er Jour de la Lune du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (midi)
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La conversation dévia ensuite vers un sujet plus terre à terre, à savoir la meilleure utilisation à faire du pécule commun amassé par les compagnons. Barnabé et Kalen proposèrent de s’en servir pour financer l’achat de sortilèges utiles à tous, dont ils dressèrent aussitôt une liste impressionnante. Mathieu était quant à lui plutôt d’avis qu’il ne serait que justice d’en verser une bonne partie aux temples qui leur avaient prêté assistance, à titre d’obole. Au final, les mages obtinrent gain de cause sur l’achat de divers sorts et composantes, y compris le précieux miroir de Kalen, mais ce dernier dut s’engager en retour à verser une généreuse donation sur ses propres deniers.

Note du MJ:
Promesse qui bien entendu ne s'est pas concrétisée à ce jour. Ce que ça peut être naïf, un paladin...

Une fois ces questions d’intendance réglées et le repas achevé, les compagnons convinrent qu’il leur fallait faire quelque chose pour faire avancer leurs investigations, n’importe quoi mais quelque chose... Ils partirent donc se promener le long du ruisseau du Moulin, espérant apercevoir depuis la berge une grosse canalisation pas trop immergée qui pointerait droit vers les Arènes. Comme leur bonne fée était occupée ailleurs ce jour là, ce vœu ne fut pas exaucé.

Ils reprirent donc une vieille proposition de Kalen, consistant à explorer les tréfonds des Arènes grâce à son sort d’Œil de Mage. Restait à trouver un endroit à la fois proche de la cible mais suffisamment discret pour qu’il puisse lancer son sort et se concentrer sans être dérangé. Ils envisagèrent successivement de se poster dans une ruelle déguisés en clochards, de louer une chaise à porteurs qui tournerait autour du bâtiment, et enfin de se cacher dans les égoûts.

C’est justement en allant en repérage vers la plus proche bouche égoût, hélas située juste sous les fenêtres du bâtiment administratif, qu’ils remarquèrent une antique cheminée de briques érigée juste à côté des Arènes proprement dites. Haute de cinq mètres, elle n’était adossée à aucun édifice : comme elle devait bien servir à quelque chose, les compagnons conclurent que ce quelque chose devait être sous terre.

Finalement, leur appétit de confort l’emporta, faisant s’arrêter leur choix sur la Taverne du Savant, un établissement paisible principalement fréquenté par le corps enseignant et les intellectuels de tous poils. Outre qu’elle était située à deux pas de l’objectif, juste à côté du pont des Cœurs Enlacés, elle leur sembla à même de leur procurer toute la confidentialité voulue avec ses tables disposées dans des boxes individuels entourés de rayonnages de livres. Sans compter qu’on y servait aussi un large choix de rafraichissements.

Une fois les commandes apportées et la serveuse repartie, Kalen prononça à mi-voix son incantation et commença à se concentrer. Les yeux mi-clos et une chope de bière entamée devant lui, il avait tout du poivrot plongé dans un état semi-comateux. Il fit ensuite sortir son Œil de Mage par la porte de la taverne, commodément maintenue ouverte en ce chaud mois de Richesoleil, et le dirigea droit vers la cheminée. Il lui fallut à peine plus de trente secondes ppour l’atteindre et s’y engouffrer, ce qui lui laissait six bonnes minutes pour explorer les lieux avant l’expiration du sort...

Pour parachever leur couverture, ses compagnons se payèrent tournée sur tournée en papotant. Barnabé résolut de jouer cartes sur table, faisant lecture des fiches documentaires trouvées au domicile de son maître sans (presque) rien omettre. Les compagnons apprirent ainsi tout ce qu’il savait de la disparition de Lyza Danwick, et notamment qu’elle s’était volatilisée du domicile de ses parents dans la nuit du 1er Jour de la Terre du mois de Doufoyer, au tout début de l’année. La dernière personne à l’avoir vue était sa femme de chambre, lorsqu’elle s’était retirée au moment du coucher. Aucune trace d’effraction n’avait été relevée, rien ne manquait dans ses affaires, et aucune demande de rançon ou lettre explicative n’avait été reçue ou retrouvée. L’hypothèse la plus probable était la fugue : il y avait bien un ancien domestique indélicat qui aurait pu vouloir se venger d’elle, car son témoignage avait permis de le faire arrêter deux ans auparavant, mais il semblait qu’il purgeait toujours une peine de bagne.

En tous cas, la jeune fille n’était pas du genre à passer inaperçue : selon une miniature jointe au dossier, il s’agissait d’une pure suéloise, fine et élancée, aux cheveux d’un roux flamboyant et aux yeux violets, dont le teint de lait était rehaussé de quelques taches de rousseur. D’après sa description, elle avait également une marque de naissance lie-de-vin sur la poitrine.

Mathieu émit l’hypothèse que peut-être le marchand savait pertinemment par qui était détenue sa fille, et qu’il n’avait engagé Korenth Mauk que pour donner le change vis-à-vis des autorités et des voisins, lui fournissant sciemment des informations erronées pour l’envoyer sur une fausse piste. Ses compagnons voulurent bien admettre que c’était une possibilité mais refusèrent de la prendre comme hypothèse de travail, faisant observer que rien ne venait étayer cet empilement de suppositions.

Ils discutèrent ensuite du cas de Ricardo Damaris, qui s’était fait dérober son épée lors d’une embuscade de brigands. Son épouse et sa fille étaient allées s’établir dans la Cité de Dyvers quelques années auparavant ; depuis, il faisait souvent le voyage depuis Greyhawk. Le 1er Jour du Soleil du mois de Closeporte 594, la caravane dans laquelle il voyageait avait été attaquée à quelques lieues seulement des portes de la cité, à hauteur du Pont de Zagyg sur la route du fleuve, par une bande de brigands Euroz menés par un demi-euroz chevauchant une wyverne. C’est durant le combat qu’il aurait perdu son arme, une puissante épée magique que lui avait donnée son ancien maître : il avait été blessé par la wyverne, ses forces sapées par le venin de son aiguillon caudal, et n’avait du son salut qu’à un plongeon désespéré dans le fleuve Sélintan. Il était parvenu à échapper aux brigands en se laissant porter bien plus loin en aval avant de regagner la berge.

Barnabé leur parla enfin d’une fiche biographique trouvée avec les dossiers de son maître, où étaient résumés les principaux évènements de la vie de Sire Robilar, un puissant guerrier ayant compté parmi les membres fondateurs de la Citadelle des Huit, qui dix ans auparavant avait trahi ses amis pour se mettre au service de Rary le félon, empereur autoproclamé du Désert Brillant. Il ne voyait pas ce que cette fiche pouvait bien faire là, mis à part le fait que Robilar avait été le maître de Ricardo Damaris et lui avait remis l’épée perdue. Se pouvait-il que Robilar et Loris Raknian se soient rencontrés, tous deux ayant connu une enfance misérable dans les rues de la Vieille Ville ? Ou mieux, s’agissait-il d’une seule et même personne, le super-guerrier aux prouesses légendaires se cachant sous l’identité du champion gladiateur ?

Les spéculations des compagnons furent interrompues par trois fois par Kalen, émergeant de sa transe pour leur faire un rapide compte-rendu de son exploration des sous-sols des Arènes. Après une longue plongée dans les ténèbres, il avait débouché dans une grande cuisine collective attenant à une gigantesque caverne, si vaste que la Vision Nocturne dont l’avait fait bénéficier Barnabé ne permettait pas de l’embrasser d’un seul regard. Son pourtour était bordé d’une bonne trentaine de logements troglodytes, pouvant chacun accueillir une dizaine de personnes avec un certain niveau de confort. De grandes tables communes sur tréteaux avaient été dressées au bord d’un petit lac souterrain, toutes prêtes à accueillir de très nombreux convives. L’ensemble était propre et bien entretenu, mais complètement désert. Cela ressemblait beaucoup au fameux « logis cénobite » destiné à accueillir les gladiateurs durant les Jeux de Greyhawk, dont ils avaient déjà entendu parler. Kalen avait pu pousser ses investigations jusqu’à une seconde caverne très semblable, mais dont les logements étaient en ruines, puis à un vaste couloir annulaire de près d’une centaine de mètres de diamètre desservi par une douzaine d’escaliers en colimaçon régulièrement disposés sur son pourtour, avant que son premier sort ne se dissipe.

Avec le deuxième et le troisième, il avait pu explorer un étage supérieur qui lui était éclairé et occupé. Il y avait croisé une multitude d’ouvriers, de gardes et de marmitons vaquant à leurs affaires, parcourant un vaste complexe d’ateliers, de monte-charges, de réfectoires et de salles de garde. Il y avait aussi trouvé un escalier débouchant dans la tribune officielle des Arènes, à proximité immédiate d’un couloir fermé par une lourde porte qui devait probablement mener au palais de Loris Raknian.

Sa quatrième tentative fut entièrement consacrée à vérifier que l’écoulement du lac souterrain menait bien aux égoûts. Après avoir confirmé ce point, il avait erré dans des galeries toutes semblables à la recherche d’un point de repère ou d’une sortie jusqu’à l’expiration du sort.

Hélebrank proposa de poursuivre ces investigations en envoyant « son ami caillou » en reconnaissance dans les Arènes, mais sa suggestion ne fut pas retenue. Pire, ses compagnons semblèrent le regarder bizarrement, surtout lorsqu’il les assura que son caillou était assez intelligent pour trouver tout seul son chemin. Bon, il fallait bien dire que c’était la toute première fois qu’il leur en parlait depuis qu’il s’était souvenu de son existence, quelques jours auparavant. Il avait encore sur la langue le nom exact de cette curieuse lentille hémisphérique de cristal bleuté, mais cela finirait bien par lui revenir. Elle était restée soudée à la base de son crâne, dissimulée par ses cheveux, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il pouvait le détacher à volonté. Et dire qu’il avait cru que tout le monde avait le même genre de grosse bosse lisse sur l’occiput ! Quoi qu’il en soit, il se souvenait déjà de la façon d’y implanter télépathiquement une facette de sa personnalité, qui par effet de résonance s’en trouvait renforcée.
Pour une raison mystérieuse, il semblait avoir jugé bon avant son amnésie d’y placer sa tendance à la soumission ; il s’était empressé de la remplacer par un trait de caractère plus utile, comme le courage ou l’opiniatreté.

Note du MJ:
Une explication technique est nécessaire : sous les règles Hero, Hélebrank avait ce qu'on appelle une Vulnérabilité aux contrôles mentaux : leurs effets étaient nettement augmentés en ce qui le concernait. J'avais de longue date décidé que ce cristal implanté dans sa nuque en était la source, et que le jour où le joueur voudrait se débarasser de sa Vulnérabilité (en la rachetant avec des points d'expérience), il se souviendrait de son existence et s'en débarasserait.

C'est un peu ce qui s'est passé avec e passage en règles Pathfinder, sauf qu'il y a gagné en plus un Psicristal en le "reprogrammant".

Les compagnons se répartirent ensuite les tâches pour occuper ce qui restait de l’après-midi, se regroupant par précaution en binômes. Barnabé et Aloïs iraient interroger Dame Marissa Mollette, la gouvernante de Korenth Mauk, afin de savoir pourquoi elle manquait à tous ses devoirs en ne faisant plus le ménage. Mathieu et Hélebrank se rendraient à la Taverne du Dragon Vert pour interroger son propriétaire Ricardo Damaris, au cas où il aurait quelque chose à ajouter aux renseignements déjà détenus par Barnabé. Enfin, Kalen se rendrait (escorté de Khalil) à la Guilde des Mages afin de commencer à récupérer quelques sorts de première nécessité pour son grimoire, comme Non détection et Vision arcanique.


Chemin faisant, Barnabé expliqua à Aloïs que Dame Mollette était une sorte de figure matriarcale dont la nombreuse tribu (composé de ses enfants, frères et sœurs, neveux et nièces) tenait une affaire de blanchisserie dans le quartier des Artisans, à quelques pâtés de maison de la résidence de Korenth Mauk. Elle était entrée à son service bien avant le hobniz lui-même, et par conséquent lui était très attachée : elle le traitait en fait comme un énième fils adoptif. Ces liens étroits ne faisaient que rendre plus étrange l’abandon de son poste.

En ce milieu d’après-midi, la blanchisserie était bien sûr ouverte. Prévenue de l’arrivée de Barnabé par l’un de ses nombreux rejetons, la matrone Marissa fit rapidement son apparition.

- « Ah mais c’est mon Babounet ! » s’écria t’elle en ouvrant grand les bras avant de soulever l’intéressé de terre pour lui planter un gros bisou bruyant sur chaque joue. « Ma parole, comme ça fait plaisir. Tu as bonne mine, dis. Et tu as amené un ami ! »

Note du MJ:
Vous voyez une mama pied-noir, genre Marthe Villalonga ? C'est elle.

- « Euh, salut Marissa » répondit Barnabé lorsqu’il put enfin placer un mot. « Je te présente Aloïs, un camarade. »
- « Enchanté » acquiesça le susdit.
- « Entrez, entrez, venez manger un petit quelque chose. J’ai fait des boulettes, et il me reste du clafoutis aux pommes. Les amis de mon Babounet sont mes amis. Comment ça va, toi ? »
- « Bien, merci. Je suis de retour en ville depuis quelques jours, et… » commença le hobniz, avant d’être interrompu par un cri déchirant de la gouvernante.
- « Comment ? Tu es en ville et tu ne viens pas tout de suite voir ta Marissa ? Aïe aïe aïe, tu me fais de la peine là, je te le dis, purée ! »
- « C’est que j’étais très occupé et, euh… » bafouilla t’il, coupable, avant de changer radicalement de sujet. « Tu aurais eu des nouvelles de Korenth, par hasard ? »

La réaction de la gouvernante à cette question innocente fut curieuse : à son tour, elle eut l’air embarrassée et marmonna quelques paroles inintelligibles.

- « Tu l’as vu ou pas, depuis mon départ ? » insista Barnabé, impitoyable.
- « Non… Pas depuis qu’il m’a virée » admit piteusement la gouvernante.
- « Hein ? comment cela ? Il t’a renvoyée ? » s’étonna Barnabé, qui n’aurait jamais imaginé que son patron puisse se séparer ainsi de celle qu’il considérait un peu comme une mère de substitution.
- « Oui, comme une malpropre, comme une moins que rien. Me faire ça à moi ! L’ingrat ! Dix ans que je lui faisais son linge ! »
- « Quand est-ce arrivé ? Tu te souviens de la date ? »
- « Attends voir… Normalement j’y vais les Jours des Etoiles, mais là j’avais pas pu parce que ma nièce Héloïse… Tu sais, celle qui a des dents comme un lapin ? Et bien elle avait un flux de ventre, alors j’y suis allé que le lendemain. Le 3ème Jour du Soleil du mois des Apprêts. Pas compliqué, cela faisait quinze jours tout juste que M’sieur Mauk et toi vous étiez partis. Donc j’y vais, et qu’est ce que j’entends ? Y’avait du monde en haut ! Alors j’ai appelé : ‘houhou, y’a quelqu’un ?’ Et voila que M’sieur Mauk descend, sans rien dire, pas même un bonjour. Et il m’a virée, juste comme ça, avant de me demander ma clé comme il me dirait de lui faire une course. Pas une explication, rien ! Je lui ai demandé pourquoi, pourquoi il me faisait ça à moi, mais il a rien dit, il a juste tendu la main en réclamant à nouveau ma clé. Comme il insistait, j’ai fini par lui donner. Alors il m’a demandé de l’attendre et il est allé à la cave. Il est revenu, on est sortis, il a fermé la porte. Avec ma propre clé. Et il est parti tout seul de son côté, sans même dire au revoir. Jamais j’aurais cru ça de lui ! »

S’ensuivit un long silence, durant lequel les compagnons ruminèrent ces nouvelles informations. Marissa fut la première à le briser.

- « Ah là là, tu dis rien. Je vois bien que ça te fait de la peine aussi, va. »
- « C’est pas normal… Je ne pense pas que c’était vraiment lui » affirma Barnabé. « A ton avis, il était seul en haut ? »
- « Ben, j’en sais rien, j’ai vu que lui. Et qui veux-tu qu’il y ait avec lui, si c’était pas toi ? » rétorqua Marissa, qui semblait ne pas avoir bien saisi cette histoire d’imposteur.
- « Il est resté longtemps à la cave ? » demanda Aloïs, que ce détour intriguait.
- « Oh, pas trop. Juste le temps de descendre et de remonter, guère plus. »
- « Il aurait eu le temps d’aller jusqu’à la porte du laboratoire ? » demanda Barnabé.
- « Non, même pas. Et de toute façon, elle était plus là, alors... »
- « Comment cela ? Qu’est ce que tu veux dire par là ? »
- « Ben oui. Avant de partir, M’sieur Mauk avait fait disparaître la porte. Elle était plus là, quoi. Il y avait plus que le mur ! Je m’en étais aperçue la semaine d’avant, en allant chercher un seau à la cave. C’est un truc de mage : moi j’y comprends rien, mais c’est drôlement impressionnant ! Ca m’a coupé le sifflet. »

Barnabé supposa in petto qu’il devait s’agir d’un genre de Mur Illusoire, du même tonneau que celui ayant dissimulé la cache aménagée dans le conduit de la cheminée, qui avait du depuis expirer ou avoir été dissipé. Ainsi donc, son maître avait jugé utile de dissimuler son laboratoire avant de partir. Intéressant…

Il échangea encore quelques amabilités avec la gouvernante, donnant des nouvelles de sa santé et relatant rapidement son séjour à Lac-Diamant, puis prit congé. Il entraîna Aloïs jusqu’à l’hôtel particulier de Korenth Mauk où il procéda à une nouvelle fouille en règle du laboratoire qui ne donna rien de plus que la précédente.

Barnabé ne comprenait pas : qu’est ce que son maître avait bien pu vouloir protéger de la curiosité d’éventuels intrus durant son absence prolongée ? Il n’y avait là que ses grimoires, ses expériences alchimiques sur ce qu’il appelait la « criminologie », tout son matériel de mage et d’enquêteur, à l’exception d’un grimoire de voyage qu’il avait du emporter avec lui. Et pourquoi laisser la cuisine sans protection ? Guère plus avancé, il profita néanmoins de sa venue pour récupérer la pipe préférée de Korenth Mauk ; il savait qu’un objet personnel pourrait aider Kalen dans ses tentatives de Scrutation.

Note du MJ:
Toujours très drôle de voir deux joueurs caler sur un mystère tel que "mais pourquoi diable protéger une pièce bourrée de matériel hors de prix durant une absence prolongée ?"

Sur le chemin du retour, alors qu’ils sortaient de l’hôtel particulier, les compagnons aperçurent un peu plus loin dans la rue un prêtre de St Cuthbert entrer dans l’échoppe d’un poissonnier, et se demandèrent si par hasard le culte ne les aurait pas placés sous surveillance.

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Ils retrouvèrent au Relais Mathieu et Hélebrank, qui malgré un détour par le Petit Bazar pour une longue séance de lèche-vitrines étaient largement arrivés les premiers. Leur entrevue avec Ricardo Damaris n’avait apporté aucun élément nouveau ; selon ses dires, il n’avait pas revu Korenth Mauk depuis « bien longtemps ». Ils avaient au moins pu se faire confirmer l’exactitude des informations déjà en leur possession. Qui plus est, dans la bouche de l’aubergiste, le récit du combat et de sa spectaculaire évasion par le fleuve était bien plus impressionnant.

Comme ses travaux d’écriture retiendraient probablement encore longtemps Kalen (et par la même occasion Khalil) à la Guilde des Mages, Barnabé, Aloïs et Hélebrank décidèrent de rendre une petite visite à Owen Danwick, le père de la jeune file disparue. Mathieu préféra rester au Relais à les attendre.


Barnabé n’eut qu’à consulter le dossier en sa possession pour trouver l’adresse de la résidence des Danwick. II s’agissait d’un véritable hôtel particulier, pas d’un ancien bâtiment commercial réaménagé comme celui de Korenth Mauk. Bâti en belle pierre meulière, il se situait dans le secteur le plus cossu du quartier des Artisans, juste en bordure d’un petit parc arboré.

Les compagnons gravirent les marches du perron et firent tinter le carillon. Après avoir décliné leur identité et indiqué le motif de leur visite au majordome en livrée qui leur ouvrit la porte, ils furent priés d’attendre quelques instants puis conduits jusqu’à un salon surchauffé aux murs couverts de boiseries exotiques. Le maître de maison les y attendait, avachi dans un profond fauteuil et à moitié enseveli sous un plaid. Owen Danwick était un œridien typique, teint cuivré et noir de poil, dont la petite taille était d’autant plus frappante qu’il resta assis. Les cernes monstrueux qu’il avait sous les yeux, les tics nerveux qui lui agitaient le visage et sa pâleur extrême le faisaient paraître bien plus âgé que sa petite quarantaine.

Surpris par l’apparence du marchand, Barnabé jeta rapidement un œil sur un grand portrait de famille accroché au dessus de la cheminée : deux parents manifestement œridiens y encadraient une jeune fille suéloise de pure souche, qui même assise leur arrivait au dessus de l’épaule.

- « Veuillez m’excuser si je ne me lève pas, je suis un peu s… souf… souffrant » bégaya le maître de maison, la paupière gauche agitée de tremblements. « On me dit que vous venez de la part de K… Korenth Mauk ? »
- « Tout à fait. Je suis Barnabé Bouillabise, son apprenti » se présenta le susdit. « Vous êtes malade ? »
- « Non, juste la fatigue. Les sou… cis, beaucoup de soucis. »
- « Comme vous le savez, mon maître enquêtait à votre demande sur la disparition de votre fille. Et il se trouve qu’il a disparu, lui aussi. Nous pensons que sa disparition est liée à l’une de ses enquêtes, et c’est pourquoi nous sommes venus vous voir. »
- « En somme, vous enquêtez sur la disparition de votre m… m… maître, qui enquêtait sur la disparition de ma fille. C’est coc… cocasse ! »
- « A quelle date Korenth Mauk est-il venu pour la dernière fois vous faire un rapport ? »
- « Je ne sais plus exactement. Très longtemps. Il f… faut dire que je ne l’ai pas relancé, mes aff… affaires me prennent beaucoup de temps. Sa mère et moi avons fini par nous faire à l’idée que Lyza devait avoir fait une fugue. On s’en est moins soucié. »
- « Quelle raison aurait-elle eu de fuguer ? » intervint Aloïs.
- « Aucune, bien sûr ! Elle avait t… tout ce que pouvait désirer une jeu… jeune fille de son âge : les plus belles robes, les meilleurs domestiques… De plus, elle était promise à un beau mariage : nous ne lui avions pas encore trouvé de prétendant, mais avec sa classe et sa condition, elle n’aurait eu que l’embarras du choix. Cela nous aurait permis de sceller une alliance lucrative. D’ailleurs, quand on y pense, c’est un peu ing… ingrat de sa part de se s… sauver comme cela sans rien dire, alors qu’on lui a tant donné. »
- « A quel âge l’avez-vous adoptée ? » demanda Aloïs, de but en blanc.
- « Cela se voit tant que cela ? C’était presque un bébé. Les petites filles suéloises étaient très en vo… vogue à l’époque, nous avons eu de la chance de l’obtenir. Mon épouse ne souhaitait pas… enfin nous avons préféré adopter. »
- « Afin de nous permettre de mieux comprendre les circonstances de sa disparition, pourriez-vous nous indiquer ce qu’elle faisait de ses journées, d’habitude ? » demanda Barnabé, qui en réalité souhaitait savoir si un doppleganger aurait pu trouver avantage à remplacer Lyza, tout comme Ilya Cheveux-d’Etoile l’avait été.
- « Je ne sais pas trop à dire vrai… Je suppose qu’elle trouvait à s’occuper. Avec mes affaires, nous ne nous croisions que peu. Elle devait faire des choses de son âge, de la broderie, aller à l’opéra ou à des bals, lire… Des occupations de jeune fille. C’est surtout les domestiques qui s’occupaient de ces choses-là. »

Les compagnons échangèrent un regard : leur théorie fétiche prenait l’eau. Le marchand poussa un gros soupir et reprit son récit.

- « Quand bien même, c’était une présence dans la maison. Sa disparition nous a fait un choc. Surtout à sa mère. On peut dire qu’elle a été durement éprouvée » soupira t’il. « Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, depuis. Moi-même, j’avoue que cela me pèse, j’en perds le sommeil. On a beau laisser l’éducation de son enfant à des domestiques qualifiés, on s’y attache à la longue. »

Il fut brusquement interrompu par un beuglement provenant du premier étage.

- « J’AI FAIIIIIIIIM ! » hurla une voix féminine, mais manquant singulièrement de distinction.
- « Oh, excusez-moi » réagit aussitôt le marchand, s’emparant vivement d’une clochette posée à portée de main, qu’il agita frénétiquement jusqu’à ce que le majordome fasse son entrée.
- « Monsieur a sonné ? » s’enquit d’une voix nasale le domestique, toujours aussi imperturbable et stylé malgré les deux seaux remplis à ras bord de ragoût de mouton fumant qu’il portait, un à chaque main.
- « Madame a appelé. Occ… occupez-vous en, Arsène, j… je vous prie. »
- « J’y allais de ce pas, Monsieur » répondit le loufiat, avant d’effectuer un demi-tour d’une précision quasi-militaire.
- « Comme je vous le disais » reprit le marchand en se tournant à nouveau vers les compagnons, médusés, « mon épouse a été très éprouvée par la disparition de notre ch… chère Lyza. »

Barnabé jeta à nouveau un coup d’œil sur le portrait de famille. La Dame Danwick qui y figurait, une jolie poupée œridienne à la silhouette de nymphe, cadrait assez mal avec ce qu’ils venaient d’entendre et de voir.

- « Quel âge avait votre fille au moment de sa disparition ? » demanda Aloïs, poursuivant l’interrogatoire comme si de rien n’était.
- « Dix-sept ans. Zilchus seul sait où elle se trouve maintenant. Nous supposons qu’elle a fui pour rejoindre un jeune b… blanc-bec rencontré je ne sais où, mais la vérité est que nous n’en savons rien. »
- « Elle aurait pu se confier à quelqu’un ? Sa femme de chambre peut-être ? »
- « Nuala ? Non, Lyza ne fricotait pas avec le petit personnel, elle savait tenir son rang » objecta fermement son père. « Excusez-moi si je bé… bégaie de temps à autre, c’est le manque de so… so… sommeil. De toute façon, elle a rendu son tablier depuis, comme la plupart de nos gens. Ne nous reste qu’Arsène, notre fidèle Arsène… »
- « Pourquoi sont-ils tous partis ? »
- « Allez savoir ! J’ai mieux à faire que de m’interroger sur les états d’âme de la domesticité. A ce propos, j’avais signalé à votre maître une piste possible, celle de mon ancien majordome, Nelikos Grotten. Il m’avait vo… volé un certain nombre d’objets précieux. C’est grâce à Lyza qu’il a pu être démasqué : elle l’avait vu rôder près de la pièce où le larcin a été commis, et presque tout le butin a été retrouvé dans sa chambre. »
- « En effet, nous sommes au courant » acquiesça Barnabé. « Mais il serait toujours en prison, d’après ce qu’à pu en voir mon maître. »
- « Oui, il m… m’en avait informé, mais peut-être Nelikos a t’il des amis sou… soucieux de le venger ? »
- « Si vous voulez, je peux vous aider à vous sentir mieux » proposa Hélebrank, coupant le fil de la conversation. « J’ai un pouvoir qui dissipe la fatigue. »
- « C’est cher ? » demanda d’une toute petite voix le riche et pingre marchand.

Une fois assuré de la gratuité du service, il se laissa imposer les mains. Le pouvoir psionique d’Apaisement du corps qu’il reçut annihila les toxines de fatigue, mais à la grande surprise du psion son état général n’en fut qu’imperceptiblement amélioré, peut-être en raison de son extrême épuisement nerveux. Il sembla néanmoins trouver l’expérience agréable, et se déclara satisfait.

- « Vous voulez que je fasse la même chose sur votre femme ? » lui proposa aussitôt Hélebrank, qui aurait bien aimé voir de visu la personne qui avait poussé pareil mugissement.
- « Oh non, surtout pas ! Elle ne souhaite voir personne. Elle est indisposée » répondit aussitôt le marchand, que cette idée semblait affoler.
- « Pourrait-on visiter la chambre de votre fille ? Pour les besoins de l’enquête ? » demanda finement Aloïs, espérant qu’en chemin ils auraient l’occasion d’apercevoir quelque chose à l’étage.
- « Oui, pourquoi pas ? Korenth Mauk m’avait demandé la même chose. Je suppose que cela fait partie de la procédure. »

Il commença par sonner Arsène, mais comme celui-ci ne venait pas, il proposa aux compagnons de les y conduire lui-même, demandant à ce qu’on lui prête main forte pour monter les escaliers. Aloïs lui donna le bras, et une fois passé les premiers moments de vertige, il parvint sans trop de mal à se déplacer.

Hélas, une fois arrivé sur le palier du premier étage, il se dirigea à l’opposé d’une porte entrouverte d’où provenaient d’écoeurants bruits de déglutition, et les compagnons ne purent satisfaire leur curiosité. Toutefois, comme il fermait la marche, Hélebrank n’eut aucun mal à laisser discrètement tomber son « caillou » sur l’épais tapis qui recouvrait le sol parqueté du couloir. Dès qu’ils furent hors de vue, le psicristal se dressa sur huit petites pattes faites d’énergie psionique bleutée et se faufila jusqu’à la porte de la chambre de maître, aussi silencieusement qu’une araignée.

