Age de la Mort Rampante (AoW in french and in Greyhawk, Hero System)


Campaign Journals

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Sovereign Court

hehe, j'ai bien rigole avec:

"Et si par bonheur quelqu’un nous ouvre, que comptes-tu faire ? Lui demander s’il n’aurait pas des cadavres en trop ?"

et:

« Bon, puisque a priori c’est un méchant, je suppose qu’il n’est plus question de frapper, alors ? »

« Si, on frappe, mais pas à la porte »


Moonbeam wrote:

hehe, j'ai bien rigole avec:

"Et si par bonheur quelqu’un nous ouvre, que comptes-tu faire ? Lui demander s’il n’aurait pas des cadavres en trop ?"

et:

« Bon, puisque a priori c’est un méchant, je suppose qu’il n’est plus question de frapper, alors ? »

« Si, on frappe, mais pas à la porte »

J'ai le bonheur d'avoir des joueurs qui ne peuvent résister au plaisir d'une répartie caustique... C'est aussi une malédiction quand j'essaie d'instaurer une ambiance un peu tendue (rien de tel qu'une vanne pourrie sur les tentacules pour ruiner un scnario cthulien). Mais bon l'essentiel c'est de passer un bon moment.


La fine équipe étant en place, Mathieu tira son stylet de son fourreau et découpa le papier huilé de l’une des arches de la fenêtre, y pratiquant une large incision en « X ». Il étouffa un juron bien peu clérical en s’apercevant que juste derrière, la fenêtre était encore close par un épais volet intérieur. Il passa à tout hasard la lame de son stylet dans l’interstice le long du pilier central, et fut récompensé de cette initiative par l’ouverture du volet, celui-ci n’ayant été maintenu fermé que par un simple crochet. Il enjamba la fenêtre aussi silencieusement que le lui permettait son lourd équipement, écarta d’une main l’épaisse tenture noire qui lui barrait encore le passage, puis se figea devant la scène inattendue que lui révélait sa vision magiquement augmentée.

Immédiatement à sa gauche, un escalier descendait vers le rez-de-chaussée ; Mathieu se fit la réflexion qu’ils avaient été bien inspirés de choisir la fenêtre centrale… A sa droite, au pied d’une escalier menant à l’étage supérieur, une étrange statue ailée armée d’une épée. Face à lui, une vaste chambre à coucher occupait presque tout l’étage, hormis un ou deux placards. A main droite, un bureau en désordre était adossé à l’escalier. A main gauche, un étrange personnage de la taille d’un hobniz, au corps entièrement enveloppé de bandelettes et vêtu d’un habit de cérémonie en velours noir à queue de pie, était juché sur un tabouret. Ajoutant encore à l’étrangeté de sa mise, son nez mince était chaussé de lorgnons aux verres fumés, et il tendait devant lui comme pour servir le repas un plateau d’argent sur lequel reposait la tête tranchée d’une femme humaine d’âge mur, la langue grotesquement tirée. En face, une riche fourrure aux reflets dorés recouvrait le sol, au pied d’un vaste dais occupant l’un des angles arrondis de la tour, sur lequel était disposé un lit à baldaquin de satin rouge des plus cossus, flanqué à sa tête d’une table de nuit.

Mais l’élément le plus surprenant de la pièce était sans conteste la présence dans le lit d’une petite fille en chemise de nuit, au teint blafard et aux yeux cernés de noir. Se redressant brusquement comme surprise dans son sommeil, elle fixa Mathieu d’un étrange regard, à la fois apeuré et vide.

- « Papa ? C’est toi papa ? » demanda t’elle d’une voix éraillée et caverneuse totalement incongrue dans un corps aussi délicat.

Puis, poussant un cri perçant de fillette affolée, elle rejeta les couvertures et sauta au bas du lit, courant de toutes ses petites jambes vers un placard avant de s’y enfermer en claquant la porte.
Pourtant entrés sur les talons de Mathieu, Khalil, Kalen et Barnabé ne purent l’apercevoir que brièvement. Ils furent bientôt rejoints par Aloïs, soulevé dans les airs par la volonté d’Hélebrank.

- « C’était quoi, ça ? Qui a crié ? », murmura le nouvel arrivant.

- « Euh… On est pas vraiment sûrs, mais on aurait dit une petite fille », lui répondit Mathieu sur le même ton, désarçonné par l’étrangeté de la situation.

De sonores incantations se firent soudain entendre, en provenance de l’étage supérieur. Manifestement, l’occupant des lieux venait de prendre conscience de la présence d’intrus et se préparait à contre-attaquer. Khalil fila comme une flèche vers l’escalier, tirant le bâton ferré qu’il portait attaché dans le dos.

- « Et flûte… », soupira Barnabé. « Autant pour la finesse et la discrétion ».

Khalil déboucha en courant dans la pièce supérieure, sous la coupole. Elle était très violemment éclairée par quatre réflecteurs concaves en métal poli disposés en hauteur sur son pourtour, chacune concentrant les rayons d’une source de lumière vers la table de dissection, disposée sur une large plate-forme centrale d’un bon mètre de hauteur. Une volée de marches flanquée de deux des réservoirs cylindriques précédemment évoqués par Kalen y donnait accès. Au sommet de ces marches, derrière un squelette de petite taille brandissant cimeterre et bouclier, se tenait un homme de grande taille vêtu d’une sorte de blouse blanche sans manches maculée de liquides corporels divers. Une étrange main fantomatique flottait au dessus de son épaule gauche. Khalil reconnut de suite ses traits émaciés et sa fine barbe noire comme étant ceux de la statue ailée entraperçue dans la chambre à coucher. Leurs regards se croisèrent, et l’homme lui sourit, avant d’entonner une rapide incantation et de le désigner du doigt.

La main spectrale se rua vers lui, le manquant d’un cheveu, avant de retourner flotter au dessus de l’épaule du nécromant. Faisant appels aux disciplines mystiques enseignées par ses maîtres, Khalil se mit à courir sur les murs, rapide comme l’araignée. Derrière lui, un rayon noir invoqué par le nécromant frappa le mur, le recouvrant de givre. Khalil parvint à traverser la salle pour se réfugier derrière l’une des hautes bibliothèques flanquant la plate-forme centrale, provisoirement à l’abri.

« A moi, mes merveilleux monstres !», cria le nécromant avant de pousser un gloussement d’écolière surexcitée. « Tuez les intrus ! »

Les quatre cuves cylindriques explosèrent simultanément, sous la pression de leurs occupants. En sortirent autant de zombies littéralement monstrueux. Trois d’entre eux étaient issus d’une race reptilienne inconnue des compagnons, de taille sensiblement humaine, à l’épaisse peau écailleuse. Le quatrième était celui d’un goblours, lourd comme deux hommes, au cuir putréfié tout aussi épais. Ils enjambèrent les débris des cuves ayant servi à leur maturation, avant de se diriger d’un pas lourd mais implacable vers l’adversaire le plus proche.

Mathieu arriva au sommet de l’escalier juste à temps pour être pris à partie par le zombie reptilien sorti de la cuve voisine. Deux autres zombies, dont celui du goblours, convergèrent vers Khalil qui se sentit soudain bien isolé. Le dernier commença à traverser la pièce pour les rejoindre.

C’est alors qu’Hélebrank entra en scène. Resté dehors le dernier, il avait préféré léviter jusqu’au niveau de la fenêtre centrale du second étage plutôt que de s’arrêter au premier, avant de se rendre compte qu’il ne disposait d’aucun instrument tranchant susceptible de venir rapidement à bout de l’épais papier huilé qui l’obturait. Sa première tentative d’effraction au moyen d’un Rayon d’Energie incandescent s’étant soldée par un trou calciné de la grosseur de son petit doigt, Hélebrank parvint à la conclusion que faire du découpage en pointillés lui ferait perdre un temps précieux que ses compagnons, désormais engagés dans un combat dont il ignorait l’issue, n’avaient sans doute pas. Il décida donc d’employer les grands moyens.

Un instant plus tard, une sphère de flammes en expansion apparut autour de lui et enfla jusqu’à atteindre un diamètre de seize mètres avant de s’éteindre, ceignant un court instant le sommet de la tour d’une couronne flamboyante visible à des lieues à la ronde. Papier huilé, cadre, volets et tentures furent carbonisés sur place, avant de tomber au sol en cendres fumantes. Les flammes envahirent une bonne moitié de la salle, ne s’arrêtant qu’au niveau de la table de dissection.

- « Oh non, pas encore ! » eut tout juste le temps de penser Khalil, avant d’être rejoint et englouti par le front de flammes.

Fort heureusement pour lui, il bénéficiait cette fois de la protection de l’Armure de Mage que lui avait lancé Kalen, et s’en tira avec des brûlures mineures. Devant lui, le vernis des rayonnages se craquela d’un coup sur une moitié de leur longueur. Le nécromant ne fut pas épargné par les flammes, de même que le zombie reptilien affrontant Khalil et celui qui passait justement devant la fenêtre pour lui prêter main forte. L’un dans l’autre, Hélebrank s’estima plutôt satisfait de son entrée spectaculaire.

Le zombie reptilien le plus proche, seulement mi-cuit, tourna ses yeux morts vers ce nouvel intrus flottant dans les airs juste en face de la fenêtre désormais ouverte aux quatre vents. Obéissant aveuglément aux instructions reçues, il le chargea. Hélebrank fut un instant tenté de s’éloigner d’un coup de pied de la façade de la tour, juste pour voir si le zombie serait assez idiot pour le poursuivre dans les airs, puis se ravisa, estimant que le jeu n’en valait pas la chandelle. Sa lévitation ne lui permettrait pas de revenir par ses propres moyens près de la tour, et ses camarades seraient privés de son soutien durant de longues secondes, le temps pour lui de redescendre au sol, de se rapprocher à pied, puis de remonter au niveau du second étage. Hélebrank décida donc d’achever le zombie d’un puissant Rayon d’Energie bien ajusté. Hélas, est-ce cette longue cogitation, ou bien l’approche rapide d’un bon quintal de viande reptilienne aussi furieuse que faisandée, qui fut nuisible à sa concentration ? Toujours est-il que le rayon espéré ne vint pas, et qu’une fraction de seconde plus tard, un puissant revers en pleine poitrine lui fit perdre tous ses moyens, l’envoyant s’écraser sur les pentes broussailleuses de la colline.

A l’étage inférieur, la petite fille décida de jouer le tout pour le tout pour rejoindre son papa, sortant en trombe de son placard et montant les marches deux à deux. Aloïs, qui venait lui-même de commencer l’ascension de l’escalier, profita de son passage pour lui planter l’épée courte magique récupérée dans le cairn dans le cœur jusqu’à la garde, sans autre effet que de s’attirer un regard haineux. Sifflant de colère, la « petite fille » le mordit à la cuisse, retroussant ses lèvres fines sur des crocs anormalement pointus pour des dents de lait, sans toutefois parvenir à percer le cuir de son armure. Puis elle tourna les talons et, évitant un nouveau coup d’Aloïs puis contournant Mathieu, déboucha à l’étage.

Barnabé s’était bien gardé de l’intercepter, préférant grimper le long du mur afin de trouver un angle de tir favorable, et surtout rester à l’abri d’adversaires terrestres. Le nécromant l’aperçut dès qu’il fut assez haut et fit mine de lui jeter un sort, mais ne fut pas assez rapide pour éviter le boulet de fonde que lui expédia le hobniz. Souriant d’un air de défi, il se saisit de la seringue qu’il portait à la ceinture et la leva bien haut comme pour l’exhiber à la vue de tous, avant de se la planter dans le ventre d’un coup sec et de s’en injecter le contenu en poussant un râle animal.

