Age de la Mort Rampante (AoW in french and in Greyhawk, Hero System)


Campaign Journals

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Cédant aux demandes insistantes de ses compagnons, Kalen reprit le livre en main et en parcourut rapidement les premières pages. Celles-ci contenaient un récit écrit à la première personne par un certain Kyuss, se présentant comme un jeune prêtre de Nérull officiant dans la nécropole d’Unaagh, elle-même située dans les frontières de Sulm. Il en informa ses compagnons, leur précisant en outre que Sulm était un antique royaume flannae situé au cœur de ce qui était aujourd’hui le Désert Brillant dont on savait qu’il avait été subitement anéanti quelques millénaires auparavant par un cataclysme aussi soudain que mystérieux.

Captivés, ses compagnons le pressèrent de poursuivre sa lecture.

- « C’est qu’il est plutôt épais, ce bouquin… Il me faudrait plusieurs heures pour l’étudier » prévint Kalen. « On ferait peut-être mieux de remettre cela à plus tard. »
- « Et bien tu n’as qu’à lire la dernière page », lui conseilla Hélebrank. « C’est ce que je fais toujours avec les livres, ca va beaucoup plus vite. »

Kalen fut tenté d’ignorer ce conseil inepte, mais finalement s’exécuta en haussant les épaules : après tout, tant qu’à prendre une page au hasard, pourquoi ne pas choisir la dernière ?

Il n’eut pas à le regretter : en effet, le livre se terminait par un texte prophétique présenté comme écrit sous la dictée de Kyuss, énonçant les conditions de sa « seconde apothéose » et du début d’un nouvel âge :

« Une fois nos vainqueurs honnis foulés aux pieds,
Par une armée née des cendres,
Fuyant pluie brûlante et vent étouffant,

Lorsque l’empereur invisible,
De la main par lui armée,
Aura péri sans périr,

Lorsque le soleil levant déchiré,
Couché au fond de l’Enfer,
Projettera sur le monde une ombre de chagrin,

Lorsque le monarque démon emprisonné,
Jeté bas de son trône sanglant,
Verra ses fers brisés par un innocent,

Lorsqu’une cité, dans une perle noire enchâssée,
Prise dans les rets d’une reine,
Sera pêchée pour sa couronne orner,

Lorsque la clé de voûte du quadruple et double temple,
Par deux fois érigé, par deux fois chu,
Aura été détruite par ses propres forces,

Lorsque le cœur secret des maîtres invisibles,
Brisé par la trahison,
Périra écrasé par la colère de la Taerre,

Lorsque en un jour de paix,
Sous une ombre écarlate,
Frappera l’ami qui n’est pas l’ami,

Lorsque dans le sombre sein de la Taerre,
De la haine, de la rage et du savoir,
Auront été réunis les trois esprits,

Lorsque des brumes éternelles,
Au pied des tombeaux des anciens seigneurs,
Jaillira le flot grouillant de mes fils,

Lorsque sous les acclamations,
Un héros de la fosse,
M’offrira sa ville en holocauste,

Sonnera l’avènement de l’Age de la Mort Rampante. »

Le silence recueilli qui avait régné durant cette lecture à voix haute céda aussitôt la place au brouhaha, tout le monde essayant de parler en même temps.

- « Dans le mille ! » s’enflamma Aloïs. « Les trois esprits de la haine, de la rage et du savoir, cela ne vous rappelle pas la Triple Abomination, dans la mine Pierrerude ? Et les brumes éternelles ? C’est pas comme le marais avec les hommes-lézards ? »
- « Et Raknian ferait un bon candidat pour le héros de la fosse » approuva Barnabé. « Je suis d’accord, on a enfin trouvé les fameuses prophéties… Continue ta lecture, Kalen. »

Celui-ci s’exécuta sans se faire prier. Toutefois, certains des compagnons ne tardèrent pas à avoir des fourmis dans les jambes. Après quelques malheureuses minutes de patience, Mathieu et Hélebrank voulurent repartir en exploration. Barnabé protesta bien un peu, soulignant que le Kyuss na’stari était la plus importante découverte qu’ils aient faite à ce jour, mais ne parvint qu’à leur arracher une vague promesse de ne pas trop s’éloigner.

Les deux impatients sortirent donc par la seconde porte de la chambre (qu’ils laissèrent ouverte pour complaire au hobniz), puis suivirent sur quelques mètres un étroit couloir aboutissant à une petite pièce faiblement éclairée par les braises rougeoyantes d’un braséro. Sur leur gauche, une tenture à carreaux verts et noirs accrochée à une tringle métallique fixée au plafond occultait une partie de la pièce. Face à eux, un couloir exactement symétrique au leur conduisait à une nouvelle porte.

Mathieu entra et tira la tenture, dévoilant une grande alcôve. Un symbole runique tracé sur le mur du fond se mit à luire dès qu’il posa le regard dessus : en jaillit une onde de terreur magique qui malgré sa puissance laissa de marbre les deux compagnons.

Leur attention était déjà accaparée par un autre élément. Juste devant le paladin, dans une grande vasque de pierre emplie de déjections nauséabondes, se dressait une créature hideuse dont le corps grossièrement humanoïde, surmonté d’un crâne difforme et grimaçant, semblait entièrement constitué de matières putréfiées dégorgeant un jus immonde. L’on pouvait dire qu’elle puait littéralement le Mal.

- « C’est un démon ! » s’écria aussitôt Hélebrank, qui avait quelques connaissances en la matière.

La créature esquissa un geste de la main, et aussitôt un flot de brume jaillit dans la pièce, réduisant presque à néant la visibilité. Le psion, bien que suivant de près le paladin, ne distinguait plus qu’indistinctement sa silhouette. Pire encore, ce brouillard était chargé de vapeurs acides qui leur rongeaient les chairs, et épais au point qu’il en gênait leurs mouvements, comme dans un cauchemar.

Mathieu prononça rapidement une incantation, invoquant autour de lui une Protection contre le Mal. Puis il attendit l’assaut, couvrant la retraite de son camarade. Une ombre jaillit de la brume juste devant lui, et il n’eut que le temps de lever son bouclier pour repousser un premier coup.

Alertés par les bruits du combat, et effrayés par l’apparition soudaine de cette brume juste au seuil de la chambre où ils se trouvaient, leurs quatre compagnons les enjoignirent de battre en retraite. Aloïs se prépara à refermer la porte derrière eux, tandis que Kalen consacrait les quelques miettes d’énergie qui lui restaient à essayer (sans succès) de dissiper ce brouillard magique.

Mais au lieu de fuir immédiatement, Hélebrank préféra tenter un coup de dés, utilisant son Diadème de domination mineure pour ordonner au démon de « rentrer chez lui ». Ce dernier n’en fit rien ; peut-être ne comprenait-il pas le Commun, ou était tout simplement opiniâtre.

Voyant que le psion était resté, Mathieu tenta de détourner l’attention du démon en lui assénant un coup de masse. Il ne le frôla même pas, mais cette action offensive lui fit perdre le principal bénéfice de sa Protection contre le Mal. La créature lui en apporta aussitôt la démonstration, lui touchant légèrement le bras après une brève concentration. Ce simple frôlement suffit à emplir les veines du paladin d’une toxine mortelle.

Lorsque Hélebrank se décida enfin à battre en retraite, il était trop tard : doublement ralenti par son armure et par la densité de cette purée de pois, le corps ravagé par le poison, Mathieu s’écroula au sol avant de pouvoir rejoindre ses camarades.

Note du MJ:
Ce résultat hélas prévisible est la conséquence 1°) d’une stratégie imprudente des joueurs, consistant à pousser plus loin l’exploration après avoir épuisé leurs forces, en se séparant en deux groupes tant qu’à faire ; 2°) d’erreurs tactiques, car devant un adversaire inconnu, qui plus sur un terrain défavorable et même hostile, il aurait été plus judicieux de battre immédiatement en retraite ; et 3°) d’une confiance très exagérée dans le sort de Protection contre le Mal. Ce n’est pas la première fois que de tels risques inconsidérés sont pris, mais cette fois-ci il n’y a pas eu de coup de chance salvateur… Premier kill !

Aloïs vit bien passer Hélebrank, et entendit distinctement le bruit métallique produit par la chute du paladin, mais avec cette brume il n’arrivait pas à le distinguer et n’osa pas s’aventurer à sa recherche à tâtons. Après une courte hésitation, il claqua la porte et courut rejoindre ses compagnons, déjà en pleine débandade.

Ils descendirent en catastrophe le puits et ne s’arrêtèrent de courir qu’une fois arrivés dans la caverne aux pétroglyphes, où ils commencèrent à rassembler et à nouer ensemble toutes les cordes en leur possession afin de faciliter le franchissement en apnée du boyau immergé conduisant aux sous-sols des Arènes. Ils renoncèrent finalement à ce projet au bout de quelques minutes fébriles, réalisant que d’une part, si le démon les poursuivait vraiment, il les aurait déjà rattrapés ; et que d’autre part, Barnabé et Kalen ne sachant pas nager, ils avaient toutes les chances de ne pas survivre à la traversée.

Ils décidèrent donc de prendre quelques heures de repos sur place, le temps pour Barnabé de récupérer assez de mana pour lancer le sort de Respiration subaquatique qui leur permettrait de rejoindre les égouts en toute sécurité. N’étant pas jeteurs de sorts, Aloïs et Khalil furent désignés d’office pour jouer les sentinelles.


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2ème Jour de la Lune du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (matin)
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Lorsque les compagnons regagnèrent la surface par la même bouche d’égout qu’à l’aller, le jour était déjà levé. Pourtant, malgré l’heure matinale, ils trouvèrent le Sanctuaire d’Heironéous en pleine effervescence. Les prêtres étaient en armes, et il y avait des blessés un peu partout dans la nef, attendant leur tour pour être soignés.

Lorsqu’ils tentèrent d’expliquer les circonstances dans lesquelles Mathieu était tombé au combat, leur interlocuteur mit un peu de temps à comprendre que le « démon » auquel ils faisaient référence n'était pas la scolopendre de vingt-cinq mètres de long qui avait fait irruption dans les Arènes peu après minuit avant de ravager une partie du Quartier des Sages.

Il se rappela ensuite que Mathieu avait prévenu ses supérieurs de son intention d’aller explorer les égouts situés sous les Arènes avec ses compagnons. S’avisant d’un possible lien entre les deux évènements, il leur demanda de patienter et en référa à ses supérieurs, qui eux-mêmes en appelèrent aux autorités de la ville.

Les compagnons furent donc assez rapidement conviés à s’expliquer sur ce qu’ils avaient bien pu faire ou découvrir sous les Arènes au cours d’un interrogatoire, le premier d’une longue série. Sagement, ils ne cachèrent rien de leurs agissements.

En retour, ils apprirent ce qui s’était passé à la surface durant leur escapade souterraine. Un monstre géant, croisement obscène entre un mille-pattes obèse et une chenille rose hérissée de barbillons, avait effectivement crevé la surface de la piste des Arènes peu après minuit, gobant toutes les personnes croisant son chemin et les vomissant sous forme de zombis dans un flot de bile nécrotique.