La chambre de Lyza était princière, pour peu que l’on apprécie le style bonbonnière : lit à baldaquins de soie rose, fanfreluches de dentelle un peu partout, coiffeuse richement fournie en cosmétiques, garde-robe pleine à craquer, et tout de même une bibliothèque aux rayonnages bien chargés.

Les compagnons fouillèrent partout à la recherche d’un hypothétique journal intime qui aurait pu les éclairer sur les motivations et les agissements de la jeune disparue. Avec l’accord du maître des lieux, ils empruntèrent également l’une de ses brosses à cheveux afin de faciliter une future Scrutation. Puis Aloïs alla vérifier que les fenêtres ne portaient aucune trace d’effraction, tandis que Barnabé examinait de plus près les livres, constatant que parmi les romans à l’eau de rose se trouvait une quantité non négligeable d’ouvrages consacrés à la mythologie et au folklore suélois. Visiblement, Lyza s’était intéressée à ses racines. Si l’on en jugeait par l’usure des reliures, les recueils de contes avaient été ses lectures favorites. Ils en terminèrent par diverses détections magiques, qui ne produisirent aucun résultat concret.

Durant tout ce temps, Hélebrank avait semblé superviser les opérations sans rien faire. En fait, il était complètement absorbé par le récit que lui faisait télépathiquement son caillou. Dans la chambre de maître, une énorme femme affalée sur le lit se goinfrait à même les seaux que lui présentait le majordome, impassible, portant le ragoût à sa bouche à pleines poignées. La simple couverture dont elle était revêtue ne dissimulait que très partiellement ses formes grotesquement obèses, une cascade de replis graisseux croûtés de crasse. Elle devait bien peser entre deux et trois quintaux… Son visage bouffi était à peine reconnaissable, mais il s’agissait bien de Dame Danwick.

Owen ne tarda pas à se déclarer fatigué, et demanda à être reconduit au salon s’ils en avaient terminé. A nouveau, Aloïs lui donna le bras, et Hélebrank ferma la marche, récupérant au passage son caillou. Les compagnons prirent ensuite congé, non sans avoir indiqué au marchand où il pourrait les contacter au besoin.


Durant leur visite, les PJs ont bien identifié et retenu les deux éléments mis en avant :
1 - les Danwick n'étaient pas exactement ce que l'on appelle des parents aimants;
2 - ils sont tous deux en très, très sale état, un pied dans la tombe.

Hélas...

Note du MJ:
Le "1" ne les a pas empêché de parvenir à la conclusion que c'est le chagrin d'avoir perdu leur fille qui les a conduit au "2".

C'est bien connu, prendre deux cent kilos en l'espace de quelques mois est une réaction banale pour une mère dont la fille a fugué. Et il n'y a absolument rien de suspect à ce que la fatigue extrême du père, parfaitement naturelle, résiste aux soins magiques...

En réalité, les Danwick sont tous deux maudits jusqu'au trognon. Comme toute bonne victime d'une malédiction, ils attribuent l'origine de leur état pitoyable à autre chose (la perte de leur fille que pourtant ils connaissaient à peine), de la même façon que le possesseur d'une épée maudite lui trouve milles qualités et attribue ses échecs au combat à n'importe quel autre facteur. La plupart des domestiques ne s'y sont pas trompés, ont trouvé l'ambiance malsaine et ont mis les voiles.

Si le paladin s'était déplacé, il aurait peut-être détecté une ch'tite aura de Mal à l'oeuvre...


Lorsqu’ils revinrent au Relais, à la nuit tombée, Kalen et Khalil étaient enfin de retour. Une fois informé de ces nouveaux développements, Kalen proposa de lancer une Scrutation sur la jeune Lyza Danwick avec son beau miroir tout neuf. Tous montèrent donc dans sa chambre et firent cercle autour de lui tandis qu’il incantait, la brosse à cheveux à la main. Une heure plus tard, la surface du miroir scintilla puis se troubla, comme couverte de buée, avant de révéler une scène inattendue.

Lyza Danwick était assise dans un grand fauteuil à dossier de cuir, juste à côté d’un vilain brasero rouillé. Elle lisait tranquillement, une main posée sur son ventre proéminent ; manifestement, sa grossesse était très avancée. Aucun bruit n’était perceptible, hormis sa respiration et le bruit des pages tournées. Le sol était recouvert d’un tapis assez hideux, avec des motifs abstraits mauves et violets. Les lieux étaient éclairés par une lumière vacillante, sans doute émise par une lanterne ou une lampe à huile que l’on ne pouvait apercevoir, car située en dehors du champ de perception très limité du sort. Kalen put lire le titre du livre que lisait la jeune fille, « contes et légendes de l’Impérium suélois ». Les compagnons restèrent à la regarder lire les sept minutes que dura encore le sort.

Ils n’eurent ensuite que peu de temps pour commenter cette vision avant que l’on ne frappe à la porte de la chambre : l’une des servantes du Relais les informa d’une voix un peu chevrotante de ce qu’ils étaient demandés en bas par un inquisiteur…

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Effectivement, le Juge Godbert les attendait avec sa suite habituelle dans un petit salon attenant à la salle commune, déjà assis à une table. Il ne se leva pas à leur entrée, et commença à parler d’une voix lente, détachant bien ses mots comme pour bien se faire comprendre.

- « Bonsoir messieurs. Avant que nous ne commencions, j’aurais une petite question à poser… » Puis, pointant du doigt le hobniz : « Votre nom est bien Barnabé Bouillabise, n’est ce pas ? »
- « Oui, tout à fait » confirma l’intéressé.
- « Avez-vous tué Korenth Mauk, ou contribué d’une quelconque manière à sa disparition ? »
- « Ah, mais je peux vous assurer que non » répondit l’intéressé avec un calme admirable. « Puis-je savoir le pourquoi de cette question ? »
- « Oh, vous ne seriez pas le premier apprenti à trucider son maître pour faire main basse sur ses secrets » expliqua l’inquisiteur, parlant à nouveau normalement. « Or il se trouve que vous avez fui la ville quelques mois, ce qui peut être interprété de diverses façons. A votre retour, il vous aurait été facile de vous introduire discrètement chez votre maître pour faire disparaitre les traces de votre crime et mettre en scène la visite d’un mystérieux intrus détruisant ses dossiers. Il vous suffisait ensuite d’inventer et de raconter à vos compagnons cette histoire selon laquelle il s’était senti surveillé pour vous offrir à peu de frais toute une brochette de témoins. Après tout, nous n’avons que votre parole sur ce point. »
- « Je suppose que cela pourrait venir à l’esprit de quelqu’un de particulièrement soupçonneux… » admit Barnabé.
- « Merci, je fais de mon mieux. Avouez que le fait que vous ayez attendu aussi longtemps avant de vous mettre sérieusement à enquêter sur la disparition de votre maître pouvait légitimement sembler suspect. Il me fallait donc en avoir le cœur net. Maintenant que cette éventualité désagréable est écartée, je peux librement vous livrer le fruit de nos propres recherches. Car nous avons fait le travail, à commencer par une enquête de voisinage pour tenter d’estimer la date exacte de la disparition de Korenth Mauk. »
- « Ah, c’était donc cela le prêtre dans la poissonnerie… » s’écria cryptiquement Aloïs.
- « Ne faites pas attention à lui » coupa Barnabé, devant le regard interloqué du Juge. « Je suppose que vous avez fini par remonter jusqu’à la gouvernante, Marissa Mollette ? »
- « Tout à fait. Nous sommes passés la voir pas très longtemps après votre départ d’ailleurs. »
- « Je suppose qu’elle a du vous dire qu’elle avait croisé Korenth Mauk et s’était fait congédier ? Nous pensons que la personne qu’elle a rencontrée était en fait un imposteur » affirma Barnabé. « Jamais le vrai Korenth Mauk n’aurait agi de la sorte. »
- « C’est très possible. Cela pourrait avoir été un doppleganger, mais aussi toute autre personne capable de changer de forme. Comme un mage transmutateur, par exemple : soit dit en passant, encore un élément qui pouvait pointer dans votre direction » ajouta t’il en gratifiant le hobniz d’un sourire carnassier. « Quoi qu’il en soit, notre enquête de voisinage n’a rien donné de probant, et les quelques éléments de chronologie que nous aurions pu récolter n’auraient de toute façon eu que peu de valeur, avec un possible imposteur dans les parages. »
- « Donc vous n’avez rien trouvé ? »
- « Bien sûr que si, pourquoi croyez-vous que je me sois déplacé ? Nous avons aussi demandé au Guet si, à tout hasard, ils n’avaient pas ramassé un cadavre de demi-euroz non identifié sur la période qui nous intéresse, à compter du mois des Apprêts. Après tout, il n’y en a pas tant que cela en ville, et même si leur implication dans les homicides est bien supérieure à ce que leur population pourrait laisser supposer… Bref, nous avons eu de la chance, et un cadavre en particulier a retenu notre attention pour une raison que vous allez vite comprendre. »

Il s’interrompit un instant pour ménager son effet. Un ange moustachu et portant gourdin passa.

- « Donc, il se trouve qu’un demi-euroz a été retrouvé mort le matin du 2ème Jour de la Terre du mois des Apprêts dans une chambre d’une auberge de la Vieille Ville, à l’enseigne de la Main Gauche. Cette chambre avait été louée par un mercenaire humain du nom de Thuren Komak, se disant originaire du Fief du Poing de Pierre et à la recherche d’un emploi, honnête ou non. Vous voyez où je veux en venir ? »
- « Euh non, pas vraiment » admit Aloïs, exprimant le sentiment commun. « Pourtant, ce nom me dit vaguement quelque chose… »
- « Et si je vous dis que Thuren Komak est une anagramme exacte de Korenth Mauk ? »
- « Ah, d’accord… Donc Korenth Mauk loue la chambre sous un nom d’emprunt, s’y fait agresser par un demi-euroz, et… » commença Kalen, avant d’être réduit au silence sous le poids des regards navrés de ses compagnons. « Désolé, autant pour moi : j’avais oublié que Korenth Mauk est un demi-euroz. Considérez que je n’ai rien dit. C’est lui le cadavre, n’est-ce pas ? »
- « C’est ce que nous pensons » lui confirma le Juge. « Il est tué dans sa chambre et reprend sa forme normale. Au matin, il est découvert par l’aubergiste qui ne le reconnaît pas comme étant son client, et pour cause ! Le Guet conclut très rapidement que le dit client a du tuer un demi-euroz qui s’était introduit dans sa chambre, avant de prendre la fuite pour ne pas avoir d’ennuis avec les autorités : affaire close. Laissez-moi vous dire qu’ils n’ont guère fait d’efforts pour identifier ce qu’ils pensaient être un simple malfrat de plus : le cadavre a été incinéré, ses cendres dispersées dans la plus proche fosse commune. »
- « Peut-être que l’on pourrait demander à visiter sa chambre ? On y trouvera peut-être des indices » proposa Kalen.
- « A quoi bon ? Cela remonte à près de quatre mois, quand même » objecta aussitôt Barnabé.

Note du MJ:
Une réaction hélas typique chez lui...

- « Il y aussi une autre possibilité, que nous n’avons pu explorer faute de contacts dans ce milieu : l’auberge de la Main Gauche payait pour sa protection. Il y a peut-être des gens qui ont cherché à savoir ce qui s’était réellement passé, et d’où venait ce franc-tireur qui selon toutes apparences avait tenté de détrousser un client sans leur aval. »
- « Ah oui, la Guilde des Voleurs… »
- « Précisément : ils n’apprécient guère le braconnage sur leur territoire. Mais je vous laisse, il se fait tard » conclut le Juge en se levant. « Si vous avez besoin de l’aide de professionnels pour une enquête, n’hésitez pas. C’est un métier, vous savez. »


Dans le passage ci-dessus, les PJs obtiennent sur un plateau les infos qu'ils auraient pu obtenir eux-mêmes s'ils avaient un tant soit peu enquêté sur la disparition de Korenth.

Rien de trop compliqué, que du déjà vu mille fois dans les romans ou les séries policières : disparition -> enquête de voisinage + tournée des morgues. Cette sous-intrigue ne les a tout simplement pas intéressés, je suppose.

Il n'y avait aucune raison pour que les Saint Cuthbertiens, une fois informés, restent aussi les bras ballants, et aucune raison pour qu'ils ne partagent pas ensuite le résultat de leur enquête avec les PJs. Le prix à payer pour ces derniers est :
1) qu'ils n'ont pas eu la satisfaction de trouver eux-mêmes ;
2) qu'ils baissent encore d'un cran dans l'estime de l'inquisiteur, comme en témoigne son offre condescendante ;
3) et dans le cas de Barnabé, qu'il a eu la joie de figurer un court instant en tête de la liste des suspects.

Leur reste encore deux pistes à suivre, mais je ne me fais pas trop d'illusions. Le joueur du hobbit en a écarté une d'entrée, au motif suffisant qu'il était très possible qu'elle ne donne rien. Un enquêteur d'élite tel que lui ne consent à suivre que les pistes dont il connaît déjà le résultat... Bis repetita.


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LA DEMANDE DE RANÇON
(séance du 13 décembre 2013)

1er Jour des Dieux du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (matin)
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Le lendemain matin, Kalen proposa d’utiliser à nouveau son Œil de mage, cette fois en prenant pour cible le palais de Loris Raknian. En l’absence de toute autre proposition, la plupart de ses compagnons se joignirent au mouvement.

Barnabé fit exception, préférant se rendre seul à la Guilde des Mages. Il y demanda à s’inscrire comme membre et passa haut la main les épreuves d’admission, consistant à écrire lisiblement son nom sur un registre, à lancer le sort de son choix et surtout à verser rubis sur l’ongle les 100 orbes de cotisation annuelle. Une fois cette formalité accomplie, il entreprit de recopier dans son grimoire le sort de Frénésie qu’il lorgnait depuis longtemps, une tâche qui lui prendrait toute la matinée.

C’est donc sans lui que ses cinq camarades retournèrent s’attabler à la Taverne du Savant, ne voyant pas de raison de changer leur excellente et confortable tactique de la veille. Hélas, l’Œil de mage de Kalen devint aveugle peu de temps après avoir amorcé sa descente dans l’une des cheminées du palais. Une rapide vérification menée à l’aide d’une Détection de la Magie lui confirma que le bâtiment était protégé contre toutes formes de scrutations magiques. Un tel dispositif pouvait se comprendre, s’agissant à la fois de la résidence d’une personnalité et d’un pénitencier, mais le coût devait en être prohibitif.

Hélebrank proposa de prendre la relève avec son psicristal, baptisé du nom original de Caillou à cause de sa « voix » télépathique rocailleuse, et cette fois, son offre fut prise au sérieux. Il se leva donc pour aller faire une petite balade et, faisant mine d’avoir à soulager sa vessie, fit un détour qui lui permit de jeter discrètement son espion au pied des murs du palais. Il eut à peine le temps de revenir s’asseoir à l’intérieur de la taverne que Caillou l’informait de son arrivée sur le toit par le lien qu’ils partageaient, et recevait en retour l’instruction de descendre par l’une des cheminées.

- « Alors, ça y est ? Tu es arrivé en bas ? Qu’est-ce que tu vois ? » le questionna t’il quelques instants plus tard, n’y tenant plus.
- « Chut, patron. Ne me parlez pas quand je descends. J’ai besoin de me concentrer, ça glisse » lui fut-il répondu, confirmant par là même que la communication télépathique n’était pas bloquée.

A sa première tentative, Caillou déboucha dans une salle d’armes inoccupée. A la deuxième, il eut la chance de tomber sur le bureau de Loris Raknian ; celui-ci était présent, penché sur des registres comptables auxquels le pauvre psicristal ne comprit pas grand chose car ses connaissances en la matière étant strictement identiques à celles de son maître, c’est-à-dire nulles. Il explora ainsi successivement les six conduits de cheminée desservant le palais de Raknian, se riant des grilles destinées à en interdire l’accès à des intrus plus corpulents. Grâce à ses descriptions imagées, les compagnons obtinrent une assez bonne idée de la disposition des lieux.

Ils envisagèrent un instant de laisser Caillou à demeure dans le bureau de Loris Raknian pour épier ses activités, mais n’en virent pas vraiment l’utilité et finirent par lui demander de revenir. Le psicristal se laissa tomber dans un fourré depuis le toit, où Hélebrank n’eut plus qu’à le récupérer sur le chemin du retour.

Ne sachant plus trop à quelle piste il convenait de donner ensuite la priorité, les compagnons retombèrent dans le désoeuvrement, consacrant le reste de la matinée à jouer aux dominos dans la salle commune du Relais.

Note du MJ:
C'est le problème avec les sessions d'hiver : parfois les joueurs sont complètement à plat. Autant la fois précédente en novembre ils avaient bouillonné d'énergie, autant en décembre ils n'avaient pas assez d'énergie pour seulement ressortir leur liste de pistes à suivre, même quand je leur ai ouvertement suggéré de le faire. Et moi j'avais un rhume.

Vers midi, sans attendre le retour du hobniz, Kalen jeta un nouveau sort de Scrutation sur Lyza Danwick, dans l’espoir de la surprendre en plein repas et ainsi d’en apprendre un peu plus sur le lieu où elle se trouvait. Hélas, la jeune fille semblait dormir, ce qui dénotait des horaires assez peu conventionnels. La pièce étant plongé dans une complète obscurité, la seule information que Kalen put obtenir était qu’elle ne dormait pas seule, car deux respirations différentes étaient audibles, dont un ronflement assez peu féminin.

Par chance, Barnabé venait tout juste de revenir de la Guilde. Devant l’urgence de la situation, il consentit à abandonner un instant le plantureux déjeuner qu’il s’apprêtait à attaquer pour lancer à Kalen un sortilège de Vision nocturne avant l’expiration de son propre sort de Scrutation. Cela lui permit de voir que la source des ronflements était un homme barbu aux cheveux clairs. Toutefois, comme il dormait sur le ventre à côté de Lyza, il ne parvint pas à distinguer ses traits.

Note du MJ:
Du coup pour relancer un peu le jeu, j'ai bien voulu leur accorder l'arrivée miraculeuse du hobniz sur le coup de midi, alors qu’il était censé bosser quatre heures pleines à la Guilde des Mages et qu’il ne maîtrise pas encore la Téléportation. Mais en échange ils n'ont pas eu autant d'informations qu'ils l'auraient voulu. Donnant donnant…

L’après-midi fut tout aussi morne et inintéressante que la matinée, du moins pour quiconque n’est pas un mordu des dominos : seuls les mages parvinrent à s’arracher à la morosité ambiante le temps d’accomplir quelques menues actions.

Ainsi, Kalen se rendit à la Guilde des Mages pour s’enquérir du solde de son compte à la Bourse des Enchanteurs, désormais crédité d’un peu plus de 6.000 orbes. A son retour, Barnabé lui emprunta son grimoire le temps de recopier le sort de Projectile magique, puis sortit à son tour.

Il aurait pu prendre directement contact avec la Guilde des Voleurs pour avoir plus de renseignements sur les circonstances du meurtre de son maître Korenth Mauk, mais n’y tenait pas pour des raisons qui lui étaient personnelles. Heureusement, il disposait d’un intermédiaire sûr en la personne de son oncle Bartholomé.

Note du MJ:
Ne me demandez pas pourquoi il n'est pas allé lui-même poser des questions. Je n'en sais rien.

Ce parent, à la fois gloire et mouton noir de la famille, était un véritable aventurier et chasseur de trésors. Durant ses rares visites à Elmshire, ses incroyables récits de voyage avaient toujours fasciné le jeune Barnabé. C’était lui qui lui avait instillé l’idée de quitter son trou natal pour aller chercher fortune dans la grande Cité de Greyhawk, une fois adulte. C’était aussi lui qui lui avait permis de quitter la Guilde des Voleurs dans de bonnes conditions, lorsqu’il avait du interrompre son apprentissage deux ans auparavant. Il était pourtant doué, mais n’avait tout simplement pas la fibre d’un tire-laine : c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander si la personne qu’il s’apprêtait à détrousser n’avait pas plus grand besoin que lui de son or. Et c’était encore tonton Bartholomé qui lui avait trouvé une place de cuisinier chez une sorte de fouineur professionnel qui lui devait une faveur. C’est ainsi que Barnabé était entré au service de Korenth Mauk, puis était devenu son apprenti lorsque avait été découvert chez lui ce don particulier qui sépare les mages de la vulgate.

Barnabé visita donc divers estaminets du quartier de la Rivière où son oncle Bartholomé avait ses habitudes. Hélas, il ne l’y trouva pas et dut se contenter de lui laisser des messages le priant de reprendre contact avec lui dès son retour.


nuit tomba. La journée touchait à sa fin lorsqu’un messager en livrée noire et argent fit irruption dans la salle commune du Relais en agitant une cloche.

- « Message urgent pour Barnabé Bouillabiiiiiiiise ! Message urgent pour Bar… »
- « C’est moi ! » s’écria l’heureux destinataire en sautant sur la table pour plus de visibilité.

Le messager cessa aussitôt son vacarme. Il se rapprocha à grandes enjambées de la table des compagnons, se campa devant eux les mains jointes dans le dos, et commença à réciter.

- « Message de la part de Maître Owen Danwick. Je cite : ‘Urgent. Présentez-vous à mon domicile dès que possible, avec vos amis. Question de vie ou de mort’. Fin de citation. Je peux prendre une réponse, c’est déjà payé. »
- « Inutile. On y va tout de suite » trancha Mathieu.

Les compagnons rejoignirent au pas de course l’hôtel particulier des Danwick. Le majordome ouvrit grand la porte à leur approche, les conduisant de suite dans le petit salon où le maître de maison, visiblement sur les nerfs, faisait les cent pas. Manifestement, quoi qu’il se soit passé, c’était assez grave pour le galvaniser et l’arracher à son fauteuil.

- « Enfin, vous voilà ! Ca… ca…. catastrophe ! J’ai reçu cela » balbutia t’il en leur tendant une simple feuille de parchemin dépliée. Il tremblait tant que Mathieu eut du mal à s’en emparer.
- « C’est quoi ? » demanda ingénument Aloïs, tandis qu’Hélebrank gratifiait le marchand d’une nouvelle décharge d’Apaisement du corps pour essayer de le calmer.
- « Demande de rançon » résuma le paladin après avoir parcouru le document des yeux. Puis il en fit intégralement lecture :

Owen,
nous tenons ta Lyza. Sa vie sera épargnée si tu suis nos instructions sans jouer au plus malin.
Apporte 50.000 orbes en pierres précieuses à la Porte du Duc ce soir à minuit. Suis la route sur deux lieues jusqu’à la roue brisée, et trouve le chariot caché à l’orée des bois. Laisse les pierres sous le siège du cocher et retourne t’en.
Viens seul et ne dis rien à personne, où ta fille nous suppliera de la délivrer des cauchemars que nous lui ferons endurer. Suis nos règles et elle te sera rendue au matin.
Ceux de Minuit.

La lettre de rançon était écrite en lettres brunes, sans doute du sang séché : manifestement les ravisseurs avaient le sens du dramatique.

- « Impossible de réunir la somme » gémit le marchand. « Je veux dire, ma fortune est amplement suffisante, mais tout est dans des placements à long terme au temple de Zilchus, sous forme de marchandises, sur des bateaux… Il faut du temps pour liquider tout cela ! Si j’essayais de sortir 50.000 orbes aussi rapidement, avec les dédits, les pénalités, je serais ruiné… Toute une vie de travail, jetée aux orties ! Autant me trancher la gorge. »
- « Et donc ? Qu’est ce que vous voulez de nous ? »
- « Et bien, j’ai pu réunir assez de pierres de mauvaise qualité. Si on ne les regarde pas de trop près, elles feront illusion un temps. Mais j’ai besoin de personnes telles que vous pour suivre les c… co… »
- « Consignes ? » lui souffla gentiment Hélebrank.
- « Non. Pour suivre les c... couillons qui vont récupérer la rançon. Et essayer de récupérer ma fille, au passage. Cela vous intéresse ? »
- « Le hic, c’est qu’il y a peu de chances pour qu’elle soit entre leurs mains. Elle ne m’a pas donné pas l’impression d’être prisonnière » objecta Barnabé.
- « Oui, nous voulions justement vous en toucher un mot… » commença Kalen, réalisant qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’informer le marchand du résultat de leurs investigations magiques. « Je suis parvenu à observer votre fille grâce à un sort de Scrutation, et il semble qu’elle va bien, mais euh… comment vous dire cela ? Elle est, euh… »
- « Elle est en cloque, enceinte jusqu’aux dents » intervint Aloïs, que les précautions oratoires de Kalen semblaient amuser. « Elle va vous pondre un chiard, quoi. »

Note du MJ:
On voit là que l'alignement Chaotique Neutre que j'ai attribué à Aloïs lors de la conversion Hero-Pathfinder compte tenu de son comportement passé (notamment sa manie d'égorger les prisonniers "parce que c'est l'usage et que c'est plus pratique") lui va comme un gant : torturer émotionnellement un PNJ dont la fille a disparu ne lui pose aucun problème, du moment que c'est rigolo.

Le marchand fit aussitôt un malaise, et les compagnons durent interrompre leur conseil de guerre le temps pour Mathieu de le ranimer. Cette réaction spectaculaire fit la joie d’Aloïs, qui n’avait cure des regards noirs que lui lançait le paladin. Une fois assis dans son grand fauteuil, un grand verre de cognac fourni par Arsène à la main, Owen Danwick reprit un peu de couleurs.

- « Vous vous sentez mieux ? » lui demanda Kalen. « Parce que ce n’est pas tout : elle était en compagnie d’un homme aussi. Dans le même lit, en fait. »
- « Ceci explique cela » commenta Aloïs, mi-figue mi-raisin.
- « Il faut voir le bon côté des choses » intervint aussitôt Barnabé, craignant que le marchand ne leur claque à nouveau dans les doigts. « L’endroit où elle se trouvait ne ressemblait que peu à une geôle, et elle ne semblait pas en danger. Si vous voulez mon avis, cette demande de rançon est du pur bluff. Ces supposés ravisseurs ont juste entendu parler de sa disparition et essaient de vous faire croire qu’ils la détiennent. »
- « Mais en ce cas, pourquoi maintenant ? Si ma fille n’est pas entre leurs mains, pourquoi avoir attendu des mois avant de faire une fausse demande de rançon ? Sa disparition est connue, ils auraient pu faire cela bien plus tôt. »
- « Euh, bonne question… Peut-être qu’ils viennent juste de l’apprendre ? »
- « Ou alors, peut-être que c’est votre fille elle-même qui vous a adressé cette demande de rançon, parce qu’elle a besoin d’argent pour sa dot » suggéra malicieusement Aloïs.
- « Peu importe, cela ne modifie en rien ma proposition : 5.000 orbes pour vous si vous mettez la main sur ces fumiers, et tant mieux s’ils détiennent ma fille et que vous la récupérez au passage » confirma le marchand. « Ou l’équivalent en biens immobiliers, c’est vous qui voyez : j’ai justement mis en vente un bel immeuble dans le quartier. Si vous le voulez, il est à vous. »

Mathieu ayant coupé court à toute discussion sur la récompense, déclarant que cela pouvait attendre, les compagnons entreprirent de discuter de la façon dont ils allaient s’y prendre. Kalen, Aloïs et Khalil prônaient plutôt la manière forte, à savoir tendre une embuscade en règle aux ravisseurs lorsqu’ils viendraient chercher la rançon et les faire parler. Barnabé et Hélebrank étaient partisans d’une approche plus subtile, soutenant qu’il serait plus facile et plus sûr de les suivre jusqu’à leur repaire avant d’intervenir.

Mathieu, qui n’avait pas participé aux débats, se prononça finalement en faveur de la seconde option, qui après plus ample discussion finit par emporter l’adhésion de la majorité des compagnons. Une fois rallié, Kalen proposa de faire usage de ses pouvoirs de divination pour suivre les ravisseurs à bonne distance et examina quelques unes des pierres composant la rançon afin d’être en mesure plus tard d’utiliser sur elles un sort de Localisation d’objet.

Au final, les compagnons recommandèrent donc au marchand de suivre scrupuleusement les instructions des ravisseurs, l’assurant qu’à l’heure dite ils seraient à l’affût non loin du lieu du rendez-vous pour les repérer, les suivre et les appréhender une fois la rançon emportée. Puis ils prirent congé afin de se préparer.


Dès qu’ils furent hors de portée des oreilles du marchand, Barnabé fit remarquer qu’il était tout de même extrêmement louche que cette demande de rançon arrive juste le lendemain de leur première rencontre avec Owen Danwick. Selon lui, il ne fallait pas exclure l’hypothèse qu’il s’agisse encore d’un piège tendu par leurs mystérieux adversaires, avec ou sans la complicité du marchand. Il recommandait donc la plus grande prudence.

Note du MJ:
Cette petite remarque a de grands effets, en cela qu'elle a focalisé la réflexion des joueurs sur la protection de leurs propres postérieurs...

Les compagnons décidèrent d’arriver sur place au moins une heure avant le rendez-vous, ce qui avec le trajet leur laissait à peine plus d’une heure pour se préparer : tout juste assez de temps pour que Kalen se procure un parchemin de Localisation des objets à la Guilde des Mages, pour qu’Aloïs aille récupérer son arc laissé en dépôt à la Porte des Druides, et pour que Mathieu prévienne ses supérieurs de ses intentions tout en les priant de ne pas en informer de suite les autorités pour ne pas compromettre la sécurité de l’éventuelle otage.