Plutôt que de perdre son temps à affronter des sous-fifres, Khalil utilisa de nouveau les talents acrobatiques qui lui avaient été enseignés pour franchir comme si de rien était la bibliothèque de près de trois mètres de haut le séparant du nécromant. Il atterrit derrière celui-ci avec la légèreté d’un chat, et lui faucha les jambes d’un mouvement fluide de son bâton ferré, le projetant lourdement au sol derrière la table de dissection, ce qui eut également pour effet de le mettre à l’abri des tirs de Barnabé. La petite fille rejoignit à cet instant son « papa », se jetant sur lui et l’enserrant de ses petits bras pâles.

Khalil fut aussitôt pris à partie par le squelette garde du corps et par le zombie reptilien, encore auréolé de sa victoire sur Hélebrank. Il ne put donc rien faire pour empêcher le nécromant de se redresser et, toujours assis par terre, de lui jeter un nouveau sort à bout portant. La main spectrale bondit, le frappant en pleine poitrine, et il sentit un instant ses pensées se geler, paralysées par une terreur indicible. Mais l’esprit d’un moine de Zuoken n’est pas une proie facile : les années passées à se forger une volonté de fer à force de discipline et de mortifications vinrent au secours de Khalil, lui permettant de rompre l’emprise du sortilège « aussi inéluctablement que le soleil du matin dissipe la brume matinale », comme le disait fort poétiquement son maître.

L’on dit qu’une mauvaise action est toujours punie, surtout lorsque le malfaiteur est seul face à une bande d’assaillants vengeurs. Toujours est-il que le nécromant reçut ce qu’il méritait, à savoir un second boulet de fronde dans l’épaule de la part de Barnabé (à la grande déception de ce dernier, qui visait plutôt la tête), et un magistral doublé droite-gauche en pleine poitrine du bâton ferré de Khalil. Il baissa alors pavillon sans se faire prier, glissant inanimé au sol.

- « Méchant ! Tu as fait du mal à mon papa ! », siffla la petite fille, le visage tordu par une haine d’une violence proprement inhumaine, avant de se jeter tous crocs dehors sur Khalil.

Elle n’eut toutefois pas le temps de lui faire grand mal, protégé qu’il était par une Armure de Mage, avant d’être abattue par un boulet de fronde de Barnabé.

Privés de leur tête pensante, les zombies et le squelette continuèrent à exécuter mécaniquement les dernières instructions reçues. Le combat dégénéra en un long échange de coups, dont la narration détaillée ne présente que peu d’intérêt.

Il suffira de dire que le squelette continua à protéger son maître à terre, jusqu’à ce qu’il soit réduit en miettes par un puissant coup de bâton de Khalil suivi d’un rayon incandescent d’Hélebrank, revenu en lice après avoir récupéré des effets de sa chute.

Les zombies se montrèrent plus coriaces : les compagnons ne furent pas longs à s’apercevoir que leur cuir putréfié était quasiment insensible aux armes d’estoc ou de concussion. Boulets de fronde de Barnabé et carreaux d’arbalète de Kalen pleuvaient sur eux comme une giboulée de printemps, avec aussi peu d’effet. Quant à Khalil, bien qu’ayant l’impression de frapper du bâton un sac de sable particulièrement odorant, il ne renonça pas, préférant rester à proximité du nécromant au cas où celui-ci reprendrait conscience ; à moins qu’il n’ait été simplement trop entêté pour reconnaître la futilité de ses efforts, ou trop attaché à son bâton pour s’emparer d’un instrument tranchant sur l’une des étagères derrière lui.

Fort heureusement, les zombies étaient aussi puissants que risiblement maladroits. Malgré un échange de coups très prolongé, les compagnons ayant renoncé à profiter de leur mobilité supérieure, ils ne parvinrent que deux autres fois à placer un coup, envoyant Aloïs et Khalil au tapis et les blessant légèrement.

C’est donc l’attrition qui détermina le vainqueur du combat. Les zombies furent les premiers à succomber, tranchés en fines lamelles par la hache de Mathieu, ou carbonisés par les rayons d’Hélebrank.

Sovereign Court

C'est bizarre, je ne me souviens pas d'une petite fille. C'est toi qui l'a rajoutee?


Moonbeam wrote:
C'est bizarre, je ne me souviens pas d'une petite fille. C'est toi qui l'a rajoutee?

Oui, c'est un rajout (une slaymate, tirée du sourcebook sur les morts-vivants) inspiré par divers commentaires sur les forums. L'idée était double:

1) dans un premier temps, augmenter la révulsion ressentie par les PJ envers Filge ("il a même fait des expériences sur une petite fille, urgh") pour maximiser les chances d'une réaction violente réflexe. Mais en fait, ils avaient pas vraiment besoin de ça...

2) dans un second temps, qui n'est pas encore venu, humaniser Filge malgré sa folie en révélant que ses expériences immondes n'ont d'autre finalité que l'amour d'un père pour sa fille. Le but étant de faire culpabiliser les PJ sur leur intervention musclée, pour mieux les manipuler/orienter vers la suite de la campagne.

On devrait voir ça vendredi (demain) date de la prochaine partie. D'ici là j'ai encore un post à faire...


Les compagnons s’empressèrent de trancher la tête de la petite fille, juste par précaution, puis ligotèrent, bâillonnèrent et dépouillèrent le nécromant pour faire bonne mesure.

Ils trouvèrent sur lui une étrange amulette faite d’un crâne d’oiseau monté sur un lacet de cuir, ainsi que deux tubes emplis d’un liquide opaque de couleur ambre et fermés aux deux extrémités par un bouchon de caoutchouc, manifestement destinés à être insérés dans l’étrange seringue dont le nécromant avait fait usage durant le combat. Une Détection de la Magie révéla que ces objets étaient bien la source de trois des auras magiques décelées depuis l’extérieur de la tour ; en particulier, l’aura de Transmutation provenait de l’amulette. Le nécromant était lui-même sous l’effet de plusieurs effets magiques de nature inconnue. Sans surprises, les quatre auras provenant du pourtour de la pièce correspondaient aux sources lumineuses placées au centre des miroirs concaves.

Leur humeur étant désormais au pillage, les compagnons envisagèrent un instant de prendre le temps de démonter ces appareillages pour les emporter, avant de renoncer. Kalen inventoria rapidement le contenu des rayonnages ayant survécu aux flammes, n’y trouvant qu’instruments chirurgicaux, organes et prélèvements putréfiés, ou notes et croquis écoeurants.

Mathieu jeta sans trop de ménagement le nécromant toujours inconscient sur son épaule, et les compagnons redescendirent à l’étage inférieur.
La statue au pied de l’escalier avait bien les traits du nécromant, représenté sous la forme d’un ange aux ailes largement déployées, le regard plein de bienveillance, brandissant d’une main une épée vers le ciel et serrant de l’autre une harpe sur sa poitrine. Sur le piédestal était gravé en lettres majuscules le mot « F I L G E » ; les compagnons en conclurent d’une part qu’il s’agissait du nom de leur adversaire et désormais prisonnier ; et d’autre part qu’il avait un sacré grain.

Kalen lança de suite une Détection de la Magie, et annonça à ses compagnons que parmi les six auras recensées plus tôt par Barnabé, cinq étaient regroupées quelque part sur le bureau, et la cinquième, celle identifiée comme relevant de l’Ecole d’Illusion, provenait de la tête humaine présentée sur un plateau par l’étrange personnage juché sur un tabouret.

Les compagnons commencèrent leur examen de la pièce par ce dernier, qui se révéla être un humanoïde de petite taille momifié, que l’occupant des lieux avait pour une raison quelconque revêtu d’un habit de cérémonie de grande qualité. La maigreur de ses membres et sa corpulence n’étaient toutefois pas celles d’un hobniz. Mathieu s’assura qu’il ne s’agissait pas d’un autre mort-vivant en usant de son pouvoir de Détection du Mal.

Hélebrank s’approcha de plus près, et constata qu’une pièce de platine était soigneusement posée au centre de la langue violacée et distendue qui pendait grotesquement en dehors de la bouche de la tête tranchée. Ne souhaitant pas prendre de risques inutiles, il fit tomber le plateau et son contenu d’un coup de son bâton. La tête roula à terre, et aussitôt ses lèvres semblèrent s’animer.

- « Intrus ! Voleur ! Intrus ! Voleur ! Intrus ! Vol… », se mit-elle à crier sans discontinuer d’une voix de crécelle, que les compagnons reconnurent comme étant celle de Filge.

- « Bon et bien voila. Nous savons maintenant que cette aura d’Illusion correspondait à un sort de Bouche Magique. », conclut Kalen avant d’ouvrir la porte du plus proche placard et d’y dégager d’un coup de pied la tête hurlante pour mettre fin au vacarme.

Aloïs empocha la pièce de platine sans faire de commentaires, puis les compagnons se répartirent les tâches pour passer la pièce au peigne fin : Kalen s’occuperait du bureau, Aloïs et Barnabé du reste, et les trois autres de la supervision d’ensemble.

La fouille de la pièce ne donna que de maigres résultats. Les placards ne contenaient que des tenues de rechange, composées d’une longue robe sans manches sur une chemise et des braies, toutes strictement identiques à celle portée par Filge. Ils trouvèrent également un épais livre relié de cuir rouge, brun et noir posé en évidence sur la table de nuit à la tête du lit, que Kalen emporta dans son sac sans même l’ouvrir, dans l’espoir qu’il s’agisse du grimoire de sorts du nécromant.

La fouille du bureau fut plus fructueuse. La première des trouvailles de Kalen fut un porte-éprouvettes contenant quatre autres tubes adaptables à la seringue de Filge, tous emplis d’un liquide d’aspect différent (bleu laiteux, rouge sombre, jaune paille, ou blanc strié de noir), et dont la base portait une mystérieuse inscription en grosses lettres : « nécroturgeons ». La deuxième fut un parchemin recouvert de runes magiques. Une rapide Détection de la Magie lui confirma que tubes et parchemins étaient la source des cinq auras magiques recherchées. Il poursuivit néanmoins ses recherches, passant rapidement en revue d’innombrables papiers et parchemins épars, qui contenaient pour la plupart des notes sur d’immondes expériences destinées à produire des morts-vivants toujours plus performants, ou les divagations erratiques d’un esprit malade s’enfonçant peu à peu dans la folie. De cette masse chaotique, il dégagea néanmoins quelques éléments intéressants : d’abord, une liasse de certificats d’origine émanant de la Guilde des Fossoyeurs et Embaumeurs de la Cité de Greyhawk, attestant de la provenance légale de certains cadavres utilisés par Filge dans ses expériences, et ensuite une mystérieuse lettre manuscrite dont Kalen fit lecture à ses compagnons.

Filge, chère vieille branche,

J’ai grand besoin de tes services à Lac-Diamant.

Le petit problème religieux dont je t’avais parlé est pire que prévu. Ils étudient d’étranges vers dans les profondeurs de la mine. J’en tiens un à ta disposition pour étude.