Comme (par un heureux hasard ?) le culte de St Cuthbert surveillait les lieux, l’alerte avait pu être donnée très rapidement, permettant aux renforts adéquats de converger sur la menace depuis la Citadelle, le Guilde des Mages et les divers temples. Mais bien qu’il ne se soit écoulé qu’un quart d’heure entre l’apparition du monstre et sa destruction, le bilan était assez lourd : outre les dégâts matériels, l’on dénombrait une petite centaine de victimes, principalement des gardes des Arènes, des hommes du Guet s’étant attaqués à la créature, et de simples civils ayant eu le malheur de la rencontrer ou ayant péri dans l’effondrement d’un bâtiment.

A ce stade, le culte de St Cuthbert avait officiellement avisé les autorités des soupçons pesant sur Loris Raknian. Celui-ci demeurait toutefois introuvable, personne ne l’ayant aperçu depuis l’apparition de la créature. Il semblait avoir profité de toute cette agitation pour prendre la fuite.

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Bien préparés grâce aux indications fournies par les compagnons, une escouade de spécialistes alla faire le ménage dans le complexe souterrain. Ils bannirent le démon, forcèrent le coffre, et récupérèrent tant la dépouille corrodée de Mathieu que le zombi de Lahika Barriquaud. Ils découvrirent également sur place deux passages secrets, l’un menant aux sous-sols des Arènes, et l’autre à la cave du palais de Raknian.

Les compagnons entreprirent aussitôt de rassembler la somme nécessaire au Rappel à la vie du paladin, cédant à la Bourse des Enchanteurs la plupart des objets magiques récupérés sur le tiéfelin. Par précaution, et contre l’avis de Kalen qui en aurait bien fait l’économie, ils financèrent également un sort de Nécromancie vraie afin de demander au défunt son avis sur la question. Bien leur en prit, car à la surprise générale Mathieu déclina l’offre d’une nouvelle vie, étant par principe opposé à toutes formes d’acharnement thaumaturgique. Au lieu d’une cérémonie pour sa résurrection, les compagnons assistèrent donc à ses obsèques.

Il n’en alla pas de même pour Lahika Barriquaud, qui fut assez rapidement en mesure de témoigner que c’était bien son amant Loris Raknian qui l’avait étranglée suite à une violente dispute. Il était apparemment très sourcilleux sur tout ce qui concernait son âge et sa forme physique, et elle avait eu le tort d’émettre une comparaison peu flatteuse de trop entre ses abdominaux et ceux d’Auric, l’actuel détenteur de la Ceinture des Champions. Elle n’avait par contre (et pour cause) aucune idée de la façon dont elle avait pu se retrouver dans un temple souterrain aux mains d’un prêtre maléfique ; son dernier souvenir la situait dans sa chambre à coucher.

Par la suite, un audit poussé des comptes de Raknian finit par révéler que son excellente gestion des Arènes avait été trop belle pour être vraie : afin de pouvoir dégager les juteux bénéfices qui lui avaient valu l’estime des autorités fiscales, il avait dès le début gonflé artificiellement ses recettes par de continuels apports d’argent frais. A ceux de ses comptables qui étaient de mèche, grassement payés pour ne pas poser trop de questions, il avait affirmé puiser dans sa fortune personnelle pour s’acheter une respectabilité.

Les autorités en conclurent que Raknian avait eu partie liée avec ce culte maléfique, qui dès le départ avait probablement œuvré à sa nomination comme Grand Ordonnateur des Jeux, lui fournissant les fonds nécessaires à l’acquisition et à l’exercice de cette charge, puis aurait protégé cet investissement en infiltrant des dopplegangers au sein de diverses institutions clés pour dévier toutes les procédures internes et étouffer l’enquête sur son crime passionnel.

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Dans les jours qui suivirent, Kalen prit le temps de lire à tête reposée le livre trouvé au chevet du prêtre tiéfelin, qui était en fait composé de deux parties bien distinctes. Dans la première, dite du « testament de Kyuss », le jeune prêtre de Nérull susdit indiquait avoir reçu en révélation le « secret du Ver », lequel lui avait permis de créer des morts-vivants d’un genre nouveau. A la lecture de ce passage, les compagnons réalisèrent que les « fils de Kyuss » mentionnés dans la prophétie n’étaient autres que leurs zombis véreux, portant le nom de leur créateur.

Kyuss relatait ensuite comment, suivant une nouvelle vision prophétique, il avait pris la tête de milliers de fidèles pour les mener en exode loin de Sulm (dont il pressentait la ruine prochaine) jusque dans les lointaines jungles du sud où il fonda la Cité Sainte de Kuluth’mar (ou « Cité du Ver ») dont il devint le Prêtre-Roi. Les tribus voisines furent soumises par la force et sacrifiées en holocauste à la gloire de Nérull et de Kyuss son prophète.

Puis il évoquait sa rencontre avec un personnage désigné comme le « Ver qui marche » qui lui remit des tablettes recelant le secret de la divinité. Kyuss fit ériger une ziggurat surplombé d’un « arbre divin » en préparation de son apothéose, pour laquelle l’ensemble de la population de la cité devait faire offrande de son âme.

Commençait ensuite une seconde partie, dite du « testament des apôtres », composée d’une multitude de textes écrits par autant d’auteurs anonymes.

Le tout premier relatait l’échec de l’ascension divine de Kyuss, contrecarrée in extremis par le sacrifice d’une nation entière d’olves sauvages, qui utilisèrent leur force vitale pour ériger un rempart infranchissable autour de Kuluth’mar. Cela eut pour effet d’emprisonner Kyuss dans sa « Pierre d’Apothéose », décrite comme un obélisque d’obsidienne, et d’empêcher la fuite de ses « disciples, hérauts et rejetons ».

Le texte suivant racontait comment, bien des années plus tard, la dite Pierre d’Apothéose fut néanmoins emportée de Kuluth’mar par un certain Dragothanargaluthion jusque dans son repaire de Fussar na’vrombag (traduit du flannae, la « Faille du Grand Ver »), et comment Kyuss, bien que toujours emprisonné, le gagna lentement à sa cause pour en faire son « Premier Disciple ».

Un autre encore relatait le recrutement insidieux de nouveaux fidèles parmi les nations flannae des environs, et faisait référence à un rituel les ayant transcendés pour en faire les immortels Avolakia (ou « Peuple Elu Secret ») qui ensuite retournèrent faire œuvre de subversion dans leurs tribus d’origine, tel le ver qui ronge la pomme. Venait ensuite le récit de la guerre sainte lancée par Kyuss depuis sa prison d’obsidienne contre l’ensemble des nations flannae, afin de les soumettre ou de les annihiler. De multiples cités-états furent détruites avant qu’une puissante coalition ne triomphe de ses hordes de morts-vivants au terme d’une bataille titanesque devant la cité de Véralos.

Enfin, un long chapitre expliquait comment les divinités du panthéon flannae voulurent anéantir le culte de Kyuss en le « plongeant dans les eaux de l’oubli », et comment Nérull, qui ne s’était joint à cet effort qu’en apparence, intercéda en faveur de son ancien prêtre en rappelant à ses pairs qu’un tel acte violerait le « Pacte Divin » protégeant le libre arbitre des mortels. Les dieux effacèrent donc le souvenir de Kyuss parmi les hommes, mais durent épargner ses suivants. En contrepartie, fut créé et également épargné un clan de champions du peuple flannae destiné à les traquer et à les exterminer, le clan Cuncullach Beor’Gallillach, celui-là même dont Alastor Land avait été un lointain descendant. Pour faire bonne mesure, ce clan reçut des dieux un pouvoir décrit comme leur permettant de « chevaucher l’improbable ».

Mais la destruction de ce clan lors des invasions œridiennes laissa le champ libre aux immortels adorateurs de Kyuss, qui purent reconstituer leurs forces et préparer son apothéose sans que quiconque s’y oppose. Au final, ce qui aurait du condamner le culte de Kyuss à une lente extinction se révéla être une bénédiction déguisée grâce aux concessions arrachées par Nérull. Comme le résumait fort bien l’auteur de ce passage du Kyuss na’stari, « ainsi le manteau d’oubli qui devait nous étouffer devint notre bouclier ».

Le testament des apôtres était également truffé d’indications sur divers rituels nécromantiques puissants (et très maléfiques) propres au culte de Kyuss. Il y en avait notamment un qui indiquait par le menu comment préparer un Ulgurstasta (un gros ver mort-vivant) à l’aide d’un fragment de la Pierre d’Apothéose pour qu’il explose en une puissante décharge d’énergie nécromantique après avoir avalé et tué un « Champion du Peuple ». Cela évoqua chez les compagnons le souvenir du gros fragment de cristal noir que certains d’entre eux avaient vu flotter au-dessus de l’autel.

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Lorsqu’ils voulurent partager ces découvertes avec les autorités, les compagnons s’aperçurent assez rapidement d’un phénomène étrange. En effet, ils semblaient être les seuls à pouvoir garder en mémoire les informations contenues dans le Kyuss na’stari. Ils avaient beau expliquer et réexpliquer les informations cruciales qu’ils y avaient trouvé, leurs interlocuteurs n’en gardaient aucun souvenir dès que la conversation déviait sur un autre sujet, ou au mieux quelques minutes plus tard. Pire, ils tendaient à oublier l’existence même du livre.

Les tentatives pour contourner ce blocage furent vaines. Les divinations portant sur le livre ou son contenu obtenaient pour toute réponse le même silence anormal que celles relatives à l’Age de la Mort Rampante, ce qui en soi était un élément de réponse.

Bien que cet effet d’amnésie ne semblât pas provenir du livre lui-même, qui n’était pas magique, l’on essaya à tout hasard de le copier. Comme les scribes ordinaires étaient incapables de parvenir au bout d’une phrase sans en oublier le début, ce travail fut confié à des Serviteurs Invisibles parfaitement idiots, qui dupliquèrent le texte lettre par lettre. Il s’avéra que la lecture de ces copies était tout aussi infructueuse que celle de l’original.

Quelques copies furent expédiées très loin, au cas où cet effet d’oubli serait localisé, mais ce fut peine perdue : les messagers revinrent penauds, ayant tout oublié du motif de leur départ, quand ils n’avaient pas tout simplement égaré leur colis.

C’était d’autant plus ennuyeux que du coup, les compagnons ne pouvaient faire valoir auprès des autorités que la désastreuse libération d’un ver nécrotique géant qui avait suivi leur intervention dans les Arènes était en fait un mal pour un bien, et que les choses auraient été bien pires si le rituel avait été mené à son terme durant les Jeux de Greyhawk.

En conséquence, si on consentait à leur accorder le mérite d’avoir débusqué un mal terrible sous les Arènes, on leur reprochait aussi de ne pas avoir su le contenir, par ignorance, par accident, ou pire, par négligence. Ils commencèrent à entendre derrière leur dos des épithètes peu flatteurs, tels que « bande de Robilars », en référence au célèbre aventurier dont les imprudences avaient semé mort et désolation, jusqu’à ce que la libération de Iuz lui vaille un exil définitif.

A force de répétitions, de vérifications magiques et de prises de notes immédiates, les autorités compétentes parvinrent tout de même à la conclusion que les compagnons, de par leur qualité d’Elus du Destin, avaient accès à des informations privilégiées qu’ils étaient dans l’incapacité de partager.