A l’heure dite, ils se retrouvèrent donc devant la Porte du Duc pour entamer une longue promenade nocturne. La région vallonnée qui jouxtait la Cité de Greyhawk, communément appelée « collines du nord » par opposition aux plaines cultivées s’étendant plus au sud, n’avait rien de bien sauvage. Ses bois, lacs et combes étaient entretenus, régulièrement patrouillés, et servaient de lieu de promenade ou de réserve de chasse aux citadins les plus fortunés.

Toutefois, la nuit était noire, car Luna était nouvelle ; le fin croissant bleu de Célène ne suffisait pas à dissiper les ténèbres. Soucieux d’économiser son énergie magique, Barnabé n’accorda qu’à Aloïs un sort de Nyctalopie ; les compagnons se laissèrent donc guider à la queue-leu-leu, suivant la route qui serpentait dans les collines sous la faible lumière des étoiles.

Aloïs fut donc le seul à apercevoir devant eux le signal convenu, une roue de charrette brisée appuyée contre un arbre à l’orée d’un petit bois. Comme le chemin décrivait à cet endroit une large courbe pour longer le dit bois, situé en contrebas d’une colline, les compagnons n’en étaient plus éloignés que d’une cinquantaine de mètres lorsqu’il fit brusquement halte.

- « Stop ! Vous préférez vous cacher à gauche dans les herbes hautes de cette colline, ou bien à droite dans les bois ? » demanda t’il à ses compagnons, se sentant d’humeur consensuelle.
- « Pourquoi ? On est arrivés ? »
- « Ben oui, je suppose. Il y a une roue au bord de la route, là-bas devant nous » confirma Aloïs.
- « Mais enfin, il ne fallait pas s’arrêter comme ça. Si les ravisseurs surveillent la route, ils vont trouver cela suspect ! » protesta Hélebrank.
- « Flûte, tu as raison. Suivez-moi, tous à couvert ! » ordonna Aloïs, s’élançant vers les arbres à sa droite.

Une fois à l’abri, il réalisa que cette réaction risquait tout autant d’attirer l’attention d’un éventuel observateur et commença à faire demi-tour, provoquant une joyeuse bousculade car ses camarades n’y voyaient goutte dans les sous-bois.

Après quelques échanges animés à voix basse, les compagnons convinrent qu’en définitive il valait mieux qu’ils restent là où ils étaient : le mal était fait, et agir autrement risquait d’aggraver encore les choses. Gardant à l’esprit la mise en garde de Barnabé sur l’éventualité d’un piège, ils décidèrent de positionner le gros de la troupe à bonne distance de façon à minimiser les chances que la partie adverse ne les repère. Seuls les plus discrets d’entre eux, à savoir Aloïs et Barnabé, se risqueraient à approcher.

Leur raisonnement était qu’ils pourraient ainsi suivre discrètement les ravisseurs après qu’ils aient collecté la rançon ou, s’il s’agissait d’un piège, y échapper avec d’autant plus de facilité. Hélebrank proposa à Barnabé de lui prêter Caillou, ce qui permettrait aux deux groupes de rester en contact permanent.

Aloïs les mena donc une centaine de mètres plus loin dans les bois, avant de revenir seul reconnaître le terrain. Il n’eut aucune difficulté à trouver la charrette dont il avait été question dans la demande de rançon, effectivement située à deux pas de la route dans une petite clairière. Contrairement à ce que les compagnons avaient pu envisager, il était hors de question que les ravisseurs s’en servent pour prendre la fuite : lui manquait la roue brisée aperçue plus tôt. Il fit furtivement mais rapidement le tour des lieux sans apercevoir âme qui vive.

Il revint vers ses camarades pour leur faire part de ses découvertes et leur indiquer la direction approximative de la clairière, puis repartit en compagnie de Barnabé. Selon le plan établi, Aloïs alla se poster à l’orée du bois, de façon à pouvoir observer la route par laquelle Owen Danwick devait arriver. Barnabé préféra grimper dans un arbre à la bordure sud de la clairière, d’où il avait une vue imprenable sur la charrette où la rançon devait être déposée.

L’attente commença.


Une demi-heure avant minuit, Barnabé entendit plusieurs personnes en armure métallique arriver et se positionner au nord-est de la clairière, à une dizaine de mètres du chariot. Il en avisa Caillou à voix basse, qui retransmit l’information à qui de droit.

Un bon quart d’heure s’écoula encore avant qu’Aloïs n’entende les sabots d’un cheval s’approcher sur la route. Il aperçut bientôt le marchand et le vit arrêter sa monture à hauteur de la roue brisée, puis mettre pied à terre et l’attacher à un arbre. Il commença à se rapprocher aussi silencieusement que possible.

A peu près au même instant, Barnabé entendit un bruit suspect à l’est de la clairière, comme un chuchotement. Etait-il possible que les inconnus qu’il avait entendus plus tôt se soient déplacés à cet endroit sans qu’il s’en aperçoive ?

Owen Danwick sortit un sac de ses fontes de selle et se dirigea vers le chariot. Il venait de monter sur le marchepied pour déposer la rançon sous le siège du conducteur comme il en avait reçu l’instruction, lorsqu’un hurluberlu jaillit des fourrés à l’est de la clairière en poussant un cri de guerre, l’épée longue brandie. Il avait de longs cheveux noirs et portait une armure de cuir clouté, une cape noire, ainsi qu’une fine moustache.

Comme répondant à ce signal, l’on entendit au nord-est le bruit caractéristique produit par la détente de quatre arbalètes. Par miracle, malgré la courte distance et sa posture qui en faisait une cible idéale, seulement deux des projectiles frappèrent le marchand ; les deux autres allèrent se planter dans le flanc du chariot.

- « Patron ! C’est une embuscade ! Ils assassinent le vieux schnock ! » cria télépathiquement Caillou, sonnant le branle-bas de combat.

Les compagnons réalisèrent un peu tard que s’il s’agissait bien d’un piège, il ne leur était pas destiné… Avant cet instant, cette éventualité ne les avait pas effleurés le moins du monde, et par conséquent rien n’avait été prévu dans leurs plans pour la protection du marchand. Ils commencèrent à courir. Heureusement que les sous-bois étaient peu épais, et que Barnabé avait finalement consenti à tous les faire bénéficier d’une Nyctalopie : sinon ils auraient du se frayer un chemin à tâtons dans les broussailles.

Note du MJ:
Pire que cela en fait, puisqu'ils l'avaient dissuadé d'envoyer quelqu'un d'autre déposer la rançon à sa place, en insistant sur le fait qu'il devait respecter scrupuleusement les instructions des ravisseurs.

Leur plan d'attaque et la disposition des troupes étaient sinon très bien pensés, mais uniquement dans l'hypothèse où ils auraient eu à suivre les ravisseurs jusqu'à leur repaire. Ooops...

Le guerrier aux cheveux longs se rua vers Owen Danwick, déjà à terre, abattit sur lui l’épée longue qu’il tenait à deux mains... et le rata complètement, peut-être à cause de la pénombre. Le marchand se réfugia sous la charrette d’une roulade désespérée, appelant à l’aide de toutes ses forces. Mais c’en fut trop pour son organisme déjà affaibli : ajouté à ses blessures, cet effort soudain le fit sombrer dans l’inconscience.

Note technique:
Pour ne pas faire de transition trop brutale entre Hero et Pathfinder, nous avons adopté quelques règles "fait maison" : un système de points de sorts, et aussi une variante simplifiée du système des "vigor points/blood points" proposé dans Ultimate Combat.

En deux mots, nous calculons les points de vie comme normalement, puis appelons juste points de sang (PSg) les (2xCON, pour un gabarit moyen) premiers pv, et points de vigueur (PVg) tout ce qu'il y a au dessus. Les PSg sont plus difficilement récupérables (1 PSg / 1dX de PVg), et en dessous de la barre de 50% des PSg, toute action nécessite un fortitude save (DD10) pour ne pas tomber dans les pommes (comme prévu dans UCombat). Là, Owen vient de le rater.

Les quatre brigands qui lui avaient tiré dessus se levèrent et commencèrent à sortir des fourrés en dégainant bouclier et épée longue. Sous leurs capes également noires, ils étaient équipés de cottes de mailles.

Ce n’est qu’à cet instant que Barnabé commença à réagir, tant ce développement imprévu l’avait stupéfait. Il fit jaillir de sa main trois Projectiles magiques qui frappèrent de plein fouet le guerrier chevelu. Voila qui devrait détourner son attention du marchand…

En retour, une incantation s’éleva dans les buissons d’où le guerrier était sorti. Barnabé eut juste le temps de reconnaître la formule d’une Flèche acide de Melf avant d’en recevoir le produit en pleine poitrine. Ses vêtements et sa peau se mirent à fumer et à grésiller sous l’effet corrosif du sort, et il se mit à couvert du mieux qu’il put derrière le tronc de son arbre. C’était évident maintenant qu’il y repensait : pourquoi le guerrier aurait-il chuchoté s’il avait été seul ?

De son côté, Aloïs continua à se rapprocher et tira une première flèche, qui ripa sur le bouclier de l’un des quatre brigands. Celui-ci n’eut même pas l’air de s’en apercevoir.

Deux d’entre eux contournèrent le chariot pour mieux coincer le marchand. Ce faisant, ils présentèrent leur large dos à Aloïs qui se fit une joie d’honorer cette invitation tacite, foudroyant le premier de deux flèches (une dans chaque rein, pour la symétrie) et blessant le second d’une troisième, moins bien ajustée en raison de la plus grande distance.

- « Par ici ! » cria t’il à l’attention d’Owen, ne se souciant plus de ne pas dévoiler sa position. Comme la charrette était fortement inclinée vers lui avec sa roue manquante, il ne l’avait pas vu s’effondrer.
- « Archer dans les bois ! Gare ! » prévint le brigand blessé en se remettant à couvert.

Un premier renfort arriva déjà en la personne de Khalil qui, focalisant sa force intérieure comme on le lui avait appris au monastère, s’était mis à courir à une vitesse proprement surhumaine. Il déboula comme un carreau de baliste dans la clairière, non loin du guerrier chevelu.

- « Occupez-vous du marchand ! » aboya celui-ci à destination de ses sbires, avant de s’avancer sur le moine l’épée levée au dessus de la tête.

Khalil esquiva sans mal cette attaque maladroite et retourna à son adversaire une grêle de coups qui le laissa pantelant.

Pendant ce temps, abrité derrière le tronc de son arbre, le hobniz échangeait des tirs avec le mage adverse. Sa cape était ouverte sur son corps aussi maigre que dénudé, vêtu d’un pauvre pagne laissant apparaitre les tatouages spiralés qui le recouvraient intégralement, de la plante des pieds jusqu’au sommet de son crâne rasé. Parvenant à se concentrer malgré la brûlure persistante de l’acide, Barnabé expédia une volée de Projectiles magiques qui allèrent s’écraser sur le champ de force invisible d’un sort de Bouclier. En retour, son adversaire lui décocha une nouvelle Flèche acide qui défolia un peu plus la végétation environnante. Le hobniz évita également un carreau d’arbalète décoché par le troisième brigand, agenouillé devant le quatrième qui s’affairait sous le chariot.

Aloïs essaya bien de les atteindre de ses flèches pour couvrir la retraite du marchand, mais hélas la charrette faisait obstacle et il rata tous ses tirs.

Voyant que la situation commençait à tourner mal, le mage adverse décocha une troisième et dernière Flèche acide dans la direction approximative du hobniz avant de détaler à toutes jambes. Cette erreur tactique lui fut fatale : il ne put s’éloigner assez pour échapper au regard d’aigle de Barnabé, et de dos son Bouclier ne le protégeait plus. Il encaissa donc entre les omoplates trois Projectiles magiques qui l’envoyèrent rouler dans les fourrés.

Deux des brigands surgirent de leur abri derrière le chariot, et chargèrent Aloïs, essayant de le prendre en tenailles pour l’empêcher de faire usage de son arc. L’idée n’était pas mauvaise, mais fut mal exécutée et à un moment peu propice : Barnabé, qui n’avait plus à s’inquiéter du mage adverse, blessa grièvement l’un d’eux avec ses Projectiles magiques, et comme ils étaient ralentis par leurs cottes de mailles, Aloïs n’eut aucun mal à reculer devant eux puis à les foudroyer d’une volée de flèches.

Au même instant, Khalil fauchait les jambes de son adversaire, le précipitant au sol, avant de lui décocher un solide coup de genou dans les gencives lorsqu’il tenta de se relever. Enfin, il l’immobilisa d’une prise solide dans l’intention de le capturer vivant.

Mais presque aussitôt son prisonnier se mit à trembler violemment de tous ses membres, comme pris d’une crise d’épilepsie. Au vu de l’épaisse écume qui lui dégouttait de la bouche et de ses yeux révulsés, le moine comprit qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. Peu au fait du traitement des empoisonnements, il essaya à tout hasard de lui rincer la bouche à l’eau claire, mais son patient succomba au violent poison qu’il avait absorbé bien avant de périr noyé.

Hélebrank et Kalen, désormais assez proches pour apercevoir ce qui se passait dans la clairière, apportèrent leur contribution en éliminant le tout dernier brigand.

Les compagnons attendirent ensuite l’arrivée de Mathieu avant de faire le bilan de la situation. Ralenti par son harnois, il lui avait fallu presque une minute pour arriver à la clairière, bien plus que ce qu’avait duré le combat.

Le marchand était mort, si largement égorgé qu’il en était presque décapité. L’un des bandits avait eu tout le temps de l’achever sans être inquiété.

Du côté des compagnons, seul Barnabé avait été blessé, si légèrement qu’une petite prière de Mathieu suffit à y remédier. Le pauvre adversaire de Khalil n’avait pas réussi à lui porter le moindre coup, et aucun de ceux d’Aloïs n’était parvenu à l’approcher d’assez près.

Parmi les brigands, seul le mage tatoué était encore vivant. Khalil recommanda de vérifier qu’il n’avait rien dans la bouche, car il avait observé que son défunt prisonnier était mort sans y porter la main. On n’y trouva rien de suspect, hormis qu’il avait perdu l’une de ses molaires.

Une fois le mage ligoté et bâillonné, avec un bout de bois en travers de la bouche en guise de mors pour plus de sûreté, les compagnons commencèrent l’inspection de ses affaires personnelles. Une fiole vide, deux fioles pleines mais non magiques… Une bourse plate… Dans sa pochette à composantes, outre un scorpion vivant vite écrasé sous le talon, ils trouvèrent une petite capsule de cire emplie d’un liquide suspect, ayant tout juste la bonne taille pour se loger à l’emplacement de la molaire manquante. Mathieu confirma avec la détection appropriée qu’il s’agissait bien de poison. A quel genre de fanatiques avaient-ils affaire ?

Un rapide examen des possessions des autres brigands ramena quelques piécettes et une fiole contenant un liquide opaque de couleur marron, portant une magie de transmutation. Hélas, à la déception générale, ils n’avaient sur eux aucun plan, effet personnel ou document susceptible d’indiquer leur identité ou l’endroit d’où ils provenaient. Hélebrank récupéra au passage une arbalète et une vingtaine de carreaux.

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Les compagnons chargèrent leur prisonnier sur le dos du cheval d’Owen Danwick, juste à côté du cadavre décapité de son maître. La rançon rejoignit l’une des fontes de selle, faisant contrepoids à la tête du marchand qui occupait l’autre.

Puis ils entreprirent de remonter la piste des brigands, ce qui ne fut guère difficile pour un pisteur aussi expérimenté qu’Aloïs. Ils cheminèrent ainsi vers le nord au travers des collines pendant un peu moins d’une heure, jusqu’à ce que la piste semble disparaître au détour d’un chemin équestre dans les bois.

Aloïs ne fut pas long à s’apercevoir que ce qui semblait être un gros roncier très ordinaire n’était en fait q’un écran amovible, fait de ronces attachées à un discret cadre de branchages. Derrière, la piste des ravisseurs se poursuivait sur un petit sentier à peine tracé, avant de déboucher un demi-kilomètre plus loin dans un petit vallon encaissé entouré de bois. Là, au milieu d’une vaste clairière, se dressaient les ruines d’un très ancien fortin...

Sovereign Court

OK, j'ai finalement rattrapé le récit! C'est très intéressant! On est rendus loin de la campagne habituelle, maintenant, n'est-ce pas? Est-ce que tout ceci est tiré purement de ton imagination, ou si tu t'es inspiré d'aventures déjà écrites? La dame Danwick me rappelait un peu Mammy Graul dans The Hook Mountain Massacre. ;)

C'est dommage que la majorité des lecteurs sur ce babillard ne peuvent pas lire ton journal... Il manquent vraiment quelque chose!


Moonbeam wrote:

OK, j'ai finalement rattrapé le récit! C'est très intéressant! On est rendus loin de la campagne habituelle, maintenant, n'est-ce pas? Est-ce que tout ceci est tiré purement de ton imagination, ou si tu t'es inspiré d'aventures déjà écrites? La dame Danwick me rappelait un peu Mammy Graul dans The Hook Mountain Massacre. ;)

C'est dommage que la majorité des lecteurs sur ce babillard ne peuvent pas lire ton journal... Il manquent vraiment quelque chose!

Coucou.

En fait, ils sont sur une "sidequest" issue des fichiers du hobbit, toujours l'idée du grand bac à sable.

Détail rigolo : dans le planning des méchants, il était inscrit dès le départ que la demande de rançon se ferait ce jour-là (quinze jours après l'arrivée des héros en ville). Ce que je n'avais pas prévu c'est qu'ils attendraient la veille pour contacter le marchand et père de la jeune fille ! Du coup, c'est effectivement très louche, mais en l'occurrence c'est une VRAIE coincidence. Un peu plus et ils passaient complètement à côté.

J'ai forcé autant que possible le trait en roleplay : Owen bégayait tout le temps et s'est évanoui une ou deux fois, sa femme est devenue une baleine... Mais pour l'instant, ça n'a pas éveillé les soupçons des joueurs plus que ça. Pas grave, mais ils vont encore se donner des claques a posteriori quand ils vont réaliser qu'ils sont passés à coté de trucs évidents. Pouf pouf... :)

Il s'agit en fait du scénario "Cradle of evil", tiré du Dungeon 87. Il a le bon goût de se passer à Greyhawk et de ne nécessiter quasiment aucune adaptation, et il fait une très bonne introduction au module "Return to the Temple of Elemental Evil", si mes joueurs veulent en revenir à du donj' plus classique.


DANS LE REPAIRE DES BRIGANDS
(séance du 24 janvier 2014)

1er Jour de l’Eau du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (minuit passé)
_________________

Ils firent halte à l’orée du bois, prenant garde à ne pas se montrer. Droit devant eux, le chemin se poursuivait sur une vingtaine de mètres jusqu’à un pont de pierre enjambant des douves. De l’autre côté, de part et d’autre de deux tours carrées d’architecture typiquement œridienne dans un état de délabrement avancé, s’étendait un mur d’enceinte partiellement éboulé délimitant une petite cour intérieure. A l’origine, l’on devait y accéder par une grosse double porte encore visible entre les deux tours, dont l’un des battants était tombé au sol depuis belle lurette. Au-delà, l’on pouvait apercevoir au milieu de la cour un bâtiment bas au toit de tuiles en partie effondré, sans doute un ancien manoir fortifié.

Les abords n’étaient pas mieux entretenus que les bâtiments eux-mêmes, et les compagnons notèrent avec satisfaction qu’à certains endroits il était possible de s’approcher à une dizaine de mètres des douves sans même quitter l’abri des arbres. La végétation des sous bois était assez épaisse : il serait assez difficile de s’y déplacer silencieusement, mais en contrepartie elle leur procurerait un splendide couvert.

La proposition de Kalen d’utiliser à nouveau son sort d’Œil de mage pour reconnaître les lieux en toute discrétion fut accueillie avec l’enthousiasme qu’elle méritait. De l’avis général, cette méthode serait plus fiable et moins bruyante qu’un interrogatoire de leur prisonnier.

Les compagnons se retirèrent donc plus loin dans les bois, afin de ne pas risquer d’être entendus depuis le fortin. Kalen s’installa confortablement au pied d’un arbre pour lancer son sort. Un bon quart d’heure de concentration plus tard, il fit à ses compagnons une description détaillée des ruines et de ses habitants.

Il leur confirma tout d’abord que le mur d’enceinte était éboulé en de nombreux points du périmètre, leur offrant l’embarras du choix pour accéder à la cour intérieure.

Il passa ensuite rapidement sur les deux tours qui flanquaient l’entrée principale. Celle de droite paraissait intacte, mais sa charpente intérieure s’était en fait partiellement effondrée ; de ce fait, son rez-de-chaussée était encombré d’un entrelacs de poutres en équilibre instable. Celle de gauche, dont un pan entier s’était écroulé, était infestée de très grosses araignées.

Le plus intéressant se trouvait dans le bâtiment principal : il y avait vu six brigands équipés de même façon que ceux affrontés plus tôt, avec cottes de mailles, boucliers, épées longues et arbalètes, mais aussi un demi-euroz très singulier. Il avait en effet la double particularité d’être à la fois aussi chétif qu’un elfe et encore plus laid que la moyenne de sa race, avec des crocs mi-verdâtres mi-noirâtres, un teint blafard et des yeux jaunes et chassieux. Kalen précisa aussi qu’il portait autour du cou une étrange amulette de bois peint en forme de « T » écrasé ; sans outre était-il prêtre ou mage.

Au premier étage, il y avait également une sentinelle armée d’une arbalète qui surveillait les environs par les brèches du toit. Depuis ses quatre postes d’observation habilement camouflés par des écrans de lierres tressés, il disposait d’une visibilité tous azimuts.
Il leur décrivit également les deux autres tours situées à l’arrière de l’enceinte fortifiée, dont l’une à moitié effondrée abritait un nid de faucons gris, des écuries adossées au mur d’enceinte où étaient attachés une demi-douzaine de chevaux faméliques, un puits dans la cour, ainsi qu’une solide petite passerelle de bois franchissant les douves à l’arrière du complexe, manifestement installée de fraîche date. Il précisa enfin que les dites douves étaient certes pleines d’eau croupie, mais trop étroites pour constituer un véritable obstacle : deux à trois mètres de largeur, selon les endroits.

Forts de cette abondante moisson de renseignements, les compagnons commencèrent à discuter tranquillement d’un plan d’attaque.

Aloïs proposa de retourner à la charrette pour récupérer les affaires des brigands et ainsi pouvoir entrer en se faisant passer pour eux, mais personne ne lui prêta vraiment attention. Pour sa part, Hélebrank suggéra de faire diversion en se glissant dans les écuries pour libérer l’un des chevaux, partant du principe que cela contraindrait tout ou partie des brigands à sortir pour aller le récupérer.

Barnabé écarta ces idées du revers de la main, les trouvant trop complexes et trop aléatoires. Selon lui, la priorité était d’éliminer la sentinelle à l’étage afin de pouvoir approcher du bâtiment sans être vus. Il proposa donc d’envoyer un éclaireur se charger de cette besogne, ce qui lui paraissait beaucoup plus simple. Kalen lui apporta aussitôt son soutien, ajoutant qu’il était inconcevable de prendre le risque de traverser la cour sous le feu nourri d’un arbalétrier.

Le plan d’attaque retenu était relativement simple : Kalen lança une Armure de mage sur Khalil, puis les compagnons contournèrent le fortin par les bois pour rejoindre leurs positions de départ. Mathieu alla se poster juste en face de la passerelle de bois en attendant l’assaut ; Barnabé l’accompagnait, prêt à lui lancer au moment venu un sort de Course Effrénée altruiste pour améliorer sa vitesse de pointe. Les autres rejoignirent les douves en restant dans l’ombre de la tour aux faucons par rapport au manoir, sautèrent par dessus en faisant aussi peu de bruit que possible, puis se positionnèrent de part et d’autre d’une large brèche dans le mur d’enceinte.

Lorsque tout le monde fut prêt, Khalil franchit les éboulis sans faire le moindre bruit et alla se plaquer au mur du manoir, juste sous les étroites fenêtres du pignon. Il attendit quelques secondes, mais n’entendit aucun bruit ; apparemment, il n’avait pas été repéré.

Puis, faisant appel à toute sa concentration, il prit son élan et s’envola littéralement jusqu’à l’étage d’un bond prodigieux, atterrissant avec la légèreté du papillon butineur dans l’une des brèches du toit, un pied sur l’arête du mur extérieur, l’autre replié à hauteur du genou dans la position dite de la grue sagace. Son arrivée serait passée complètement inaperçue si à cet instant précis l’arbalétrier n’avait pas occupé celui de ses postes d’observation qui était situé juste devant lui…


Moine et brigand se regardèrent l’un l’autre avec des yeux ronds durant une poignée d’interminables secondes… Jusqu’à ce que le second presse la détente de son arbalète. Son carreau, décoché à bout portant, se serait enfoncé jusqu’aux quillons dans le ventre du moine si celui-ci n’avait pas pivoté juste à temps. Il en fut quitte pour une très vilaine estafilade.

- « Alerte ! On nous attaque ! » gueula la sentinelle avant de recevoir une première tournée de torgnoles de la part du moine, très vexé.

Il recula d’un pas tout en rechargeant son arme, et tira à nouveau. Mais cette fois il loupa sa cible, et en fut quitte pour une seconde volée de coups. Se sentant quelque peu surclassé au corps à corps, il prit ses jambes à son cou, se laissant tomber au rez-de-chaussée par une large ouverture dans le plancher. Khalil le suivit mais n’osa pas sauter sans regarder où il mettait les pieds.

De son côté, Mathieu s’était mis en branle dès les premiers cris, rejoignant et traversant la passerelle à grandes foulées magiquement accélérées. Il franchit les éboulis sans ralentir, ouvrit à la volée une porte de service à l’arrière du bâtiment, et déboula dans une vaste pièce en ruines. Deux des brigands surveillaient la cour par l’entrebâillement de la porte d’entrée, deux autres étaient en train de prendre position près des fenêtres donnant sur l’arrière, et les deux derniers restaient près du demi-euroz, qui était effectivement aussi laid que la description de Kalen l’avait laissé entendre.

Mathieu se jeta au beau milieu d’eux et, après avoir surmonté un incompréhensible scrupule à attaquer le demi-euroz (provoqué par le sort de Sanctuarisation que celui-ci venait juste de se lancer), prononça le mot de commande de son bouclier. Un éclair aveuglant emplit la pièce : à entendre les cris qui s’élevèrent aussitôt, nombre de ses adversaires n’avaient pas eu le réflexe de détourner les yeux.

Ce n’était toutefois pas le cas des deux brigands restés près du demi-euroz, qui s’avancèrent pour croiser le fer tandis que leur chef entonnait une prière dans une langue gutturale. Le paladin sentit monter en lui la sensation désormais familière d’un pouvoir de Paralysie, mais son esprit ne succomba point. Il repoussa tout aussi aisément les attaques de ses adversaires, et blessa l’un d’eux très grièvement en retour.

Les quatre autres compagnons commencèrent également à avancer, mais avec beaucoup plus de circonspection. Hélebrank fit un large détour par une autre brèche dans le mur d’enceinte, d’où il avait une meilleure vue sur la porte principale du bâtiment. Puis il franchit les éboulis pour aller se mettre à couvert derrière le puits, où Kalen qui avait déjà pris position. Tous deux se tinrent prêts à foudroyer de leurs sorts quiconque s’aventurerait en dehors du bâtiment.

Pour sa part, Barnabé n’alla pas plus loin que les éboulis du mur d’enceinte. Il se dissimula parmi les blocs de pierre pour surveiller les alentours, une main sur sa fronde, tout en pestant à mi-voix contre l’incapacité du moine à accomplir une tâche aussi évidente que d’éliminer sans bruit une sentinelle.

Aloïs courut jusqu’au mur pignon, et s’y adossa. Puis, se décalant d’un pas, il tira une première flèche sur le brigand le plus proche par une fenêtre, le blessant mortellement. Il ne put retenir un gloussement de joie mauvaise en s’apercevant que la plupart des adversaires du paladin étaient encore aveuglés. N’étant pas homme à laisser passer pareille occasion, il lâcha une volée de flèches qui en massacra deux autres. Aussi facile que de tirer sur des poules unijambistes dans une cage !

C’est alors que Khalil se laissa tomber du premier étage, juste derrière le demi-euroz. Mais il ignora celui-ci, préférant s’attaquer à l’arbalétrier qui, épée courte à la main, tentait de se dissimuler dans un petit recoin non loin de là. Le demi-euroz put donc librement prononcer une prière malfaisante et s’avancer sur Mathieu, tendant vers lui sa main droite nimbée d’une aura malsaine de lumière mauve aux éclats stroboscopiques… sans parvenir à seulement l’effleurer. Pourtant, avec son harnois, la capacité d’esquive du paladin était digne d’un éléphant arthritique.

Hélas pour lui, il n’eut pas le droit à une seconde tentative car à cet instant précis Hélebrank fit enfin irruption par la porte principale, faisant jaillir en rapide succession quatre projectiles incandescents de sa paume tendue. Deux des trois brigands encore valides s’écroulèrent, un trou fumant dans la poitrine. Le dernier ainsi que le demi-euroz ne survécurent à cet assaut que pour succomber aussitôt aux coups de hache de Mathieu.