Tu pourras prendre tes quartiers dans le vieil observatoire, je l’ai fait rénover. Ta présence doit rester secrète : ne cherche pas à me contacter, mais montre cette lettre à Kullen, un demi-euroz albinos que tu trouveras au Chien Féroce. Il pourvoira à tous tes besoins et t’aidera à t’installer. Je pense que la bourse ci-jointe devrait suffire à couvrir tes frais de voyage depuis Greyhawk.

B.

- « Cette histoire de ver me rappelle quelque chose », indiqua Kalen, pensif. « Attendez-moi ici un instant. »

Il remonta quatre à quatre l’escalier menant à la salle supérieure, puis revint une minute plus tard avec une fiole de verre dans laquelle flottait dans un liquide clair une sorte de ver segmenté d’environ cinq centimètres de long, d’un beau vert bilieux.

- « C’était là-haut dans les rayonnages, parmi d’autres choses répugnantes. Il s’agit peut-être du genre de ver dont il est question dans la lettre. Mais je n’ai aucune idée de sa nature », dit-il en exhibant la fiole à ses compagnons.

La fiole passa de main en main, sans que personne ne soit en mesure d’identifier son contenu. Frustré, Aloïs s’empara de la lettre pour l’examiner à son tour.

- « Intéressant… », commenta Aloïs. « Voyons, je me demande bien qui est ce mystérieux « B ». Qui donc a un nom commençant par « B » à Lac-Diamant ? »

Tous les regards convergèrent vers Barnabé Bouillabise.

- « Ha, ha, très drôle… » se défendit celui-ci. « Plutôt que de faire dans la fine plaisanterie, vous feriez mieux de réfléchir sérieusement à ce que nous savons de cet observatoire. Le commanditaire de Filge, puisque commanditaire il y a, risque de ne pas du tout apprécier notre intervention. »

- « Ben, on ne sait pas grand-chose en fait », se reprit Aloïs. « Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai appris en consultant les registres cadastraux que le bâtiment avait été revendu au mois des Apprêts par la Cité de Greyhawk, qui en était propriétaire depuis belle lurette, à un certain Rebbala. »

- « Ca ne marche pas, son nom ne commence pas par la bonne lettre », fit justement observer Hélebrank. « Mais c’est marrant, dedans il y a les mêmes lettres que dans Belabar. Vous savez, le plus puissant propriétaire de mine de la ville, celui qui a si mauvaise réputation. »

Une escadrille d’anges passa, chacun des compagnons prenant la mesure de l’énormité de ce qu’ils venaient d’accomplir en s’en prenant à Filge : se mettre à dos le plus puissant, le plus retors, le plus vindicatif et le plus dénué de scrupules de tous les habitants de Lac-Diamant, qui pourtant n’était pas exactement un repaire de nonnes et d’enfants de chœur.

- « Rebbala, Belabar… C’est plutôt transparent comme anagramme, maintenant qu’on y pense », commenta Barnabé. « On doit bien être les seuils couillons en ville à ne pas avoir fait le rapprochement. »

- « Très bien, mais ce n’est pas le moment de s’endormir ou de faire les pleurnicheuses », le coupa Mathieu. « On est venu chercher des cadavres, et pour l’instant on n’a rien trouvé. Enfin si, mais pas les bons. Donc on continue la fouille, et on pleurera plus tard sur les pots cassés. »

Les compagnons descendirent donc l’escalier, pénétrant dans une vaste salle à manger au rez-de-chaussée. Le premier signe avant-coureur fut une étrange odeur douceâtre émanant de la pièce. Puis se dévoila devant eux une macabre et malsaine mise en scène, faiblement illuminée par trois grands chandeliers posés sur une longue table de banquet, entourée par dix chaises à haut dossier. A l’exception d’une seule d’entre elles, située à une extrémité de la table, ces chaises étaient toutes occupées par neuf cadavres dans un état de décomposition plus ou moins avancée, portant les riches atours caractéristiques d’un état ou d’une profession : Mage, courtisane, marchand, etc. Certains étaient assis avec dignité et droiture, immobiles comme s’ils venaient de s’interrompre au milieu d’un festin ; d’autres étaient avachis, comme sur le point de s’affaisser au sol. Devant chacun d’entre eux une assiette emplie de nourriture apparemment fraîche et un verre à moitié empli de vin rouge étaient servis. Plusieurs bouteilles ouvertes étaient réparties sur la table. Devant la chaise vide, une assiette propre et des couverts étaient méticuleusement disposés. Une mouche traversa la pièce en bourdonnant, brisant le silence.

- « Ce type est un vrai malade », commenta Mathieu en désignant Filge, toujours inconscient sur son épaule.

Quatre portes menaient hors de la pièce. La première, sous l’escalier menant au premier étage, ouvrait sur un débarras où Aloïs rafla un jeu de huit chandeliers en cuivre assortis, avant de jeter également dans le Sac de Contenance un joli service d’argenterie disposé sur une vieille étagère de bois le long du mur de la salle à manger, derrière la chaise vide. Les deux portes suivantes étaient situées dans le mur opposé à l’escalier, et donnaient accès à une cuisine décrépite et à un garde-manger contenant de grandes quantités de viande salée et de haricots qui manifestement composaient l’ordinaire du nécromant.

La quatrième porte donnait accès au bâtiment bas flanquant la tour. Un long couloir y desservait quatre cellules à l’aménagement spartiate, n’ayant de toute évidence pas été occupées depuis fort longtemps. Aloïs trouva néanmoins dans l’une d’elles, habilement dissimulée au dos d’un tiroir, une bourse garnie de 6 plaques de platine et de 5 orbes d’or.

Après une courte visite dans une pièce en ruines derrière une porte gonflée d’humidité, les compagnons débouchèrent enfin dans le hall d’entrée du bâtiment. Le sol était jonché de débris de meubles, de planches fendues, de tessons de verre et d’autres détritus. Face à la porte, à l’abri derrière des tables renversées disposées en barricade improvisée, trois squelettes armés d’arbalètes lourdes montaient une garde silencieuse face à la porte ronde menant vers l’extérieur. A leurs pieds, étaient disposés des carquois pleins, ainsi que trois petits pots emplis d’une pâte brune. Les compagnons dégainèrent leurs armes, alarmés ; les squelettes ne bronchèrent pas, pas même lorsque Mathieu entreprit de les démolir un à un.

- « Euh… Pourquoi ils restent là sans rien faire ? », demanda Aloïs, troublé. « C’est bizarre qu’ils ne se défendent pas. »

- « Te fais pas de mouron, y’a pas plus idiot qu’un zombie ou un squelette. Je suppose qu’ils avaient pour instruction de tirer sur tout ce qui franchirait la porte devant eux. Et comme on est arrivés dans leur dos… », lui répondit Mathieu en fracassant du plat de sa hache le dernier des morts-vivants.

- « Sans vouloir vous presser, on a fait le tour du bâtiment et on a toujours pas trouvé ce qu’on était venu chercher », commenta Barnabé d’un ton acide.

- « Je n’en suis pas tout à fait sûr », lui rétorqua Mathieu en pointant du doigt certaines malformations osseuses présentes sur deux des squelettes qu’il venait de fracasser. « Nous avons trouvé quatre squelettes, pas vrai ? Et ces deux là portent les signes de victimes de la Mort Rouge… »

- « Génial ! Le compte est bon ! Mais j’espère qu’Alastor ne nous en voudra pas d’avoir réduit ses parents en miettes », fit observer Aloïs. « S’il faut qu’on les recolle… »

Cet échange de vues fut soudain interrompu lorsque Filge, déposé non loin de là par Mathieu, poussa un gémissement en remuant faiblement, manifestement sur le point de reprendre conscience. Les compagnons s’interrogèrent mutuellement du regard, ne sachant que faire de ce prisonnier encombrant. Dans leurs plans, ils n’avaient rien prévu à son sujet ; à vrai dire, ils n’avaient pas prévu grand chose au-delà de leur entrée par effraction…


DOUBLE RATION DE PATATES CHAUDES
(séance du 9 avril 2010)

1er Jour Libre du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (nuit)
_________________

Le premier à réagir fut Khalil. Avançant d’un pas, il gratifia Filge d’un coup de poing en pleine figure. La tête du nécromant partit violemment en arrière, heurtant le mur contre lequel il était appuyé. Il cessa de bouger.

- « Ecoute moi très attentivement, Khalil », commença Mathieu d’une voix étrangement calme. « Ouvre bien grand tes oreilles : tu recommences un truc pareil sur un prisonnier, et je te fais une tête au carré. Nous sommes d’accord ? »

- « Pourquoi ? », lui répondit l’intéressé, pas le moins du monde intimidé. « Il allait se réveiller. C’est un Mage. Je vous protège de ses pouvoirs maléfiques, rien de plus naturel. »

- « Tu fais ce que je te dis et uniquement ce que je te dis, quand je te le dis, point barre », lâcha Mathieu sans desserrer les mâchoires.

- « Laisse tomber, Khalil », intervint Barnabé, voyant que Mathieu était au bord de l’explosion. « C’est un impératif religieux, je t’expliquerai plus tard. »

Toujours grommelant, Mathieu s’agenouilla près de Filge pour l’examiner. Le bel hématome qui commençait à fleurir autour de son œil droit n’était que la dernière et la moins sérieuse d’une longue série de blessures. Entre les brûlures, les impacts de billes de fronde et un enfoncement thoracique bilatéral, il y avait largement de quoi tuer un quidam ordinaire. Pourtant, l’état de Filge était stable, sa respiration régulière ; sa vie ne semblait pas être en danger. Mathieu se morigéna de ne pas avoir pensé plus tôt à procéder à cet examen. S’il avait été mourant, le prisonnier aurait aisément pu lui claquer dans les doigts.

- « Et maintenant, que faisons-nous ? », s’impatienta Aloïs. « Cela fait un bon quart d’heure que nous sommes là, mieux vaudrait ne pas trop nous éterniser. »

- « Au cas où la garnison du fortin, sur la colline juste en face, aurait aperçu une énorme boule de flammes suspecte en pleine nuit, tu veux dire ? » ironisa Barnabé.

- « Tiens, c’est vrai cela. A votre avis, il leur faudrait combien de temps pour arriver jusqu’ici ? » demanda benoîtement Khalil.

Cette dernière question se révéla prophétique : des bruits de sabots se firent entendre, en provenance de la route en contrebas de l’observatoire. Inconsciemment, les compagnons retinrent leur souffle, puis le relâchèrent dans un soupir de soulagement collectif lorsque les bruits s’éloignèrent, indiquant que les cavaliers poursuivaient au petit trot leur chemin le long de la route. Manifestement, apercevoir une vive mais fugace lumière dans la nuit était une chose, mais la localiser précisément en était une autre, bien plus difficile…

Khalil se précipita aussitôt vers les escaliers, invitant Hélebrank à le suivre. Ils montèrent ensemble jusque dans la salle de dissection, toujours violemment éclairée, et dont l’une des façades était désormais ouverte sur la nuit, puis entreprirent de démonter aussi rapidement que possible les sources de lumière situées au centre des quatre réflecteurs métalliques disposés en hauteur sur le pourtour de la pièce. Hélebrank s’efforça de prime abord d’en arracher une de son support par une Impulsion Télékinétique, tentative qui se solda par une petite explosion et une magnifique gerbe d’étincelles dorées. Par la suite, il se contenta d’user de ses pouvoirs pour soulever Khalil jusqu’au niveau des réflecteurs, ce qui permit à ce dernier de constater que les sources de lumière étaient en fait de petites billes de verre creuses contenant une substance à la luminosité aveuglante. Elles étaient serties au bout d’une tige de métal par des griffes qu’une petite virole permettait d’ouvrir aisément. Cette manière douce leur permit de récupérer sans coup férir les trois billes restantes, qu’ils mirent à l’abri au fond de la bourse de Khalil.