Les autorités en conclurent qu’ils pouvaient encore avoir leur utilité. Sur la suggestion du Juge Godbert, « dans l’intérêt d’une meilleure coordination de leurs actions avec les autorités », on leur imposa toutefois un prêtre de St Cuthbert comme chaperon.

Note du MJ:
Soit le nouveau personnage du joureur de Mathieu, qui en avait un peu assez que ses camarades le prennent pour un benêt et se planquent derrière son dos au moindre combat...

Les compagnons durent donc effectuer eux-mêmes quelques recherches sur les prophéties. Avec la bonne connaissance de l’histoire qu’Allustan lui avait inculquée de gré ou de force, Kalen n’eut pas trop de mal à identifier les divers évènements auxquels faisaient référence les premières strophes, de l’invasion des Flanaesses par les tribus œridiennes chassées par la « Pluie de Feu sans Couleur » un millénaire auparavant, jusqu’à la trahison de Rary et de Robilar en 584 AC, le jour-même de la signature du traité de paix qui devait mettre fin aux Guerres de Greyhawk. Il ne manqua pas de relever que la cadence de ces évènements allait s’accélérant : des siècles pouvaient séparer les premiers, mais les derniers se succédaient à seulement quelques années d’intervalle.

Ils profitèrent des quelques jours de répit dont ils disposaient pour s’entrainer un peu, attendant paisiblement que leur facétieux destin ne leur fasse croiser de nouveau le chemin du culte de Kyuss. Ils se procurèrent également auprès de la Bourse des Enchanteurs une foule d’objets magiques mineurs susceptibles de leur simplifier la vie : quelques Commodes havresacs, un Carquois d’Ehlonna pour Aloïs, diverses armes et armures enchantées, etc.


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OMBRES ET BROUILLARD
(séance du 7 novembre 2014)

3ème Jour Libre du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (au crépuscule)
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La soirée était belle, et à cette heure déjà tardive les lanternes multicolores disséminées dans les parcs du bien nommé Quartier des jardins étaient allumées, lui donnant un air féérique. Les compagnons musardaient le long de l’avenue des Ducs en direction de la porte du même nom, profitant de la promenade. Ils étaient pour la plupart de fort belle humeur, faisant de leur mieux pour ignorer les bougonneries de Kalen qui se plaignait de ne pas avoir eu assez de temps pour rédiger tous les parchemins magiques qu’il aurait voulu.

Cela faisait maintenant plusieurs jours que leur chaperon, un jeune prêtre de St Cuthbert du nom de Jacques Ayné, leur avait été présenté. Depuis lors, il ne les avait plus lâchés d’une semelle ; c’est donc en sa présence qu’un coursier de la Guilde des Messagers était venu la veille leur remettre une petite boîte octogonale ornée d’une étoile à huit branches, symbole du célèbre Cercle des Huit.

Comme annoncé par le dit coursier, la boîte ne s’était ouverte qu’au contact de ses six destinataires, Jacques inclus. Une Bouche magique ayant la voix mélodieuse de Dame Jallarzi Sallavarian, archimage et membre du dit cercle, leur avait annoncé l’acceptation de leur requête, les invitant à venir chez elle le lendemain pour recevoir lors d’un apéritif dinatoire les instructions, conseils et moyens d’accès nécessaires à l’exploration du Château de Tenser. Elle leur avait également recommandé de porter celui des six pendentifs contenus dans la boîte qui portait leur nom, et de ne le retirer sous aucun prétexte le temps de leur séjour.

C’est pourquoi, munis de leur équipement complet au cas où ils auraient à partir de suite, les compagnons se dirigeaient en ce début de soirée vers la demeure de Jallarzi, une tour haute de soixante mètres surmontée d’une boule de foudre bleutée visible à des kilomètres à la ronde.

Du coin de l’œil, et grâce à son nouveau familier Culotte la chouette hulotte, Barnabé aperçut au tout dernier moment une forme plonger du ciel droit sur lui. Il se baissa vivement en poussant un cri d’alarme, et son agresseur, de la taille d’une grosse volaille, passa en piaillant juste au dessus de lui avant d’aller s’écraser dans un buisson un peu plus loin.

Les compagnons n’eurent qu’à suivre ses gémissements plaintifs pour retrouver le site du crash. Comme certains l’avaient déjà deviné, il s’agissait d’Edwina, le familier en surpoids de Jallarzi. Vautrée cul par-dessus tête dans son buisson, la pseudodragonne semblait avoir des difficultés à se relever par ses propres moyens. De fait, elle avait l’air très mal en point : outre des problèmes évidents de coordination, un strabisme prononcé et une diction pâteuse, elle tenait un discours délirant, répétant sans cesse des propos incohérents où il était question de « méchants muffins au sucre », de « gentils hobnizs qui étaient ses amis », de « purée collante dans la tête », et de « peur de Jallarzi ». Elle semblait complètement ailleurs, incapable de répondre aux questions ou de fixer ses pensées sur quelque sujet que ce soit.

Jacques annonça son intention de lui lancer une Détection du poison. Cela fit ricaner certains des compagnons, d’aucuns rappelant que l’alcool était une toxine, et d’autres que le dard de scorpion situé au bout de la queue des pseudodragons était lui-même venimeux. Nonobstant les sarcasmes de ces sceptiques, cet examen permit à Jacques de déceler la présence de plusieurs toxines, et donc de confirmer qu’une substance dont il ne put hélas déterminer la nature exacte avait bel et bien été administrée à Edwina. Constatant que cette dernière ne portait aucune blessure, il conclut à un empoisonnement par ingestion et lui administra le traitement adéquat : il la fit vomir tant et plus.

Barnabé pressa ses compagnons de se rendre à la tour, car il craignait que le buffet n’ait été empoisonné et ne fasse d’autres victimes. Khalil se saisit donc de la pseudodragonne, la portant à bout de bras afin de s’épargner d’éventuelles régurgitations, et les compagnons partirent au petit trot. Arrivés au niveau du temple-pyramide de Zilchus, ils quittèrent l’avenue principale pour suivre une allée pavée montant vers la demeure de Dame Jallarzi.

Celle-ci se composait d’une grosse tour adossée à un coteau escarpé, flanquée de part et d’autre par deux ailes rectangulaires hautes d’un étage. Le chemin d’accès aboutissait au pied d’une volée de marches permettant d’accéder à un petit porche d’entrée bordé de balustrades ; curieusement, aucune porte n’y était visible, juste un mur nu. Sur leur droite, un petit chemin menait à un escalier creusé à flanc de coteau montant vers des jardins aménagés à l’arrière de la tour.

Barnabé entendit des pleurs étouffés, provenant du sommet de la butte. Il en avisa ses compagnons, puis les guida jusque dans les jardins. A l’oreille, ils n’eurent aucun mal à trouver la source des sanglots, une jeune fille brune recroquevillée en position fœtale dans un buisson fleuri. Vêtue d’une robe maculée de terre, elle avait les cheveux ébouriffés et les bras zébrés de griffures. Ils essayèrent de la calmer en lui parlant doucement, et elle releva la tête, leur montrant un visage souillé de larmes.

Les compagnons reconnurent aussitôt Dame Marial, la demoiselle de compagnie, confidente, bras droit et principale apprentie de Jallarzi Sallavarian. Le regard vide, elle les regarda quelques secondes en reniflant, puis ouvrit la bouche.

- « Bwaaananawa ! » éructa t’elle, avant d’essuyer ce qui lui coulait du nez dans la manche déchirée de sa belle robe de soirée.

Les compagnons supposèrent de suite qu’elle souffrait du même mal qu’Edwina, probablement consécutif à l’ingestion de petits fours empoisonnés. Ils se dispensèrent donc de tout examen plus approfondi, à l’exception d’Hélebrank qui usa de son pouvoir d’Empathie pour lire les émotions des deux victimes. Il constata que la pseudodragonne était en proie à la plus grande confusion, passant sans répit de l’euphorie à la tristesse en passant par la frayeur, tandis que Dame Marial ne ressentait qu’une profonde peur animale, quelque peu apaisée par la présence des compagnons qu’elle semblait vaguement reconnaître. Il n’en tira toutefois aucune conclusion particulière.

Aloïs remonta la piste de Marial au travers des massifs de fleurs, puis le long d’une allée gravillonnée avant d’aboutir au pied du pignon de l’une des ailes de la tour, un mur parfaitement nu. Aucune des deux grandes fenêtres qui s’ouvraient à l’étage ne donnait au dessus de l’endroit où s’interrompaient les traces. Qui plus est, comme il le fit observer à ses compagnons, une chute n’aurait pas manqué de laisser au sol une empreinte bien visible.

Kalen lança une Détection de la magie qui ne décela aucune aura suspecte sur le mur. Khalil était sur le point de se mettre à la recherche d’une porte secrète, mais en fut dissuadé par Aloïs et Barnabé qui rappelèrent que des vies étaient peut-être en danger et qu’il fallait faire vite. Tous suivirent le mouvement et retournèrent à la porte principale. Jacques s’occupa de Marial ; elle se laissa guider sans opposer de résistance, se cramponnant à son bras de toutes ses forces comme une petite fille effrayée.

Barnabé monta les marches et s’avança sous le porche, essayant successivement de passer au travers du mur, puis d’y trouver une portée secrète. En désespoir de cause, il finit par brandir son médaillon en énonçant à haute voix ses noms et qualités, ainsi que la raison de sa venue. Rien n’y fit.

Sans prévenir, Aloïs lança un caillou au dessus de la tête du hobniz, le faisant sursauter. Le bruit sourd produit par l’impact lui parut suspect, et il lui sembla aussi que son projectile s’était un peu enfoncé avant de rebondir. Une fois que les graines du doute eurent germé dans son esprit, il commença à apercevoir derrière l’image du mur, devenue légèrement transparente, une magnifique porte de manoir dotée d’un gros heurtoir de cuivre et d’une solide serrure surlignée de lignes bleutées d’origine manifestement magique.

Il s’avança et fit jouer par deux fois le heurtoir, produisant un claquement métallique bien sonore. Personne ne vint ouvrir, mais cette action apparemment impossible permit enfin à ses compagnons de percer l’illusion qui dissimulait la porte. Les experts en magie présents reconnurent de suite le sort de Verrou de mage jeté sur la serrure.

C’est alors qu’il se préparait à crocheter cette dernière que Barnabé réalisa qu’il n’avait plus à disposition les beaux outils que lui avaient acheté ses compagnons, les ayant confiés au défunt Mathieu de peur que sa réputation n’ait à pâtir de la possession de ce genre de matériel. Jacques lui prêta donc son Tout-outil de voyage, une curieuse tige de métal de douze centimètres de long hérissée de picots et de plaques, dont l’embout pouvait prendre par magie la forme d’une multitude d’ustensiles utiles à toutes sortes de tâches. Hélas, même ainsi équipé, il ne put venir à bout du mécanisme complexe et magiquement renforcé de la serrure.

Le hobniz essaya ensuite son tout nouveau sort de Déverrouillage, sans résultat. Kalen, qui de son côté s’était également procuré ce sort, le lança avec plus de succès : la serrure perdit ses reflets bleutés, joua avec un cliquètement audible, et le battant s’ouvrit en grand. Juste derrière, un mur de brouillard s’arrêtait net au seuil de la porte.