Khalil n’eut plus qu’à terminer son duel avec le pauvre arbalétrier, l’étourdissant d’un coup asséné avec force et précision sur un point sensible afin de le prendre vivant. Mais c’était déjà trop tard pour cela : il avait eu le temps d’avaler sa capsule de poison.

Rejoints par Kalen et Barnabé maintenant que les lieux étaient sûrs, les compagnons entreprirent de vérifier l’état de santé de leurs adversaires (à l’exception d’Aloïs, qui préféra leur faire les poches). Il s’avéra que seul le demi-euroz n’avait pas encore succombé à ses blessures. Mathieu lui donna aussitôt les soins appropriés pour le maintenir en vie, arrachant son symbole et le jetant au loin. Ensuite, Khalil lui retira délicatement la capsule de cire qu’il avait en bouche, confisqua la dague à lame recourbée qu’il portait à la ceinture et le ligota.

Du coup, les compagnons se rappelèrent qu’ils avaient déjà un prisonnier sous leur garde, et qu’il convenait sans doute de le mettre à l’abri. Khalil se porta volontaire pour cette tâche et partit au pas de course en direction des bois où ils avaient laissé le cheval du marchand et sa cargaison. Il choisit le chemin le plus court, traversant la cour puis l’entrée principale entre les deux tours, où à son grand amusement il arracha au passage quantité de fils et de grelots qui y avaient été tendus en guise d’alarme. Son sourire fut vite effacé par l’explosion d’énergie nécromantique qui se déchaîna sur le pont dès qu’il y posa le pied… Serrant les dents, il continua à courir et attendit d’être à l’abri des arbres avant de faire appel à son ki pour se revitaliser : il avait sa fierté. Il ramena ensuite le cheval sans autres péripéties en empruntant le même chemin qu’à l’aller, et l’attacha dans la cour.

Pendant son absence, ses camarades fouillèrent le manoir à la recherche d’une trappe, supposant qu’il devait y avoir un sous-sol puisque la jeune fille enlevée semblait vivre dans le noir. Ils ne furent pas longs à remarquer que l’un des tas d’éboulis présentait la particularité de n’être composé que de gros morceaux de rocher, sans les pierres, gravillons ou poussières qui auraient du en combler les interstices. Autrement dit, ces rochers avaient été délibérément placés là pour dissimuler quelque chose…

En l’occurrence, il s’agissait d’une grande trappe en demi-lune aménagée dans le sol dallé, s’ouvrant sur un escalier en colimaçon entièrement fait de basalte noir, marches comme murs. L’effet produit était des plus inquiétants : l’on aurait dit qu’il menait droit aux enfers.


Pour mémoire, les gusses en face étaient de niveau 1 à 3, ce qui explique que les PJs (6 x niveau 7) leur soient passés dessus sans peine malgré une tactique pas tout à fait optimisée (arrivée très échelonnée, pas de soutien du tout du paladin qui a eu beaucoup de chance sur les jets de sauvegarde, deux mages qui n'ont quasiment rien fait, etc.).

C'est de la rencontre décorative, de l'échauffement : les choses sérieuses commencent plus bas.


Barnabé déclara l’escalier exempt de tout mécanisme suspect au terme d’un très attentif mais très prudent examen mené depuis la surface. Mathieu jeta ensuite un sort de Lumière sur son bouclier, Aloïs ressortit de son havresac sa Torche éternelle, et les compagnons furent fins prêts à descendre. Les marches étaient assez larges pour les laisser passer à deux de front. Mathieu et Khalil passèrent donc devant, suivis de près par Barnabé, lui-même talonné par Hélebrank et Kalen, Aloïs fermant le ban.

Ils n’étaient descendus que de quelques mètres lorsque Mathieu et Khalil sentirent l’une des marches s’enfoncer sous leurs pas avec un petit cliquètement. Aussitôt, une lame de faux sortit du plafond à leur droite, traversa l’escalier dans un mouvement pendulaire en heurtant au passage le solide heaume du paladin, avant de disparaître au plafond à leur gauche. Par chance, personne n’avait été blessé.

- « Pas de pièges, hein ? » commenta Mathieu en portant la main à son heaume pour le remettre droit.
- « Evidemment ! Vous voulez toujours aller trop vite. Comment pourrais-je faire mon travail correctement dans ces conditions ? » protesta Barnabé.

Le paladin lui fit signe de passer devant sans faire de commentaires. Très professionnel, le hobniz commença par marquer la marche piégée pour éviter tout accident. Faute de mieux, car il ne s’était toujours pas procurés les outils adéquats, il dut se contenter de répandre dessus les miettes d’un biscuit de route. Puis il s’attacha une corde de rappel autour de la taille avant de se lancer dans un examen méthodique de la cage d’escalier, progressant pas à pas à la recherche du moindre petit signe révélateur.

- « Vous ne pensez pas qu’on ne devrait pas rester aussi groupés ? » fit observer Hélebrank. « Je veux dire, ce n’est peut-être pas prudent s’il y a des pièges… »
- « Penses-tu ! Au moins, comme cela on se tient chaud » lui répondit le moine sur le ton de la plaisanterie, sans se douter à quel point cet échange était prémonitoire.

Note du MJ:
J'étais sur le point de prendre ma respiration pour décrire le déclenchement du piège lorsque cet échange a eu lieu. Peut-être le joueur d'Hélebrank a t'il vu un sourire sadique s'esquisser sur mes lèvres et senti le coup venir...

Une quinzaine de marches plus bas, une tornade d’air glacé charriant des grêlons acérés se déchaîna sur les premiers rangs des compagnons. Barnabé, Mathieu, Khalil et Kalen se jetèrent précipitamment en arrière pour lui échapper, avec plus ou moins de vivacité. Le phénomène se dissipa de lui-même au bout d’une vingtaine de secondes. Le paladin en fut quitte d’une Invocation d’énergie positive pour soigner les quelques engelures subies.

Après analyse magique, Kalen annonça que le déclenchement du piège était non seulement lié à la présence d’une créature dans la zone, mais aussi à celle d’une aura karmique bénéfique.

- « C’est bon alors, cela ne réagit qu’aux paladins ! » s’exclama aussitôt Khalil en franchissant la zone dangereuse d’un bond sans provoquer la moindre réaction.

Mais lorsque Barnabé voulut l’imiter, le piège se déclencha : son bon fonds l’avait encore perdu. Vif comme l’éclair, il put toutefois rejoindre le moine sans subir trop de dommages.

Chacun à leur tour, Kalen, Hélebrank et Aloïs franchirent l’obstacle sans coup férir. Mathieu ne savait pas trop s’il fallait qu’il s’en réjouisse ou qu’il s’en inquiète… Il put ensuite rejoindre le gros de la troupe grâce au sort de Saut dimensionnel mineur de Kalen.

Note du MJ:
C'est un sort adapté de D&D 3.5 qu'il avait dans son grimoire en système Hero, et que je lui ai donc permis de conserver en Pathfinder. En deux mots, il permet de téléporter un volontaire à courte portée.

En contrebas, les compagnons purent voir que l’escalier aboutissait à un petit palier fermé par de grandes portes de fer noir, hautes de trois mètres, sous lesquelles filtrait une lumière violette animée de pulsations. Le pourtour de la double porte était décoré de bas-reliefs aux motifs démoniaques ; en particulier, une multitude de visages aux traits déformés par la souffrance étaient sculptés sur son linteau. D’étranges symboles géométriques apparaissaient brièvement sur leurs fronts de pierre, trop rapidement pour être clairement distingués.
Plissant les yeux, Mathieu parvint néanmoins à en reconnaître un :

- « Tenez, vous avez vu là ? Le truc qui ressemble à un gros champignon anguleux ? C’est ce symbole que le demi-euroz portait autour du cou. »
- « Ah, c’était ça, son pendentif ? » s’étonna Khalil qui n’y avait prêté aucune attention lors de la fouille. « C’est que je le connais, ce signe : c’est celui de Tharizdûn. Un genre de dieu maléfique. »

Mathieu n’était pas familier du dit symbole et n’avait donc pas fait le rapprochement, mais ce nom lui était par contre bien connu comme celui d’une divinité de l’entropie si puissante et si destructrice qu’à l’aube de l’univers une large coalition de panthéons s’était liguée contre elle pour l’enfermer à tout jamais dans une prison inexpugnable. Mais ce bannissement ne l’avait pas privée de toute influence. Depuis lors, elle n’avait eu de cesse d’attirer à elle par des rêves corrupteurs les fous et les illuminés, les seuls chez qui son credo appelant à la destruction de la Création toute entière pouvait trouver un écho. A sa connaissance, elle n’avait été ouvertement adorée que durant les plus sombres périodes de décadence de l’antique Imperium Suélois, nation qui avait été l’ennemi héréditaire du Sultanat Baklunien et donc des ancêtres de Khalil. Il expliqua tout cela à ses compagnons.

Echaudé, Barnabé lança une Détection de la magie avant d’avancer plus loin. En dehors de l’aura mineure attendue sur le linteau de la porte, il découvrit ainsi qu’un Glyphe gardien majeur couvrait tout le palier inférieur, n’attendant que le passage d’une aura bénéfique pour déclencher un sort de Terreur. Informé de la chose, Aloïs salua en connaisseur la perversité de ce dispositif : toute personne affectée fuirait aveuglément vers la surface, tombant à nouveau victime des deux pièges précédents…

Kalen ayant annoncé qu’il allait utiliser un sort de Seconde vue pour voir ce qu’il y avait au-delà de la porte avant de prendre le risque de l’ouvrir, les compagnons s’installèrent aussi confortablement que possible dans l’espace exigu de l’escalier, sachant d’expérience que de très longues incantations allaient s’ensuivre.

Environ dix minutes plus tard, Kalen leur fit le compte-rendu de ce qu’il avait vu : une pièce en forme d’hexagone allongé, avec juste en face de la porte une grande arche de plein cintre entièrement occultée par un écran de lumière mauve tourbillonnante. Sur les côtés de la pièce étaient disposées six étranges statues, une dans chaque coin de l’hexagone, représentant des créatures vêtues de grandes robes aux collets montants. Leur silhouette était humaine mais elles étaient dépourvues de visages : leur tête était une masse lisse d’où n’émergeait que l’esquisse d’un nez et d’un menton. Leur posture était également étrange : avant-bras croisés sur la poitrine, mains touchant les épaules.

Générant devant lui un Ecran de force à tout hasard, Hélebrank ouvrit la porte d’une puissante impulsion de Force télékinétique. Les battants s’ouvrirent à la volée, laissant se déverser par l’ouverture un flot de lumière violette. Depuis l’escalier où ils se serraient, les compagnons pouvaient apercevoir juste en face l’arche dont leur avait parlé Kalen, ainsi que deux des étranges statues.

Une Détection de la magie lancée depuis l’escalier décela une unique aura dans la pièce, provenant de l’arche. Après examen, Kalen annonça qu’elle portait un effet continu de silence, ainsi qu’un autre de désintégration soumis à une condition visuelle. Il ne put toutefois déterminer quelle en était la nature exacte et si elle avait pour fonction de déclencher ou de suspendre la désintégration.

Sur la suggestion d’Hélebrank, Kalen lança une nouvelle Seconde vue afin de voir s’il y avait un espace derrière l’arche ou s’il ne s’agissait que d’un vaste attrape-nigaud. Ses compagnons s’assirent à nouveau, attendant patiemment qu’il émerge de sa transe.

Il confirma ainsi l’existence d’une seconde pièce hexagonale qui était l’image miroir de la première, avec toutefois deux différences. D’une part, au lieu d’une porte, il avait aperçu face à l’arche le sommet d’un escalier ; d’autre part, la posture des six statues était différente : leurs avant-bras étaient tendus droit devant elles, paumes en l’air, au lieu d’être croisés sur leur poitrine. Certains des compagnons supposèrent que cette différence pouvait être indicative d’une sorte de chorégraphie codée devant être exécutée pour franchir en toute sécurité l’arche désintégratrice, mais personne ne se porta volontaire pour mettre cette hypothèse à l’épreuve.

Kalen et Hélebrank retournèrent chercher deux cadavres de brigands à des fins d’expérimentation. Choqué par cette marque d’irrespect envers les morts, Mathieu suggéra de retourner en ville afin d’informer les autorités de la découverte d’un repaire de cultistes de Tharizdûn et de revenir avec des renforts, plutôt que de se frotter à un piège magique aussi puissant.

Ses compagnons repoussèrent d’emblée cette idée, au motif que les méchants n’attendraient probablement pas leur retour pour déguerpir. En outre, Hélebrank fit observer que l’arche pouvait n’être qu’un leurre : c’était certes la seule issue apparente, mais avant de s’avouer vaincus il lui semblait que la moindre des choses était d’au moins vérifier que la pièce n’en contenait pas d’autres, moins visibles.

Kalen lança donc (toujours depuis l’escalier) un sort de Détection des portes secrètes qui à sa grande joie révéla effectivement la présence de deux panneaux dissimulés, un dans chaque montant de l’arche. Certes, ces ouvertures étaient de très petite taille (cinq pieds de haut sur à peine deux de large) et situées à hauteur d’homme ; il faudrait donc sans doute que le paladin se dévête de son armure pour les franchir, mais cela valait assurément mieux que de risquer la désintégration.

Enhardis par ce premier succès, les compagnons osèrent enfin entrer dans la pièce. Kalen usa de deux nouveaux sorts de Saut dimensionnel pour faire entrer Barnabé et Mathieu sans déclencher le Glyphe gardien du palier puis, restant à bonne distance, donna aux hobniz les indications nécessaires pour faire jouer le mécanisme de l’une des portes.

Sovereign Court

Spoiler:
As-tu inventé ce donjon? Ça ne me dit rien...


Moonbeam wrote:
** spoiler omitted **

Coucou.

Comme dit plus haut (message du 10 février), c'est une "sidequest" issue des fichiers du hobbit, pas un des scénarii lié à Age of Worms.

"Cradle of Evil" tiré d'un Dungeon pour être plus exact. C'est donc normal qu'il ne te dise rien...

C'est juste une parenthèse sans aucun rapport avec la Mort Rampante, avec des méchants différents. Cela donne quelque chose à faire aux PJs qui sinon danseraient encore d'un pied sur l'autre en se demandant comment entrer dans les Arènes...


Hélas, au lieu du passage espéré, celle-ci s’ouvrit sur un placard dont les étagères portaient une demi-douzaine de robes noires soigneusement pliées. Kalen en prit une pour examen : elle était faite d’un tissu épais, avec des manches évasées et une très longue capuche pointue dissimulant les traits du porteur. Sur la poitrine était brodé au fil indigo le signe maudit de l’obex, la terrible pyramide à degrés inversée symbolisant l’inéluctable descente de l’univers dans l’entropie. Les compagnons vérifièrent à tout hasard l’autre porte, avec le même résultat : des robes sur des étagères.

Hélebrank projeta un premier cadavre de brigand au travers de l’arche. Celui-ci disparut dans un éclair vert, et une fine poussière retomba doucement au sol. Puis il vêtit le second cadavre de l’une des robes avant de lui faire franchir l’écran de lumière violette. Cette fois, il n’y eut pas le moindre éclair suspect. Kalen confirma grâce à une troisième Seconde vue que le paquet était bien arrivé à destination en un seul morceau : le port d’une robe de cultiste semblait bien être la clé.

Les compagnons revêtirent donc les robes avec plus ou moins de répugnance. En particulier, le paladin grogna, rechigna, mais finit par se laisser convaincre. Il eut toutefois beaucoup de mal à enfiler même la plus ample des robes par dessus son harnois : on dut l’aider.

Kalen franchit le premier l’arche de lumière. Une fois de l’autre côté, il comprit tout de suite l’utilité du sort de silence : une sourde mélopée sans rythme ni harmonie ponctuée de cris et de coups de tambours montait des profondeurs.

Plus inquiétant, il entendit le claquement d’une porte suivi d’une discussion animée toute proche, provenant du pied de l’escalier. Il se figea juste devant l’arche, au bord de la panique, cherchant un endroit pour se cacher.

Note du MJ:
En fait suite à un malentendu (il avait oublié que l'escaleir descendait) le joueur avait mal compris la situation et cru que des gens s’adressaient à lui. Pris de panique, il avait aussitôt baissé la tête sous sa capuche et marmonné en réponse des phrases incompréhensibles afin de faire couleur locale, au grand amusement de ses petits camarades.

Ce n’est que quelques secondes plus tard, alors qu’Hélebrank franchissait à son tour l’arche, qu’il réalisa enfin que les voix s’éloignaient et qu’il ne risquait donc aucunement d’être découvert.

- « Tu fais quoi là, au juste ? » lui demanda tout doucement le nouvel arrivant, car lui aussi entendait les voix.

Très embarrassé, Kalen ne répondit pas, faisant mine d’avoir lancé un sort et de se concentrer sur l’examen de la pièce. Le sol était couvert d’une sorte de mosaïque aux teintes noires et mauves, toute en volutes et tourbillons. Sur les murs, certains des moellons avaient été peints de couleurs criardes, apparemment au petit bonheur, avec une prédilection marquée pour des teintes de mauvais goût telles que le mauve, le puce, le jaune moutarde ou le vert bilieux. La voûte du plafond, également maçonné, était noire de fumée. Hélebrank n’insista pas et alla faire le guet en haut de l’escalier.

Khalil arriva à son tour et se dirigea aussitôt vers les statues pour les examiner de plus près, sans rien y trouver de suspect. Hormis la position des bras, elles étaient identiques aux précédentes.

Lorsque Barnabé fit ensuite son entrée, Kalen lui demanda de rechercher magiquement la présence de portes secrètes, expliquant qu’il souhaitait économiser ses ressources en mana, déjà bien trop entamées à son goût. Le hobniz refusa sa requête pour le même motif, mais consentit à lancer une Détection de la magie. Il s’aperçut alors que les six statues portaient toutes un piège magique sensible aux auras de Bien. Il s’en tint aussi éloigné que possible, et exhorta Mathieu à en faire de même.

Note du MJ:
Ben oui, à force de faire des divinations dans tous les sens, ils sont tous les deux presque à sec. A l'entrée du donjon. La seule arme lourde dont ils disposent encore, c'est Hélebrank, ses "batteries" étant encore presque intactes. Cela risque d'être saignant...

L’escalier descendait tout droit de quatre mètres jusqu’à un large couloir, à peine éclairé par une lueur sépulcrale diffusée par des sphères violettes fixées de loin en loin au plafond. Les compagnons n’étaient en rien gênés par cette pénombre grâce aux sorts de Nyctalopie dont ils bénéficiaient encore. Ils purent ainsi voir que le couloir faisait près de vingt mètres de long et était desservi par sept portes disposées de part et d’autre. Leur pourtour avait été sculpté à l’image de démons, leurs ailes membraneuses constituant les montants et leur gueule grimaçante la clé de voûte. Les battants étaient faits de chêne sombre renforcé de larges bandes de fer noir, avec une serrure au beau milieu, juste au dessus d’un gros anneau faisant office de poignée. Les chants étaient encore très assourdis, mais semblaient provenir de l’autre extrémité du couloir. Une forte odeur de moisi et de rance imprégnait les lieux. Il n’y avait personne en vue.

Les compagnons commencèrent leur exploration par une porte juste à leur droite, au pied de l’escalier. Elle s’ouvrit sans difficultés sur une vaste penderie garnie de vêtements d’extérieur : capes, surcots, bottes, etc.

Ils poursuivirent très logiquement leurs investigations par une double porte située juste en face, trouvant derrière un vaste réfectoire éclairé par trois torchères de fer noir fixées au mur, ainsi que par une sorte de candélabre biscornu posé sur une grande table au centre de la pièce, entourée de belles chaises en bois sculpté garnies de coussins de cuir violet. Elle était encore encombrée par les reliefs d’un récent repas. Une bonne odeur de rôti de porc et de champignons sautés flottait dans la pièce. Par contraste avec la lumière glacée du couloir, l’endroit semblait des plus accueillants.

Deux issues étaient visibles : une petite porte sur la gauche, et de grandes portes battantes juste en face. Les compagnons entrèrent mais restèrent groupés sur le seuil, attendant que Barnabé fasse un examen préliminaire des lieux.

Il était parvenu à mi chemin de la petite porte lorsque les portes battantes s’ouvrirent à la volée, faisant place à un ogre ventripotent vêtu d’un tablier de cuir. Un hachoir à viande de la taille d’une bardiche était passé à sa ceinture, et il portait à la main une roue de chariot pleine en guise de plateau.

- « Fini, le manger. Partir ! » grogna l’énorme cuistot en agitant en direction de la porte celle de ses grosses pattes velues qui était libre.
- « Flûte alors. En ce cas, si personne n’y voit d’inconvénients, je vais vous attendre dans le couloir » répondit aussitôt Kalen, tournant les talons.

Aucun autre des compagnons ne bougea. Sans se concerter, ils restèrent plantés devant l’ogre sans mot dire, attendant que Kalen se soit mis à l’abri avant de passer à l’attaque.

Muklang n’était pas ce qu’il est convenu d’appeler un esprit brillant, mais il commençait tout de même à trouver qu’il y avait quelque chose de louche chez ces paroissiens. Bien sûr, tous les humains étaient petits, mais il ne se souvenait pas d’en avoir déjà vu un aussi minuscule que celui au fond de la pièce, qui devait tenir à la main l’ourlet de sa robe pour marcher. Et il ne se souvenait pas non plus de cet autre là, juste devant lui, avec sa grosse hache et son joli bouclier tout brillant avec un éclair dessus. Il était si carré d’épaules que sa robe était tendue à craquer. Bizarre…

Lorsque l’humain corpulent marmonna quelque chose et que sa hache se mit à briller tout bleu, un déclic se fit soudain dans sa cervelle d’ogre, faisant écho à la porte qui se refermait derrière Kalen.

- « Vous pas amis Muklang ! » rugit t’il en laissant tomber son plateau et en portant la main à son hachoir.

Dans un seul mouvement fluide, il avança d’un pas et dégaina son gigantesque ustensile de cuisine, puis entreprit de débiter en escalopes Mathieu, Aloïs et même Khalil, qui bien qu’au second rang n’était pas à l’abri de sa considérable allonge.

Les compagnons répliquèrent aussitôt. Au double coup de hache de Mathieu, Aloïs ajouta un revers d’étoile du matin augmenté du sort de Paralysie qui y était contenu, personne n’ayant jugé utile de l’informer qu’il ne pouvait fonctionner sur l’esprit d’un géant. Depuis l’arrière, Hélebrank concentra son énergie psionique dans un puissant Rayon d’énergie incandescent qui frappa l’ogre en pleine poitrine, lui roussissant la couenne.

Celui-ci encaissa pourtant le tout sans broncher. Non seulement il tapait comme une brute, mais en plus il semblait insensible aux meilleurs coups des compagnons ! Voyant cela, Barnabé décida que l’heure n’était plus à l’économie et lança le plus puissant sort de son répertoire, une Frénésie. Les mouvements de ses amis en furent aussitôt accélérés.

Khalil sauta d’un bond sur la table pour contourner l’ogre, encaissant au passage un sévère coup de hachoir, puis retomba au sol de l’autre côté, les deux mains bien à plat sur le sol. L’une de ses jambes se détendit en direction des gros pieds de l’ogre dans un mouvement circulaire… parvenant contre toutes attentes à le faire choir malgré sa considérable masse corporelle.

L’ogre s’abattit au sol dans un fracas épouvantable. Lorsqu’il tenta de se relever, Mathieu lui planta sa hache entre les deux yeux jusqu’à la hampe : il loucha sur la lame, comprit qu’il était mort, et retomba lourdement en arrière.

Un concert de grognements, de grattements et d’aboiements s’éleva derrière la petite porte. A en juger par le vacarme, il devait y avoir une vraie meute derrière. Prudemment, les compagnons choisirent de la laisser en paix et d’aller plutôt visiter les cuisines.

Y régnait un désordre indescriptible. Le sol était jonché de tout un bric-à-brac, cuillères, pots, casseroles, et au moins un stère de bois de chauffe éparpillé. Dans la cheminée, une grosse marmite de soupe bouillonnait doucement sur le feu. Une grande table débordant d’épluchures était appuyée contre un mur. Au milieu de la pièce, une carcasse de chevreuil partiellement débitée était pendue à une corde passée dans un crochet au plafond. Une étrange odeur mêlant épices, bouillon de légumes et sueur rance flottait dans l’air.

La seule autre porte donnait sur une grande réserve, tout aussi encombrée. Les victuailles y avaient été entassées en équilibre instable, sans aucun souci de rangement ou d’accessibilité. Le sol était couvert d’une mince couche de farine, déversée par un sac rompu. Khalil se porta volontaire pour aller y rechercher des portes secrètes, déplaçant ça et là quelques caisses et tonneaux pour accéder aux murs. Il ne dut qu’à sa grande agilité de ne pas finir enseveli sous une avalanche de denrées plus ou moins comestibles.

Sovereign Court

OK, cool, j'avais oublié.


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LA CHUTE DU TEMPLE MAUDIT
(séance du 28 mars 2014)

1er Jour de l’Eau du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (très tard dans la nuit)
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L’inspection des cuisines n’alla pas plus loin. Mathieu et Barnabé décidèrent aussi de laisser tomber la robe, l’un parce qu’il avait horreur de ce genre de subterfuges, et l’autre parce que sa taille lui interdisait de toute façon de camper un cultiste de façon crédible.

Puis, tels la proverbiale caravane, les compagnons laissèrent les chiens aboyer et regagnèrent le couloir. Un très épisodique goût pour l’ordre et le travail bien fait dirigea leurs pas vers la plus proche issue, à savoir une double porte quelques mètres plus loin, que Barnabé soumit à un examen méthodique à la recherche de picots rétractables, cliquets surnuméraires ou autres mécanismes révélateurs de la présence d’un piège. Puis il laissa la place à Khalil, qui colla son oreille sur la serrure sans entendre de bruits suspects (autres que les chants impies provenant du fond du couloir, bien sûr).

Le moine tourna ensuite l’anneau de l’un des battants, qui s’ouvrit sur ce qui était manifestement une bibliothèque. Trois des murs étaient garnis de rayonnages chargés de livres anciens. Depuis les quatre coins de la pièce, autant de globes de verre dépoli projetaient une pâle lumière blanche. Ils étaient posés en hauteur, sur des piédestaux d’un goût douteux, ayant la forme de têtes humaines aux mâchoires horriblement distendues, comme si elles essayaient d’avaler le globe par le dessous.

Au centre de la pièce, un grand grimoire relié de cuir pourpre était ouvert sur une grande table devant une chaise confortable, à côté d’un verre à vin vide, d’un peigne à cheveux et d’un cinquième de ces globes lumineux grotesques.

Khalil entra dans la pièce, fit précautionneusement le tour de la table... et ressortit en fermant derrière lui la porte, expliquant qu’il n’y avait là rien d’intéressant et donc aucun motif de s’attarder. Bien sûr, Kalen ne l’entendit pas de cette oreille et demanda à au moins examiner le grimoire. Hélas, il ne connaissait pas la langue dans laquelle il était rédigé (du suélois, d’après Barnabé) et ni lui ni le hobniz n’étaient disposés à investir une bribe du peu d’énergie magique qui leur restait dans un sort de Compréhension des langues.

Ils laissèrent donc tomber le grimoire et se dirigèrent vers la porte suivante, celle-là à simple battant. Cette fois, après avoir laissé Barnabé opérer, Khalil ouvrit la porte en grand sans s’embarrasser de préliminaires.

Manque de chance, cette fois-ci il y avait un occupant… En l’occurrence, un homme obèse qui dormait dans un grabat juste en face de la porte, sans même avoir enlevé sa cotte de mailles. Se réveillant en sursaut, il renversa sur lui le contenu de la chope métallique qu’il tenait fermement d’une main, posée sur sa large poitrine.

Il était moins grotesquement boursouflé que Dame Danwick, mais son second quintal était bien entamé : le grabat ployait nettement sous la charge. Il portait aussi sur sa trogne un mépris évident pour les plus évidentes règles d’hygiène : son visage était constellé d’immondes pustules blanches qui tranchaient bien sur sa couperose. Sans surprise, il puait l’aisselle rance et la vinasse.

A son chevet, sur une petite table couverte d’une épaisse couche de gras, étaient posés une jolie masse d’armes ouvragée, une bouteille vide couchée, ainsi qu’un jambon mi-cuit largement entamé dans lequel une dague était plantée jusqu’aux quillons. Juste à côté, un grand bouclier de métal était accroché au mur.

- « Hein ? Quoi ? Nnoonn, j’n’dormais pas... Jeul’juuur… » protesta l’occupant des lieux avec cette diction pâteuse caractéristique d’un abus de boisson (autrement dit, il était bourré).

Mathieu fut le premier à réagir, écartant ses compagnons pour entrer dans la pièce. Il prononça le mot de commande de sa hache et se tint près au combat, laissant chevaleresquement le temps à son adversaire de basculer hors de son grabat et de récupérer son arme sur la table. Le dit adversaire n’était toutefois pas au mieux de sa forme : il vacillait sur place, continuant à bafouiller des paroles incohérentes ; manifestement, l’adrénaline ne parvenait que partiellement à compenser les effets d’une cuite monumentale.