Leur intention première était d’en tirer un bon prix ; mais ce pillage eut incidemment pour effet de plonger la pièce dans les ténèbres, et donc d’éviter que la lumière se déversant à l’extérieur par des ouvertures désormais dépourvues de tous volets ou tentures n’attire malencontreusement l’attention vers le vieil observatoire.

Ils furent bientôt rejoints par Aloïs et Kalen, qui avaient entrepris la collecte méthodique des ossements de la famille Land, les enfournant pêle-mêle dans le Sac de Contenance. Leur tâche achevée au rez-de-chaussée, ils venaient récupérer le squelette garde du corps.

N’étaient restés au rez-de-chaussée que Mathieu et Barnabé. Une fois son examen du prisonnier terminé, le premier entreprit avec l’aide du second d’enfiler le byrnie de cotte de mailles magique trouvé dans le cairn, s’amusant de la disparition soudaine de son Armure de Mage, court-circuitée au contact du métal enchanté.

Leur intention première était de rejoindre leurs camarades en haut de la tour avec leur prisonnier une fois cette opération achevée. Mais alors qu’il s’apprêtait à jeter Filge sur son épaule, Mathieu s’aperçut que son état de santé s’était soudainement et spectaculairement aggravé : sa respiration était courte et sifflante, son teint cireux ; sur son torse, des marbrures indicatives de sérieuses hémorragies internes s’étendaient presque à vue d’œil.

- « Par la Sainte Hache ! Il est agonisant », jura Mathieu. « Je ne comprends pas pourquoi il flanche maintenant, il allait très bien tout à l’heure. »

- « La seringue ! », s’exclama Barnabé. « C’est sûrement l’effet de la mixture qu’il s’est injectée durant le combat qui est en train de se dissiper. »

Cette explication lui paraissant plausible, Mathieu se saisit sans faire plus de commentaires du symbole béni en forme d’éclair argenté qu’il portait autour du cou et commença à invoquer un miracle de guérison.

- « Heironéous l’Invincible, Honneur incarné, accorde-moi le pouvoir de soigner ce vil mécréant placé sous ma garde », incanta Mathieu à haute voix, tandis que sa main droite se nimbait d’une lumière aux reflets argentés.

Il effleura légèrement le visage de Filge, et la lumière fut comme absorbée. Le cocard autour de son œil se résorba entièrement, comme aspiré de l’intérieur. Mathieu recommença l’opération sur ses côtes, qui se remirent partiellement en place. Mais ces infusions répétées d’énergie positive eurent également pour effet de réanimer le nécromant. Il commença à s’agiter, cherchant à desserrer ses liens.

- « Arrête ça tout de suite. Tu es mon prisonnier. Ta vie est entre mes mains. Si tu me fais des difficultés, si tu me regardes de travers ou que tu t’agites d’une façon qui ne me plaît pas, je t’éclate la tronche contre un mur », le menaça Mathieu. « On s’est bien compris ? »

Ses conditions ayant été acceptées d’un hochement de tête et d’un borborygme étouffé par le bâillon, Mathieu poursuivit sa besogne, invoquant encore à deux reprises la puissance d’Heironéous pour soigner la majeure partie des blessures de son prisonnier. Ce dernier se détendit visiblement sous l’action des énergies bienfaisantes lui traversant le corps, se laissant faire sans broncher.


Leurs diverses besognes accomplies, les quatre autres compagnons redescendirent de la tour, tombant nez à nez avec le prisonnier qui ne se priva pas de les détailler de la tête aux pieds. Barnabé ne manqua pas de remarquer ces regards appuyés, regrettant de ne pas avoir eu dans la précipitation la présence d’esprit de lui enfiler un sac sur la tête pour préserver leur anonymat. Il en fit la réflexion à Kalen qui, partant du principe qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, remonta aussitôt dans la chambre pour découper de longues lanières dans les draps de satin du lit, qu’il utilisa pour bander les yeux de Filge.

Les compagnons se retirèrent ensuite dans une pièce voisine, laissant un instant le nécromant seul.

- « Très bien », commença Mathieu, « que fait-on de ce sinistre individu ? »

- « Cela me semble évident », lui répondit Khalil sans hésiter. « Il a vu vos visages. C’est un danger dont il me faut vous protéger. Donc je le tue. »

- « NON. On ne touche pas à un cheveu de sa tête, il est mon prisonnier », objecta fermement Mathieu. « Quelqu’un veut bien lui expliquer ? Moi je crois que je vais m’énerver. »

- « Vois-tu Khalil », commença Barnabé, le prenant à part, « maintenant que Filge est son prisonnier, Mathieu est tenu de veiller à ce qu’il ne lui arrive rien de fâcheux. C’est une règle de chevalerie : on ne moleste pas un adversaire qui s’est rendu. Il en va de son honneur. »

- « Ah, je comprends maintenant pourquoi il était si énervé tout à l’heure quand je l’ai estourbi. Je croyais qu’il était fâché parce qu’il était le seul à avoir le droit de battre le prisonnier. Je suis vraiment confus, je ne connaissais pas cette coutume. C’est un peu comme l’hospitalité chez nous. A la différence qu’elle s’applique aux ennemis prisonniers, et pas aux amis invités. Fascinant. »

- « Euh… Oui, c’est à peu près cela. Je suppose qu’il est normal qu’une personne originaire d’un pays aussi lointain que le tien fasse ce genre d’erreurs… », le rassura le hobniz, mettant fin à l’aparté.

- « Très bien. Merci pour ta contribution, Khalil, va donc me surveiller le prisonnier. Et rappelle toi que je veux le revoir vivant et en bonne santé », conclut Mathieu en désignant du doigt la porte menant au hall d’entrée, avant de se retourner vers ses autres compagnons. « Maintenant que tout le monde est informé des données du problème, nous allons pouvoir discuter sérieusement. Que fait-on ? »

- « On devrait l’interroger sur ses activités ici, et le menacer de le livrer aux autorités pour violation de sépulture s’il ne collabore pas », proposa Aloïs.

- « Sans vouloir doucher votre enthousiasme, je vous rappelle que les autorités ici, c’est le Bailli Cubbin. Il suffit que Bélabar lui graisse la patte, et c’est nous qui allons nous retrouver au fond d’une geôle pour effraction, agression, vandalisme et j’en passe. Et ce ne serait même pas une invention… », objecta Barnabé.

- « Bon, inutile de tergiverser des heures, je prends les choses en main. Vous allez voir, je vais lui faire les gros yeux et il va me manger dans la main. Surtout, vous me laissez faire sans rien dire », trancha Mathieu en faisant craquer ses phalanges.

Il pénétra dans le hall d’entrée où le prisonnier attendait, sous la garde vigilante de Khalil. Les autres compagnons le suivirent, prenant position en arc de cercle devant le prisonnier. Sur un geste de Mathieu, Hélebrank lui retira son bâillon.

- « Ecoute moi très attentivement, racaille. Tu es entièrement à ma merci. Si tu me mens, je te tue », commença Mathieu, pensant entamer son interrogatoire du bon pied en exerçant une pression psychologique irrésistible.

- « C’est cela, tu m’en diras tant », répliqua Filge manifestement pas impressionné pour un sou. « Vous devez vraiment être les derniers des demeurés si vous croyez me faire peur avec vos menaces pitoyables. J’en ai entendu de plus terribles chez ma nourrice. »

- « Euh… Attention, baisse d’un ton, ou je te mets mon gantelet dans la figure. C’est moi qui pose les questions ici. Que fais-tu dans cet observatoire ? », reprit Mathieu, quelque peu décontenancé par l’attitude inattendue de son prisonnier.

- « Je suis chez moi. Je fais ce que je veux, pauvre idiot. Va jouer dans ta chapelle », ricana Filge.

- « Ah non, j’ai vérifié dans les registres, et vous n’êtes pas le propriétaire des lieux. Je suis bien placé pour le savoir ! » intervint Aloïs qui avait déjà oublié les consignes de Mathieu.

- « La belle affaire. Je suis ici à l’invitation du propriétaire, qui me loge gracieusement. Quelle différence ? Vous êtes qui, pour pinailler ainsi ? Des juristes ? », rétorqua le nécromant sans se démonter.

- « A ta place, je ferais moins le bravache. Avec tous les squelettes volés qu’on a trouvés chez toi, tu risques gros… », poursuivit faiblement Mathieu, perdant pied.

- « Volés ? Vous rêvez, je les ai achetés et ils m’ont coûté assez cher d’ailleurs. Allez-y, dénoncez-moi aux autorités, qu’on rig… », commença à répondre Filge avant d’être précipitamment rebâillonné par Hélebrank sur un signe de Mathieu.

Les compagnons le laissèrent de nouveau sous la garde de Khalil avant de se retirer vers la salle voisine pour un second conciliabule.

- « Manifestement, on a pas su trouver le bon angle d’attaque. Quelqu’un parmi vous s’y connaît en interrogatoires ? », demanda Mathieu, sans obtenir rien d’autre que des dénégations.

- « Nous voila bien avancés », commenta Kalen sur un ton acide. « On est tous foutus. Avec vos âneries, on va être condamnés aux travaux forcés, comme les derniers des brigands. »

- « NOS âneries ? » rétorqua Barnabé. « Tu faisais moins le difficile tout à l’heure, en mettant la main sur son grimoire de sort ! »

- « Et puis je ne vois pas ce que nous avons fait de mal », ajouta Aloïs. « On a vaincu le magicien noir, on pille sa tour, c’est une sorte de tradition. »

- « Nous ne sommes pas dans une chanson de geste, Aloïs. Tes histoires de ménestrels ne vont guère émouvoir le Bailli. La vérité, c’est que même à supposer que Filge ait été assez stupide pour participer à la violation des sépultures de la famille Land, nous n’en avons pas la moindre preuve. Au mieux, il ne s’est rendu coupable que de recel en détenant des squelettes de provenance douteuse. Cela ne pèse pas lourd à côté de nos propres méfaits… », insista Kalen, toujours prompt à voir le bon côté des choses.

- « Je ne veux plus entendre parler de pillage, et le premier qui commence à râler finit bâillonné comme Filge », coupa Mathieu. « On règlera nos comptes plus tard. Nous savons déjà que le livrer au Bailli n’est pas une option, ce n’est pas la peine d’y revenir. »

- « Et au fortin ? Ou à ta chapelle ? », demanda Hélebrank, sortant de son mutisme.

- « Hélas non. La garnison est là pour défendre le territoire de la Cité de Greyhawk, pas pour rendre la justice dans Lac-Diamant. Et le Droit Canon de mon culte ne s’applique que dans l’enceinte de ses temples, ou pour les crimes commis contre le clergé. Le Parangon Valkus n’empièterait pas sur les plates-bandes des autorités civiles juste pour mes beaux yeux. Dans les deux cas, Fige finirait par être remis entre les mains du Bailli », expliqua Mathieu à regrets.

- « Et si on le livrait aux gens de St Cuthbert ? Ils sont assez cinglés pour se moquer des autorités civiles comme de leur premier gourdin. Je suis sûr qu’ils le mettraient au bûcher, juste pour voir si un nécromant, ça brûle bien », proposa Aloïs.