D’un seul coup d’œil, Kalen put assurer ses compagnons qu’il ne s’agissait ni d’un Nuage puant ni d’une Brume acide, mais bien d’une banale Brume opaque n’ayant pas d’autre propriété que de réduire la visibilité à presque rien. Puis il ajouta :

- « Les portes recouvertes d’un Mur illusoire et fermées par un Verrou magique, de la Brume opaque partout… Cela pourrait être un sort de Sécurisation magique. Il faut s’attendre aussi à des Toiles d’araignée dans toutes les cages d’escalier, et à quelques autres effets du même genre. »
- « Et ça dure longtemps, ce truc ? Tu peux le dissiper ? »
- « Oui, très longtemps, au moins une journée complète. Et pour ce qui est de le dissiper en bloc, il faudrait une Disjonction de Mordenkainen, un sort de neuvième cercle très au-delà de mes capacités actuelles. Sinon, c’est pièce par pièce, effet par effet. Autant dire que cela me coûterait un bras en énergie magique ! »


Les compagnons étaient sur le point d’entrer, ayant juste attendu que Jacques, Kalen et Hélebrank se lancent divers sorts de protection, lorsque Khalil s’avisa que la pseudodragonne était inconsciente. Cela faisait maintenant quelques minutes qu’elle ne parlait plus et ne bougeait plus, mais il avait d’abord supposé que c’était là l’effet des délicieuses papouilles qu’il lui avait prodiguées sur le ventre pour aider à sa digestion. Jacques lui fit les gros yeux, lui reprochant d’avoir manqué de vigilance avec le patient confié à sa garde.

Du coup, il apparut aux compagnons qu’emmener Marial et Edwina avec eux dans la tour n’était peut-être pas une si bonne idée compte tenu de leur état de santé. Après en avoir brièvement discuté, ils décidèrent d’aller d’abord les confier au temple le plus proche, à savoir le Sanctuaire d’Heironéous, ce qui par la même occasion leur permettrait d’alerter les autorités. Ils ignorèrent les protestations de Kalen, pestant de voir son beau sort de Déverrouillage ainsi gâché, car comme il le précisa la porte ne resterait ouverte que dix minutes avant que le Verrou de mage ne se réactive.

Aussitôt dit, aussitôt fait : Aloïs jeta Marial sur son épaule et dévala à toutes jambes le chemin, accompagné par Khalil portant toujours Edwina. Jacques tenta bien de les suivre, mais il fut rapidement distancé à cause de son armure. Arrivés sur l’avenue, ils tournèrent à gauche et continuèrent à courir. Ils ne firent pas plus d’une centaine de mètres avant d’être repérés et interpelés par l’une des nombreuses patrouilles de la Garde de Nuit qui assuraient la sécurité de ce secteur huppé de la Cité. Ceux des compagnons qui étaient restés au pied de la tour entendirent les sifflets d’alarme retentir et se répondre de loin en loin, faisant converger des renforts des quatre coins de la Ville Haute.

L’arrivée d’un Jacques tout essoufflé permit heureusement de dissiper le malentendu qui commençait à naître entre les miliciens et les deux compagnons quant à leur responsabilité dans l’état pitoyable de la jeune fille qu’ils transportaient comme un paquet. Des ordres furent donnés, l’on envoya des messagers avertir qui de droit, Marial et Edwina furent emmenées au temple le plus proche pour y recevoir les soins appropriés, et les « suspects » furent rendus à la garde de leur chaperon.

Lorsque Jacques, Khalil et Aloïs regagnèrent la tour, un cordon de miliciens et d’hommes du guet était déjà en train de se déployer pour boucler le périmètre. Comme ils avaient fait relativement vite, la porte d’entrée était encore ouverte. Hélebrank et Barnabé passèrent devant, les yeux fixés sur les dalles du sol à la recherche de pièges mécaniques. La visibilité était si mauvaise qu’Aloïs et Jacques, qui fermaient la marche, ne les distinguaient même plus dans le brouillard.

Ils se trouvaient dans un couloir s’incurvant vers la droite pour épouser l’arrondi du mur extérieur, qui aboutissait quelques mètres plus loin à une large arche s’ouvrant à gauche sur l’intérieur de la tour. Face à eux, il y avait une grosse armoire vers laquelle Hélebrank, fidèle à ses habitudes, se dirigea aussitôt.

Barnabé préféra aller voir ce qu’il pouvait bien y avoir de l’autre côté de l’arche. En en franchissant le seuil, il déclencha un Glyphe gardien majeur porteur d’un sort de Confusion, passé complètement inaperçu à cause du brouillard. L’esprit des compagnons fut aussitôt assailli par un kaléidoscope d’émotions et de sensations contradictoires : Khalil et Hélebrank résistèrent, mais c’est l’esprit complètement embrumé que Jacques, Kalen, Aloïs et Barnabé durent faire face à l’assaut qui suivit.

Des ombres de forme vaguement humaine surgirent du brouillard, flottant silencieusement dans les airs ou traversant les murs. Il y en avait partout, chacun des compagnons pouvait en apercevoir au moins une ou deux à côté de lui.

Dans un éclair de lucidité, Barnabé parvint à se jeter in extremis un sort de Bouclier de force qui se révéla bien utile : sur les trois ombres qui s’en prirent à lui, une seule parvint à l’effleurer de ses doigts glacés. Son cœur rata quelques battements, et il sentit une partie de ses forces l’abandonner.

En dépit de leur état, Kalen et Aloïs comprirent instinctivement le danger et répliquèrent du mieux qu’ils pouvaient aux attaques des ombres, le premier d’une rafale de Projectiles magiques décochée à bout portant et le second d’un moulinet de sa toute nouvelle épée magique. N’ayant pas été attaqué, Jacques commença à se frapper le crâne avec son propre gourdin afin de remettre de l’ordre dans ses pensées envahies par le chaos.

En pleine possession de ses moyens mais emporté par sa fougue naturelle, Khalil eut la mauvaise idée de faucher les jambes d’une ombre pour essayer de la faire tomber au sol. Bien évidemment, son pied passa au travers sans rencontrer de résistance. Réalisant son erreur, il enchaîna de suite sur une série de coups de poing chargés de ki autrement plus efficaces.

Dans le brouillard, Hélebrank ne pouvait se fier qu’aux cris et exclamations de ses compagnons pour estimer la position et le nombre de ses adversaires, qui eux étaient totalement silencieux. Les pouvoirs de son arsenal étaient sans effet contre un ennemi invisible, à une grosse exception près…

L’onde incandescente de son Eruption d’énergie balaya le couloir et la pièce adjacente, affectant indifféremment amis et ennemis. Grâce à leurs réflexes d’une vivacité surnaturelle, Aloïs, Barnabé et Khalil s’en tirèrent sans dommages significatifs. Jacques et Kalen eurent moins de chance et subirent tous deux de très graves brûlures ; le mage s’affaissa au sol, inconscient.

Seules deux des ombres survécurent à ce traitement. L’une d’entre elles fut pulvérisée à bout portant par le Poing télékinétique de Barnabé, rendu inhabituellement agressif par son état de confusion. La seconde, proche de Khalil, succomba à une volée de coups.

Aussitôt Hélebrank se rua vers la sortie, croisant Khalil qui allait en sens inverse pour aller chercher Barnabé. Il se saisit au passage de l’un des pieds de Kalen, qu’il traîna derrière lui. A sa grande surprise, il aperçut un peu plus loin Aloïs en train de retirer son épée ensanglantée du corps inanimé de Jacques, et utilisa un pouvoir de Contrôle du corps pour lui faire jeter son arme par la porte ouverte. Comme le rôdeur parvint presque aussitôt à échapper à son emprise, il préféra s’éclipser pour mettre le mage inconscient à l’abri, le faisant basculer par-dessus la rambarde du porche pour gagner du temps (heureusement, il y avait un fourré en contrebas). Puis il appela au secours, criant à pleins poumons.

Note du MJ:
On voit là que les joueurs ne font guère attention aux blessés, qu'il s'agisse de PNJ ou d'autres PJ. Si Kalen n’avait pas fait d’excellents jets pour se stabiliser (le premier dans le couloir, le second après avoir été balancé comme un sac de patates), il aurait eu le temps de crever dans son buisson.

Il fut rapidement rejoint dehors par Aloïs, qui avait recouvré ses esprits suffisamment longtemps pour réaliser ce qu’il venait de faire, administrer les premiers soins à sa victime, puis la porter jusqu’en bas de l’escalier et l’allonger délicatement dans l’herbe.

Le troisième à sortir fut Khalil. Ayant retrouvé Barnabé très occupé à se taillader les avant-bras avec sa propre épée courte, il avait tout d’abord tenté de le guider gentiment vers la porte en l’abreuvant de paroles apaisantes. Mais comme le hobniz, se sentant vaguement menacé, avait réagi en essayant de lui enfoncer son surin dans le ventre, le moine s’était vu contraint de passer à la manière forte. L’immobilisant d’une clé de bras, il le poussa sans ménagement jusqu’à l’extérieur. La bave aux lèvres, le hobniz fou de rage se débattait (en vain) pour lui échapper.

Voyant que les compagnons se trouvaient en difficulté, deux hommes du cordon de sécurité quittèrent leur position pour leur prêter assistance, courant sur le chemin menant à la tour. Khalil et Hélebrank entendirent aussitôt une incantation, quelque part au dessus de leur tête. Levant les yeux, ils virent que l’une des fenêtres du deuxième étage était ouverte, et reconnurent la tête blonde de Dame Jallarzi qui s’y penchait.

- « Mort et destruction sur Greyhawk ! » hurla la magicienne en lâchant sur les deux hommes du Guet une grosse Boule de feu qui les réduisit à l’état de cadavres fumants au milieu d’un cercle de cendres.

De peur de subir le même sort, les compagnons se firent tous petits au pied de la tour, espérant qu’elle ne remarquerait pas leur présence. C’est donc en rampant qu’Hélebrank rejoignit le buisson de Kalen pour lui administrer enfin les premiers soins.

C’est le moment que choisit Aloïs pour perdre à nouveau les pédales : il venait de sortir une potion de soins de son sac pour la donner au prêtre toujours inconscient, mais quelque chose dans l’expression de ce dernier lui fit une impression bizarre. Sentant venir la crise. Il posa au sol sa potion et recula d’un pas. Puis, obéissant à une impulsion soudaine, il se mit à chanter « Frère Jacques » à gorge déployée, tout en se tapant la tête contre l’escalier pour battre le rythme du refrain des cloches : « ding, daing, dong ! »

Voyant cela, Khalil roua de coups Barnabé pour qu’il se tienne enfin tranquille, puis se jeta sur Aloïs pour le plaquer au sol avant qu’il ne se fasse trop mal. Le rôdeur esquiva l’attaque du moine d’un gracieux entrechat et, tirant son étoile du matin de sa ceinture dans le même mouvement, lui en administra un bon coup sur la calebasse. Revenant à la charge, ce dernier réussit à immobiliser le forcené, puis lui bourra les reins de coups de poing jusqu’à ce qu’il crie grâce, les effets du sort de Confusion s’étant enfin dissipés.

Aloïs eut un peu de mal à convaincre ses compagnons qu’il était bien redevenu lui-même : dans le doute, Hélebrank lui administra un dernier coup de bâton, et Khalil ne consentit à le relâcher que près d’une minute plus tard, après avoir dûment constaté qu’il restait durablement cohérent.