Mathieu, Khalil et Aloïs engagèrent le combat, rejoints par Hélebrank une fois tous les compagnons entrés dans la pièce et la porte refermée. Kalen et Barnabé se contentèrent de compter les points. Bien que se battant à quatre contre un, le poivrot se montra étonnamment pugnace, vendant chèrement sa peau. Il parvint même à asséner un solide coup de masse sur le casque d’Aloïs, lui faisant voir trente-six chandelles. Mais dès que Khalil parvint à le faire choir au sol en lui fauchant les jambes, ce fut l’hallali : la suite tint plus de l’abattoir que du champ de bataille.

Tandis que Mathieu soignait la légère commotion d’Aloïs d’un coup de baguette magique, Hélebrank se porta volontaire pour fouiller le cadavre de leur adversaire, prenant garde à le toucher le moins possible quitte à faire levier avec son bâton pour le retourner. Outre la preuve manifeste que son sens déficient de l’hygiène affectait également la fréquence à laquelle il changeait ses liquettes, il trouva dans une petite bourse à sa ceinture une petite fiole de verre emplie d’un liquide rosé, légèrement phosphorescent. Kalen l’identifia comme une Potion de guérison des blessures légères sans lancer le moindre sort, rien qu’à sa robe et à son bouquet comme le lui avait appris Allustan. Personne ne se porta volontaire pour fouiller la literie : un seul coup d’œil au drap jauni de pus leur suffit.

Un petit couloir s’ouvrait dans la chambre, à droite en entrant. Au-delà d’une porte bardée de métal, fermée par une barre et cadenassée par une grosse chaîne, il aboutissait à une grande pièce faiblement éclairée d’où provenait une odeur chaude de fumée, d’huile lampante et de viande grillée.

Il devint évident au premier coup d’œil qu’il s’agissait d’une chambre de torture : divers présentoirs disposés le long des murs portaient tout l’attirail indispensable, pinces, lames, pointes et autres poucettes. Le principal élément de la pièce était toutefois une large fosse circulaire emplie de braises rougeoyantes, au dessus de laquelle était disposée une grande grille de fer forgé.

Cette grille était suspendue au plafond par un ensemble de chaînes qui remontaient vers un mécanisme horriblement complexe, composé de palans mobiles et de triples ou quadruples poulies suspendues au plafond, puis redescendaient pour s’accrocher à des anneaux scellés à hauteur d’homme dans les murs de la pièce. A vue de nez, cet ensemble sophistiqué devait avoir pour fonction de déplacer, incliner, monter ou descendre la grille pour le plus grand confort du bourreau (ou pour le plus grand désagrément de la victime, question de point de vue). Un demi-olve entièrement nu était attaché sur la grille par des sangles de cuir, allongé à plat ventre les bras et les jambes écartés. Sa face était si cramoisie et craquelée que les compagnons le crurent mort.

Juste à côté de la fosse, une chaise dont le dossier tendu de velours était croûté de pus séché semblait avoir été placée là afin de permettre au bourreau de profiter du spectacle.

Le demi-olve poussa un faible gémissement. Parant au plus pressé, Mathieu utilisa sur lui une charge de sa baguette de Guérison des blessures moyennes afin de le maintenir en vie. Khalil proposa de sauter sur la grille pour le libérer au plus vite, mais on l’en dissuada au motif que le poids supplémentaire risquerait de précipiter tout le dispositif dans la fosse.

Le moine se résigna donc à attendre que Barnabé et Hélebrank étudient le mécanisme, suivant du doigt telle ou telle chaîne dans l’entrelacs de poulies pour essayer de deviner l’effet que produirait une traction à tel ou tel endroit. Après quelques instants de réflexion, le hobniz libéra l’une des chaînes accrochées au mur et tira dessus d’un coup sec. Cela ne devait pas être la bonne, car la chaîne lui échappa aussitôt des mains, allant s’enrouler dans une poulie qui tournait à toute vitesse, comme prise de folie. Certaines autres chaînes se tendirent violemment, jusqu’à ce que l’une d’entre elles se libère de son attache avec un claquement, traversant la salle en diagonale comme un fouet, frappant le hobniz et l’entraînant avec elle ; heureusement, il parvint à s’en défaire juste avant de basculer dans les braises.

Tandis que Barnabé reprenait son examen, Aloïs alla prudemment rejoindre Kalen qui faisait le guet dans la chambre du bourreau, au prétexte d’aller y chercher la perche de trois mètres laissée avec son sac à dos. C’est donc en son absence qu’eut lieu la deuxième tentative, guère plus concluante que la première : l’un des coins de la grille chuta brusquement de trente centimètres, et un palan tomba du plafond, cabossant l’épaulière du paladin.

Ce n’est qu'à la troisième reprise que Barnabé trouva enfin la bonne combinaison de chaînes à manœuvrer pour faire pivoter la grille loin de la fosse et la poser au sol. Les compagnons purent alors défaire facilement les attaches retenant le demi-olve. Mathieu soigna à nouveau ses brûlures, extrêmement profondes. De toute évidence, le bourreau devait l’avoir oublié sur le feu ; sans l’intervention des compagnons, il aurait rapidement succombé.

Le demi-olve se présenta comme Conrad Arc-de-Chêne, un garde forestier employé par la Cité de Greyhawk pour surveiller et entretenir les Collines du Nord. Il expliqua avoir remarqué une présence dans les ruines du manoir, et avoir été capturé alors qu’il essayait de s’en approcher discrètement pour savoir s’il s’agissait de voyageurs égarés ou de brigands. Il allait sans dire que désormais il penchait nettement en faveur de la seconde alternative.

Il n’en savait pas plus, ayant été paralysé puis assommé avant de se reprendre conscience ici-même, déjà sur la grille. Il n’avait aucune idée de l’identité de ses geôliers, ni de ce qu’ils lui voulaient. Personne ne lui avait même posé la moindre question, se contentant de le faire rôtir sans raison évidente.

Les compagnons inspectèrent ensuite la cellule, dont la lourde porte bardée de fer était à la fois verrouillée et fermée par une barre de bois, elle-même maintenue en place par une lourde chaîne passée par des anneaux et cadenassée. Malgré ce luxe de précautions étonnant, ils ne trouvèrent à l’intérieur qu’un cadavre humain entièrement nu, dans les premiers stades de la putréfaction. A voir l’état de ses doigts, écorchés jusqu’à l’os à force de griffer la porte, on avait du l’abandonner là jusqu’à ce qu’il crève de faim et de soif.

Conrad aurait bien voulu retourner en ville donner l’alerte, mais les compagnons l’en dissuadèrent à cause des nombreuses chausse-trappes protégeant l’entrée. D’autant plus qu’il précisa à la demande de Mathieu être un adorateur d’Ehlonna, déesse bienveillante des animaux sauvages et de la chasse : son aura karmique risquait donc fort de déclencher les pièges magiques sensibles au Bien.

La proposition de Khalil de boucler Conrad dans la cellule « pour sa propre sécurité » fut également repoussée. Par défaut, les compagnons lui demandèrent donc de les accompagner, en lui recommandant de ne pas trop s’exposer compte tenu de son état. Mathieu l’aida à revêtir son armure de cuir cloutée, abandonnée en tas dans un coin de la pièce avec le reste de son équipement : épée longue, arc court et flèches, qu’il consentit à partager avec Aloïs.

Celui-ci troqua sa petite targe contre le grand écu de métal accroché au mur, que Kalen avait déclaré porteur d’un enchantement. Il en allait de même de la masse d’armes maniée par le bourreau, qui rejoignit la panoplie (désormais bien fournie) du paladin.


Puis les compagnons regagnèrent le couloir, passant à la porte suivante. Cette fois-ci, Khalil n’oublia pas d’écouter s’il y avait quelqu’un de l’autre côté. De bruit il n’y avait point, mais coller son oreille à l’un des battants lui permit de constater que celui-ci était étonnamment froid.

Derrière, s’étendait une vaste crypte faiblement illuminée par deux globes violets. Une volée de marches descendait devant eux vers une travée centrale recouverte d’une mosaïque de tessons pourpres. De part et d’autre, sur des linteaux surélevés, étaient disposées deux séries de cinq lourds sarcophages de pierre. Face à eux, un balcon accessible depuis deux escaliers surplombait la pièce. Un piédestal portant un étrange globe de ténèbres, de la taille d’une pastèque, y était érigé bien en évidence. A eux deux, Kalen et Mathieu purent déterminer que ce globe était magique, de même nature qu’un Mur de force, et qu’en émanait une forte aura maléfique.

Jugeant l’ambiance malsaine, les compagnons refermèrent la porte sans pousser plus loin leurs investigations. Ne leur restait plus que les deux doubles portes situées au bout du couloir à voir.

Comme un filet de lumière filtrait sous celle de droite, ils ouvrirent tout d’abord celle de gauche : elle donnait sur un escalier descendant vers un palier plongé dans le noir complet, sans même la faible lueur violette du couloir. A l’oreille, il leur sembla que les chants et autres hurlements qui constituaient l’ambiance sonore des lieux étaient plus forts dans cette direction.

Ils convinrent donc d’y revenir en tout dernier lieu, et de tenter d’abord leur chance du côté de l’autre double porte, celle donnant sur une pièce éclairée. En attendant, Hélebrank dépêcha son fidèle Caillou sur le palier en lui demandant de faire le guet, et de l’avertir si quelqu’un montait les escaliers.

La double porte de droite était verrouillée. Barnabé était encore en train de s’escrimer sur la serrure avec le vieux clou rouillé qui lui tenait lieu d’outil lorsque la voix télépathique de Caillou résonna sous le crâne d’Hélebrank.

- « Euh, Patron ? C’est moi, Caillou. Vous m’avez demandé de vous prévenir si quelqu’un venait, pour ne pas être surpris, tout ça. Mais est-ce que je dois vous avertir s’il y a déjà quelqu’un ? »
- « Hein ? Mais bien sûr ! Tu vois quoi ? » lui répondit le Psion par le même moyen.
- « Une fille. Plutôt jeune. Elle est en train de se changer, là. Parce que c’est une sorte de vestiaire, en bas des escaliers. »
- « Une jeune fille ? Elle est comment ? »
- « Euh, plutôt gironde ? Elle a une sacrée paire de… »
- « Mais non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! C’est la fille que nous cherchons, ou pas ? Rousse, les yeux violets ? »
- « Non, pas du tout. Celle-là c’était une vraie brune. J’ai bien vu, elle était en train d’enlever sa robe quand je suis arrivé. Et après elle en en a remis une autre toute pareille. Pas tout à fait la même que les vôtre : la capuche se rabat complètement sur le visage, avec deux trous pour les yeux, et il y a une spirale sur la poitrine, pas votre sorte de pyramide. Ah, maintenant elle a fini. Elle repart par une porte, juste en face. »
- « Très bien. Ne bouge pas et préviens moi s’il se passe quoi que ce soit. Je te rejoins dès que nous en aurons fini ici. »

Hélebrank rompit la communication et reporta son attention sur la porte, dont la serrure venait de céder aux sollicitations expertes du hobniz avec un dernier cliquètement. Elle s’ouvrit sans bruit sur un petit vestibule aux murs couverts de bas-reliefs représentant des actes innommables de dépravation commis sous le regard attentif d’une silhouette noircie dépourvue de visage.

Cette entrée sinistre contrastait fortement avec la chambre à coucher confortable, agréablement décorée, qui s’étendait au delà. Les compagnons reconnurent de suite certains éléments de mobilier familiers, comme le grand fauteuil à dossier de cuir où ils avaient vu Lyza lire, ou bien le somptueux lit à baldaquin où ils l’avaient vue dormir en bonne compagnie. Ils découvrirent par contre un splendide bureau de bois de sable, au grain si noir et lisse qu’il en reflétait la lumière, et une grande armoire faite du même bois orné de grandes ferrures de cuivre poli.

Une demi-douzaine de grands cierges noirs disposés dans des appliques métalliques fixées aux murs dispensaient une agréable lumière tamisée. Sur la gauche, une grande tapisserie de style baklunien couvrait tout un pan de mur de ses arabesques colorées. Une petite bibliothèque garnie de livres traitant de la mythologie suéloise faisait office de table de chevet. Un braséro de fer rouillé s’efforçait de dissiper l’humidité et le froid ambiant.

Dans un cabinet de toilette attenant, ils trouvèrent aussi une grande baignoire émaillée, une chaise percée et une petite console portant une vasque emplie d’eau parfumée de quelques feuilles de menthe fraîche. Quelques pots pourris stratégiquement disposés dispensaient une agréable senteur florale.

Barnabé s’attaqua de suite au bureau, sur les tiroirs duquel son clou tordu fit à nouveau merveille. Il y trouva de nombreuses monographies sur l’histoire antique suéloise, ainsi qu’une bien étrange lettre :

Elgoth,
Tes nouvelles m’emplissent de joie. Ainsi tu as trouvé ta moitié et conçu avec elle le prophète dont la venue était annoncée.
Une fois son âme liée par la statuette, viens me rejoindre avec l’enfant à Hommlet. Nous le remettrons ensemble au Temple de l’Absolue Consumation, où il sera de suite admis au sein de la Pointe Noire par la Triade.
Elle se chargera elle-même de son éducation. Il sera l’Emissaire du Dieu Sombre, le Héraut de l’Apocalypse.
La Fin est proche,
Maître Dunrat

Tout comme la grande majorité de la population du continent, les compagnons avaient entendu parler d’Hommlet, un petit village situé aux confins du Vicomté du Verbobonc qui avait eu l’insigne honneur de se retrouver à deux reprises placé à l’avant-garde du combat contre les forces du Temple du Mal Elémentaire, jusqu’à la destruction de ce dernier en 579 AC par une troupe de vaillants aventuriers. Ne voyant pas trop quel pouvait être le rapport entre cette affaire et la Mort Rampante, les compagnons se promirent d’en aviser le temple de St Cuthbert, qui se trouvait être la principale religion du Vicomté.

De son côté, Aloïs jeta rapidement un œil derrière la tapisserie, sans rien voir d’autre qu’un mur nu, tandis qu’Hélebrank se chargeait de l’armoire, garnie d’un vaste assortiment de vêtements allant des habits de voyage aux tenues de cour princières, pour les deux sexes. La fouille du lit n’aboutit qu’à la découverte d’un vieil ours en peluche dissimulé sous un oreiller.

Kalen et Barnabé se concertèrent rapidement sur l’opportunité de lancer une Détection des portes secrètes, parvenant ensemble à la conclusion que cela ne serait guère raisonnable compte tenu de l’état de leurs réserves de manne. Personne n’envisagea un seul instant de faire une recherche à l’ancienne, à l’œil nu. Les compagnons ressortirent donc de la chambre sans trouver ni le passage menant à la chambre forte où reposait le trésor de guerre du prêtre, ni celui menant directement au temple.

Ils ouvrirent donc à nouveau la double porte de gauche et s’engagèrent sur les marches. Aussitôt, Hélebrank reçut une communication télépathique de son psi-cristal :

- « Patron ? C’est encore moi, Caillou. Comme demandé, je vous préviens qu’il se passe quelque chose : là, vous êtes en train de descendre l’escalier. Je vous vois. »

Hélebrank poussa un soupir sans se donner la peine de répondre. Il avait implanté dans Caillou son opiniâtreté naturelle, qui par résonance avec son propre esprit lui procurait une capacité de concentration décuplée. Mais en contrepartie, son psi-cristal se montrait singulièrement littéral dans l’interprétation de ses instructions, et carrément fanatique dans leur exécution. Il se contenta de tendre la main, et Caillou s’y laissa tomber depuis le mur où il s’était efforcé de passer pour une incrustation décorative.


La pièce au bas des marches contenait bien de très nombreuses robes à cagoule pointue pendues à des patères. Ceux des compagnons qui voulaient se faire passer pour des cultistes se changèrent donc.

Ils convinrent ensuite d’un plan d’attaque très simple : Mathieu resterait au vestiaire avec Conrad, trop gravement blessé pour participer au combat, tandis que les autres poursuivraient revêtus de robes. Les compagnons espéraient qu’ainsi déguisé, Hélebrank pourrait aller au beau milieu du temple sans être arrêté et tuer d’un seul coup tous ses occupants avec l’une de ses fameuses Eruptions d’énergie. Courageusement, bien que se plaignant amèrement de ne plus avoir assez d’énergie magique pour être d’une quelconque utilité dans un combat, Kalen insista pour se joindre au groupe destiné à s’infiltrer dans le temple au lieu de rester en arrière.

Mais avant de passer à l’action, il fallut d’abord déployer des trésors de persuasion pour convaincre Aloïs qu’il ne pouvait raisonnablement espérer se faire passer pour un cultiste lambda s’il persistait à emporter son tout nouveau bouclier.

Node du MJ:
Un autre moment d’anthologie : c’est en fait un peu plus tard durant le combat qu’il est apparu qu’Aloïs entendait être entré dans le temple en tenant à la main le grand écu magique récupéré chez le bourreau, tout prêt à servir. Il fallut expliquer qu’en aucun cas il n’aurait pu entrer avec ça sans provoquer une réaction immédiate des gardes. Je veux bien que dans la pénombre ils ne remarquent pas les armures et les armes sous les robes, mais faut pas pousser, eh !

Une fois ce détail réglé et le matériel superflu laissé au vestiaire avec le paladin, les compagnons ouvrirent les portes. Derrière s’étendait un vestibule enténébré, du moins pour quiconque n’était pas sous l’effet d’une Nyctalopie. Sur la gauche deux portes fermées ; sur la droite, une vaste ouverture donnant sur le temple à proprement parler, où la cérémonie battait son plein.

Le groupe d’infiltration pénétra dans le vestibule, la cagoule bien tirée sur la tête, et s’approcha du temple. Il était suivi de près par Barnabé, tapi silencieusement dans l’ombre.

C’était jour de grande affluence dans la nef : un peu moins de quarante cultistes encagoulés occupaient les bancs, disposés en deux travées de cinq de chaque côté d’une allée centrale, chantant et criant à pleins poumons. Douze gardes lourdement armés et vêtus de cottes de mailles étaient également présents : deux groupes de trois de part et d’autre de l’entrée, et six autres répartis le long des murs latéraux.

Au fond de la salle, quelques marches permettaient d’accéder à un dais en demi-cercle sur lequel était érigé un autel massif en pierre noire. Une jeune fille aux cheveux roux vêtue d’une longue aube blanche, sans doute Lyza Danwick, y était allongée les genoux relevés et écartés. A entendre ses cris de douleur et à voir son visage baigné de sueur, il était évident qu’elle était en plein accouchement. Un cultiste faisait office de sage-femme.

Juste derrière l’autel, un prêtre portant un curieux demi-heaume hérissé de pointes laissant voir une barbe rousse dirigeait la congrégation, gueulant plus fort que tout le monde. Le mur du fond était recouvert du sol au plafond par une tapisserie sombre où l’on devinait à peine la forme d’un visage immense dépourvu de traits, semblant toiser l’assemblée.

Les lieux étaient baignés d’une aura maléfique encore plus dense que dans le reste du complexe, presque palpable. Une pénombre presque complète y régnait, que ne dissipaient que les braises rougeoyantes emplissant les braseros disposés dans des alcôves peu profondes le long des murs et sur le dais. Sans leur Nyctalopie, les compagnons auraient été presque aveugles.

Ce devait être plus ou moins le cas pour les gardes, car l’un d’eux s’avança vers les compagnons, les prenant visiblement pour des cultistes ordinaires.

- « Ne restez pas plantés là ! Il y a encore de la place, au fond » leur chuchota t’il en désignant la dernière rangée de bancs.

Les compagnons entrèrent donc sans plus se faire prier (Barnabé, que le garde n’avait pas remarqué, resta bien sûr dissimulé dans le vestibule). Kalen, Aloïs et Khalil prirent place à droite, tandis que Hélebrank se dirigeait vers la gauche. Ils firent ensuite semblant de hurler et de chanter pour ne pas attirer l’attention de leurs voisins, attendant que se présente le moment propice pour passer à l’attaque.

Quelques instants et une dernière poussée plus tard, les pleurs d’un nouveau-né se joignirent aux glapissements hystériques des cultistes, qui redoublèrent d’intensité. La pseudo sage-femme posa l’enfant sur la poitrine de sa mère, qui s’en saisit machinalement, complètement épuisée.

- « Ïa, ïa, Tharizdûn ftaghn ! » hurla le prêtre d’une voix éraillée, avant de s’emparer d’une hideuse statuette de pierre noire représentant un monstre bicéphale au corps difforme.

Ses deux cous serpentins enlacés se terminaient par deux têtes dentues semblant se disputer une grosse pierre violette, peut-être une améthyste. Il appliqua cette statuette sur le bébé, qui poussa aussitôt un cri inhumain, impassiblement aigu, que n’interrompait aucune respiration.

Barnabé estima que c’en était trop. Il prit sur lui de déclencher les hostilités et lança l’un des petits globes détachés de son Collier de boules de feu au beau milieu des travées, sur la droite de la salle. L’explosion de flammes qui s’ensuivit engloba trois gardes et une quinzaine de cultistes : aucun de ceux-ci n’en réchappa, mais deux des gardes survécurent à leurs brûlures.

Hélebrank imita aussitôt cet exemple, faisant quelques pas comme pour s’éloigner de l’explosion jusqu’à atteindre ce qu’il estimait être le point optimal pour déclencher son Eruption d’Energie. Une sphère de flammes deux fois plus grosse que la précédente jaillit autour de lui, calcinant instantanément gardes et cultistes dans sa moitié de la salle. De fait, elle était si grosse que Kalen en eut aussi le poil roussi et qu’Aloïs ne dut son salut qu’à un plongeon désespéré. Difficile de distinguer entre amis et ennemis dans cette foule…

Le psion réalisa ensuite (mais un peu tard) qu’il aurait peut-être dû se laisser tomber au sol comme ses voisins. Là, debout au milieu d’un vaste cercle de cadavres plus ou moins carbonisés, le moins que l’on puisse dire était qu’il attirait l’attention. Un des gardes l’aperçut et entreprit de traverser la salle pour lui régler son compte.

De fait, après ces deux déflagrations, ne restaient debout dans la salle qu’Hélebrank et un petit groupe de quatre personnes portant des robes de cultistes (dont trois étaient en fait ses compagnons), ainsi que cinq des six gardes initialement positionnés sur la droite.

Ne pouvant facilement reconnaître les amis des ennemis, les gardes optèrent pour une solution pragmatique : tuer tout ce qui portait cagoule, et laisser Tharizdûn reconnaître ensuite les siens.

Les quatre autres gardes s’attaquèrent ainsi à Aloïs et Kalen, au seul motif que leur survie miraculeuse semblait suspecte, ainsi qu’à Khalil, juste parce qu’il était sur leur chemin et faisait partie du groupe des retardataires arrivés juste avant que les choses ne dégénèrent.

Complètement pris au dépourvu, Kalen fut assez grièvement blessé. Il s’était attendu à bénéficier plus longtemps d’un confortable anonymat. Pris de panique, il lança aussitôt un Saut dimensionnel qui le déposa trois mètres plus loin dans une pluie d’étincelles.

Fort heureusement pour lui, le garde qui l’attaquait était trop occupé à passer son épée au travers du corps du dernier véritable cultiste (qui tentait lui aussi de s’enfuir) pour profiter du bref instant où sa concentration lui avait fait baisser sa garde. Il réalisa aussitôt qu’il aurait été sans doute mieux inspiré de faire le chemin à pied, mais comme toujours son premier réflexe avait été de recourir à ses pouvoirs. Il changea de méthode et courut vers l’entrée du temple, s’efforçant de mettre autant de distance que possible entre lui et les spadassins.

Toujours abrité derrière l’un des piliers de l’entrée, Barnabé estima que ses camarades étaient à même de venir à bout du menu fretin, surtout avec l’aide prochaine du paladin dont la bruyante approche était déjà audible. Il lança donc trois Projectiles magiques sur le prêtre dans l’espoir d’interrompre la cérémonie.

Celui-ci accusa le coup, puis sans cesser de maintenir la statuette fermement appliquée sur le nouveau-né hurlant, pointa le doigt vers la salle.

- « Gardien ! Tue les infidèles ! » aboya t’il, avant de prononcer précipitamment une incantation de protection.

Une hideuse créature mort-vivante s’éleva aussitôt derrière l’autel, flottant rapidement dans les airs vers les compagnons, ses jambes mortes pendant sous elle, inertes. Elle avait l’apparence d’un cadavre horriblement enflé et putréfié, entouré d’une aura d’étranges flammes blanches ne projetant aucune chaleur. Elle était aussi presque démembrée, seuls quelques rares lambeaux de chair et ligaments distendus reliant encore sa tête et ses membres à son torse.

Hélebrank envisagea un instant d’arracher le bébé des bras de sa mère grâce à une puissante impulsion télékinétique, mais y renonça de peur de ne pouvoir lui garantir un atterrissage en douceur. Il opta donc pour une approche plus directe : sept carreaux d’arbalète flottèrent hors des carquois qu’il portait à la ceinture et jaillirent en un essaim mortel en direction du prêtre. Il résista sans peine à un soudain désir de détourner son tir, et quatre de ses carreaux atteignirent leur cible malgré le miracle de Sanctuarisation dont celle-ci venait tout juste de s’entourer. Puis il tourna les talons et déguerpit en direction de l’entrée pour échapper au garde lui venant sus, qui bien que ralenti par les travées encombrées de cadavres commençait à se rapprocher dangereusement.

Khalil estima qu’en puisant dans ses toutes dernières ressources pour accroître sa vitesse, il pourrait tout juste atteindre le prêtre avant qu’il n’ait le temps de réagir. Toutefois, il présuma trop de ses capacités acrobatiques : au cours de sa course zigzagante au milieu des gardes, il dut encaisser plusieurs coups qui le laissèrent au bord de l’évanouissement. Celui lui aurait peu importé si en retour il avait pu neutraliser le lanceur de sorts ennemi… Mais hélas, celui-ci esquiva sans peine son attaque précipitée.

- « Gardien ! A moi ! Protège le Héraut ! » s’écria le prêtre, rappelant à lui le mort-vivant.

Celui-ci pivota sur lui-même, refit en sens inverse le même trajet, et abattit une main griffue nimbée de feu blanc sur le moine, qui s’affaissa au sol comme une marionnette dont on a coupé les fils, à l’article de la mort.

Mathieu chargea vers l’autel le long de l’allée centrale, croisant Kalen qui venait en sens inverse. Le prêtre commença de nouveau à incanter, dans l’intention de l’anéantir le paladin avant qu’il ne puisse l’atteindre. Mais Barnabé, qui n’attendait que cela, lui décocha trois autres Projectiles magiques qui lui firent perdre le fil de sa prière.

Laissé seul au milieu de quatre ennemis, Aloïs sortit son étoile du matin de sous ses robes et défendit chèrement sa peau, rendant coup pour coup. Hélebrank ne tarda pas à venir à son secours, terrassant d’un coup ses quatre adversaires avec autant de Projectiles d’énergie enflammés. Aloïs lui rendit aussitôt la politesse en interceptant le garde qui lui courait après, lui fracassant le crâne.

Kalen fit halte au niveau des portes, non loin du hobniz, et vida cul-sec l’une des nombreuses potions de soin que les compagnons gardaient en réserve. Ensuite, suivant son exemple, il fit grêler quatre Projectiles magiques supplémentaires sur le prêtre maléfique.

- « Aaaarggh ! Soyez maudits ! » hurla celui-ci en s’écroulant au sol. Il entraîna dans sa chute la statuette, qui se brisa sur le bord de l’autel.

Une vague de noirceur glaciale en jaillit aussitôt, se propageant dans toute la pièce. Les murs commencèrent à trembler, faisant pleuvoir du plafond une fine poussière.

Sovereign Court

Wow... cette aventure est excellente. Vas-tu faire un lien avec le temple du mal élémentaire?

J'ai beaucoup aimé la description du bourreau, vraiment dégueu, et la salle du rituel.

Pour la remarque que tu fais au subjet de Barnabé qui utilise un vieux clou rouillé pour crocheter les serrures, c'est une inside-joke?


Moonbeam wrote:

Wow... cette aventure est excellente. Vas-tu faire un lien avec le temple du mal élémentaire?

J'ai beaucoup aimé la description du bourreau, vraiment dégueu, et la salle du rituel.

Pour la remarque que tu fais au subjet de Barnabé qui utilise un vieux clou rouillé pour crocheter les serrures, c'est une inside-joke?

Coucou !

Le lien avec le ToEE est intentionnel : je plante l'intro au cas où ils voudraient le faire comme campagne suivante (c'était leur second choix, derrière Age of Worms). Mais ce sera avec d'autres persos, à qui l'on dira "voici ce qui a été trouvé il y a X jours dans un temple du côté de Greyhawk... Allez donc faire un tour à Hommlet !"

Le coup du clou, c'est un running gag. Le joueur s'obstine à ne pas acheter les outils nécessaires, parce que (je cite) "un hobbit avec une trousse d'outils, c'est connoté : on le prend tout de suite pour un voleur". Il préfère subir le malus de -10... Mais il a fini par céder à la dernière séance, ses amis l'ont trainé dans un magasin pour lui acheter du matériel après l'échec de trop ! :)


Le mort-vivant ne sembla pas particulièrement affecté par la défaite du prêtre. Il se dirigea droit vers Mathieu, le blessant au défaut de la cuirasse d’un revers de ses griffes acérées. En sus de la douleur physique, le paladin sentit un feu froid ronger sa force vitale.