- « Et bien disons que je ne vois guère de différence entre livrer mon prisonnier à une tierce partie dont je sais qu’elle va le tuer, et le tuer moi-même. Donc ce n’est pas une option envisageable », répliqua Mathieu.

- « Pourtant, nous devons absolument trouver un moyen de pression sur Filge », rappela Barnabé. « Vous avez vu comme moi ces cadavres, dans la salle à manger : cet individu est un dangereux psychopathe. Pas du tout le genre à tendre l’autre joue. Si nous le relâchons comme ça, nous finirons au mieux dans une geôle, au pire assassinés, plus probablement les deux. »

- « Tout à fait d’accord », approuva Kalen, paradoxalement satisfait de voir que quelqu’un se rangeait enfin à son avis. « Nous sommes foutus. »

- « Réfléchissez donc, au lieu de geindre », insista Mathieu. « Vous êtes des Mages : cogiter, c’est votre domaine. Par quel levier pourrions-nous amener Filge à collaborer avec nous ? Ou à ne pas nous chercher noise, au moins ? »

- « Il y a toujours cette étrange petite fille », proposa Barnabé. « Ce n’était pas un zombie ordinaire ; si elle a de la valeur à ses yeux, elle peut servir de monnaie d’échange. »

- « N’oublions pas aussi le fait que sa présence ici était censée rester secrète », renchérit Aloïs en agitant la lettre de Maître Bélabar. « S’il tient absolument à l’anonymat, nous pouvons menacer de crier ce que nous avons appris sur les toits. »

- « Très bien, c’est mieux que rien. On y retourne », conclut Mathieu, faisant signe à ses compagnons de le suivre.

Ils retrouvèrent Filge et Khalil dans le hall d’entrée, reprenant les mêmes positions que la première fois. Hélebrank ôta de nouveau son bâillon au prisonnier.

- « Nous n’en avons pas fini avec vous, Maître Filge », commença Mathieu, sur un ton plus conciliant. « Répondez à nos questions et peut-être pourrons-nous trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties. »

- « Dites toujours », rétorqua l’intéressé. « Je n’ai rien de mieux à faire pour le moment. »

- « Très drôle. Quelle était cette chose, qui avait l’aspect d’une petite fille, dans votre chambre à coucher ? Elle n’était pas vivante, n’est-ce pas ? »

- « Etait ? », releva Filge. « Je suppose que vous l’avez massacrée, bande de brutes obtuses. Elle était aussi vivante que vous et moi, jadis. Ma pauvre petite fille… Je vais en avoir pour des jours de travail, à la réanimer. »

- « Quoi ? Vous avez pratiqué des expériences nécromantiques sur votre propre fille ?! C’est monstrueux ! Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? », s’écria Mathieu, profondément indigné.

- « Je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps à expliquer ce que vos pauvres esprits médiocres, engoncés dans leurs certitudes étriquées, ne peuvent à l’évidence concevoir », leur cracha Filge à la figure, s’étouffant littéralement de colère. « Vous avez quoi, pas même vingt ans ? Que savez-vous de l’amour paternel, et des extrémités auxquelles un père peut être conduit pour sauver son enfant ? Qu’est ce que vous pouvez y comprendre ? J’ai fait ce que j’avais à faire pour arracher ma fille à une mort aussi injuste que prématurée. Votre morale aveugle de décérébrés est puante de suffisance. Où étaient vos dieux lorsque ma fille… »

- « La ferme », le coupa Mathieu en pleine envolée, le tutoyant à nouveau. « Nous avons trouvé la lettre de Bélabar et le ver dans la jarre, et nous savons que tu mijotes quelque chose de secret ici. Soit tu réponds à nos questions, soit nous déballons tout en place publique : ta présence, le ver, tout ! »

- « Mais c’est que vous êtes de dangereux imbéciles», reprit Filge après une courte pause, visiblement atterré. « Des enfants qui jouent avec un briquet au milieu d’une réserve de feu alchimique. Vous n’avez pas la moindre idée de ce qui se trame ici, et du guêpier dans lequel vous avez mis les pieds. Ils vont tous nous tuer si vous faites cela. »

- « ‘Ils’ ? Qui ça, ‘ils’ ? »

- « Eux. Ceux qui justifient ma venue dans votre misérable bourgade de loqueteux. Je vous ai pris pour eux quand vous avez pris d’assaut mon laboratoire », expliqua Filge. « J’ai cru qu’ils venaient pour me tuer, à cause du ver. Franchement, si j’avais su que mes assaillants étaient une bande de foutriquets, des morveux avec trois poils au menton, je me serais fait moins de soucis… Au passage, vous pensez vraiment que je vais prendre au sérieux un clerc d’Heironéous qui menace de me tuer de sang froid, moi, un prisonnier désarmé ? Surtout après s’être donné la peine de soigner mes blessures ? »

- « C’est vrai que présenté comme cela, c’est pas trop crédible comme menace… », commenta Aloïs, oubliant une nouvelle fois de tenir sa langue.

- « La ferme toi aussi, Aloïs », le coupa Mathieu, énervé. « Si vous ne voulez pas que nous autres dangereux inconscients fassions des erreurs regrettables, il va falloir cracher le morceau et éclairer notre lanterne, Messire ‘bien trop fiérot pour un gars ligoté’. Commençons par le commencement : vous avez été invité à venir ici par Maître Bélabar, pour étudier un ver trouvé au fond d’une mine. Laquelle ? »

- « Aucune idée. Celle d’un concurrent, à l’évidence. Comme vous le savez puisque vous avez eu l’outrecuidance de fouiller mes affaires, je suis ici chez Maître Bélabar, pour étudier à sa demande un sujet relevant de ma compétence. Je le tiens informé quotidiennement de l’avancement de mes travaux. Il ne tardera pas à s’apercevoir de ma disparition, et vous aurez affaire à lui. C’est tout ce que vous avez besoin de savoir. »

Filge n’eut pas la possibilité d’en dire plus avant d’être promptement rebâillonné par Hélebrank. Les compagnons se retirèrent précipitamment et décidèrent après une brève discussion de poursuivre l’interrogatoire de leur prisonnier dans un endroit retiré, de crainte d’être surpris par l’arrivée inopinée d’un messager de Maître Bélabar.


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Ils ressortirent donc comme ils étaient venus, par la fenêtre de l’étage, avant de se diriger vers la ferme Land en prenant bien soin de faire un large détour pour contourner la ville. Ce trajet nocturne hors des sentiers battus ne leur prit toutefois qu’une demi-heure, tant leur destination était proche. Filge toujours ligoté fut laissé dans les ruines de la ferme sous la garde de Khalil tandis que les autres tenaient un nouveau conseil de guerre à l’extérieur, assis sur un tronc d’arbre propice situé à bonne distance.

- « Nous ne risquons pas d’être dérangés ici. Récapitulons la situation : nous ne pouvons pas livrer le prisonnier aux autorités, parce qu’elles sont corrompues ; nous ne pouvons pas dispenser nous-même une justice expéditive, parce que… c’est contraire à l’éthique de Mathieu ; nous ne pouvons pas le relâcher purement et simplement, parce qu’il irait droit chez Bélabar et que nous aurions à subir des représailles ; nous ne pouvons pas éternellement le garder prisonnier, parce que sa disparition va être découverte d’ici peu, si ce n’est pas déjà chose faite. Quelles options nous reste t’il ? », résuma brillamment Barnabé.

- « Peut-être pourrions-nous le chasser de la ville, en lui interdisant de revenir », proposa Mathieu.

- « Et s’il revient ? Tu fais quoi ? », contra Barnabé.

- « Et bien, euh… J’en sais rien », admit Mathieu. « Moi, toutes ces histoires de conspirations secrètes, ça finit par me coller la migraine. J’en ai assez. Pourquoi ne pas tout révéler en place publique ? Après, advienne que pourra : une fois la poussière retombée, peut-être y verrait-on plus clair. »

- « Euh, tu n’as pas peur que des innocents soient blessés, ou pire, si on fait cela ? », tempéra Barnabé, inquiet.

- « Ah oui, flûte, les innocents. C’est vrai qu’il y en a partout, même dans une ville aussi pourrie que Lac-Diamant. Tu as raison, on ne peut pas agir à l’aveuglette et prendre le risque de déclencher un massacre. En tous cas, moi, je n’ai plus d’idées, je suis à sec. Je vais remplacer Khalil et je vous l’envoie, peut-être aura-t-il des suggestions utiles à faire », conclut Mathieu en se relevant.

Il se dirigea vers la ferme et releva Khalil de la garde de Filge, chantant à tue-tête des balades d’amour courtois de son Furyondy natale pour couvrir les discussions de ses camarades. Manifestement, certaines formes de torture psychologique étaient admises par le code des Trois Piliers de la Foi régissant la conduite des Paladins d’Heironéous.

De son côté, Khalil alla rejoindre les autres à l’extérieur, qui lui firent un rapide résumé de leurs discussions et conclusions, avant de lui demander s’il avait des propositions à faire.

- « Je suis pour la libération immédiate du prisonnier », annonça de suite Khalil, à la surprise générale.

- « Hein ? Mais tu voulais le tuer tout à l’heure ? Maintenant tu veux qu’on le libère, juste comme ça ? », s’étonna Aloïs.

- « Oui, c’est logique. Une fois libéré, il n’est plus protégé par vos coutumes sur l’hospitalité due aux prisonniers, n’est-ce pas ? », s’enquit Khalil avec un grand sourire carnassier.

- « Je vois… », soupira Barnabé. « Merci pour ta contribution, Khalil, mais je crains que Mathieu ne l’entende pas de cette oreille. J’ai peut-être une idée : nous ne pouvons pas indéfiniment garder Filge prisonnier nous-mêmes, mais peut-être pourrions-nous déléguer cette tâche à quelqu’un d’autre… Tes supérieurs t’ont bien envoyé pour nous protéger, Khalil ? Peut-être accepteraient-ils de le garder au secret dans leur monastère jusqu’à ce que nous parvenions à régler cette histoire de mine et de ver, s’il en va de notre intérêt ? »

- « Peut-être. Je ne peux pas vous le promettre. Il me faudrait leur poser la question », répondit humblement le moine.

- « Mais vous avez bien des cellules, dans votre monastère ? », demanda Aloïs.

- « Bien sûr. Notre monastère comporte de nombreuses cellules. Nous les occupons, nous autres moines », lui répondit Khalil, qui manifestement ne donnait pas le même sens à ce mot. « Mais si je dois retourner au monastère interroger mes maîtres, il faut me le dire tout de suite : en voyageant toute la nuit, je peux être de retour demain en fin de journée. »

- « Mais c’est beaucoup trop long ! » gémit Aloïs. « Si je ne rentre pas bientôt à la maison, papa va me tuer. »

- « Tu as une meilleure option sous la main ? », ironisa Kalen.

- « Et on si offrait nos services à Maître Bélabar, pour tuer les méchants au fond de la mine ? C’est une quête digne de héros tels que nous, ça, purger les entrailles de la cité du Mal qui les ronge », proposa Aloïs en réussissant on ne sait comment à faire résonner le « M » majuscule.

- « Quoi ? Il nous trahirait à la première occasion. Autant nous trancher la gorge nous-mêmes ! », protesta Kalen, toujours aussi positif.