Ils s’occupèrent ensuite de ranimer Jacques, qui après avoir fait le tri entre les blessés, consacra le temps nécessaire à soigner entièrement ses propres blessures et celles de Kalen. L’une de ses baguettes de guérison y passa entièrement.


Restait à traiter les effets débilitants de la caresse des ombres : Kalen, Barnabé et Aloïs avaient été touchés durant la mêlée, et se sentaient anormalement faibles. Jacques venait d’annoncer qu’il ne pourrait pas soigner tout le monde lorsque Kalen lui fit une proposition :

- « Euh, si je te donne un parchemin de Restauration, tu pourrais l’utiliser pour me rendre mes forces ? Sinon, j’en ai un autre de Panacée qui est pas mal aussi. Cela soigne tout, les blessures mais aussi la cécité, la confusion, l’étourdissement, l’éblouissement, la surdité, la maladie, l’épuisement, la fatigue, l’abêtissement, la folie, la nausée, l’empoisonnement, l’indisposition, le choc… »
- « Le premier suffira » répondit Jacques, s’emparant du parchemin sans attendre la fin de la récitation.

Il préféra toutefois le conserver pour plus tard, utilisant pour rendre au mage une partie de ses forces un sort de moindre puissance tiré de l’un de ses propres parchemins.

Toujours plaqués au mur pour ne pas être visibles depuis les fenêtres de l’étage, les compagnons se lancèrent ensuite dans une assez longue discussion (chuchotée) sur la meilleure conduite à tenir pour la suite. Jacques était d’avis de renoncer et de laisser faire les spécialistes, ou tout du moins d’exiger de leur part de sérieux renforts, soulignant qu’il s’agissait d’une simple question de bon sens. Hélebrank craignait qu’ils ne soient tirés comme des lapins depuis les fenêtres s’ils s’éloignaient de la tour ; il proposa donc à l’inverse de poursuivre son exploration tant que c’était encore possible. Aloïs et Barnabé s’y opposèrent, rappelant qu’ils n’étaient plus en état de faire quoi que ce soit suite au passage à tabac que leur avait infligé le moine... La question fut tranchée peu de temps après par le claquement de la porte d’entrée qui se refermait et se reverrouillait, les dix minutes précédemment annoncées par Kalen étant écoulées.

Ne s’avouant pas vaincus, Khalil, Hélebrank et Kalen montèrent au jardin pour tenter d’y trouver un autre accès, tandis que Barnabé, Aloïs et Jacques préféraient rester tapis dans l’ombre. Avec le sort approprié, Kalen eut tôt fait de déceler la présence d’une grande porte secrète dans le mur nu devant lequel s’arrêtait la piste de Dame Marial, laquelle porte donnait accès à une vaste pièce où était entreposé tout le nécessaire pour l’entretien du jardin : brouettes, outils, sacs d’engrais, etc. Il trouva par le même moyen deux autres issues secrètes à l’intérieur : une seconde porte identique à la première, s’ouvrant également sur les jardins, et une trappe au sol dont il marqua l’emplacement en déversant autour le contenu d’un sac de terreau.

Tous trois allèrent ensuite inviter leurs compagnons à les rejoindre, mais ceux-ci, boudeurs, renâclèrent à quitter leur abri au pied de la tour. Lorsque les dernières réticences furent vaincues et que tout le monde fut enfin rassemblé dans les jardins, le débat entamé plus tôt reprit de plus belle, Aloïs et Barnabé refusant de faire un pas de plus tant que leurs revendications n’auraient pas été satisfaites.

Kalen proposa ses services pour les téléporter jusqu’à l’avenue avec une Porte dimensionnelle ou les rendre invisibles, jusqu’à ce que l’on réalise que ceux qui réclamaient des soins à corps et à cris étaient aussi les plus à même de se faufiler discrètement et par leurs propres moyens jusqu’au cordon de sécurité, qui s’était reculé à bonne distance.

Ainsi fut fait : ils partirent en rampant, se glissant de buisson en buisson pour ne pas être aperçus des fenêtres de la tour. Une fois arrivés à bon port, ils se firent connaître des gardes et cherchèrent parmi eux une tête connue : la première qu’ils aperçurent fut celle du Saint Eradicateur Talasek, Fléau des Impies et bras droit armé du Juge Godbert, qui leur demanda de rendre compte de la situation.

- « Ben c’est l’enfer là dedans. Il y a de la brume partout, et puis un genre de rune magique qui rend fou, et Dame Jallarzi a complètement perdu la boule » résuma très brièvement Aloïs.
- « Vous me confirmez que c’est bien elle qui a envoyé cette Boule de feu ? Nous avons cru la reconnaître, mais à cette distance une identification positive n’a rien d’évident. »
- « Tout à fait, c’était bien elle. De là où nous étions, nous l’avons reconnue sans l’ombre d’un doute » affirma Barnabé sans hésiter.
- « Tout à fait » répéta Aloïs en opinant du chef, qui lui non plus n’avait rien vu mais était tout disposé à témoigner. « Et avant, on avait trouvé son familier, Edwina, et Marial aussi. Elles ont été empoisonnées par les petits fours, et on les a confiées à… »
- « Oui, je sais » le coupa l’Eradicateur avec un sourire froid. « Figurez-vous que je ne suis pas là par hasard. Mais vous faites erreur, Dame Marial ne souffrait pas du même mal que le pseudodragon. Ce dernier était doublement intoxiqué, par un puissant hallucinogène et par un poison mortel mais lent, absorbé au domicile d’un certain Finéas Finegoule, un pâtissier du cru. Mais en ce qui la concerne, elle a simplement été atteinte par un sort d’Abêtissement qui lui a fait perdre l’essentiel de ses facultés mentales. Seul un sort de guérison de la plus haute magnitude pourra les lui rendre : elle a été confiée au temple de Pélor, qui fera le nécessaire dès demain à l’aube. Nous pourrons alors recueillir son témoignage. »
- « Quand pouvons nous compter sur des renforts ? » demanda ensuite Barnabé, allant droit au but. « Nous voulons bien jouer un peu les éclaireurs, mais là on aurait bien besoin d’aide. »
- « Une intervention est prévue à l’aube, le temps que les spécialistes se munissent des bons sorts. C’est qu’on ne pénètre pas comme cela dans la demeure d’un archimage sans y avoir été invité, vous savez. La tour de Dame Jallarzi a la réputation d’être presque aussi bien défendue que la Guilde des Mages. »
- « Ah ? On a de la chance alors. Figurez-vous que nous étions justement invités ce soir à… » intervint Aloïs.
- « Oui, je sais aussi » coupa à nouveau l’Eradicateur.
- « Et le Cercle des Huit ? Vous savez s’ils vont venir ? » poursuivit Barnabé.
- « Aucune idée. Dame Jallarzi est leur représentante auprès de la Cité de Greyhawk. D’habitude, c’est par son entremise qu’ils peuvent être contactés. »
- « Une dernière chose : à votre avis, c’est normal que la tour soit gardée par des morts-vivants ? » demanda encore le hobniz.
- « Dame Jallarzi est une habituée du temple de Pélor » répondit simplement l’Eradicateur. « Je doute qu’elle ait confié la protection de sa tour à ce genre de créatures. »
- « Ah, d’accord. Je me disais aussi... Pourriez-vous nous soigner, avant que nous ne retournions à la tour ? Nous avons tous deux été touchés par des ombres, et… »

Sans un mot, l’Eradicateur lui fit une imposition des mains qui guérit la plus grande part des horions subis, avant de faire appel à l’un des prêtres qui participaient au bouclage du secteur pour terminer le travail.

C’est donc frais comme des gardons que Barnabé et Aloïs rejoignirent en rampant leurs compagnons. Ils leur annoncèrent qu’il leur faudrait se débrouiller seuls jusqu’au matin, mais oublièrent de mentionner le reste de leur conversation avec l’Eradicateur, notamment ce qui concernait Edwina et Marial.

Puis Barnabé voulut prendre les choses en main : mais suite à un malentendu, il se lança dans une recherche méthodique de pièges à partir du seuil, ne réalisant qu’une fois arrivé au cercle de terreau répandu autour de la trappe que ses efforts étaient parfaitement inutiles puisque ses compagnons étaient déjà passés par là, à la grande hilarité de ceux qui étaient dans le secret.

Sans perdre plus de temps, Kalen fit jouer le mécanisme secret qui déclenchait l’ouverture de la trappe. Une partie du sol se souleva, dévoilant un escalier à la pente très raide empli de brume.


Barnabé se chargea de répartir les rôles, estimant que pour aller plus loin il était indispensable de faire passer les mages devant pour détecter d’éventuels pièges magiques. Ainsi chargé de scruter les lieux avec une Détection de la magie, Kalen dut expliquer que les lieux étaient entièrement baignés d’une puissante aura de Thaumaturgie liée au sort de Sécurisation magique, ce qui risquait fort de masquer d’autres auras plus faibles. Ayant posé cette réserve, il promit de faire de son mieux, mais refusa tout net de passer le premier. C’est donc Barnabé qui ouvrit la marche, progressant pas à pas à la recherche de pièges mécaniques, suivi par Kalen, lui-même serré de près par Khalil pour assurer sa protection rapprochée.

Ils descendirent ainsi les marches, progressant sur une demi-douzaine de mètres dans un couloir étroit qui sentait le moisi avant d’arriver au pied d’un second escalier qui remontait vers une porte fermée par un Verrou magique. Toutefois, sa serrure était bien moins complexe que celle de la porte d’entrée principale, et Barnabé n’eut aucun mal à la forcer. La visibilité n’était pas meilleure de l’autre côté, mais les compagnons purent voir au sol dallé et à la légère courbure des murs qu’ils étaient de retour dans la tour proprement dite.

Les deux mages et le moine avaient à peine franchi la porte qu’une demi-douzaine d’ombres se ruaient sur eux. Mais cette fois, grâce au cri d’alarme poussé par Barnabé, les compagnons ne furent pas surpris. Kalen utilisa un sort pour figer sur place deux des trois ombres qu’il pouvait apercevoir, puis réduisit à l’état de minces filaments ténébreux une quatrième qui sortait du mur à côté de lui. Khalil distribua les coups, sautant de droite et de gauche. Quant à Barnabé, il se lança un sort de protection avant de se consacrer entièrement à esquiver les coups, sans trop de succès d’ailleurs.

Hélebrank, Aloïs et Jacques arrivèrent ensuite à la rescousse, sortant de l’escalier. Leurs invocations d’énergie positive, rayons incandescents et coups d’épée firent rapidement pencher la balance en faveur des compagnons.

Au final, seuls Kalen et Barnabé avaient été touchés par les ombres. Jacques leur rendit une partie des forces perdues avec deux autres Restaurations mineures. Toutefois, comme il se sentait encore faible, Kalen abandonna son sac à dos dans le couloir et refusa tout net de rester à l’avant du groupe, arguant que la puissante aura magique dégagée par le brouillard rendait ses détections quasiment inutiles.

Barnabé passa donc seul devant, progressant au rythme lent que lui imposaient la recherche méthodique de pièges et le lancement périodique de sorts de détection. Sur leur gauche, le couloir aboutissait rapidement à un cul de sac : un escalier percé dans le mur extérieur descendait vers une porte verrouillée magiquement, sans doute celle d’un quelconque cellier.