Il lui retourna un coup de hache qui entailla largement la chair putride de sa poitrine, mais déclencha aussi deux phénomènes étranges. Une nuée de particules de chair racornie et d’os se dégagèrent du mort-vivant comme la poussière d’un tapis que l’on bat, tournoyant très rapidement autour de lui avec un effet abrasif comparable à celui d’une violente tempête de sable. Dans le même temps, le mort-vivant se démembra tout à fait, ses bras, ses jambes et sa tête se détachant complètement de son torse pour flotter séparément dans les airs. C’est donc six attaques, une par portion de corps, que le paladin dut ensuite repousser.

Kalen voulut lancer un dernier sort sur le gardien mort-vivant mais s’aperçut trop tard qu’il n’avait plus assez d’énergie magique, et son sort se dissipa à moitié tissé. Il tourna donc les talons et s’enfuit vers l’escalier menant à la sortie.

Note du MJ:
Je corrige ici une erreur commise en séance, Kalen ayant commencé la partie avec 6 Points de Sorts et en ayant dépensé 7 (3+2+2). Cela ne change pas grand-chose au résultat final, Aloïs ayant de son côté omis de compter ses dommages d’attaque sournoise croyant à tort que les morts-vivants y seraient insensibles.

Barnabé resta un peu plus longtemps, utilisant sa Perle de pouvoir pour récupérer juste assez d’énergie magique pour pouvoir lancer un tout dernier sort en cas de besoin.

Des crevasses béantes commencèrent à s’ouvrir au sol, remontant sur les parois vers la voûte du plafond. Les piliers de soutènement se rompirent les uns après les autres avec un claquement sec, tandis que des pierres de toutes tailles pleuvaient du plafond, frappant sans discrimination compagnons et cultistes blessés.

Barnabé reçut ainsi sur le crâne un morceau du chapiteau de la colonne derrière laquelle il se dissimulait. Il but rapidement une potion avant de prendre à son tour la poudre d’escampette.

Kalen fut terrassé à quelques mètres du salut par une grosse pierre de parement. Lorsque Barnabé arriva à sa suite quelques secondes plus tard, Conrad était déjà en train de trainer son corps inanimé dans les escaliers.

Le premier élan d’Aloïs alla vers la jeune fille en détresse. Contournant le mort-vivant, il courut jusqu’à l’autel pour l’aider à marcher en lui prêtant un bras secourable. Elle était encore faible et avait du mal à se relever, car elle tenait encore son bébé dans les bras, courbant le dos pour le protéger. Miraculeusement, elle n’avait pas été réduite en bouillie par un fragment du plafond bien qu’exposant largement son dos.

Mathieu constata avec horreur que la blessure qu’il venait d’infliger au mort-vivant commençait déjà à se refermer. Pressé d’en finir, il laissa tomber sa hache pour se saisir de sa toute nouvelle masse d’armes, pensant (à tort) qu’elle serait peut-être plus efficace. Il défonça quelques côtes au mort-vivant, mais le résultat ne fut guère plus probant.

Pendant ce temps, Hélebrank s’efforçait de venir en aide au moine, mais sans s’approcher de l’autel car celui-ci lui inspirait une crainte superstitieuse. Il projeta donc sa volonté vers l’un des pieds du moine, la seule partie de son anatomie qui soit visible depuis l’endroit où il se tenait, et commença à le soulever dans les airs puis à le ramener vers lui.

C’est donc de façon particulièrement indigne, pendu la tête en bas par une jambe, que Khalil fut évacué loin des combats. Par chance, ni lui ni le psion ne reçurent le moindre gravier sur le crâne durant tout ce processus. Dès que le moine fut à sa portée, Hélebrank le chargea sur ses épaules et courut vers la sortie.

Note du MJ:
A priori, il aurait été plus simple pour Hélebrank d’aller le chercher et de le porter que de le faire léviter lentement vers lui au beau milieu d’un temple en train de s’écrouler. Une solution plus efficace, mais tellement moins drôle !

Aloïs interrompit un instant son galant sauvetage pour prendre à revers le mort-vivant et lui défoncer le crâne d’un coup bien ajusté de son étoile du matin. Ses divers membres tombèrent au sol en tas épars, et ses flammes s’éteignirent.

Mathieu récupéra sa hache puis aida Aloïs à porter la donzelle, joignant leurs mains pour lui faire une assise et courant aussi vite que possible tout en évitant les pierres s’abattant du plafond. Ils étaient en train de gravir l’escalier lorsque le temple s’effondra complètement derrière eux, les engloutissant dans un épais nuage de poussière. Lorsqu’ils parvinrent en haut des marches, les murs du couloir avaient déjà commencé à trembler et à se fissurer. Ils continuèrent donc à courir.

La colère de Tharizdûn les poursuivit ainsi jusqu’à la sortie. Fort heureusement, l’arche désintégratrice semblait s’être désactivée. Au-delà, les secousses étaient beaucoup moins fortes ; peut-être l’influence du Dieu Sombre se limitait-elle à la zone désacralisée.

C’est donc couverts de poussière de la tête aux pieds qu’ils regagnèrent la surface, crachant et toussant, où les attendaient déjà leurs compagnons plus véloces. Le jour était déjà levé.

Ils ne retrouvèrent pas la moindre trace de leurs prisonniers ou du corps d’Owen Danwick. Ne restait en fait du cheval laissé à la longe dans la cour qu’une demi-carcasse, partiellement emballée dans un cocon de fil soyeux. En leur absence, les araignées de la tour semblaient avoir eu une petite fringale nocturne. Par chance, il s’agissait de la moitié postérieure du cheval, celle qui portait les fontes. Les compagnons y retrouvèrent donc la rançon ainsi que la tête du marchand, à défaut de son corps qui devait avoir rejoint le garde-manger des araignées.

Pour rentrer avec leurs blessés, ils durent donc faire main basse sur les cinq chevaux des brigands, bien à l’abri dans leur écurie close. Ils semblaient très nerveux et craintifs, ce qui pouvait se comprendre au vu de ce qui rôdait dans le voisinage.

Durant le trajet, la jeune Lyza ne cessa de se répandre en louanges, les remerciant de l’avoir tirée des griffes de cet horrible culte maléfique et d’avoir sauvé son bébé. Aloïs, Khalil et Kalen semblèrent prendre ses déclarations pour argent comptant, la tenant pour une parfaite oie blanche ; les autres préférèrent réserver leur jugement, car ils gardaient en mémoire la lettre troublante trouvée dans le bureau du prêtre.

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Lorsqu’ils arrivèrent en vue des murs de la Cité, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel, les compagnons rencontrèrent une colonne de cavaliers envoyés à leur recherche.

A ce qu’on leur raconta, Arsène s’était inquiéter de ne pas voir son maître revenir, et avait donc informé les autorités de toute l’affaire dès les premières heures du matin. Le temps qu’il s’explique avec le Guet, une ou deux heures s’étaient écoulées. A son retour, il avait hélas constaté le décès de sa maîtresse : apparemment, durant son absence prolongée, elle avait fini le ragoût qu’il lui avait laissé avant de partir et n’avait pu assouvir sa faim qu’en se dévorant les avant-bras, avec les conséquences fatales que l’on imagine. Les autorités ne manquèrent pas de trouver cette cause de décès éminemment suspecte.

Owen Danwick avait de longue date laissé après de la Guilde des Scribes et Avocats un testament de vie accompagné du dépôt d’une très forte somme, à utiliser pour sa résurrection en cas de décès prématuré. Son état de santé s’améliora donc spectaculairement dans les jours qui suivirent, et l’une de ses premières décisions fut de faire bénéficier sa femme du même traitement.

Toutefois, sa fatigue aussi persistante qu’inexpliquée attisa les soupçons des prêtres ayant officié à son retour parmi les vivants, déjà éveillés par la boulimie morbide de sa conjointe. Il s’avéra que les époux Danwick étaient tous deux sous l’emprise d’une puissante malédiction, altérant tant leur comportement que leur faculté à réaliser le caractère anormal de la situation. Avec une bonne Expurgation des malédictions, il n’y parut plus : il retrouva le sommeil, et elle cessa d’être perpétuellement affamée. Un peu de transmutation cosmétique pour effacer les ravages causés à sa silhouette, et ils furent tous deux comme neufs.

A posteriori, les compagnons réalisèrent qu’effectivement, il y avait peut-être eu quelque chose d’étrange dans leur comportement. Sur le moment, ils avaient attribué tout cela à une cause naturelle, à savoir le chagrin causé par la disparition de leur fille. Mais tout bien réfléchi, étant donné qu’ils n’avaient ni l’un ni l’autre été des parents particulièrement aimants, cela pouvait paraître suspect… Seraient-ils encore passés à côté de quelque chose ? Flûte alors !

Ses premières explications où elle se présentait contre la captive innocente et maltraitée d’un culte maléfique n’ayant pas tenu face au témoignage des compagnons, Lyza Danwick fut soumise à un interrogatoire plus poussé et ne tarda pas à tout avouer.

Elle admit notamment que c’était à sa demande expresse que le prêtre de Tharizdûn (dont le nom était bien Elgoth) avait jeté une double malédiction sur ses parents, qu’elle haïssait de tout son être depuis aussi longtemps que portaient ses souvenirs.

Elle révéla également qu’Elgoth n’était autre que son propre frère jumeau. Laissé de côté par les Danwick qui n’avaient pas voulu s’encombrer d’un petit garçon, il avait fini par être adopté par un érudit originaire de la Cité de Dyvers. C’est au cours de ses études supérieures qu’il avait découvert Tharizdûn en compulsant des écrits interdits. Immédiatement séduit, il s’était converti à son culte puis avait constitué autour de lui une petite troupe de cultistes fanatisés, recrutés parmi la lie des pires bas-fonds.

Poussé par des rêves prophétiques, il s’était ensuite lancé à la recherche de sa sœur perdue pour concevoir avec elle un enfant incestueux dont la destinée, selon certains oracles, aurait été de libérer enfin le Dieu Sombre. Après avoir retrouvé sa trace, il s’était introduit dans la maisonnée des Danwick en se faisant embaucher comme domestique. Son intention première avait été de sonder Lyza très prudemment, et si elle se montrait réceptive, de lui révéler la vérité sur leur ascendance commune. A défaut, il l’aurait purement et simplement enlevée.

A sa grande surprise, elle s’était révélée toute prête à précipiter la venue de l’apocalypse, étant déjà elle-même en secret une adoratrice de Tharizdûn. Sa corruption remontait au jour où elle avait été prise de fascination pour une hideuse statuette récemment acquise par son père, une antiquité trouvée dans les profondeurs d’un souterrain du lointain Perrenland, celle-là même que le prêtre avait apposé sur son bébé sous les yeux des compagnons. Elle s’en était aussitôt emparée, en même temps que d’autres babioles qu’elle dissimula ensuite dans les affaires d’un domestique avant de le dénoncer pour détourner sur lui les soupçons.

Ainsi fut résolu le mystère de l’enlèvement de la jeune Lyza Danwick. Son père ne paraissait toutefois pas déborder de reconnaissance envers les compagnons, et il ne fut plus question de récompense. Il refusa également de reprendre à son service son ancien majordome, maintenant innocenté, au motif qu’employer un ancien bagnard ne serait guère compatible avec le renom de sa maisonnée.

Par contre, après quelques jours d’hésitation, il réclama et obtint la garde de son petit-fils, ceci contre l’avis de certains temples qui auraient de loin préféré le confier à une institution religieuse pour garder un œil sur lui. Le jeune Damien Danwick serait donc élevé selon son rang et hériterait à terme d’une vaste fortune...

Enfin, le Juge Godbert fut très intéressé par la lettre retrouvée dans les affaires d’Elgoth, et assura les compagnons que le nécessaire serait fait par ses confrères du Verbobonc pour mettre la main sur ce « Maître Dunrat » dans les meilleurs délais.


Livre V
La ceinture des champions

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LES DESSOUS DE L’ARENE
(séance du 16 mai 2014)

2ème Jour du Soleil du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (au matin)
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Durant les trois jours qui suivirent leur sortie précipitée du temple de Tharizdûn, les compagnons s’accordèrent une petite pause.

Aloïs en passa la majeure partie à la Guilde des Cartographes, réalisant des travaux de copie à la chaîne, mais surtout attendant le moment où il serait seul dans la salle des cartes pour jeter un œil aux collections réservées. Sa perséverance fint par payer : non seulement il gagna un peu d’argent, mais il parvint à en voir assez pour réaliser un croquis sommaire des sous-sols des Arènes.

De son côté, Kalen se lança dans l’apprentissage de nouveaux sorts, certains achetés auprès de la Guilde en puisant dans les fonds communs, d’autres tirés de l’étude (longtemps différée) du grimoire du Sans-visage.

Khalil préféra passer d’agréables moments en compagnie de ses condisciples du temple de la Lune Noire. Il en rapporta la nouvelle de l’ouverture prochaine de leur tournoi, Maîtresse Izenfen ayant décrété que les astres étaient enfin propices, et tenta sans trop de succès d’inciter ses compagnons à s’y inscrire, prenant soin de mentionner le rubis gros comme le poing qui en constituait le premier prix pour en appeler à leur cupidité.

Hélebrank procéda à une exploration méthodique des berges du ruisseau du moulin. Il n’y trouva que quelques canalisations de très faible diamètre, sans commune mesure avec les besoins des Arènes, et en conclut que celles-ci devaient forcément être raccordées aux égoûts de la ville. Pendant ce temps, Caillou faisait le guet dans la cheminée du bureau de Loris Raknian mais n’y glana pas la moindre information utile.

Mathieu s’était retiré au Sanctuaire d’Heironéous pour méditer, ruminant la déception causée par ce qu’il avait appris de la nature profonde de ses compagnons. Il commençait à soupçonner que Kalen n’avait pas tenu sa promesse de verser sur ses propres deniers une généreuse obole au temple de Pélor, mais ne savait pas trop comment aborder le sujet avec lui.

Enfin, Barnabé avait tout simplement disparu de la circulation, ne revenant au Relais que pour dormir, sans doute en proie à une nouvelle crise de boulimie pâtissière.

L’avant-veille au soir, le hobniz avait reçu d’Ephraïm Barriquaud un message demandant à connaître sa réponse au sujet du plan qu’il lui avait exposé pour accéder aux Arènes. Barnabé n’avait effectivement donné aucune suite à sa proposition, déjà vieille de quelques jours. Il avait aussitôt informé ses compagnons de cette relance, leur soumettant à nouveau l’idée de participer comme gladiateurs aux Jeux de Greyhawk.

Kalen s’y était très fortement opposé : il trouvait stupide de se jeter ainsi dans la gueule du loup, allant jusqu’à jurer que quand bien même ses compagnons iraient, ce serait sans lui. Hélebrank fut plus mesuré, suggérant qu’il était peut-être possible de pallier aux défauts du plan du marchand, par exemple en se déguisant. Les autres se situaient quelque part entre ces deux extrêmes ou ne prirent tout simplement pas position, attendant que la poussière retombe. A cause de ce violent désaccord, le sujet fut abandonné sans qu’une décision ne soit prise. Aucune réponse ne fut donc adressée au marchand.

A cette seule exception près, lorsque les compagnons se réunirent autour de la table du petit déjeuner en ce matin du 2ème Jour du Soleil, c’était donc la première fois depuis quelque temps qu’ils discutaient sérieusement de leurs affaires.

Kalen et Aloïs se lancèrent avec entrain dans un débat sur le meilleur moyen de s’introduire en fraude dans les Arènes, confrontant les notes prises par le premier aux croquis volés par le second. Mathieu dut leur rappeler que la salle commune d’une auberge n’était peut-être pas le lieu idéal pour débattre ouvertement des détails d’une effraction, et leur suggéra de poursuivre cette discussion dans sa cellule du Sanctuaire d’Heironéous.

C’est donc là-bas que les compagnons achevèrent de tenir conseil de guerre. Une fois que Kalen et Aloïs eurent terminé de comparer leurs notes sur les sous-sols des Arènes, vint le moment tant redouté : il leur fallait décider de ce qu’ils allaient faire ensuite.

Kalen proposa bien d’aller fouiller le laboratoire de Korenth Mauk, mais il lui fut promptement rappelé que cela avait déjà été fait à deux reprises (et la seconde fois, uniquement parce que l’on ne se souvenait plus très clairement de la première).

A la demande d’Hélebrank, Mathieu fit transmettre un message au Juge Godbert lui demandant si Ephraïm Barriquaud avait à sa connaissance renouvelé sa plainte au sujet de la disparition de sa sœur Lahika. De l’avis du psion, il aurait été intéressant de recueillir les déclarations de Loris Raknian dans le cadre d’une nouvelle enquête afin de voir si elles coïncidaient avec celles rapportées par le Prévôt Ragnarsson (ou plus probablement par un doppleganger se faisant passer pour lui). Barnabé approuva cette démarche, soulignant qu’une éventuelle différence démontrerait qu’en définitive Raknian n’avait pas partie liée avec les dopplegangers.

Décidément au mieux de sa forme, Hélebrank suggéra ensuite qu’il serait peut-être utile d’aller jeter un œil dans l’auberge où avait été tué Korenth Mauk, rappelant avec modestie que cette idée avait initialement été formulée par Kalen mais qu’il n’y avait pas été donné suite.

Ses camarades trouvèrent l’idée excellente, d’autant qu’ils n’en avaient pas d’autres. S’ensuivit une discussion sur le meilleur moyen pour déterminer laquelle des chambres était la bonne et ensuite y accéder : était-il préférable d’obtenir un mandat officiel, ou bien de se déguiser en inspecteur sanitaire ? Ils finirent toutefois par conclure que le plus simple serait peut-être de poser la question à l’aubergiste, quitte à le soudoyer.

Une fois ce plan arrêté, les compagnons prirent immédiatement le chemin de la Vieille Ville, de peur que l’un d’entre eux ne soulève une nouvelle objection. Barnabé prit soin de leur faire emprunter un itinéraire complexe afin de dérouter et de repérer d’éventuels poursuivants, passant par de petites venelles et revenant plusieurs fois sur leurs pas. Ils ne virent rien de suspect, et le trajet s’en trouva allongé d’une petite demi-heure.

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Une fois franchie la muraille séparant la Vieille Ville de la nouvelle, ils se dirigèrent aussi directement que possible vers le quartier des taudis. Suivant toujours les recommandations de Barnabé, ils gardèrent une main sur leurs armes et l’autre sur leur bourse, rasant les murs pour éviter l’encerclement sous le regard amusé des autochtones.

L’auberge de la Main Gauche ne payait pas de mine : un bâtiment crasseux dépourvu d’enseigne, sombre et bas de plafond. En cette heure encore matinale, les lieux étaient presque déserts. Un groupe de charretiers terminait son déjeuner sous l’œil impassible du tenancier de l’établissement et d’une unique serveuse. La seule curiosité des lieux était une cible grelée d’impacts, suspendue au dessus du comptoir.

- « Bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » leur lança aimablement l’aubergiste.
- « Nous aimerions avoir une chambre, euh… particulière » répondit Barnabé, légèrement pris de court. Compte tenu du quartier, il s’était presque attendu à être reçu à coups d’arbalète.
- « Mais, bien sûr. Nous en avons. Ce sera une pour chacun de ces messieurs ? »
- « Euh, non. Une seule. Une chambre particulière, mais dans le sens où nous voulons celle où un demi-euroz a été tué il y a quelques mois. Vers les Apprêts, pour être précis. »
- « Ouais. Les meurtres, c’est notre truc » renchérit Aloïs avec un clin d’œil appuyé.
- « C’est qu’elle est occupée… » commença l’aubergiste avant de se raviser, apercevant la pièce d’or que le hobniz faisait habilement miroiter. « Mais je suppose qu’il y a moyen de s’arranger. C’est pour une nuitée ? »
- « Oh non, une heure ou deux suffira » protesta vivement Barnabé, qui n’envisageait pas de s’attarder plus que nécessaire de ce côté-ci du Mur Noir, et encore moins de nuit.
- « Oui, on fait notre petite affaire et on repart » ajouta encore Aloïs, qui s’amusait beaucoup de la gêne provoquée chez les plus prudes de ses compagnons par de tels sous-entendus graveleux.

De fait, l’aubergiste souriait toujours, mais son regard s’était fait plus froid. Après s’être assuré auprès des compagnons qu’ils n’auraient pas besoin des services de l’actuelle occupante, présentée comme une professionnelle chevronnée, il demanda à la serveuse de la faire déguerpir.

Cette même serveuse revint ensuite pour mener les compagnons jusqu’à la chambre, une petite pièce miteuse située sous les toits. Une fois seuls, ils passèrent l’endroit au peigne fin, de fond en comble. C’est dans un interstice étroit entre une poutre et les lattes du plafond que Barnabé trouva un petit carnet de cuir noir, qu’il reconnut comme ayant appartenu à son maître.

Pour l’essentiel, il ne contenait que des listes de courses et autres mentions anodines, couchées d’une main familière. Mais la toute dernière inscription, sybilline, éveilla son intérêt :

Kaylan Brunzel ! ------> CdG?

1/2o, Ulgrek? + 12o ----> "Réfectoire" ??

Quid GTG ?

Khalil fit observer que cela pouvait correpondre à un pari, Korenth Mauk ayant misé 12 orbes à une cote de un contre vingt sur un gladiateur du nom d’Ulgrek, mais personne ne le prit vraiment au sérieux.

Mathieu y vit plutôt un lien possible avec l’affaire de l’épée disparue mais n’expliqua pas son raisonnement, jouant à son tour les mystérieux (en fait les mentions « ½o » et « o » lui faisaient penser aux brigands orcs dirigés par un demi-orc qui avaient attaqué la caravane de Ricardo Damaris).

De l’avis général, la notation « CdG » devait désigner le Château de Greyhawk, la vaste demeure seigneuriale du dernier Graf de Sélintan, le célèbre archimage Zagig Yragerne. Le dit château était tombé en ruines depuis la disparition mystérieuse de son illustre occupant un siècle auparavant, et consituait depuis quelques décennies l’une des destinations favorites des aventuriers de tous poils. Bien que ces initiales eussent tout aussi bien pu correspondre à la Cité de Greyhawk, cela fut jugé peu probable, ses habitants préférant la désigner tout simplement par son nom. Il n’y avait que les étrangers pour insister si lourdement sur la distinction entre la cité et son domaine.

Satisfaits de leur trouvaille, les compagnons allèrent voir l’aubergiste pour lui poser quelques questions complémentaires. Ils n’en eurent pas le temps, car dès qu’il les vit leur interlocuteur leur indiqua une table où étaient assis trois nouveaux-venus vêtus de sombre qui souhaitaient leur parler. L’un de ces hommes se leva, faisant un geste d’invitation vers un quatrième tabouret laissé vacant.

Se faisant le porte-parole du groupe, Barnabé s’avança aussitôt vers la table tandis que ses compagnons restaient prudemment en arrière. Il parla longuement avec l’homme qui leur avait fait signe d’approcher, puis se dirigea vers la sortie en demandant à ses amis de le suivre.

Ce n’est qu’une fois sorti de la Vieille Ville qu’il consentit à faire son rapport. Les trois hommes s’étaient présentés à lui comme étant membres d’une sorte de comité de quartier, de simples citoyens concernés par la criminalité, mais son œil exercé n’avait pas manqué de reconnnaître le discret geste de la main que fit leur chef comme étant un signe de reconnaissance de la Guilde des Voleurs. Ils voulaient en fait savoir en quoi le meurtre d’un demi-euroz non identifié pouvait les intéresser. Barnabé leur avait donc raconté toute l’affaire, y compris le fait que le défunt n’était autre que son maître Korenth Mauk ayant loué la chambre sous une fausse apparence et une fausse identité.

En retour, le voleur lui avait appris qu’une divination lancée avant l’arrivée du Guet avait révélé qu’il avait été exposé à un narcotique puissant mais très coûteux. Maintenant qu’il était établi qu’il s’agissait en fait du légitime occupant de la chambre, cela se comprenait mieux : son ou ses assaillants avaient du essayer de le droguer pour qu’il ne se réveille pas. Il avait toutefois du réussir à résister d’une façon ou d’une autre, car des traces de lutte avaient été relevées dans la chambre bien que personne n’ait rien entendu. L’une de ses blessures, un coup de dague à la gorge, lui avait été fatale.

En botaniste émérite, Aloïs précisa que la drogue en question provenait de la racine d’une plante, torréfiée et réduite en une poudre pouvant être administrée par voie aérienne, en la soufflant par le trou de la serrure par exemple.


Les compagnons se dirigèrent ensuite tout droit vers le temple de St Cuthbert pour y demander audience auprès du Juge Godbert. Comme celui-ci n’était pas immédiatement disponible, on les pria de bien vouloir attendre qu’il se libère.

Certains en profitèrent pour compulser la copieuse et édifiante littérature religieuse mise à disposition des visiteurs, mais Mathieu préféra faire rapidement un saut à son propre temple. Aucun des confrères qu’il y questionna n’avait entendu parler d’un Kaylan Brunzel ou d’un Ulgrek ; l’un d’eux lui suggéra de publier une annonce au Petit Marché offrant une récompense à quiconque aurait des renseignements les concernant.

Peu de temps après son retour au temple de St Cuthbert, on vint les chercher pour les mener au Juge Godbert, qui leur fit bon accueil :

- « Ah, mes héroïques aventuriers favoris… Qu’est ce que vous m’avez encore fait, aujourd’hui ? »
- « Mais rien du tout, je vous assure… » se défendit Barnabé. « Nous voulions juste savoir si les noms de ‘Kaylan Brunzel’ ou de ‘Ulgrek’ vous étaient connus. On les a trouvés dans un petit carnet ayant appartenu à Korenth Mauk. »

Il tendit l’objet en question au Juge, ouvert à la dernière page.

- « Hmm, le premier me dit effectivement quelque chose… Frère Anselme ? Voyez cela, je vous prie » ordonna t’il à son secrétaire. « Quant au second, c’est un patronyme orc assez commun. Je crains de ne pas pouvoir vous aider. »

Puis, s’adressant directement à Mathieu :

- « J’ai eu votre message, au fait. J’espère bien que Barriquaud n’a rien fait pour renouveler sa plainte, ce serait une catastrophe ! Dois-je vous rappeler notre conversation de la semaine passée ? Je vous avais recommandé de ne surtout pas ébruiter l’existence d’un lien entre cette bande de dopplegangers et Loris Raknian. Plus longtemps celui-ci ignorera que nous sommes sur sa piste, meilleures seront nos chances de trouver des preuves contre lui. »

Les compagnons opinèrent gentiment du chef, se gardant bien d’admettre que cela leur était complètement sorti de l’esprit : le Juge avait déjà une bien assez mauvaise opinion d’eux. Hélebrank se dévoua néanmoins pour demander quelques éclaircissements.

- « D’accord, mais il serait tout de même intéressant de savoir quelles seraient ses déclarations dans le cadre d’une nouvelle enquête. Si cela se trouve, celles qu’a rapportées Ragnarsson sont une pure invention. Peut-être même qu’il n’a jamais vraiment rencontré Loris Raknian ! »
- « Certes, cela pourrait effectivement nous apprendre quelque chose d’utile… mais uniquement dans l’hypothèse où il ne serait pas de mèche avec eux ! Dans le cas contraire, si le Guet débarque avec ses gros sabots pour enquêter sur la disparition de Lahika Barriquaud, il saura que la plainte déposée contre lui a refait surface, et surtout que nous savons désormais qu’elle avait été escamotée. Il se méfiera, détruira des preuves… ce qui diminuerait considérablement nos chances de le coincer. Quand on pratique la chasse à l’affût, il ne faut surtout pas effrayer le gibier ! De même que quand on raisonne, il ne faut jamais partir de la conclusion… »

Frère Anselme se pencha pour murmurer quelque chose à l’oreille du Juge. Celui-ci l’écouta quelques secondes, puis s’adressa de nouveau aux compagnons :

- « Il semblerait que ce Kaylan soit connu de nos services comme un membre de la Guilde des Voleurs. Du menu fretin, pas un personnage clé : il figure sur nos listes, mais n’a pas l’honneur d’un dossier. »
- « En ce cas, si vous en êtes d’accord, nous allons essayer de nous renseigner directement auprès de la guilde » proposa Barnabé.
- « C’est bien aimable à vous de solliciter mon approbation, mais vous êtes entièrement libres de faire ce que bon vous semble. Je vous rappelle que vous n’avez pas voulu de notre supervision… Maintenant, si vous permettez, j’ai à faire. »

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Après avoir été poliment congédiés, les compagnons se rendirent d’abord à l’auberge du Dragon Vert sur la suggestion d’Aloïs. Ils demandèrent à voir Ricardo Damaris, mais comme celui-ci n’était pas encore levé et que la matinée tirait à sa fin, ils en profitèrent pour déjeuner.

C’est donc entre la poire et le fromage que le guerrier devenu aubergiste leur confirma qu’aucun de ses agresseurs n’avait eu la politesse de se présenter à lui, ni sous le nom d’Ulgrek ni sous aucun autre. Par contre, le nom de Kaylan Brunzel lui évoqua vaguement quelque chose, sans doute en lien avec la Guilde des Voleurs.

Note du MJ:
Sérieusement, s’il avait eu connaissance du nom de l’un de ses agresseurs, il aurait fallu qu’il soit c** comme une bûche pour ne pas l’avoir mentionné avant que les PJs ne viennent lui poser la question !

S’ensuivit un débat sur la meilleure façon de prendre contact avec la dite guilde. Mathieu plaida pour aller directement voir Tirra, qui lui avait semblée bien disposée à leur encontre, mais Barnabé n’était toujours pas convaincu de sa sincérité.