- « Sans compter que je ne vois guère Mathieu mettre sa hache au service de la pire ordure de la ville », renchérit Barnabé.

- « Attendez un instant, il n’a pas complètement tort. Et si au lieu de faire une offre de service, dont Bélabar n’a sans doute que faire, nous négociions avec lui pour nous assurer de sa neutralité ? Après tout, il semble que nous ayons un ennemi commun », insista Hélebrank, dont les prises de parole cette nuit-là étaient aussi rares que judicieuses. « Nous devrions pouvoir arriver à une sorte de… pacte de non agression. Nous ne dévoilons pas ses secrets, il n’exerce pas de représailles contre nous. Donnant-donnant. »

Les compagnons débattirent encore un moment de la proposition d’Hélebrank puis, un à un, finirent par se ranger à son avis. Ils prirent donc la plume pour rédiger une courte lettre adressée à Maître Bélabar, destinée à l’assurer de leurs bonnes intentions et de leur absolue discrétion. Après moult hésitations et ratures, ils finirent par obtenir le résultat suivant :

Suite à une profanation de sépulture, nous avons été amenés à rencontrer Maître Filge.

Pour faire court, nous nous sommes aperçus qu’il travaillait pour vous. Il nous a informés de vos problèmes de vers.

Nous avons bien compris que la plus grande discrétion était nécessaire dans cette affaire.

Nous vous proposons d’échanger nos informations après étude de notre part. Nous vous recontacterons le moment venu.

PS : nous vous suggérons d’envoyer quelqu’un à l’observatoire pour libérer Maître Filge.

- « Pas mal du tout », commenta Hélebrank. « Pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas le contexte, on jurerait qu’il n’est question que de parasites intestinaux. »

- « Reste maintenant à faire parvenir ce message à son destinataire. Nous devons négocier directement avec Maître Bélabar, sans passer par Filge. Comme il a de très bonnes raisons de nous en vouloir, il risquerait de monter son patron contre nous en lui racontant n’importe quoi, juste pour se venger », rappela Barnabé.

- « On ne peut quand même pas aller porter le message nous-mêmes ! Mieux vaut ne pas trop nous exposer avant d’avoir pu trouver un accord avec lui. Je ne tiens pas à finir au fond d’un puits de mine, les pieds dans le ciment », protesta Kalen.

- « Filge nous a bien dit qu’il lui faisait tous les jours un rapport sur l’état d’avancement de ses travaux ? Vu le secret qui couvre toute l’opération, cela m’étonnerait beaucoup qu’il se déplace en personne. Ils doivent communiquer par messagers, ou par un moyen magique quelconque », suggéra Barnabé.

Les compagnons convinrent qu’il ne leur restait plus qu’à découvrir par quel moyen Filge communiquait avec son employeur et à utiliser ce moyen pour lui adresser leur message. Kalen proposa ses services pour interroger de nouveau Filge, étant entendu que ses questions ne porteraient que sur ce sujet précis. Une fois ce point précisé, les compagnons retournèrent tous auprès de leur prisonnier.

- « Bon, cela suffit maintenant les enfantillages », commença Filge dès que son bâillon lui eut été retiré. « Vous voulez quoi exactement, qu’on en finisse ? J’aimerais bien rentrer chez moi me coucher. Je suis fatigué, et réparer tout ce que vous avez saccagé va me demander énormément de travail. »

- « Ce qu’on veut ? Et bien ma foi, les squelettes », répondit spontanément Kalen, oubliant d’entrée de jeu les limites fixées d’un commun accord à son interrogatoire.

- « Hein ? Mais en quoi ils vous intéressent, mes squelettes ? », répondit Filge, intrigué. « Cela fait deux fois que vous abordez le sujet. J’avais besoin de gardes pour assurer ma protection, ce qui n’est pas du luxe dans votre ville fétide. J’ai payé le prix fort pour me les procurer, point à la ligne en ce qui me concerne. »

- « Ah, et bien disons qu’ils sont la cause de notre, euh… visite. Ils ont été dérobés dans une sépulture, et un… ami nous a chargés de les récupérer », lui expliqua obligeamment Hélebrank.

- « Pour les réclamations, adressez-vous à mon fournisseur : un certain Kullen, un demi-euroz albinos, vous ne pouvez pas le manquer… Moi, je m’en lave les mains », coupa Filge, avant de poursuivre d’un air songeur. « Arrêtez-moi si je me trompe : donc, si vous avez démoli mon laboratoire, trucidé ma fille, ravagé des mois de labeur et manqué de peu de me tuer moi-même, c’est uniquement pour récupérer ces quelques malheureux vieux ossements ? »

- « En deux mots, oui », lui fut-il confirmé d’une seule voix.

- « C’est vraiment parfait. Vous pouvez les prendre, je vous en fais cadeau. Inutile de me remercier. Et maintenant vous me laissez partir, parce que j’en ai plus qu’assez de vous et de vos âneries », proposa Filge sur un ton excédé.

- « Ce n’est pas si simple », s’excusa presque Hélebrank. « Avant de vous libérer, nous aimerions trouver un accord avec votre employeur, pour éviter tout malentendu regrettable. En attendant, vous feriez aussi bien de nous dire ce que vous savez sur ce ver que nous avons trouvé dans votre laboratoire. »

- « Difficile à dire. Il est animé par une force nécrotique, mais semble dormant, comme en hibernation. Je n’ai pas encore pu faire tous les tests nécessaires, mais il semble réagir faiblement à proximité d’une force vitale. Au contact d’un être vivant, si vous préférez », précisa Filge, dont la longue captivité semblait avoir enfin délié la langue.

- « Et il a été trouvé où, ce ver ? », poursuivit Hélebrank, reprenant d’autorité le flambeau de Kalen, et profitant des bonnes dispositions du nécromant.

- « Je n’en sais rien, vraiment. Tout ce qu’il m’a été dit par Bélabar, c’est que ce ver aurait été récupéré au début du mois de Frimadure au fond de la mine d’un concurrent par l’un de ses meilleurs… employés. Malheureusement, celui-ci aurait été éliminé avant de pouvoir faire un rapport complet. Il aurait juste mentionné une histoire de cultistes, de créatures monstrueuses, de masques et de plumes. Et le lendemain au réveil, Bélabar a trouvé sa tête tranchée sur son oreiller. J’ai d’abord été consulté en tant que spécialiste, puis engagé pour une étude plus poussée du spécimen », poursuivit Filge, décidément devenu loquace.

- « Et comment faites-vous pour adresser vos rapports quotidiens à votre commanditaire ? », demanda Hélebrank, revenant à l’objectif initial de l’interrogatoire.

- « Par messager, un messager magique. Et pour l’appeler, il faut que je sois à l’observatoire. C’est comme ça et pas autrement », conclut le nécromant sur un ton définitif.
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Les compagnons retournèrent donc au vieil observatoire par des chemins détournés. En premier lieu, à la demande de Mathieu, ils remirent discrètement en place la quasi-totalité de leur butin, à l’exception de la lettre de Bélabar et du bocal contenant le ver. Aloïs conserva toutefois la bourse trouvée dans une cellule du rez-de-chaussée, supposant qu’elle n’appartenait pas à Filge, et Khalil en fit de même pour l’une des billes de verre lumineuses, simplement parce qu’il la trouvait jolie.

Ils délièrent les mains de Filge et lui confièrent le rouleau de parchemin contenant leur missive en lui demandant de faire venir le messager. Le nécromant acquiesça et se dirigea vers la porte ronde menant à l’extérieur puis, s’agenouillant, souleva l’une des planches jonchant le sol du hall d’entrée pour récupérer une clé. Il la fit jouer dans la serrure et ouvrit la porte. Suivi de près par un Mathieu brandissant sa hache, prêt à toutes éventualités, il sortit sur le perron dans l’air frais de la nuit puis tendit le bras devant lui.

- « Rogatombe ! Attrape et porte à Bélabar ! », ordonna Filge en ouvrant la main, laissant choir le rouleau de parchemin sur le chemin, plusieurs mètres en contrebas.

Les compagnons s’avancèrent précipitamment, juste à temps pour apercevoir une ombre noire de la taille d’un petit chien jaillir et s’emparer du message, avant de dévaler le chemin et de s’évanouir dans les ténèbres en un battement de cil. Aloïs eut un petit pincement au cœur en réalisant que cette chose avait probablement été dissimulée dans le petit cabanon, à quelques mètres à peine de l’endroit où il avait effectué en solitaire sa première reconnaissance des lieux.

Les compagnons laissèrent Filge ligoté sur son lit avant de s’éclipser en fermant la porte derrière eux. Kalen exigea d’être raccompagné chez Allustan, craignant d’être victime d’une agression. De même, Barnabé préféra demander à Mathieu de lui accorder l’hospitalité plutôt que de loger seul dans sa chambre du Relais de l’Habile Cocher. Ils furent donc cinq à emprunter la route sinueuse montant jusqu’au fortin, ne se séparant que sur le parvis de la chapelle.

Sovereign Court

L'approche du groupe est interessante. Ils sont quand meme pas mal diplomatiques.


Moonbeam wrote:
L'approche du groupe est interessante. Ils sont quand meme pas mal diplomatiques.

La présence du paladin y est pour beaucoup. Elle exclut de fait les approches les plus sanglantes. Même s'il est loin d'être un "cul-béni" (expression locale signifiant dévot, personne exagérément religieuse) et met beaucoup d'eau dans son vin de messe, il n'aurait bien sûr jamais accepté de tuer Filge de sang froid et de faire disparaître son corps.

Il y a aussi le fait que nous utilisons le système HERO, pas D&D. Les PJs sont plus puissants que la moyenne, mais très loin d'être invulnérables ou "super-héroïques", ce qui les incite à la prudence (bon d'accord, ça ne marche guère pour certains d'entre eux...).

Quoi qu'il en soit, ils ne se sentaient pas de taille à affronter Bélaber et se sont donc creusés la tête pour désamorcer le conflit.


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Khalil, Barnabé et Mathieu rejoignirent sans encombres les quartiers de ce dernier. Pour les deux derniers compagnons, ce fut un peu plus compliqué…

Le père d’Aloïs, le Maître Cartographe Dietrik Cicaeda, attendait derrière la porte des locaux du cadastre, une lanterne à la main.

- « Ah te voila, toi ! C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Comment se fait-il que tu n’aies pas été à la maison pour accueillir ton pauvre père ? Et tu peux m’expliquer pourquoi tu as fermé le cadastre plusieurs jours durant ? N’as-tu décidément aucune conscience professionnelle ? », gronda t’il, pressant son fils de questions, aussi rapide qu’une arbalète à répétition nonize.

- « Et bien c’est que… euh… », balbutia Aloïs, jamais très à l’aise face au courroux paternel.

- « Et c’est qui, lui ? », demanda le vieux cartographe en détaillant de la tête aux pieds Hélebrank, toujours vêtu de simples hardes de paysan, son bâton à la main.

- « Oh, lui… C’est Hélebrank, l’un de mes… compagnons. C’est un puissant Mage, même s’il ne paie pas de mine. Il loge avec moi, et euh… Tu sais quoi, Allustan me paie 10 orbes pour des plans détaillés du Cairn aux Murmures ! N’est-ce pas super chouette ? C’est à cause de cela que je rentre tard, et que j’ai du beaucoup m’absenter dernièrement », répondit Aloïs en orientant habilement la conversation vers un sujet moins conflictuel que la présence d’un semi-vagabond dans le logis familial.