Ils firent demi-tour, suivant le mur extérieur dans le sens inverse des aiguilles d’une horloge. Ils avaient parcouru à peu près le quart de la circonférence de la tour lorsqu’ils trouvèrent au sol un soulier de petite fille, puis un joli livre relié de cuir pourpre portant embossé sur sa couverture l’inscription « Skye la lionne ». Kalen y jeta un œil et confirma qu’il s’agissait d’un grimoire contenant des sorts de basse magnitude avant de le confier à Hélebrank pour examen ultérieur, ne souhaitant pas avoir à le porter lui-même.

Poursuivant le long du couloir, ils aboutirent à une nouvelle porte verrouillée magiquement que Barnabé se chargea d’ouvrir, empruntant à nouveau les outils nécessaires. Dès qu’il en tourna la poignée, trois ombres surgirent du mur, prenant les compagnons complètement par surprise. Barnabé, Khalil et Jacques subirent la caresse mortelle de leurs doigts glacés avant que quiconque n’ait eu le temps de réagir.
Entendant leurs cris horrifiés, Hélebrank fonça tout droit dans le brouillard, lâchant un rayon d’énergie incandescente sur la première ombre qui croisa son chemin.

Barnabé eut la réaction inverse, battant précipitamment en retraite en emportant avec lui Culotte, cramponnée à son épaule de toute la force de ses petites serres. Ce n’est qu’une fois à bonne distance qu’il chercha une cible ; mais tout ce qu’il pouvait voir, c‘était du brouillard, parfois illuminé par les invocations d’énergie positive de Jacques ou par les Projectiles magiques de Kalen. Par défaut, il se joignit à Aloïs pour encourager de la voix ses compagnons, les exhortant à se battre avec courage.

Cela dut produire effet, car les bruits du combat cessèrent au bout de quelques secondes seulement sans qu’aucun d’entre eux ne succombe aux ombres (même si Jacques, Khalil et Hélebrank semblaient en piteux état, les jambes flageolantes).

Une fois ouverte, la porte donnait sur une pièce embrumée dont les compagnons firent le tour à tâtons. Sur leur droite, ils virent tout d’abord un escalier montant vers les étages qui, comme l’avait prédit Kalen, était obstrué du sol au plafond par des voiles opaques de toile d’araignée. Continuant à longer le mur extérieur, ils tombèrent ensuite sur un passage menant vraisemblablement à la seconde aile accolée à la tour. Ils trouvèrent ensuite un plateau de service tombé au sol avec son succulent contenu, canapés, petits fours et autres amuse-gueules. Puis, un peu plus loin qu’une nouvelle porte verrouillée magiquement dans le mur de gauche, ils aperçurent un couloir menant tout droit à un mur étrangement translucide, derrière lequel ils reconnurent l’entrée principale, celle par laquelle ils étaient arrivés initialement. Ce qu’ils avaient alors pris pour un mur sur leur gauche n’était en fait qu’une illusion.

Cette fois, ils ne manquèrent pas de voir une large tache de sang sur le mur, juste en face de la porte. Ils ne l’avaient pas aperçue lors de leur premier passage, probablement parce qu’elle était située en hauteur, à plus de deux mètres du sol, et que leur attention avait plutôt été focalisée sur ce dernier.

Hélebrank alla aussitôt vérifier le contenu de l’armoire, et y trouva un homme âgé, vêtu comme un domestique, l’arrière du crâne aplati par un choc extrêmement violent. L’envoyer s’écraser contre le mur aussi haut avait du nécessiter une force considérable.

Hélebrank proposa de compter les manteaux contenus dans l’armoire afin d’évaluer le nombre des convives présents dans la tour et donc susceptibles d’avoir été transformés en ombres, mais Khalil fit remarquer que cette méthode de recensement était d’une fiabilité douteuse au domicile d’une noble dame ayant de considérables moyens financiers : de fait, les dizaines de manteaux présents étaient sensiblement de la même taille et ne différaient que par leur coupe, leur étoffe ou leur façon. Kalen ajouta également qu’il paraissait improbable que Dame Jallarzi ait eu l’intention de discuter des secrets du Château de Tenser devant un large auditoire.

Après avoir vérifié que le Glyphe gardien qui en avait défendu l’accès avait bien été consumé, les compagnons franchirent l’arche et pénétrèrent dans un vaste salon empli de brume. Le sol était jonché de débris, de tables renversées, de canapés éventrés et autres meubles brisés. Hélebrank ne releva aucune coupure ou marque franche ; les dommages semblaient avoir été infligés à mains nues. Six statues de marbre blanc ayant elles-mêmes subi de légers dommages étaient disposées sur le pourtour de la pièce, représentant toutes l’archimage Zagig s’adonnant à diverses activités plus ou moins futiles. Au fond de la pièce, un escalier monumental montait vers un premier palier avant de se diviser en deux volées de marches donnant d’accès à l’étage supérieur. Comme le précédent, il était complètement obstrué par les toiles d’araignée.

- « Et maintenant ? On fait quoi ? » demanda Kalen.


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ON A FRAPPE ?
(séance du 20 décembre 2014)

3ème Jour Libre du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (nuit tombée)
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De l’avis de Barnabé, il leur fallait monter le plus vite possible en haut de la tour, puisque là devait se trouver leur objectif ; toutefois, il ne précisa pas en quoi consistait celui-ci, ni par quel raisonnement il était parvenu à cette conclusion. La plupart de ses camarades s’y refusèrent, estimant plus avisé d’achever d’abord l’exploration du rez-de-chaussée pour ne pas risquer d’être plus tard pris à revers par un adversaire laissé derrière eux.

Le hobniz s’inclina donc devant la majorité, et les compagnons prirent la direction de l’aile nord où ils devinaient que devait se trouver l’office. Placé en tête de la colonne, Khalil sortit du petit couloir embrumé qui y menait pour se retrouver dans une vaste cuisine plongée dans la pénombre. De l’autre côté d’une table monumentale, l’attendait ce qui avait dû être un homme.

Vêtu d’une armure de peaux, ses yeux étaient deux puits de noirceur où brillaient des points rouges gros comme des têtes d’épingle. Sa peau grisâtre tendue sur ses os lui donnait un aspect décharné que démentait la rapidité de ses réflexes. Il courut aussitôt vers le moine, brandissant à deux mains un épais gourdin au dessus de sa tête. Ses yeux se mirent à briller plus intensément, au point de donner l’impression de laisser derrière eux une double trainée de feu.

Khalil l’accueillit dignement, d’un coup de pied sauté dans les gencives. A sa grande surprise, le mort-vivant lui sembla extrêmement résistant, comme s’il était fait de métal.

- « Il y a un problème ! » s’écria t‘il, laissant ses amis dans le brouillard (au propre comme au figuré). Puis, jugeant la précision utile, il ajouta : « Un seul, mais un gros ! »

Le bien-fondé de cette analyse se confirma avec la contre-attaque du zombi : son gourdin fusa en diagonale, rapide comme l’éclair, l’envoyant valser contre le mur et lui faisant voir trente six chandelles. Il fut heureusement assez rapide pour éviter le retour de volée, qui creusa un petit cratère dans le plâtre du mur là où s’était trouvée sa tête une fraction de seconde plus tôt.

Il fut si perturbé par la violence de cet assaut qu’il en resta planté juste dans l’entrée de la pièce, le dos au mur de brume, ce qui ne facilita pas l’arrivée des renforts.

Aloïs et Hélebrank parvinrent néanmoins à se faufiler sans recevoir de mauvais coup, prenant position de part et d’autre du moine. Le premier asséna un puissant coup sur le zombi, et constata que les pointes de son étoile du matin marquaient à peine son épiderme. Le second fit appel à toute sa concentration pour renforcer l’impact de son bâton par une puissante impulsion télékinétique.

- « Il y a un problème ! » répéta t’il en écho du moine après avoir constaté que son coup n’avait pas eu plus d’effet que s’il avait cogné un mur.

Il en fallait toutefois plus pour décourager les trois compagnons, d’autant que juste derrière eux Barnabé lança un sort de Frénésie grâce auquel ils se sentaient de taille à ne faire qu’une bouchée de leur adversaire : face à une défense invulnérable, quoi de mieux que d’attaquer plus souvent ?

Galvanisé, Khalil repartit à l’attaque, enchaînant coups de poing, coups de pied retournés et coups de coude sans le moindre résultat apparent. En retour, le gourdin manié de main de maître le frappa de plein fouet, se relevant pour décrire un moulinet dans les airs avant de s’abattre à nouveau, passant à un cheveu de sa tête rasée. Il en resta pantelant, à deux doigts de s’écrouler, mais s’interdit par fierté d’émettre la moindre plainte ou de battre en retraite.

Toujours coincé en queue de peloton dans le couloir embrumé, Jacques fit la seule chose qui lui était possible, à savoir lancer à l’aveuglette un sort de Bénédiction pour soutenir ses amis.

Suivant l’adage qui veut qu’on ne change pas une recette qui perd, Hélebrank et Aloïs continuèrent à s’acharner sur le zombi, faisant s’abattre sur lui une grêle de coups de bâton ou d’étoile du matin qui laissa quelques traces mais n’entama en rien sa combativité.

- « Je crois que les attaques contondantes ne l’affectent pas beaucoup » supposa à haute voix le psion, espérant (en vain) que cela inciterait ses compagnons à essayer d’autres tactiques.

Il eut également la présence d’esprit de se déplacer d’un pas sur le côté pour laisser de la place à ceux de ses compagnons qui étaient encore dans le couloir et ne pouvaient percevoir du combat que des bruits et de vagues silhouettes en mouvement.

Voyant cela, car il était à ce moment en lisière des brumes, Barnabé s’élança pour contourner le zombi et le prendre à revers. Il ne fut hélas pas assez agile pour éviter le coup de gourdin que celui-ci lui décocha au passage, et préféra s’arrêter pour ne pas risquer de prendre un autre mauvais coup, puis lancer l’un de ses sorts fétiches tout en restant prêt à esquiver.

- « Les Projectiles magiques ne l’affectent pas non plus ! » s’écria t’il un instant plus tard, après avoir constaté que l’impact de ses belles boules de lumière bleutée n’avait causé aucun dommage.

Il prit ensuite son air le plus inoffensif, priant pour que sa qualité de lanceur que sorts ne le fasse pas supplanter Khalil comme cible prioritaire. Ce dernier fit heureusement de son mieux pour conserver toute l’attention du zombi, le faisant lourdement tomber sur le dos en lui fauchant les jambes avant de lui bourrer les côtes de coups de pied pour faire bonne mesure. Un sac de sable aurait manifesté plus de réactions.

Bien que trop éloigné pour avoir assisté à cette scène, Kalen eut soudain l’intuition que l’ouverture qu’il attendait depuis le début du combat venait enfin de se produire. Il bondit hors du couloir, grillant la politesse à Jacques, et tira à bout portant un Projectile télékinétique : son carreau d’arbalète magiquement accéléré mais par ailleurs parfaitement ordinaire ricocha sur le cuir du zombi à terre comme sur une plaque de blindage, allant heureusement se planter dans un mur sans blesser personne.