- « On ne peut pas s’y fier » expliqua t’il. « Ces gens-là, c’est quand ils vous font de grandes déclarations d’amitié qu’il faut le plus s’en méfier. Un sourire, et crac, une dague dans le dos ! »
- « Et quand ils sont ouvertement hostiles, cela veut dire quoi ? » lui demanda malicieusement Aloïs.
- « Euh, pareil. On ne peut pas s’y fier, c’est tout. »

Au final, Mathieu et Hélebrank laissèrent le hobniz se débrouiller, préférant accepter l’invitation de Khalil et aller prendre une tasse de thé au Temple de la Lune Noire, juste en face.

C’est donc seulement accompagné de Kalen et d’Aloïs que Barnabé se dirigea vers le Rat de Rivière, une taverne dont l’enseigne représentait un gros rongeur debout dans une barque, tenant une perche dans ses pattes. Située à seulement quelques pâtés de maison du Dragon Vert, elle était bien connue pour être un lieu de rendez-vous interlope.

Toutes les conversations s’interrompirent instantanément à l’entrée des trois compagnons. Il y avait là deux groupes de clients bien distincts, occupant chacun un côté de la salle commune, sombre et toute en longueur : le plus important en nombre était celui des rheenee, reconnaissables aux épais gilets de peau retournée qu’affectionne ce peuple de marins. Les goûts vestimentaires du second groupe allaient plus vers le cuir souple et les teintes sombres.

Les compagnons allèrent s’installer en silence à une table libre dans l’espace désert séparant les deux groupes, sous les regards froids (voire carrément hostiles) des habitués. Kalen se félicita intérieurement d’avoir pris la précaution de se jeter une Armure de mage avant de venir : il n’imaginait pas pouvoir ressortir sans combattre.

En s’asseyant, Barnabé fit un discret signe de la main indiquant qu’il était du sérail. Un homme se leva aussitôt, venant s’asseoir à leur table.

- « Z’êtes qui, voulez quoi ? » demanda t’il abruptement, sans s’embarrasser de formules de politesse.
- « Barnabé Bouillabise, un ancien de la maison. Kaylan Brunzel ? » lui fut-il répondu sur le même ton direct.
- « Hmm » fit le voleur, dévisageant longuement chacun des compagnons avant de reprendre. « C’est un ami à vous ? »
- « Non. Il en est ? »
- « Oui, on peut dire ça. Vous lui voulez quoi ? »
- « Lui poser des questions. On a vu son nom dans les papiers d’un ami. »
- « Ca va être difficile. On peut lui parler, à cet ami ? »
- « Ca va être difficile aussi. Il est mort. »

Le voleur refusa ensuite d’en dire plus, se bornant à répéter que la décision appartenait à son chef. Il avait du adresser un signe quelconque à ses acolytes, car le chef en question arriva bientôt… et se révéla n’être autre que Tirra, ce qui n’aurait dû surprendre personne puisqu’ils étaient dans le Quartier de la Rivière qui, comme elle le leur avait dit elle-même lors de leur précédente rencontre, était son fief.

Elle les salua aussi chaleureusement que lors de leur précédente rencontre, ignorant la mine renfrognée de Barnabé. Une fois informée de la raison de leur intérêt soudain pour Kaylan Brunzel, elle leur révéla qu’il était en fuite et activement recherché. Elle le présenta brièvement comme un spécialiste des acquisitions, pas une vedette mais un bon ouvrier sans histoires, qui se trouvait avoir écoulé certaines marchandises (des rouleaux de soierie pour être précis) dont la description aurait pu correspondre à celle d’un chargement dérobé par les fameux brigands orcs qui harcelaient les caravanes. Il ne s’agissait que d’une vérification de routine, mais Kaylan avait très mal réagi : l’un des trois « contrôleurs internes » n’avait pas survécu à ses blessures. Cette réaction avait d’autant plus surpris ses collègues que Kaylan était plutôt un petit gabarit et n’avait pas la réputation d’un foudre de guerre. Tirra en termina en précisant que sa tête avait été mise à prix 500 orbes, et que du point de vue de la Guilde il importait peu qu’elle soit encore rattachée au reste de son corps.


Pendant ce temps, ceux des compagnons qui avaient préféré la compagnie des moines de Zuoken s’étaient fait expliquer plus en détail les règles qui régissaient leur tournoi. En fait, il n’y en avait qu’une : les combats n’étant pas à mort, tous les participants devaient s’efforcer de ne pas blesser sérieusement leurs adversaires. Chaque équipe de participants devait compter au moins quatre membres. Un numéro lui était attribué lors de son inscription, puis reporté sur une boule blanche placée dans une urne avec deux fois plus de boules noires. Chaque jour à l’aube, à compter du prochain Jour des Dieux, une boule serait tirée de l’urne, laissant le Destin décider s’il y avait combat ce jour-là, et contre qui.

Mathieu et Hélebrank étaient partants, principalement pour faire plaisir à Khalil qui semblait attacher beaucoup d’importance à ce tournoi. Une fois leurs compagnons revenus de leur escapade au Rat de Rivière, ils réussirent à convaincre Aloïs de faire le quatrième. Toutefois, Barnabé et Kalen refusèrent obstinément de participer, et c’est donc avec un effectif minimal que leur équipe s’inscrivit au Tournoi de la Lune Noire.

Les compagnons prirent ensuite congé pour retourner au Sanctuaire d’Heironéous. Durant le trajet, Barnabé livra les renseignements recueillis auprès de la Guilde des Voleurs à ceux qui ne l’avaient pas accompagné. Mathieu s’abstint charitablement de commenter l’identité de sa source.

Après avoir reçu de Barnabé une Vision sombre, Kalen s’enferma dans la cellule de Mathieu pour lancer une Scrutation sur Kaylan Brunzel, ayant désormais à sa disposition son nom et une description sommaire. Hélas, cela ne sembla pas suffire, et son miroir resta désespérément vide.

Hélebrank proposa ensuite de visiter les égouts autour des Arènes : là encore, il en avait déjà été question à plusieurs reprises sans aucun passage à l’action. A défaut d’autres propositions, les compagnons décidèrent d’y remédier immédiatement.

Hélebrank les guida donc vers une bouche d’égout propice, située dans un petit bosquet isolé de la Ville Haute juste derrière la résidence de Dame Aestrella Shanfarel, la célèbre diva demi-olve de l’Opéra de Greyhawk. Comme les autres, cette bouche d’égout était fermée par une serrure rudimentaire. Le hic était que les compagnons ne disposaient plus de la clé que leur avait prêtée les Saint-Cuthbertiens, et que Barnabé ne s’était toujours pas procuré de trousse à outils, tant l’idée d’être assimilé à un vulgaire cambrioleur le répugnait. Il ressortit donc le clou tordu qui lui avait rendu tant de services dans le Temple de Tharizdûn et se mit à l’ouvrage.

Hélas, cette fois-ci le clou se rompit dans la serrure, la bloquant complètement. Excédés, ses compagnons l’entrainèrent avec eux jusqu’aux Provisions d’Expédition d’Eridok, une boutique spécialisée du Quartier des Artisans, où ils lui achetèrent sur les deniers communs un luxueux assortiment de sondes articulées, crochets à têtes multiples et autres micro-scies propre à faire saliver d’envie le plus blasé des experts. Tant qu’à faire, Aloïs confessa avoir lui aussi des compétences en serrurerie et s’acheta une trousse d’outils plus ordinaire.

Une fois ces emplettes accomplies, toute la troupe regagna la Ville Haute puis le petit bosquet. Désormais équipé, Barnabé n’eut aucun mal à retirer de la serrure les fragments de son clou et à la crocheter. L’on ouvrit la bouche d’égout. Une chaude exhalaison de relents putrides s’en échappa, leur chatouillant les narines.

Ils descendirent l’échelle chacun à leur tour. Après âpre discussion, ils choisirent de se passer de sorts de Vision sombre pour ménager leurs ressources magiques : Hélebrank tira une Torche éternelle du Sac de contenance, et Mathieu lança un sort de Lumière sur son bouclier. Ainsi éclairés, ils cheminèrent plein ouest, pataugeant jusqu’aux mollets dans la fange le long d’une galerie étroite, puis bifurquèrent vers le sud pour rejoindre une branche secondaire des égouts, orientée est-ouest, qui devait longer les Arènes par le nord.

Ils cheminèrent à la queue leu leu sur l’unique trottoir, examinant avec attention les canalisations et autres conduits débouchant du sud, de l’autre côté d’un cloaque large de deux mètres. Il y en avait des dizaines : plutôt que d’en faire systématiquement l’inspection, les compagnons préférèrent poursuivre la reconnaissance des lieux, quitte à revenir plus tard sur leurs pas s’ils ne trouvaient rien de plus intéressant.

Bien plus loin, ils arrivèrent à un embranchement avec une autre galerie secondaire, rejoignant la leur à angle presque droit. Ils la suivirent sur une cinquantaine de mètres vers le sud avant de déboucher dans une vaste salle ronde qui de l’avis d’Aloïs devait être située quelque part sous les Arènes. Du niveau du trottoir jusqu’à la voûte, ses murs étaient percés d’une multitude de canalisations plus ou moins importantes se déversant dans un grand bassin circulaire empli de matières nauséabondes.

A l’origine, la galerie par laquelle ils étaient venus devait se prolonger en face, mais la voûte s’était effondrée et des éboulis obstruaient complètement le passage. Hélebrank ne put déterminer si cet éboulement était ou non naturel : il ne vit aucune trace d’outil suspecte.

Leur attention se porta ensuite sur une sorte de boyau naturel large d’un mètre d’où s’écoulait un faible courant, situé juste sous la surface, qui semblait être la seule issue d’une taille suffisante pour être accessible. Hélebrank se porta aussitôt volontaire pour en faire l’exploration. Son visage se recouvrit du mucus ectoplasmique produit par son pouvoir d’Anaérobisme, deux cônes de lumière jumeaux jaillirent de ses yeux, et il se laissa glisser sans bruit dans l’eau avant de s’engager dans le boyau.

A son retour de longues minutes plus tard, il raconta avoir parcouru un long boyau sinueux avant de déboucher dans un tunnel à demi immergé. Il avait suivi le courant sur une courte distance jusqu’à une vaste caverne basse de plafond où flottaient des immondices. Elle était en fait si grande qu’il ne put en voir l’autre extrémité, et si large qu’en suivant la paroi de gauche il perdit rapidement de vue celle de droite. Il ne s’était pas avancé de plus d’une vingtaine de mètres lorsqu’il repéra un remous suspect dans l’eau stagnante à sa droite, juste avant qu’une masse énorme de couleur jaune orangé n’émerge, lançant dans sa direction un pseudopode gros comme sa cuisse et ruisselant d’eau grasse.

Il avait préféré ne pas engager le combat, tournant aussitôt les talons. Heureusement pour lui, même avec de l’eau jusqu’à la taille, il était parvenu à distancer cette étrange créature. Il était presque de retour à l’entrée de la grotte lorsqu’il en aperçut une seconde venant sur sa gauche.

D’après sa description, Aloïs identifia ces deux créatures comme des gelées ocre, une sorte d’amibe géante se nourrissant de matières organiques : les égouts étaient pour elles un terrain de chasse paradisiaque. Il mit en garde ses amis contre le puissant acide qu’elles secrétaient, capable de ronger les chairs à une vitesse effrayante, et leur recommanda surtout de ne pas utiliser contre elles des sorts de foudre ou des armes d’estoc ou de taille, qui toutes déclenchaient sa scission en deux autres gelées plus petites mais tout aussi redoutables.


Craignant que la créature n’ait suivi le psion et n’attende son retour de l’autre côté du boyau, les compagnons remirent à plus tard l’exploration de cette grotte et rebroussèrent chemin pour rejoindre la première galerie, qu’ils suivirent vers l’ouest jusqu’à atteindre le grand collecteur nord, celui-là même où ils avaient été arrêtés par une escouade de voleurs juste après leur exploration du repaire de l’illithid. Ils bifurquèrent aussitôt à gauche, repartant par une large galerie principale, reconnaissable à ses deux trottoirs étroits encadrant un cloaque central de trois mètres de large.

Leur attention y fut attirée par un boyau naturel d’où s’échappait un faible courant, très semblable au précédent. Hélebrank, dont le pouvoir d’Anaérobisme était encore actif, y plongea aussitôt.

Cette fois, son absence ne dura que peu de temps. Lorsqu’il émergea, il expliqua à ses compagnons que ce passage-là était tout aussi tortueux mais bien plus court que le précédent, et menait au même boyau semi-immergé. A une vingtaine de mètres en aval, il avait reconnu l’endroit où débouchait le premier boyau, de même que la gelée ocre qui glissait vers lui, occupant toute la partie émergée du passage.

Pour les mêmes raisons que précédemment, les compagnons repoussèrent à plus tard l’exploration de ces boyaux, espérant que la gelée finirait par se lasser de les attendre. Ils continuèrent donc à marcher le long de la galerie principale, puis la quittèrent pour une galerie secondaire longeant cette fois les Arènes par le sud, qu’ils suivirent jusqu’à ce qu’elle se termine en cul-de-sac.

C’est alors qu’ils étaient de retour dans la galerie principale après avoir fait demi-tour qu’ils furent attaqués par une gelée ocre immergée dans l’eau trouble du cloaque. Elle devait avoir suivi Hélebrank le long du boyau immergé, avant de parcourir stupidement les égouts à la recherche d’une proie.

Se rappelant des consignes d’Aloïs, Mathieu laissa tomber sa hache pour se saisir de sa masse d’armes et l’abattit sur la créature, dont le corps gélatineux tremblota sous l’impact. Khalil eut par contre un mauvais réflexe, lançant une volée de shurikens qui déchirèrent la membrane de la gelée… et comme annoncé, la firent aussitôt se diviser en deux.

Les compagnons n’eurent malgré tout aucun mal à venir à bout des créatures jumelles, qui furent rapidement piquetées d’impacts de Projectiles magiques ou bouillies par des Rayons d’énergie incandescents. Ils s’en tirèrent sans la moindre blessure, hormis les légères brûlures que le moine s’infligea lui-même en frappant à mains nues leur protoplasme corrosif.

La seule réelle difficulté fut de remonter Aloïs du cloaque dans lequel il était tombé sans trop se salir les mains. Il avait tenté de sauter sur le trottoir opposé afin de disposer d’un angle de tir plus dégagé mais, n’ayant pu prendre d’élan, il était tombé court, s’enfonçant jusqu’aux aisselles dans une fange innommable. Pis encore, sa première tentative pour s’extirper de ce bourbier s’était soldée par un lamentable échec, et il y était retombé de tout son long. Au final, il n’avait pas pu participer au combat et était recouvert de la tête aux pieds d’une gangue puante.

Heureusement, il eut rapidement l’occasion de faire trempette : une fois arrivés à destination, les compagnons reçurent de Barnabé une Respiration subaquatique, et plongèrent pour traverser à la queue leu leu le second boyau, paladin en tête.

Arrivés de l’autre côté, ils se dirigèrent dans la seule direction laissée inexplorée par Hélebrank, à savoir l’amont. Après avoir pataugé sur une centaine de mètres, ils débouchèrent dans une caverne naturelle à moitié occupée par un lac souterrain. Une fois à pied sec, ils s’aperçurent que les parois étaient couvertes de pétroglyphes à la mode des anciens flannae, c’est-à-dire des courbes concentriques et des rosaces gravées dans la pierre. Il n’y avait a priori que deux autres issues, un boyau immergé alimentant le lac, et une galerie tortueuse s’ouvrant de l’autre côté de celui-ci.

Les compagnons se répartirent le long des parois, recherchant sans succès un très hypothétique passage secret tout en échangeant à haute voix commentaires et fines plaisanteries. Attirées par le bruit, une dizaine de ghasts s’approchèrent silencieusement, les yeux fixés sur l’îlot de lumière entourant cet appétissant buffet. Elles tournèrent le coin et commencèrent à s’avancer, courbées en deux pour rester aussi longtemps que possible inaperçues de leurs proies, qu’elles pensaient aveugles…

Mais hélas pour elles, Kalen regardait à cet instant dans leur direction et disposait toujours du sort de Vision sombre que lui avait lancé Barnabé pour les besoins de sa Scrutation. Il réagit au quart de tour : une Boule de feu éclata à l’entrée du tunnel avant même qu’elles aient pu toutes en sortir, incinérant la quasi-totalité de la meute. Les deux seules survivantes, fortement roussies, se ruèrent en avant, traversant bruyamment la mare. Leur réduction en chair à pâté fut d’autant plus prompte que la toute première réaction de Barnabé fut de lancer un sort de Frénésie sur ses amis.

Les compagnons suivirent la galerie par laquelle elles étaient arrivées jusqu’à une autre grotte naturelle. Deux issues étaient visibles : une galerie sinueuse aboutissant quelques mètres plus loin à une paroi de granit lisse, sans doute le résultat d’un sort de Mur de pierre ; et un boyau bas dégageant une odeur pestilentielle de charogne, creusé à même le roc, menant vraisemblablement à une garenne de goules…

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Ephraïm Barriquaud marchait seul dans les rues de la Ville Haute, perdu dans ses pensées. En cette chaude soirée d’été, l’air était embaumé de senteurs enivrantes dégagées par les essences aromatiques plantées le long des rues. Mais rien n’aurait pu soulager l’esprit troublé du marchand.

Voila des mois qu’il négligeait ses affaires et revenait régulièrement à Greyhawk à la recherche de sa sœur disparue, et il n’en était pas plus avancé. Les autorités ne lui avaient été d’aucune aide, et l’enquêteur engagé pour pallier leur défaillance avait tout simplement disparu à son tour.

La semaine précédente, il avait bien eu une petite lueur d’espoir, lorsque ce hobniz était venu à sa rencontre en se présentant comme l’apprenti du dit enquêteur. A l’en croire, il s’efforçait d’élucider les circonstances de la disparition de son maître avec l’aide d’amis, et soupçonnait fortement Loris Raknian d’y être pour quelque chose.

Le marchand lui avait aussitôt fait part du plan qu’il avait imaginé pour permettre à de faux gladiateurs d’accéder aux Arènes (et de là au palais de Raknian) à l’occasion des Jeux des Greyhawk. Son visiteur avait pris congé en lui promettant une réponse dans la journée, ou au plus tard le lendemain, le temps de consulter ses camarades.

Hélas, ni Barnabé Bouillabise (mais était-ce seulement son véritable nom ?) ni ses prétendus amis ne s’étaient manifestés depuis lors, et le petit message de relance envoyé quelques jours auparavant à l'adresse qu'il lui avait laissée n'avait provoqué aucune réaction.

Du coup, Ephraïm se demandait quel crédit accorder au reste du fantastique récit que lui avait fait ce hobniz. Ses confrères de la Guilde des Marchands confirmaient qu’il y avait bien eu un problème avec des dopplegangers au sein du Guet : il semblait donc que sur ce point là au moins, il ne lui avait pas menti. S’il fallait en croire la suite, la plainte déposée au sujet de la disparition de sa sœur Lahika aurait été escamotée par ces mêmes dopplegangers, dont il lui avait laissé entendre qu’ils auraient pu agir pour le compte de Loris Raknian.

Il n’y avait qu’une façon de s’en assurer. De toute façon, il n’avait plus guère d’autre option.

Enfin arrivé à destination, il poussa la porte de l’Hôtel du Guet.

Note du MJ:
Apparemment, mes joueurs croyaient qu'oublier un PNJ aurait pour effet que celui-ci les oublierait aussi... Perdu !

Ils ont eu droit à une seconde chance avec la lettre du relance du marchand, mais comme ils n'ont pas plus réagi celui-ci a agi de la seule façon qui lui semblait encore possible. Comme le hobniz lui appris que sa plainte avait disparu, il est allé tout droit au Guet la renouveler. Et comme ce même hobniz lui avait aussi imprudemment révélé le lien entre Raknian et les dopplegangers (ayant oublié le conseil que venait juste de leur donner le Juge Godbert, la séance précédente) mais omis de lui dire que c'était un secret, tant qu'à faire, il leur a tout déballé. Autant pour la surveillance discrète de Raknian !


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SOUS LA FANGE, LE POT-AUX-ROSES
(séance du 6 juin 2014)

2ème Jour du Soleil du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (tard le soir)
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L’attention des compagnons se porta tout d’abord sur la garenne de ghoules, un réseau de boyaux étroits fleurant bon la charogne. Etant le seul à pouvoir y circuler sans devoir ramper, Barnabé se porta bravement volontaire pour en explorer les profondeurs (où il aurait probablement péri dévoré). Aloïs suggéra de confier plutôt cette tâche à Caillou, partant du principe que sa perte serait moins dommageable.

Le vaillant minéral reçut tout d’abord du paladin un sort de Lumière, car comme il le rappela à son patron sa vision psionique ne lui permettait pas de voir dans le noir. Puis, miroitant de mille feux, il partit à l’aventure, suivant l’une des parois extérieures du dédale pour ne pas perdre son chemin et revenant régulièrement faire renouveler sa source de lumière, dont il mesurait la durée en comptant à haute voix télépathique à la grande exaspération d’Hélebrank.

Conformément aux instructions reçues, lorsqu’il croisa enfin une créature, il en signala aussitôt la présence :

- « 341… 342… Euh, patron, il y a une ghoule juste là, dans un boyau qui rejoint le mien. »
- « Elle te suit ? »
- « Non. Elle me regarde passer, plutôt… Elle a l’air un peu étonné. 343… 344… Ah si, elle s’est décidée. Elle me suit maintenant. »
- « Très bien, reviens. »
- « Et comment je fais ? Elle est derrière moi ! »
- « J’en sais rien. Trouve un passage, marche-lui dessus… Débrouille-toi ! » lui rétorqua le psion affolé, qui se voyait déjà devoir aller porter secours à son psicristal.

Heureusement, Caillou trouva rapidement une boucle propice. Il feinta à gauche avant de passer à droite, puis fila en direction de la sortie de toute la vitesse de ses petites pattes protoplasmiques. Avertis de son retour imminent, les compagnons se préparèrent au combat ; lorsque Caillou reparut en annonçant fièrement être parvenu à semer son poursuivant, ils furent donc un peu déçus.

Délaissant la pêche aux ghoules à appât vif, Hélebrank envisagea ensuite de défoncer à coups de rayons d’énergie sonique le mur de pierre qui faisait obstacle à leur progression. Il y renonça après l’avoir sondé d’un coup de bâton : au bruit sourd obtenu, il devina qu’il était très épais et que son percement nécessiterait donc une trop grande part de son énergie psionique.

Les compagnons revinrent donc à la caverne précédente, celle dont les murs étaient couverts de pétroglyphes et le sol jonché de ghasts, pour y examiner de plus près le boyau immergé alimentant le petit lac. Barnabé était sur le point de lancer son sort de Respiration aquatique pour permettre à toute la troupe d’ý plonger lorsque Caillou se proposa à nouveau comme éclaireur, rappelant qu’il n’avait pour sa part pas besoin d’oxygène.

Il franchit une première fois ce passage immergé, confirmant qu’il débouchait non loin dans une autre caverne contenant un ensemble de bâtiments en ruine. Il fallut attendre pour en savoir plus, Hélebrank l’ayant rappelé sans lui laisser le temps de pousser plus loin ses investigations avant de changer d’avis. C’est donc lors d’une seconde expédition qu’il repéra une statue d’albâtre représentant un géant barbu armé d’une mailloche. Sur la stèle étaient gravés quelques mots de suélois qu’il ne sut lire.

Les compagnons passèrent un certain temps à se demander quel pouvait bien être le rapport entre ces ruines et les Arènes, jusqu’à ce que Kalen ait enfin une illumination.

- « Cela me revient maintenant, j’ai déjà vu cette statue en parcourant les sous-sols des Arènes avec mon Œil de mage. J’avais presque oublié » réalisa t’il soudain. « En fait, cette caverne communique directement avec le logis cénobite, l’endroit où seront hébergés les gladiateurs durant les Jeux. »
- « Parfait, on peut y aller. Vas-y Barnabé, lance-nous ton sort pour respirer sous l’eau, qu’on puisse traverser ! » s’enthousiasma Aloïs.
- « Pour quoi faire ? » demanda simplement le paladin.
- « Et bien pour explorer les ruines, pardi. Il y a souvent des trésors, dans les ruines » répliqua Aloïs du tac au tac.
- « C’est plutôt pour rejoindre les sous-sols des Arènes » corrigea Kalen. « C’est bien là que nous voulions aller, non ? »
- « Justement, dans quel but ? » insista Mathieu. « Je ne comprends toujours pas ce qu’on est venus faire ici. Quelqu’un pourrait m’expliquer ? »
- « En fait, c’est à cause de Loris Raknian » lui expliqua gentiment Hélebrank. « On sait qu’il est impliqué d’une façon ou d’une autre dans cette histoire, et comme il dirige les Arènes… »
- « Merci, je suis au courant ! Mais c’est pas un peu léger pour justifier une entrée par effraction ? Je vous préviens : si jamais on y va, qu’on rencontre un garde sans avoir trouvé quoi que ce soit de maléfique, ou même de vaguement sinistre, et qu’il nous demande de nous arrêter, je m’arrête. Je ne vais pas taper sans raison valable sur un garde qui ne fait que son travail. Je ne voudrais pas qu’il y ait un malentendu entre nous à ce sujet. »
- « Ce n’est pas grave ça. Nous pourrons nous charger de… » commença Aloïs avant d’être interrompu par le paladin.
- « Avant que tu ne dises quelque chose de regrettable, j’ajoute que je m’arrête… et que je l’aide à vous appréhender. Si possible sans effusion de sang. »

Cette dernière précision jeta un froid, et amena les compagnons à reconsidérer leurs plans. Ils décidèrent finalement de ne visiter les sous-sols des Arènes qu’en tout dernier recours, après avoir terminé l’exploration du réseau de cavernes où ils se trouvaient. Au moins, à ce qu’ils en savaient, il appartenait au domaine public.

- « Cela ne nous laisse que la caverne où tu as rencontré ces gelées ocres » conclut Kalen, s’adressant à Hélebrank. « Très franchement, est-ce que cela vaut la peine d’aller se les farcir ? On ne ferait pas mieux de retourner à l’auberge se sécher près d’un bon feu ? »
- « Comment veux-tu que je le sache ? » lui répondit le psion. « Pour savoir s’il y a quelque chose d’intéressant là-bas, il faut bien y aller. Il n’y a pas d’autre moyen. »
- « En plus, en ce qui me concerne, si on rentre maintenant, je ne reviens pas » ajouta le paladin. « Je vais déjà en avoir pour un bon moment à nettoyer mon armure après tous ces passages sous l’eau. J’en ai littéralement plein les bottes. »

Jugeant recevables ces objections empreintes de sagesse, les compagnons rebroussèrent chemin sur les indications d’Hélebrank. Ils repassèrent devant les accès immergés menant aux égouts et poursuivirent au-delà. Barnabé suivait le psion d’autant plus près que, n’ayant pas pied, il se cramponnait à sa ceinture pour ne pas sombrer, se laissant trainer dans son sillage.

Conformément à la description qui leur en avait déjà faite par Hélebrank, la vaste grotte basse de plafond où ils débouchèrent était envahie d’immondices qui flottaient dans l’eau stagnante ou s’amalgamaient en îlots putrides.

Dès l’entrée, Aloïs déclara à qui voulait bien l’entendre que cela fleurait bon les marais, sans toutefois préciser que ce qu’il voulait dire par là était qu’une grande quantité de gaz inflammable devait s’être dégagée des matières en décomposition, une omission qui ne tarderait pas à avoir de fâcheuses répercussions.


Les compagnons suivirent à la queue leu leu la paroi sur leur droite, restant sur leurs gardes. Ils furent rapidement récompensés de cette vigilance.

- « Là-bas derrière, une gelée au plafond ! » cria Barnabé, utilisant celle de ses mains qui n’était pas cramponnée à la ceinture d’Hélebrank pour expédier une volée de Projectiles magiques sur la créature.
- « Et là à gauche, un remous dans l’eau ! » ajouta Kalen, seul autre membre de la troupe à bénéficier d’une Vision nocturne et donc en mesure de voir plus loin que la zone illuminée qui les entourait sur quelques mètres.

Puis il lança une Boule de feu, juste au-dessus de l’endroit où il estimait que devait se trouver la gelée immergée. Le résultat dépassa de très loin ses espérances : à cause du gaz naturel qui stagnait dans la caverne, son sort prit des dimensions inattendues, enflant jusqu’à atteindre le double de sa taille normale. Son expansion incontrôlée ne s’arrêta qu’à quelques pas des compagnons : ceux-ci eurent très chaud, au propre comme au figuré.

Les gelées continuèrent à se rapprocher, sortant peu à peu de la pénombre. Une troisième apparut droit devant, le long de la paroi que longeaient les compagnons. Par réflexe, Mathieu sortit sa hache ; puis il se rappela que les armes tranchantes n’étaient pas recommandées, et la rengaina au profit de sa masse d’armes. Suivant son exemple, Aloïs et Khalil se tinrent prêts à réceptionner tout ce qui arriverait à leur portée.

De leur côté, les mages et assimilés faisaient feu à volonté. L’une des gelées explosa, traversée de part en part par un Rayon d’énergie incandescent d’Hélebrank. Kalen tenta de réitérer son exploit précédent en lançant une seconde Boule de feu à mi-chemin entre les deux gelées survivantes, comptant sur l’effet démultiplicateur du gaz des marais pour les atteindre toutes deux. Cela démontrait bien qu’il n’y entendait rien en alchimie, car son sort conserva une taille normale et n’en atteignit aucune, le dit gaz ayant été déjà consumé.