- « Fichtre ! Félicitations, mon fils. Tu as décroché ta première commande, et de la part d’un client influent qui plus est. Si c’est pour le travail, je n’ai plus rien à dire. File te coucher, on en reparlera demain après une bonne nuit de sommeil », conclut Dietrik, instantanément radouci.

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2ème Jour des Etoiles du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (matin)
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Le soleil était déjà levé lorsque Aloïs et Hélebrank furent réveillés par des éclats de voix provenant du bureau cadastral, juste en dessous de l’appentis où ils logeaient. Une discussion houleuse mais brève s’acheva avec le claquement de la porte extérieure.

Aloïs se précipita à la fenêtre juste à temps pour voir, au travers d’une fente du volet, la silhouette de Khellek s’éloigner à grands pas, les épaules contractées par la colère.

Craignant d’avoir à fournir des explications à son père, Aloïs fit sa toilette, s’habilla et prépara son équipement sans aucunement se presser. Ce sombre pressentiment se révéla parfaitement justifié : Dietrik Cicaeda attendait de pied ferme son fils et principal assistant dans le bureau du cadastre au rez-de-chaussée.

- « ALOIS ! », beugla t’il à pleins poumons, le teint cramoisi, lorsqu’il le vit descendre. « Viens ici ! »

- « Euh… oui papa », marmonna Aloïs en s’avançant dans la pièce, s’arrêtant à proximité de la table où, à sa grande consternation, était étalée la carte des environs de Lac-Diamant qu’il avait lui-même confectionnée et mise à la disposition du public.

- « Tu vois quoi là, sous mon doigt ? » lui demanda son père d’une voix tendue comme une corde d’arc en pointant l’emplacement approximatif où aurait du figurer le Cairn aux Murmures.

- « Ben, rien », dut admettre Aloïs, regrettant en son for intérieur de ne pas avoir pensé à couvrir ses arrières en complétant la carte après le passage de Khellek.

- « Oui, rien, justement. Comment se fait-il que cette carte soit incomplète ? Un quidam vient se plaindre d’avoir été mal renseigné, voire trompé, et menace de se plaindre aux autorités de la Guilde. Moi, en bon père, je prends ta défense et je le mets dehors... Et quand je vérifie par acquit de conscience, je m’aperçois qu’il avait raison ! Pourrais-tu m’expliquer où est passé le Cairn aux Murmures sur cette carte ?! Celui que tu es précisément en train de cartographier pour le compte d’Allustan, comme par hasard ? »

- « Et bien euh… », bafouilla Aloïs en rougissant.

- « Dehors ! Hors de ma vue ! Loin de mes cartes, avant que je ne te donne la correction que tu mérites ! Et emmène ton pouilleux d’ami avec toi ! », explosa son père.

Aloïs et Hélebrank ne se le firent pas dire deux fois, et prirent la direction des appartements de Mathieu, qu’ils trouvèrent déjà debout en compagnie de Barnabé et de Khalil.

- « C’est une catastrophe ! », cria Aloïs, surexcité. « Je viens de voir Khellek. Le trio d’aventuriers est de retour en ville, nous devons absolument retourner au cairn dès aujourd’hui si nous ne voulons pas qu’ils nous coupent l’herbe sous le pied ! »

- « J’ai mieux. Jette un œil sur le courrier qui vient d’être remis à une sentinelle à mon intention », lui répondit Mathieu en lui tendant un petit bout de parchemin décacheté sur lequel l’on pouvait lire :

Chers bienfaiteurs « inconnus »,
Je vous invite à faire preuve de la plus grande discrétion sur ce que vous savez. Muets comme la tombe.
Vous aurez prochainement de mes nouvelles. Il ne tient qu’à vous qu’elles soient bonnes, ou mauvaises.
B.

- « Oh flûte, on est grillés… Comment a-t-il fait pour nous retrouver ? » se lamenta Aloïs.

- « Je ne vois pas ce que cela a d’étonnant », commenta sobrement Barnabé. « Maître Bélabar est le roi des coups fourrés. Il doit avoir le meilleur réseau d’informateurs de toute la ville. Trouver l’identité d’un Paladin d’Heironéous répondant à la description de Mathieu n’a pas du lui prendre plus d’une heure, au grand maximum… Ce n’est pas comme s’il y avait plein les rues, des armoires à glace comme lui ! Et sans vouloir vous inquiéter, comme nous nous réunissons tous les soirs au Bazar depuis près d’une semaine, il ne devrait guère avoir de mal à nous identifier, nous aussi… »

- « Raison de plus pour achever l’exploration du cairn tant que nous le pouvons encore », insista Aloïs. « Nous y trouverons peut-être de quoi échapper à ses griffes, qui sait ? »

- « Sauf que tant que les ossements de la famille Land ne seront pas inhumés avec Alastor, la porte de métal restera fermée », lui rappela Barnabé. « Inutile de retourner au cairn si c’est pour trouver porte close. »

- « Mais on a plus le temps ! » protesta Aloïs. « Je vous ai dit que Khellek était de retour. L’emplacement du cairn est un secret de polichinelle. S’il se renseigne en ville auprès des bonnes personnes, il peut y être d’ici quelques heures ! »

- « Ouais, peut-être. Mais comme on dit chez moi, plus tôt on prend la pelle, plus tôt le fumier est sorti de l’écurie », conclut Mathieu, philosophe. « Abattons d’abord la besogne, et on s’occupera après de savoir si elle a été faite à temps. Allez hop, on se bouge ! »
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Bien décidés à faire aussi vite que possible pour prendre de court leurs rivaux, les compagnons se hâtèrent de rejoindre Kalen chez Allustan.

Seul Mathieu resta en arrière, ayant ressenti le pressant besoin de confesser ses écarts de conduite de la nuit passée au Glorieux Vélias. Le dogme d’Heironéous n’étant guère tolérant envers les pratiques nécromantiques dévoyées, il s’en tira avec un sermon bien senti sur l’impétuosité de la jeunesse et sur la nécessité de ne pas foncer tête baissée au risque de se compromettre aux yeux des autorités locales. Il laissa passer l’orage en promettant de mieux faire.

La veille, Kalen avait emporté le ver avec lui pour le montrer à son maître, mais celui-ci n’avait pu lui fournir le moindre éclaircissement, malgré l’étendue de ses connaissances en matière d’arts magiques. Les compagnons décidèrent donc de ramener le ver au temple pour le confier au Parangon Valkus.

Ceci fait, les compagnons désormais au complet se dirigèrent vers le cimetière de la ville, où ils furent accueillis par Fenlik de Wee Jas. Celui-ci les informa de l’accord de principe de la Haute Magus Amariss pour l’exhumation du corps d’Alastor, et fut quelque peu vexé lorsqu’il lui fut répondu que cela n’intéressait plus personne. Il accepta néanmoins de bon gré que lui soient confiés les ossements des membres de la famille Land et promit de les inhumer aussi près que possible de la tombe d’Alastor.

Bien que leur engagement envers ce dernier ne serait techniquement rempli qu’une fois l’inhumation effectuée, les compagnons décidèrent néanmoins de retourner au cairn, personne n’ayant de meilleure idée à proposer.

Après mille détours et précautions destinés à égarer d’éventuels poursuivants, les compagnons arrivèrent en vue du cairn en milieu de matinée. Toujours sur leurs gardes, les Mages invoquèrent leurs protections et sortilèges habituels avant de laisser quiconque franchir le seuil.

Au terme d’une progression prudente, les compagnons pénétrèrent enfin sans avoir vu âme qui vive dans la grande salle au sarcophage. Ils appelèrent Alastor à grands cris depuis le seuil du couloir à la lanterne bleue, jusqu’à ce que, quelques instants plus tard, celui-ci apparaisse soudainement à quelques pas.

- « Ben le bonjour, vous ôt’ ! O’m fait ben du plaisir d’vous revouère. Alors, est-ce ti qu’m’avions mis avec la famille ? », les salua amicalement le fantôme, sa tête grimaçante toujours douloureusement inclinée sur son cou brisé.

- « Euh… pas encore, mais c’est comme si c’était fait. L’inhumation devrait se faire dans la journée, ou peut-être demain », lui répondit honnêtement Mathieu. « Votre âme devrait bientôt trouver le repos. »

- « Ah oui, à c’t’heure », marmonna le fantôme, en se tortillant l’air gêné. « J’avions une confesse à vous faire, vous avions fait une menterie tantôt… Vous avions dit qu’c’étions d’êt’ séparés d’ma famille qui m’retenions sur Taerre, savez. Et ben, c’étions une craque. Mais oh, ça veut point dire qu’c’étions point chouette que vous ôt soyez donné le mouron de m’enterrer avec les miens. M’faisions drôlement du plaisir, vrai de vrai ! ».

Aucun des compagnons ne lui faisant réponse, tétanisés qu’ils étaient par l’imminence d’une catastrophe, le fantôme reprit le fil de son discours.

- « Comment qu’j’y pourrions vous esspliquer la chose… Voyez, les mourus, y voyent pas les choses com’ les vifs. D’puis qu’l’étions, mouru j’veux dire, avions appris d’mes aïeuls des choses que les vifs y savions plus. Si étions là, à c’t’heure, c’est point à cause du remords d’avouère laissé la famille, mais passque étions pas un pésan com’ les ôt’. En fait, étions l’un des derniers rej’tons du clan Cuncullach Beor’Gallillach. En flannae, ça voulions dire ‘Clan protecteur de la Mère Taerre’. C’te clan il a point survécu aux invasions des oerids, il y a… euh… longtemps. »

- « La migration des clans oeridiens et leur arrivée dans le sous-continent des Flanaesses remonte à près de mille ans, en fait », précisa doctement Kalen, assez érudit en matière d’histoire.

- « Merci, p’têt ben. Nous ôt’ mourus avions point trop la notion du temps », poursuivit Alastor. « Ceux qu’ z’ont point été zigouillés, y z’ont été asservis, et mêm’ leur nom il a été changé, tronqué et traduit en ‘Land’, un mot de vieil œridien qu’voulions dire ‘Taerre’. Pis les fils d’leurs fils, au fil des saisons, y’z’ont fini par oublier c’t’histouère d’clan, et pis surtout le pourquoué d’sa création y’a ben longtemps encore avant. Passque le clan, avions un but. »

- « Et c’est quoi, ce but ? » demanda bravement Hélebrank.

- « Ben, y’a une vieille prophétie, comme quoi le clan y d’vait guetter et empêcher le retour d’un gusse qu’portions le titre de ‘Héraut de l’Âge de la Mort Rampante’. D’vait arriver que’qu’part dans l’coin. Marrant, la vie, hein ? Quand qu’j’étions vif, voulions être un aventurier, et en fait y’a ct’histouère qu’le papi du papi d’mon papi avions d’jà oublié d’son temps qui fait qu’aurions du l’êt’… Mais passque étions mouru, et qu’la famille itou, y’a pu bernique à s’coltiner c’te destin, et c’est c’qui m’retient icitte. Voila, com’ vous’ôt étions des bons gars, j’vous en faisions cadeau. »

Joignant le geste à la parole, Alastor projeta les mains devant lui en direction des compagnons, qui sentirent le sol faire une embardée sous leurs pieds, comme si durant une fraction de seconde la course de la Taerre autour du soleil avait été altérée. Les compagnons furent saisis de vertiges, et en restèrent chancelants sur leurs pieds.