Ignorant superbement les coups qui plurent sur lui de toutes parts, le zombi se releva et défonça d’un coup magistral tout un côté de la cage thoracique du moine, le projetant en arrière. Il alla s’écrouler aux pieds de Jacques qui, n’y voyant pas grand-chose, lui fit à tout hasard une imposition des mains pour le stabiliser, avant de l’enjamber et d’émerger enfin du brouillard.

Tandis que Hélebrank cherchait désespérément du regard un objet assez lourd pour ébranler leur adversaire, Aloïs se lança dans une nouvelle et futile volée de coups. Dans sa précipitation, peu accoutumé à l’accélération conférée par la Frénésie, il s’envoya sa propre arme dans la figure en armant un revers. La vision momentanément troublée par le choc, il devina plus qu’il ne vit la grosse armoire à épices qui vint (propulsée télékinétiquement) frapper le zombi de plein fouet, se disloquant complètement sans paraître l’incommoder outre mesure. Kalen en loupa complètement le tir de son Orbe de foudre mineure, qui alla se perdre au plafond.

Poussant un terrible rugissement, le zombi se lança à l’attaque d’Aloïs qui, sur la défensive, parvint à parer chacun de ses coups.

Changeant de tactique, Barnabé lança une Force de taureau sur Jacques qui n’avait rien demandé, d’autant qu’il n’avait aucunement l’intention d’affronter bêtement au corps à corps un adversaire qui de toute évidence était peu vulnérable aux coups. Maintenant qu’il pouvait le distinguer clairement, il en avait d’ailleurs assez vu pour l’identifier.

- « Attention, c’est un zombi ju-ju ! » prévint-il. « Ils sont coriaces ! »

Sachant maintenant qu’il avait affaire à un mort-vivant, ce qu’aucun de ses compagnons ne s’était donné la peine de préciser auparavant, il lui décocha un rayon de Lumière purificatrice en pleine poitrine, y traçant une diagonale de chair calcinée et fumante.

Ces quelques mots du prêtre suffirent à produire un déclic dans l’esprit d’Aloïs, qui jusqu’à présent s’était contenté de frapper comme un sourd avec son étoile du matin sans trop se poser de questions. C’était pourtant vrai qu’avec ses yeux rouges lumineux et sa grande vivacité ce zombi-là n’était peut-être pas tout à fait ordinaire… Il creusa sa mémoire et se souvint soudain de ce que l’on lui avait dit sur les points faibles et points forts de ce type de créatures.

Laissant tomber son arme mi-contondante, mi-perforante, il tira son épée magique et coupa proprement en deux le zombi, qui s’effondra. Ses pupilles rouges noyées de ténèbres s’éteignirent aussitôt, laissant apparaître au fond de ses orbites vides deux globes oculaires racornis, de la taille d’un grain de raisin.

Un seul coup d’œil suffisait à comprendre que Khalil était on ne peut plus mort, le thorax aussi défoncé qu’une cagette de légumes après le passage d’un char à bœufs.


Regardant autour d’eux, les compagnons aperçurent sur leur gauche, dans un coin de la pièce, une large dalle carrée de pierre blanche qui tranchait sur le plancher de bois sombre. Sur leur droite, deux portes aux serrures surlignées de l’aura bleutée d’un Verrou de mage faisaient face à trois fenêtres vitrées qui manifestement n’étaient pas conçues pour s’ouvrir.

Kalen lança son sort de Détection de la magie habituel. Outre divers exemples d’enchantements à usage domestique, du genre plaque métallique auto-chauffante ou luminaire, il trouva une aura de transmutation sur la dalle blanche, actionné par un rond jaune peint sur le mur à proximité. Un examen plus approfondi permet de l’identifier comme un effet de lévitation.

Craignant d’être en présence d’un piège aussi mortel qu’évident destiné à les écraser contre les poutres du plafond, les compagnons firent d’abord un essai en posant une cruche sur la dalle. Ils touchèrent le point jaune et furent surpris de voir la dalle blanche s’enfoncer dans le sol : c’était une éventualité à laquelle ils n’avaient pas pensé. S’approchant du trou, ils virent que trois mètres plus bas la dalle s’était arrêtée sur un sol dallé, à l’angle d’une pièce.

Envoyé en éclaireur, Caillou descendit le long du mur sur ses petites pattes ectoplasmiques et rapporta télépathiquement se trouver dans une sorte de cellier tout en longueur, large de deux mètres. Les murs latéraux portaient de nombreux rayonnages lourdement chargés de pots, boîtes, bocaux et autres denrées alimentaires, séparés par une travée encombrée de caisses, tonneaux et cagettes. Il ne s’y trouvait selon lui ni chose suspecte ni créature hostile, mais lorsque Hélebrank lui posa directement la question il dut admettre ne pas y voir grand-chose en fait, la seule lumière disponible étant celle qui tombait du puits du monte-charge. L’on y remédia aussitôt en faisant descendre une torche éternelle au bout d’une corde, et Caillou fut prié d’aller reconnaître le cellier jusque dans ses moindres recoins.

- « Aleeeeeeerte ! Aux armes ! » glapit-il, un cri télépathique qui faillit bien faire bondir Hélebrank hors de ses chausses. « Il y a une vieille dame, planquée tout au fond ! »
- « Hein ? Qu’est-ce qu’elle fait là ? »
- « Difficile à dire. Elle est juste prostrée derrière un tas de trucs, en faisant de son mieux pour étouffer ses sanglots. »
- « Tu crois qu’elle t’a vu ? »
- « Jamais de la vie » se rengorgea le psicristal, en s’aplatissant sur ses pattes de néon bleu. « Elle n’a pas pu me voir ! Je suis tapis comme le tapir dans la pampa, je me coule aussi furtif que du tofu sur un futon. Qu’est-ce que je fais, je la rabats vers vous ? »
- « Euh non, laisse tomber, reste caché. On descend. »

Hélebrank informa à voix basse ses camarades de cette découverte. Il sortait déjà une corde de son havresac lorsque Kalen, plus pragmatique ou plus au fait de la domothurgie moderne, tendit la main pour effleurer à nouveau le rond peint, ce qui fit remonter le monte-charge. Jacques et Hélebrank se portèrent volontaires pour être les premiers à descendre ; d’un commun accord, ils convinrent que ce serait plutôt le prêtre qui irait à la rencontre de la vieille dame, la vilaine trogne scarifiée du psion n’étant pas la plus indiquée pour inspirer confiance.

Il s’avança donc, et trouva effectivement une dame à la cinquantaine distinguée en robe grise et tablier blanc, le chignon gris un peu défait. Complètement affolée, elle faisait de son mieux pour se dissimuler derrière une pile de cageots de melons. Il commença par se présenter, mettant en avant sa qualité de prêtre de Saint Cuthbert, et parvint assez rapidement à la faire sortir de sa cachette.

Une fois apaisée, la vieille dame put leur expliquer qu’elle se nommait Gretsa et était au service de Dame Jallarzi en qualité de gouvernante. Plus tôt dans la soirée, elle portait au salon un plateau garni de petits fours lorsque l’on frappa à la porte. Son mari Fyorin (qui était lui majordome) était allé ouvrir : elle arriva juste à temps pour voir un inconnu le saisir à la gorge et le projeter violemment contre le mur. Epouvantée, elle s’était enfuie sans demander son reste pour aller se réfugier à la cave où elle était restée terrée depuis. Elle avait entendu des pas lourds qu’elle savait n’appartenir à aucun des membres de la maisonnée se déplacer au dessus de sa tête dans la cuisine, ce qui ne l’avait pas incité à faire une sortie avant l’arrivée des secours.

Répondant aux questions des compagnons, elle précisa en outre que les deux pièces attenantes à la cuisine étaient les logements des domestiques, à savoir elle-même et son époux, plus un jardinier du nom de Setsé. Elle leur indiqua également qu’au premier étage de la tour se trouvaient des chambres d’invités, ainsi que celle de Dame Marial, et que les appartements de Dame Jallarzi se situaient au second. Elle affirma ne connaître aucun autre accès vers les étages que les escaliers, et les assura que d’ordinaire ils étaient parfaitement accessibles et totalement exempts de la moindre toile d’araignée ; étant en charge du ménage, elle y mettait un point d’honneur. Enfin, elle pu leur confirmer qu’ils avaient été les seuls invités attendus ; elle était bien placée en sa qualité de cuisinière pour le savoir. C’est probablement parce qu’il avait du les croire en avance qu’en entendant frapper son pauvre mari était allé ouvrir la porte.

Barnabé proposa de laisser la gouvernante dans sa cave afin de poursuivre sans délais l’exploration des lieux, expliquant qu’elle y serait bien à l’abri pour attendre l’arrivée des renforts au petit matin. Aucun de ses compagnons ne fut de cet avis, estimant bien au contraire que la priorité était désormais de la conduire en lieu sûr.

Lorsqu’ils émirent le souhait de sortir de la tour sans passer par la porte d’entrée principale, Gretsa leur signala aimablement l’existence dans chacune des chambres du personnel d’une issue secrète destinée à faciliter l’évacuation en cas d’incendie.

Ils emmenèrent bien sûr avec eux le cadavre du moine. Aloïs et Kalen proposèrent de le dépouiller pour « mettre ses affaires à l’abri » de peur que d’autres voleurs ne s’en emparent, mais leurs camarades s’y opposèrent formellement par respect pour le défunt. Son matériel resta donc sans son havresac, qui lui-même resta sur son dos.

Après que Barnabé en eut crocheté la serrure à l’aide d’outils d’emprunt, Gretsa fit pénétrer les compagnons dans la chambre confortable et bien meublée qu’elle avait partagée avec son défunt mari, puis leur montra une portion carrée du mur extérieur qui, une fois déverrouillée par un mécanisme secret, s’ouvrait sur l’arrière du bâtiment, trois mètres au dessus du sol.

Une fois dehors, ils virent que le passage secret desservant la chambre voisine était clairement visible, dessinant un carré plus clair que le reste de la maçonnerie. Gretsa leur expliqua que le panneau avait été récemment remplacé et que les travaux de finition censés le dissimuler n’avaient pas encore été effectués.

Regrettant de ne pas avoir fait le tour du bâtiment plus tôt, les compagnons s’esquivèrent en file indienne le long de la butte. Ils ne tardèrent pas à rencontrer les gardes qui bouclaient le secteur. Suivant leurs indications, ils se dirigèrent vers le lieu où les responsables de l’opération avaient établi leur quartier général.

Ils y trouvèrent beaucoup de monde malgré l’heure tardive, le dispositif ayant eu le temps de s’étoffer. Etaient notamment présents Sire Gareth, commandant de la Garde de Nuit, quelques officiers du Guet et les incontournables représentants du culte de Saint Cuthbert, le Juge Godbert et l’Eradicateur Talasek.

C’est donc devant un auditoire composite et attentif que les compagnons firent le récit de leur seconde incursion dans la tour, n’omettant rien des embûches, indices et créatures hostiles rencontrés.