Khalil acheva d’une magistrale série de coups la gelée qui, ayant eu la bonne idée de s’approcher sous l’eau, avait survécu au feu roulant des mages assez longtemps pour faire surface à sa portée. Il ne resta plus en vue qu’un autre spécimen, celui qui leur venait en face.

Désireux de participer au massacre, Hélebrank s’écarta de quelques pas du groupe pour avoir un meilleur angle de tir et réduire la portée. Ne lui restait plus qu’à trouver un objet susceptible de convenir à son pouvoir de Projection télékinétique… N’en voyant aucun flotter à portée de main, il se rabattit par défaut sur un carreau d’arbalète tiré de l’un des carquois qu’il portait toujours à la ceinture.

Ce choix s’avéra peu judicieux : non seulement le carreau traversa la créature sans lui causer de dommages, mais la fit se scinder en deux spécimens plus petits. L’un d’eux s’avança à portée de masse du paladin, qui l’aplatit comme une galette. Le second s’en prit à Hélebrank, une proie désormais isolée. Une quatrième gelée que personne n’avait vu venir eut la même idée, crevant la surface juste à côté du psion. A eux deux, les monstres gélatineux lui infligèrent une mémorable correction, et il se retrouva en un clin d’œil ensanglanté et solidement enserré par un pseudopode dont les sécrétions acides lui brûlaient la peau.

Son salut vint de Barnabé, qui toujours accroché à sa ceinture avait suivi le mouvement et était par conséquent bien placé pour faire éclater la gelée qui menaçait de lui réduire les os en purée d’une salve de Projectiles magiques.

Ne resta plus qu’à régler son compte à la dernière venue. Cette vilaine sournoise ne résista pas à la volée de coups que lui assénèrent Aloïs, Khalil et même Hélebrank, pressés si étroitement autour d’elle que le paladin ne put se frayer un chemin entre eux pour participer à l’hallali. Sa contribution se limita donc à soigner les affreuses blessures du psion à grands coups de Baguette de guérison des blessures modérées.

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Poursuivant leur chemin le long de la paroi de la caverne, les compagnons aperçurent bientôt l’embouchure d’un tunnel maçonné. Long d’une dizaine de mètres, celui-ci remontait en pente douce vers un cul-de-sac. Face à eux, un filet d’eau sale coulait d’un déversoir, remplissant un petit bassin dont le trop-plein dévalait la pente vers eux.

Cet élément artificiel au milieu de cavernes naturelles ne manqua pas d’attirer l’attention des compagnons. Ils remontèrent le tunnel et s’aperçurent que le cul-de-sac était en fait le fond d’un puits, haut de quatre mètres.

Khalil en fit l’escalade sans trop de difficultés. Une fois arrivé en haut, Mathieu lui lança sa torche, et il put décrire les lieux à ses compagnons : une petite salle ronde de trois mètres de diamètre au milieu de laquelle s’ouvrait le puits, sans la moindre margelle. Face à lui, un couloir étroit s’enfonçait dans les ténèbres, débouchant non loin dans un espace plus large dont il ne pouvait rien distinguer.

Kalen, Aloïs et Barnabé décidèrent que le moment était idéal pour redescendre jusqu’à la caverne et la soumettre à un examen aussi poussé qu’interminable, allant même jusqu’à rechercher des passages secrets dans les parois rocheuses. Le pauvre moine patienta donc un bon quart d’heure assis au bord de son puits, seul dans les ténèbres avec sa torche, n’ayant comme soutien que les encouragements du paladin et du psion.

Les vaillants explorateurs revinrent enfin, brandissant fièrement un Gantelet de rouille encore garni du bras de son précédent propriétaire trouvé dans un amas de détritus. Une corde fut lancée au moine, et chacun à son tour les compagnons purent enfin grimper et le rejoindre.

Avant de poursuivre, Kalen se lança un nouveau sort d’Armure de mage, le précédent lancé en début d’après-midi ayant fini par expirer. Mathieu passa devant, suivant le couloir sur quelques mètres avant de déboucher dans une petite pièce rectangulaire. En face, le couloir se poursuivait tout droit. Bizarrement, étaient posés au sol trois cercueils neufs, du modèle sobre utilisé pour les crémations ou les indigents.

Lorsqu’il franchit le seuil, des mains puissantes se saisirent de lui. La lumière diffusée par son bouclier lui permit d’identifier aussitôt ses agresseurs : deux zombis décharnés, aux chairs grouillantes de vers nécrotiques d’un beau vert bilieux, copies conformes de celui déjà affronté dans les sous-sols du donjon de Blackwall. Avec son heaume, il n’avait rien vu venir de l’embuscade, mais cela faisait un bout de temps qu’ils attendaient plaqués au mur de part et d’autre du couloir.

Une aura surnaturelle de terreur balaya les compagnons. Barnabé y succomba complètement, sautant à bas du puits pour se sauver aussi vite que pouvaient le porter ses courtes jambes. Khalil le suivit de près, flottant gracieusement dans les airs grâce à son Anneau de chute de plume. Aloïs et Mathieu s’en tirèrent un peu mieux, le cœur battant la chamade et les mains tremblantes.

- « C’est un genre de zombi ! J’m’y connais, visez la tête ! » beugla Aloïs, espérant que ce judicieux conseil aiderait ses camarades.

Celui qui s’était saisi du paladin le tira à l’intérieur de la pièce pour laisser le champ libre à son congénère, qui s’avança aussitôt pour s’attaquer au premier des compagnons dans la file, à savoir Kalen depuis la désertion involontaire du moine. Ses griffes lui labourèrent le torse, semant derrière elles un petit ver vorace.

Complètement paniqué, Kalen parvint à lancer sans recevoir d’autres coups un sort de Saut dimensionnel qui le ramena dans la salle du puits, derrière ses compagnons encore présents.

Aloïs, qui jusqu’alors avait fermé la marche, se précipita en avant pour engager le combat avec le mort-vivant, bousculant au passage Hélebrank. Du coup, faute de ligne de tir dégagée, le psion renonça à employer l’un de ses Rayons d’énergie dévastateurs et lui substitua une Décharge concussive, bien moins puissante mais qui avait le mérite de toujours trouver sa cible.

Mathieu ne tenta pas de repousser son assaillant, préférant profiter de sa proximité et de sa relative immobilité pour lui défoncer méthodiquement le crâne à coups de masse. Cette tactique porta ses fruits, ses coups pleuvant sur le mort-vivant plus vite que celui-ci ne pouvait régénérer. Toutefois, ce corps à corps prolongé permit à deux vers de se faufiler sous son armure et de s’enfoncer dans ses chairs. Il les sentait essayer de se frayer un chemin vers sa tête en remontant le long de son torse ou de l’un de ses bras, une sensation aussi dérangeante que douloureuse. Heureusement, sa résistance naturelle et ses pouvoirs de paladin ralentissaient beaucoup leur progression.

Voyant que son congénère venait de succomber et ne souhaitant pas être pris à revers, le zombi véreux survivant recula d’un pas pour sortir du couloir et s’attaquer au paladin, lui assénant un coup puis essayant sans succès de le saisir à bras le corps.

Mathieu esquiva d’un bond, puis se concentra pour faire jaillir autour de lui un flot d’énergie positive. Cela suffit à griller le troisième ver que venait de lui transférer le zombi véreux, mais n’infligea à ce dernier de très légers dommages, parfaitement négligeables au regard de ce que lui firent subir le paladin et le rôdeur durant les quelques secondes qui suivirent.

Les compagnons étaient sortis vainqueurs de l’escarmouche, mais il leur fallait encore sauver le paladin avant qu’il ne succombe à l’infestation mortelle et ne se transforme à son tour en zombi véreux blindé. Sa solide constitution et ses pouvoirs divins lui offraient un répit, mais à terme l’issue ne pouvait être que fatale.

Egalement contaminé, Kalen s’était tiré d’affaire tout seul ; en fait, il avait passé le reste du combat à fouiller son paquetage à la recherche de l’Anneau de stase des sortilèges contenant un sort de Guérison des maladies, qu’il avait ensuite utilisé pour sauver sa vie.

Tout le monde se mobilisa pour aider le paladin à enlever rapidement le plastron et l’un des brassards de son armure. Aloïs fut désigné (par défaut) comme chirurgien et tira sa dague, tandis qu’Hélebrank l’assistait de son mieux en maintenant le patient et en écartant les chairs. Quant à Kalen, il s’efforça de ralentir la progression des vers en lançant à Mathieu un petit sort de Résistance. Au final, malgré ses mains encore tremblantes, Alois parvint en un peu moins d’une douzaine de tentatives à extirper les deux vers avant qu’ils ne rejoignent l’abri de la boîte crânienne. Craignant que Mathieu ne survive pas à ses bons soins, il dut tout de même s’interrompre une fois pour lui permettre de refermer par magie quelques-unes des « incisions exploratrices » infligées.

Cette affaire urgente réglée, les compagnons purent rappeler Barnabé et Khalil, qui se terraient tremblants de peur au pied de la rampe menant à la caverne aux gelées, et les faire remonter en haut du puits.


Ils attendirent encore quelques minutes, le temps que les effets de l’aura de terreur des créatures se dissipent tout à fait, puis s’engagèrent dans le couloir avec moult précautions, toutes détections dehors, laissant sur leur gauche un passage inexploré avant d’aboutir à une solide porte de chêne, étonnamment neuve.

Après examen, elle se révéla ne pas être verrouillée, juste fermée par un simple loquet de fer. Barnabé le fit basculer et tira le battant vers lui tandis que Mathieu le protégeait de son bouclier.

Ils se retrouvèrent au seuil d’une large colonnade aboutissant dix mètres plus loin à un amphithéâtre sculpté dans la roche, au centre duquel trônait un autel de pierre très simple. Sur la gauche, des étagères vermoulues s’étaient effondrées, répandant leur contenu sur le sol. Le long du mur de droite et jusqu’à l’autel étaient entassés divers appareillages, restes désarticulés de mannequins d’entrainement, caisses de pièces détachées, cibles d’archerie et autres vestiges d’une très ancienne salle d’armes. Au vu des fresques encore visibles sur les murs, Mathieu sut que les lieux étaient dédiés à Kord, une antique divinité suéloise de la compétition et de l’athlétisme. Une très forte odeur de moisi et de pourriture flottait dans l’air.

La seule issue visible était une double porte dans le mur de gauche, fermée et tout aussi neuve que celle par laquelle ils venaient d’entrer. Barnabé aperçut dans l’épaisse couche de poussière qui recouvrait le sol des traces de passages répétés entre les deux portes.

Les compagnons s’étaient déjà bien avancés dans la pièce lorsqu’Aloïs aperçut un mouvement suspect et donna l’alerte. Trois nouveaux zombis véreux jaillirent de leurs cachettes : deux sur les gradins au fond de la pièce, et un troisième beaucoup plus proche sur leur droite, vers lequel Aloïs s’avança aussitôt.

Un mort-vivant d’un autre genre fit son apparition, se relevant derrière l’autel. Mathieu reconnut de suite un Mohrg, une sorte de squelette à la cage thoracique entièrement emplie d’entrailles luisantes. Un boyau musculeux et luisant lui sortait de la bouche, tentacule grotesque dont le moindre contact pouvait paralyser sa proie.

Il n’eut toutefois pas le loisir de communiquer cette information à ses camarades. Déjà une première Boule de feu envoyée par Kalen explosait au fond de la pièce au milieu des morts-vivants, immédiatement suivie par une Boule d’énergie glaciale invoquée par Hélebrank. Bien que surpris par l’embuscade, les compagnons avaient très rapidement réagi.

Une nouvelle vague de terreur déferla sur eux lorsque les morts-vivants approchèrent. Cette fois, seul le moine y succomba tout à fait, s’enfuyant à toutes jambes pour se jeter en bas du puits et retourner se terrer dans la caverne.

Au lieu de charger les compagnons, l’un des zombis véreux se dirigea vers la double porte et en ouvrit l’un des battants. Il n’alla pas plus loin : la seconde Boule de Feu de Kalen le carbonisa sur place, de même que son congénère plus combatif.

De son côté, Aloïs eut tôt fait de réduire son adversaire en tapenade, d’autant que le sort de Frénésie lancé par Barnabé sur les compagnons augmentait grandement la rapidité de ses coups.

Le mohrg se retrouva donc rapidement isolé, entouré et sérieusement endommagé. Il avait bien tenté de paralyser le paladin, lui cinglant la face de sa langue démesurée, mais sans aucun résultat. Changeant de tactique, il prit un peu de champ afin de contraindre ses adversaires à se lancer à sa poursuite. Le seul résultat qu’il obtint fut de devenir une cible idéale pour les mages du groupe qui s’en donnèrent à cœur joie, clôturant le combat par un bouquet final digne d’un feu d’artifice.

Mathieu soigna aussitôt les quelques blessures infligées par les griffes acérées du mohrg. Dès que ce fut chose faite, Aloïs alla chercher Khalil. En attendant son retour, ses camarades se déployèrent dans la pièce, farfouillant de ci de là à la recherche de choses intéressantes, butin ou informations.

Barnabé alla plus particulièrement jeter un œil à la porte par laquelle l’un des zombis véreux avait fait mine de s’enfuir. Il vit derrière un large couloir aboutissant à une autre double porte. Etant indemne et n’ayant rien de mieux à faire, il se dissimula derrière le battant encore fermé et fit le guet.

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Moins d’une minute après la fin du précédent combat, alors que les compagnons étaient encore dispersés, Barnabé vit la porte qu’il surveillait s’ouvrir au fond du couloir, pour laisser le passage à un tiéfelin corpulent vêtu d’une cotte de mailles et armé d’un gourdin de bois noirci, portant au cou un lourd pendentif de jade représentant un crâne humain grouillant de vers.

Le hobniz donna aussitôt l’alerte, mais préféra se reculer pour lancer une Force de taureau sur Mathieu plutôt que de s’attaquer directement au nouveau venu. Celui-ci franchit rapidement le couloir et s’arrêta sur le seuil de la pièce, toisant les compagnons avec un sourire méprisant. Puis il commença une longue incantation, une main posée sur son symbole divin.

Barnabé tenta de l’interrompre à sa façon habituelle, c’est-à-dire en lui expédiant quelques Projectiles magiques. A sa grande consternation, les dards lumineux se dissipèrent en plein vol une fraction de seconde avant l’impact, sans que le tiéfelin n’ait à lever le petit doigt. Manifestement, il devait bénéficier d’une forme de résistance aux sortilèges.

Aloïs et Khalil étaient déjà sur le chemin du retour, le premier ayant aidé le second à remonter en haut du puits, lorsque les clameurs du combat leur parvinrent. Ainsi alerté, le moine concentra ses forces pour accélérer sa course, dévalant le couloir et jaillissant dans la pièce tel un carreau de baliste. Il chargea droit sur l’ennemi… et s’écrasa lamentablement sur un mur invisible deux mètres avant de l’atteindre. Le sourire du prêtre maléfique s’élargit encore.

Voyant cela, et comprenant qu’il ne pouvait s’agir d’un mur de force ordinaire puisque les Projectiles magiques de Barnabé l’avaient franchi, Hélebrank eut l’intuition géniale de se saisir télékinétiquement d’une lourde caisse et de la projeter droit sur le prêtre, le frappant en pleine poitrine. Miraculeusement, bien que contraint à reculer sous la puissance de l’impact, sa cible parvint à conserver sa concentration et continua à incanter.

Puis ce fut au tour de Kalen de réagir. Analysant rapidement la situation tactique, il aboutit à la conclusion (correcte) que leur plus gros problème provenait de ce champ de force qui empêchait leurs combattants d’approcher. Tentant le tout pour le tout, il lança donc une Dissipation de la magie en ciblant spécifiquement cette barrière plutôt que d’assurer le coup en s’attaquant sans discrimination à n’importe lequel des nombreux enchantements qui entouraient le prêtre ennemi.

Son audace fut récompensée par un coup de chance inouï : il trouva d’emblée un point faible dans la trame du sortilège, le faisant s’effondrer comme un château de cartes. Le paladin profita aussitôt de la brèche, venant au contact du prêtre tiéfelin pour lui asséner un bon gros coup de hache.

Ce dernier parvint malgré tout à achever son invocation. Un petit démon obèse aux yeux chassieux et aux oreilles tombantes apparut dans un nuage de vapeurs soufrées. Mathieu le reconnut aussitôt comme un Dretch, un démon des plus mineurs. Le prêtre lui donna un ordre dans une langue aux sonorités gutturales. L’instant d’après, un nuage de vapeurs verdâtres à l’odeur immonde envahit la pièce. Khalil fut saisi de nausées incontrôlables, se pliant en deux pour vider son estomac.

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Le tiéfelin était abasourdi par la rapidité avec laquelle son plan de bataille infaillible avait été déjoué. Bien à l’abri derrière son Cocon anti-vie, il avait pensé avoir tout loisir d’invoquer d’abord un démon mineur capable de le dissimuler aux regards et aux projectiles, le seul véritable défaut de sa cuirasse, puis d’écraser les intrus en lâchant à leurs trousses quelques démons de combat. Mais voilà que quelques secondes à peine après son entrée, il se retrouvait en fâcheuse posture, blessé, et avec pour seul soutien un malheureux Dretch. C’était eux évidemment, eux et leur puissant pouvoir.

Il envisagea un instant de libérer prématurément la précieuse créature dont il avait la charge. Hélas, quand bien même elle parviendrait dévorer les intrus, achever le rituel dans ces souterrains déserts ne servirait en rien la onzième prophétie. Des années de préparatifs s’en trouveraient réduits à néant. L’idéal serait plutôt d’en capturer un ou deux vivants, en vue d’un sacrifice ultérieur. Il serra donc les dents et poursuivit le combat par ses propres moyens, enchainant aussitôt sur un sort de Puissance divine qui restaura ses forces et augmenta ses capacités de combat.

Malgré cela, le paladin d’Heironéous qui lui faisait face dévia tous les coups qu’il tenta de lui porter avec son gourdin maudit, et il dut parer en retour plusieurs assauts. Il s’en fallut de peu qu’il ne soit sérieusement blessé. Par-dessus le marché, ce maudit mage venait de dissiper le Nuage puant invoqué par le Dretch, l’exposant à nouveau aux regards et donc aux tirs. Le sixième de ces pécores, arrivé à la suite de leur moine, en profitait pour lui décocher des carreaux d’arbalètes qui ne lui faisaient pas grand mal mais ajoutaient l’insulte à l’injure.

Le seul point positif était que dans ce couloir ses adversaires ne pouvaient l’attaquer à plus de deux de front. En outre, il avait encore un atout dans sa manche grâce aux pouvoirs sur la Mort conférés par son dieu. Il recula d’un pas et porta la main à son symbole divin, libérant autour de lui un flot craquelant d’énergie négative qui sapa les forces de ses adversaires tout en reconstituant les siennes. Il recommença une deuxième fois, et eut la satisfaction de voir ce misérable vermisseau de hobniz tomber à la renverse, à l’article de la mort. Les autres ne semblaient valoir guère mieux, il sentait la victoire à portée de main…

Il en souriait encore lorsque la hache du paladin lui défonça la poitrine, mettant fin à ses espoirs.

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Une fois ce redoutable adversaire vaincu, les compagnons épuisés se répartirent les taches, parant au plus pressé.

Khalil se chargea de faire la sentinelle. Il s’avança vers la porte d’où était sorti le prêtre tiéfelin et vers laquelle il reculait pied à pied afin de s’assurer qu’elle ne dissimulait pas d’autres dangers.

Il vit derrière une salle rectangulaire, au plafond soutenu par deux colonnes. Sur sa droite, au-dessus d’une sorte d’autel, flottait dans les airs un grand éclat de cristal noir, de la taille de l’avant-bras, entouré d’une aura pulsante de lumière verdâtre. Un rayon d’énergie crépitante en partait pour aller frapper à sa gauche une double porte dont les battants de bois étaient piquetés d’innombrables clous d’argent arrangés de façon à figurer un grand crâne grimaçant, vomissant un flot de vers par ses mâchoires ouvertes. Ce rayon semblait traverser la porte, la nimbant au passage de lumière verte. En face, il y avait une petite porte de chêne d’aspect plus commun.

Très inquiets pour Barnabé, Mathieu et Hélebrank se précipitèrent à son chevet, laissant de fait le prêtre ennemi aux bons soins d’Aloïs et de Kalen.

Bien mal leur en prit : même s’ils s’abstinrent d’égorger ce prisonnier potentiel, Aloïs ayant fini par retenir cette leçon du paladin, ils furent bien trop occupés à lui faire les poches et à inventorier ses objets magiques pour se soucier de ses blessures.

Le résultat final fut donc le même : le tiéfelin mourut d’exsanguination en moins d’une minute.

Au moment même où il poussait son dernier soupir, Khalil vit la lumière verte vaciller puis s’éteindre tout à fait. Le cristal noir tomba sur l’autel et roula au sol avec un tintement, et l’aura verte qui entourait la porte aux clous d’argent disparut. Un rugissement abominable se fit entendre de l’autre côté, accompagné d’une sorte de bruit de crécelle. Puis commencèrent les coups, si puissants qu’ils en ébranlaient les murs…

Note du MJ:
Ou comment gâcher une victoire obtenue à l'arrachée (le Dispel de Kalen avait 10 % de chances de passer, pas plus) en gros problèmes... Le prêtre n'avait pas eu le temps de lâcher Godzilla comme prévu dans le scénario lorsqu'il est bas en PV, mais le laisser crever sans le faire prisonnier pour l'interroger revient au même...


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BADER TUE !
(séance du 26 septembre 2014)

2ème Jour du Soleil du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (minuit passé)
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Un vent de panique bien compréhensible souffla sur les compagnons. Objectivement, leur situation n’était pas des plus favorables : sauvé in extremis, Barnabé était faible comme un chaton nouveau-né et n’avait plus la moindre miette d’énergie magique ; quant à Mathieu, Khalil et Hélebrank, après avoir affronté le prêtre tiéfelin au corps à corps et donc essuyé de plein fouet deux déferlements successifs d’énergie négative, ils étaient tous trois sérieusement blessés. En fait, seuls Aloïs et Kalen pouvaient être considérés comme en état de se battre, si l’on faisait abstraction du fait que le second n’avait que juste assez de mana pour lancer un ou deux sorts.

N’écoutant toutefois que son courage, Mathieu s’avança le bouclier à la main pour s’interposer entre ses camarades et le danger, prenant position à la porte menant au temple. Les autres firent plutôt mouvement en sens inverse, refluant pêle-mêle vers l’amphithéâtre-gymnase. Très vite, le paladin se retrouva seul dans le couloir.

Khalil se replia plus loin encore afin de vérifier que le chemin de leur retraite vers le puits n’était pas coupé, une excellente initiative qui lui assurait en outre d’avoir une longueur d’avance en cas de pépin. Hélebrank se montra littéralement constructif : après avoir vainement cherché un gros madrier pour bloquer les portes, il entreprit d’édifier une barricade en empilant des caisses dans le couloir. Les autres ne firent rien de particulier, se préparant à l’arrivée du gros monstre en engloutissant à la chaine les potions de soin pour calmer leur angoisse.

Près d’une minute s’écoula ainsi sans que rien ne vienne : ils entendirent à nouveau une sorte de feulement suraigu accompagné d’un bruit de crécelle, immédiatement suivis par une série de coups violents, de plus en plus lointains, parfois ponctués par les bruits d’un éboulement. Enfin, le silence se fit à nouveau.

N’y tenant plus, le paladin décida d’aller de l’avant et pénétra dans le temple. Il s’aperçut de suite qu’il n’entendait plus le bruit de quincaille de sa propre armure. Plus généralement, il constata qu’il ne pouvait plus émettre le moindre son, alors même que les questions et arguties de ses camarades restés dans le couloir lui parvenaient très nettement. Une sorte de sort de Silence n’affectant que les personnes présentes devait être actif dans la pièce.

Laissant prudemment sur sa gauche la double porte cloutée d’argent d’où était venu tout ce vacarme, il traversa le temple pour aller ouvrir une petite porte d’aspect plus ordinaire qui donnait sur un couloir rectiligne aboutissant quelques mètres plus loin à une nouvelle porte.

Une fois dans ce couloir, il constata qu’il pouvait de nouveau se faire entendre et en profita pour appeler du renfort. Hélebrank le rejoignit, et tous deux ouvrirent sans plus de façons la seconde porte, se retrouvant sur le seuil d’une grande chambre à coucher. Dans un coin, un brûle-parfum dispensait une douce senteur fruitée. Au centre de cette pièce carrée, un grand pilier de marbre vert sculpté pour évoquer la forme d’un grand ver annelé soutenait le plafond. Les tapisseries recouvrant les murs pour en atténuer la froideur reprenaient cette même thématique « glauque » ; l’on pouvait y voir une succession de scènes atroces où des humains périssaient sous les coups de hordes de morts-vivants ou succombaient à une infestation de vers nécrotiques.

Le reste du mobilier semblait plus ordinaire : un lit parfaitement commun, flanqué d’une très grande armoire, d’un long coffre de bois renforcé de métal et d’une petite table de chevet, sur laquelle étaient posés un livre relié de cuir, une paire de bésicles aux verres fumés, une lanterne éteinte, une cruche et un gobelet de terre cuite.

- « Hé, les gars ! Il ya un coffre ! » cria Hélebrank par dessus son épaule, certain de l’effet que produirait cette annonce.

A raison, car ses quatre camarades restés en arrière accoururent aussitôt, les poches bourrées à craquer des objets qu’ils venaient de récupérer sur le cadavre du tiéfelin.

Sans entrer dans la pièce, Hélebrank fit flotter jusque dans ses mains le livre posé sur la table de chevet. Sa reliure était faite d’un cuir très fin, doux au toucher, dont il aurait bien été incapable d’identifier la provenance s’il n’avait repéré au dos une aspérité ressemblant étrangement à un mamelon humain. Il l’ouvrit et parcourut rapidement une page ; toutefois, ne comprenant rien à ce qui était écrit, il dut se résigner à passer le relais à Kalen qui piaffait d’impatience à ses côtés en essayant de lire par-dessus son épaule.

Après examen, ce dernier déclara que la page de garde portait un titre en flannae ancien, « Kyuss na’stari », pouvant se traduire par « le dit de Kyuss » ou « la parole de Kyuss ». Ce nom n’évoquant rien à personne, Kalen mit le livre de côté pour examen ultérieur et passa plutôt aux choses sérieuses, à savoir le coffre.

Mathieu venait justement d’annoncer que, de tous les objets présents dans la pièce, seul ce dernier dégageait une aura maléfique, de forte intensité qui plus est. A y bien regarder, il avait bien un petit air louche : fait d’un bois noirci par l’âge, tout son pourtour était gravé d’une frise divisée en deux parties superposées, figurant en bas un monde souterrain grouillant de vers, dont certains perçaient la croûte terrestre pour semer la terreur à la surface parmi de nombreuses silhouettes humaines courant en tous sens.

Kalen décela sur le coffre une puissante aura de nécromancie et de thaumaturgie. Après un examen plus poussé, il comprit qu’il devait s’agir d’un piège magique au fonctionnement similaire à celui d’un Miroir d’emprisonnement : quiconque ouvrait le coffre sans y être autorisé courrait le risque d’être aspiré dans la frise, où son âme serait lentement dévorée. Affolé, il recommanda avec véhémence à ses compagnons de ne pas y toucher, et après réflexion ajouta qu’il ne fallait pas l’ouvrir du tout, même à distance.

Dans le même temps, Hélebrank avait commencé l’examen du contenu de l’armoire, s’étant fait une spécialité de la fouille de ce type de meubles. Juste derrière les habits et robes de cérémonie du tiéfelin suspendues à des cintres, il eut la surprise d’y trouver une jeune fille aux cheveux blonds platine qui le regardait fixement de ses grands yeux bleus. Il en avisa aussitôt ses compagnons, qui crurent d’abord à une blague.

La demoiselle restait là sans réaction, ne répondant à aucune de ses questions. Lorsqu’il la tira par le bras pour la faire sortir, elle se borna à faire un pas en avant pour ne pas tomber. Compte tenu de son teint pâle, de la froideur de sa peau, de sa complète passivité et de l’aura maléfique qu’elle dégageait, les compagnons finirent par déduire qu’il devait s’agir d’un bête zombi dans un état de conservation inhabituel.

Mathieu estima que sa mort ne devait pas remonter à plus de quelques heures : en effet, sa peau ne présentait pas de marbrures, et aucun voile laiteux ne ternissait encore ses yeux. Toutefois, à y regarder de plus près, il vit que son cou portait des meurtrissures violacées laissant deviner l’empreinte de cinq doigts la saisissant à la gorge. Elle semblait avoir été étranglée d’une seule main, vraisemblablement par un homme de grande taille.

Comme ce zombi femelle répondait à la description de Lahika Barriquaud, et avait d’ailleurs en y regardant de plus près un petit air de famille avec le marchand kéolandais, les compagnons s’abstinrent de le détruire. Son étonnante fraîcheur trouva vite une explication lorsque Barnabé décela sur elle l’aura nécromantique d’un sort de Parfait embaumement.

Les compagnons consacrèrent ensuite un peu de temps à essayer de deviner ce qui avait pu motiver le tiéfelin à conserver un cadavre dans son placard, au propre comme au figuré, sans parvenir à la moindre conclusion utile.

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