Ils étaient sur le point de repartir en laissant Gretsa aux bons soins des autorités lorsque Barnabé réclama des soins magiques. Mais il se trouva que cette fois, les prêtres de St Cuthbert n’étaient pas disposés à leur en faire bénéficier gratuitement (sauf en ce qui concernait Jacques bien sûr, mais il était indemne). En échange de cette faveur, le Juge Godbert les incita fortement à lui remettre pour destruction le gourdin maudit récupéré sur le prêtre tiéfelin. Jusque alors, les compagnons n’avaient pu se mettre d’accord sur son devenir, certains ayant spontanément proposé d’en faire offrande aux temples de la ville en remerciement de l’aide déjà apportée, tandis que d’autres n’avaient pu se résoudre à renoncer aux dix-huit mille pièces d’or qu’aurait rapportée sa cession pure et simple à la Bourse des Enchanteurs.

Compte tenu de l’urgence de la situation, ils n’eurent pas d’autre choix que d’accepter le marché : une remise à neuf complète en échange de cet objet maudit pour solde de tous comptes.

On les pria ensuite d’attendre un peu, le temps que soient rapportées les composantes nécessaires. Aloïs en profita pour demander ce qu’il était advenu du pâtissier chez qui Edwina s’était empiffrée de gâteaux empoisonnés, ce à quoi le Juge Godbert répondit que ses commis avaient pu être interrogés : selon eux, leur patron avait quitté la ville pour Elmshire après avoir reçu plus tôt dans la journée une missive l’appelant au chevet d’une vieille tante gravement malade. Il semblait donc pouvoir être mis hors de cause.

Grisé par ce premier succès, Aloïs demanda ensuite si Dame Marial avait pu être libérée de l’enchantement obérant ses facultés mentales, oubliant complètement que la question avait déjà été posée par Barnabé lors de leur première sortie, à peine une heure plus tôt. Le Juge voulut bien lui rappeler (en articulant bien chaque mot) qu’il était prévu que le nécessaire soit fait par les prêtres de Pélor lors de leur cérémonie de l’aube. Cette répétition eut toutefois le mérite d’apprendre aux autres compagnons que Dame Marial ne souffrait pas d’un empoisonnement, information que ni Aloïs ni Barnabé n’avaient jugé utile de leur rapporter.

Il fallut un quart d’heure pour que soit amenée une quantité suffisante de poudre de diamant, ainsi qu’un coffret plombé pour le transport du gourdin, laps de temps durant lequel Jacques et le Juge purent s’isoler pour discuter de choses et d’autres.

Rappeler à la vie le pauvre Khalil ne prit ensuite qu’une minute, plus une pour le remettre à peu près d’aplomb (du moins autant que le permettait son expérience de mort plus qu’imminente). Au final, une demi-heure après avoir évacué la tour, les compagnons étaient prêts à repartir à l’assaut. Ils allaient prendre congé lorsque le Juge Godbert les arrêta d’un geste.

« Un instant, Messieurs. Juste un mot, si vous le permettez… »


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DIVISER POUR SAIGNER
(séance du 16 janvier 2015)

3ème Jour Libre du Mois de Richesoleil
de l’Année Commune 595 (durant la nuit)
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Ayant retenu l’attention des compagnons, le Juge Godbert s’éclaircit la gorge avant de poursuivre.

- « Vous retournez à la tour, fort bien… Mais êtes-vous bien sûrs d’avoir une idée claire de ce que vous allez y faire ? »
- « Bien sûr ! Nous sommes invités à dîner » répondit Khalil du tac au tac.
- « Amusante boutade. Du moins, j’espère » grinça l’inquisiteur. Puis, s’adressant au hobniz : « Vous par exemple, maître Barnabé. L’on m’a rapporté qu’à plusieurs reprises vous aviez exhorté vos amis à gagner les étages aussi vite que possible. Pourriez-vous nous préciser la nature de l’objectif que vous poursuiviez ? »
- « Et bien, retrouver Dame Jallarzi, pardi ! » s’étonna le hobniz.
- « Et aussi mieux comprendre ce qui s’est passé à la tour » ajouta tout de suite Kalen, voyant leur interlocuteur grimacer.
- « Rassembler des indices sur les évènements de ce soir peut constituer un objectif valable » acquiesça le Juge. « Je suis par contre plus réservé sur la pertinence d’une recherche active de Dame Jallarzi, du moins en ce qui vous concerne. S’il ne lui était rien arrivé de fâcheux, elle serait déjà ici ; et si par malheur elle était devenue hostile, ce qui bien sûr reste à démontrer, il n’en résulterait que votre oblitération rapide. Vous n’êtes pas de taille à l’affronter, c’est un fait. Il n’y a qu’à regarder l’état dans lequel vous a mis un malheureux zombi. »

Les compagnons échangèrent des regards embarrassés, réalisant qu’ils n’avaient pas vraiment réfléchi à ce qu’ils feraient ensuite.

- « Entendons-nous bien : loin de moi l’idée de décourager les bonnes volontés. Mais je vous rappelle qu’un assaut sera donné à l’aube. Si c’est pour errer sans but, autant vous abstenir. Ne voyez-vous aucune autre raison de poursuivre votre exploration de la tour? »
- « Nous pourrions peut-être porter secours à d’autres rescapés. Comme pour Gretsa » suggéra Aloïs.
- « Excellent ! Je vous félicite d’y avoir pensé. C’est en effet une raison largement suffisante pour prendre le risque d’une nouvelle incursion. Vous me permettrez de contribuer à cet effort en précisant qu’en plus de Setsé le jardinier, dont vous connaissez déjà l’existence, est encore portée disparue une petite fille de huit ans du nom de Skye, la très jeune apprentie de Dame Jallarzi. La gouvernante vous l’aurait dit, si vous lui aviez seulement posé la question. »
- « Skye… Ce ne serait pas ce nom qu’il y avait sur le bouquin par terre, dans le couloir ? » se demanda Aloïs à haute voix.
- « Si, c’est bien cela. Et il y avait aussi une petite chaussure, taille fillette » confirma Kalen. « Ce détail a fini par nous sortir de l’esprit, au fil des combats. C’est regrettable. »
- « Comme vous dites… » soupira le Juge Godbert. « Maintenant que vous savez ce que vous avez à faire, vous pouvez tâcher de vous rendre utiles. On ne saurait vous en demander plus. »

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Sur ces paroles encourageantes, les compagnons prirent congé et rebroussèrent chemin jusqu’à l’aile nord de la tour, empruntant à nouveau l’issue de secours menant aux appartements des domestiques. Ils n’eurent aucun mal à crocheter la serrure de la chambre voisine, à savoir celle occupée par le jardinier. Ils n’y trouvèrent rien d’anormal à première vue, mais une échelle escamotable avait été laissée déployée sous une trappe ouverte au plafond.

Caillou fut envoyé là-haut en éclaireur : il rapporta vite n’avoir trouvé qu’un « vieux cadavre racorni ». En l’absence de danger, les compagnons grimpèrent l’échelle pour le rejoindre dans un vaste grenier, occupant toute la surface du bâtiment.

Jacques se chargea de l’examen post-mortem : le cadavre était celui d’un humain mâle adulte, vêtu d’habits communs mais de bonne facture, sans signes distinctifs. Au vu de l’aspect grisâtre et friable de sa chair desséchée, il conclut qu’il avait été victime de l’attaque d’une ombre. Selon toutes probabilités, il s’agissait du cadavre de Setsé qui, une fois transformé en mort-vivant, avait dû rejoindre l’un ou l’autre des groupes affrontés plus tôt dans la soirée. Un des disparus ne l’était plus.

Les compagnons retournèrent ensuite dans la tour principale, toujours embrumée, et suivirent le couloir extérieur où avaient été trouvées les affaires de Skye jusqu’à son autre extrémité, celle où ils avaient laissé inexploré un escalier descendant vers une porte verrouillée.

Avant de l’ouvrir, les compagnons firent halte pour discuter bruyamment de la tactique à adopter, rafraîchir leurs divers sorts de protection et échanger divers objets. Notamment, Khalil troqua son Anneau de chute de plume (qui ne lui servait plus guère, faisant double emploi avec ses capacités de moine) contre un Anneau de protection plus puissant porté par Aloïs ; ce détail aurait plus tard son importance.

Barnabé vint aisément à bout du Verrou de mage, laissant le passage à Khalil, immédiatement suivi par Aloïs. La porte s’ouvrait sur un couloir de quelques mètres menant à une vaste cave voûtée, encombrée d’un invraisemblable bric à brac : vieilles malles, tonneaux, planches et autres matériaux de construction. A leur grand soulagement, il n’y avait pas la moindre brume pour gêner la vision.

C’est donc très distinctement qu’ils virent un gros ours brun sortir en se dandinant de derrière une grosse barrique. Apercevant les intrus, il se dressa sur ses pattes arrière et ouvrit grand sa gueule pour les menacer de ses crocs, la bave aux lèvres. Par contre, de façon extrêmement curieuse, il n’émit pas le moindre grognement. En fait, à y bien réfléchir, il était complètement silencieux…

- « Je crois bien qu’il s’agit d’une illusion… » souffla Khalil à ses compagnons après en avoir tiré la conclusion qui s’imposait.
- « Skye, tu es là ? » demanda Aloïs à haute voix sans se préoccuper de l’ours. « On est venus te sauver. »
- « C’est vrai ? » lui répondit une toute petite voix depuis le fond de la pièce. « Vous êtes pas des méchants ? »

Une tête blonde coiffée de nattes fit timidement son apparition derrière un gros coffre de marine. Puis la fillette s’approcha, rassurée par la présence d’un prêtre de Saint Cuthbert.

Après lui avoir rendu sa chaussure manquante et vérifié qu’elle ne souffrait pas d’autres blessures qu’une paire de genoux écorchés, les compagnons commencèrent à l’interroger sur ce qu’elle avait pu voir des évènements de la soirée.

- « Ben, j’étais tout là-haut avec Tante Jally dans sa chambre… C’est pas vraiment ma tante, mais j’ai le droit de l’appeler comme ça si je travaille bien. Elle est gentille, elle me dit que je suis douée. C’est comme mon papa : il dit souvent que je suis une très intelligente petite fille. Bref, j’avais presque terminé mes leçons lorsque la voix a dit que Marial était rentrée. Je me suis dépêchée de tout ranger et je suis descendue. C’est que des fois, elle me ramène des confiseries… Mais Jally m’a dépassée dans l’escalier, elle courait vraiment très vite, et elle criait quelque chose sur Edwina qui était en danger, et il y avait aussi des cris et du bruit dans l’entrée. Je me suis doutée qu’il se passait quelque chose d’anormal, alors je suis allée me cacher dans la cave, la meilleure de toutes mes cachettes. Le hic c’est que quand j’ai voulu ressortir, parce que tout était redevenu calme, la porte était fermée. J’ai reconnu un Verrou de mage, alors j’ai su qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’attendre qu’on vienne me chercher, ou qu’il se dissipe tout seul. »
- « Et c’était quoi, cet ours ? » demanda Aloïs.
- « Ben, c’est que je ne vous connais pas. Alors quand vous êtes entrés, j’ai fait une illusion d’Ursula qui fait sa méchante. C’est l’ourse de mon père, Ursula. Elle connaît tout plein de tours. Je ne vous ai pas fait trop peur, au moins ? »

L’ayant gentiment rassurée sur ce point, les compagnons décidèrent de la conduire immédiatement en lieu sûr. Pour faire plus vite, ils prirent au plus court par le tunnel débouchant dans la grange, traversant ensuite les jardins jusqu’à rejoindre les forces de l’ordre.

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