- « V’la, c’étions fait. Vous ôt’ allez avouère le destin héroïque qu’j’avions point pu remplir. C’est ben aimab’ à vous, m’soulagions d’un grand poids. Ah, j’allions oublier, vous faisions point de mouron, j’avions laissé la porte ouverte là haut », conclut le fantôme en désignant du doigt le puits d’accès au couloir du visage, tandis que sa silhouette commençait à se dissiper, devenant à chaque seconde moins perceptible.

- « Hé non, reste là ! On a encore des tombereaux de questions à te poser ! », s’écria Barnabé en vain.

- « Désolé, pouvions point trop vous en dire, étions point permis… », répondit le fantôme en désignant le ciel du doigt dans un geste d’excuse, avant de disparaître tout à fait.

- « Nous voila dans de beaux draps... », commenta Kalen.

- « Au fait, bonne chance à vous ôt', et f’sions gaffe, y’a du monde là haut », ajouta Alastor en réapparaissant soudainement pour un court instant avant de s’évanouir à nouveau, laissant les compagnons aux sombres réflexions que leur inspirait leur toute nouvelle destinée.


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PORTE OUVERTE ET COURANT D’AIR
(séance du 7 mai 2010)

2er Jour des Etoiles du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (milieu de matinée)
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De nouveau seuls dans la vaste salle au sarcophage, les compagnons échangèrent un regard hésitant. Puis ils haussèrent les épaules et entreprirent garnir chacune des sept lanternes d’une torche allumée, avant de les disposer au bout de leurs chaînes respectives. Cette tâche achevée, Hélebrank les fit monter un à un jusqu’au couloir au visage. Comme prévu, ce dernier béait largement, laissant libre l’accès jusqu’à la salle aux sphères de céramique.

A l’autre extrémité de l’étroite poutre de bois pétrifié qui la traversait sur toute sa longueur, la porte métallique était effectivement ouverte, laissant entrevoir une vaste salle vivement illuminée. Alastor avait tenu parole.

Les compagnons mirent au point un plan pour franchir la salle dans les meilleurs conditions en dépit du piège projetant les sphères de céramique. Khalil se porta volontaire pour traverser le premier en emportant avec lui une corde, qui servirait ensuite à assurer les autres. Cette initiative courageuse se solda par un impact violent en pleine poitrine, suivi d’un plongeon la tête la première au beau milieu des sphères de céramique, Khalil ayant quelque peu présumé de ses qualités d’équilibriste. Il réussit néanmoins à rejoindre la porte opposée sous une grêle de projectiles, qui cessa dès qu’il en eut franchi le seuil.

En comparaison, la traversée des autres compagnons ne fut qu’une formalité, à laquelle chacun apporta sa petite touche personnelle : ainsi Aloïs tenta sans succès de se dissimuler derrière le grand bouclier de Mathieu, prêté pour l’occasion ; Hélebrank parcourut la distance au trot, le pas aussi sûr que celui d’une chèvre, tandis qu’était déviée et s’écrasait au plafond la sphère qui aurait du le toucher ; Barnabé constituait une cible si difficile sous l’effet conjugué d’un Pas de l’Araignée et d’un Trot Effréné qu’il parvint à traverser la salle indemne ; Kalen tricha en usant d’un Saut Dimensionnel ; quant à Mathieu, tenant l’autre bout de la corde, il s’efforça d’ignorer les projectiles se fracassant sur son armure en faisant le gros dos.

Au-delà s’ouvrait à eux une vaste salle de vingt mètres de diamètre. Sur son pourtour, une corniche de pierre large de deux mètres entourait un gouffre béant. A l’origine, quatre passerelles devaient relier cette corniche périphérique à un étroit anneau de pierre central, par elles suspendu au dessus du vide ; mais deux de ces passerelles s’étaient effondrées, dont celle située juste en face de l’entrée. Une énorme colonne d’air traversait de bas en haut central, produisant un fort sifflement. Le mur ceignant la pièce s’élevait verticalement sur deux mètres, avant de s’incurver en un dôme parfaitement hémisphérique, culminant douze mètres plus haut. Ce dôme était la source de la vive lumière baignant la salle. Sa luminosité allait croissante au fur et à mesure de son élévation : d’abord douce au niveau du sol, elle devenait aveuglante à son apex. Quatre grandes niches étaient creusées dans le mur extérieur, à équidistance des passerelles ; des bas-reliefs d’aspect grossier, aux personnages étrangement déformés, comme fondus, semblaient en garnir le fond.
Rassuré par l’absence de danger immédiat, Aloïs entreprit de se défaire de son paquetage tandis que Kalen et Barnabé, escortés par Khalil, entreprenaient de faire le tour de la salle par la gauche pour examiner de plus près ces étranges bas-reliefs.

Ils ne s’étaient éloignés que de quelques pas lorsque deux silhouettes surgirent soudain des profondeurs du gouffre, traversant l’anneau central à une vitesse époustouflante. Il s‘agissait de deux humanoïdes de grande taille dans des armures de chevalerie d’un bleu immaculé, ornées de fanons blancs et rouges claquant au vent dans leur sillage, tenant dans chacune de leurs mains une longue épée effilée. Ils volaient dans un ensemble parfait mais de curieuse façon, pieds joints et bras écartés en croix. Virant sur l’aile au dessus du gouffre, ils décrivirent une courbe le long de la corniche où se tenaient les compagnons, à une vitesse excédant de loin celle d’un cheval au galop.

Lorsque le premier de ces guerriers passa au niveau de Kalen, il tendit soudainement l’une de ses épées… Le jeune Mage ne dut son salut qu’à ses bons réflexes : baissant la tête au dernier moment, il échappa de peu à la décapitation, la lame sifflant à quelques cheveux du sommet de son crâne. Toujours baissé, il courut se réfugier derrière la rassurante et surtout haute silhouette de Mathieu, suivi de près par Barnabé.

Le second guerrier volant eut plus de succès avec Hélebrank qui, moins rapide, écopa d’une blessure sans gravité à l’épaule. La douleur l’empêcha néanmoins de se concentrer suffisamment pour décocher un [i]Rayon d’Energie dans le dos de son assaillant.

Poursuivant sur leur lancée, les Guerriers du Vent reprirent de l’altitude, se rejoignant à nouveau au dessus du gouffre central. Ils furent hors de portée en un clin d’oeil, à la grande frustration de Khalil qui, bien que frôlé par l’un d’entre eux, n’avait pas eu le temps de réagir. Il fit tournoyer son bâton, se tenant prêt à repousser un nouvel assaut, tout en défaisant d’une main la corde qui lui enserrait encore la taille.

Mathieu se prépara de même, invoquant la puissance divine d’Heironéous pour enchanter sa hache, et se positionnant de façon à faire rempart de son corps devant ses compagnons moins aguerris.

Ni Mathieu ni Khalil ne furent donc pris au dépourvu lorsque les Guerriers du Vent, après une spectaculaire cabriole aérienne, revinrent pour croiser le fer, s’immobilisant au-dessus du vide devant eux, juste un peu au-delà du rebord de la corniche.

Mathieu parvint à parer de son bouclier le coup d’épée du premier d’entre eux, le laissant largement ouvert à une riposte. Aloïs se précipita en avant pour essayer d’en profiter, son épée courte magique brandie. Hélas, il s’aperçut à son grand dam que même en vol stationnaire, le Guerrier du Vent était loin d’être immobile : virevoltant avec une aisance écoeurante, celui-ci n’eut aucun mal à esquiver son coup d’épée malhabile.

Khalil préféra quant à lui tout miser sur l’offensive et parvint à frapper le premier, plus rapide qu’un cobra. Il en oublia toutefois d’ajuster son coup, qui se perdit très loin de son adversaire, mais le décontenança tout de même lsuffisamment pour déjouer sa propre attaque. Un rayon incandescent zébra l’air, à quelques encablures du Guerrier du Vent : à son tour, Hélebrank venait de faire l’expérience de la difficulté qu’il y avait à toucher une cible aussi agile.

Voyant cela, et conscient de ses limitations, Kalen préféra jouer la prudence et se lancer un sortilège de Coup Parfait pour augmenter ses chances de toucher. Quant à Barnabé, il chargea sa fronde d’un boulet et commença à la faire tournoyer autour de sa tête, guettant une ouverture.

Poussant son avantage après sa parade réussie, Mathieu asséna à son adversaire un splendide coup de hache en pleine poitrine, défonçant la plaque thoracique de son armure. Il ne fut qu’à moitié surpris de constater que derrière la céramique brisée, il n’y avait rien, que du vent : les armures étaient vides de tout occupant, de simples coquilles animées par des esprits élémentaires.

En retour, le Guerrier du Vent tenta de le frapper de ses épées, faisant montre d’une technique du combat éblouissante. Ses lames semblaient être partout à la fois, profitant de la moindre ouverture sans pour autant baisser le moins du monde sa propre garde. Mais l’entraînement au combat de Mathieu se révéla être à la hauteur, et il esquiva ou bloqua tous les coups.

Khalil fut lui aussi confronté à un véritable tourbillon de lames, qu’il ne parvint pas à contenir. Touché à la poitrine et au bras, il s’en tira toutefois par une légère estafilade grâce à son Armure de Mage et aux techniques mystiques de résilience qui lui avaient été enseignées.

Aloïs fit précipitamment retraite pour se mettre hors de portée, puis hésita longuement sur la conduite à tenir, essayant désespérément de trouver laquelle des pièces de son paquetage hétéroclite de parfait petit aventurier pourrait bien lui être utile en pareille circonstance… Puis il y renonça en poussant un soupir, et encorda son arc en espérant se montrer meilleur archer que bretteur.

- « Chaud ou froid ? » demanda à brûle-pourpoint Hélebrank.
- « Euh… Chaud ? », lui répondit du tac au tac Mathieu, avant de se rappeler avec effroi les circonstances dans lesquelles cette même question lui avait déjà été posée.
- « Oh non, pas encore… » gémit Khalil en parvenant à la même conclusion.

Une fraction de seconde plus tard, une énorme sphère de flammes en expansion centrée sur Hélebrank engloutit tous les protagonistes du combat. Fort heureusement, grâce aux Armures de Mage dispensés par Kalen et à l’incroyable résistance de Mathieu, les effets sur les compagnons furent quasiment négligeables. Il n’en alla pas de même pour les Guerriers du Vent, dont l’armure de céramique se couvrit d’un réseau de fines craquelures sous l’effet du choc thermique.

Prirent-ils à cet instant conscience du danger que représentaient pour eux les Mages du groupe ? Toujours est-il que l’adversaire de Mathieu se désengagea sans difficultés, décrivant en vol une large boucle avant de se poser près du mur à quelques mètres à peine des compagnons. Puis il entrechoqua ses épées devant lui : une onde sonique dévastatrice balaya toute la largeur de la corniche.

A l’exception d’Aloïs et de Khalil, aucun des compagnons ne parvint à échapper à la vague de son solidifié qui déferla sur eux. La violence du choc précipita le fragile Barnabé dans l’inconscience, laissa vacillants et hébétés Kalen et Hélebrank, et ébranla même Mathieu.

Aloïs avait été assez rapide pour prendre de vitesse l’attaque et se réfugier hors de portée, dans l’encoignure de la plus proche alcôve. Il banda son arc, encocha une flèche et commença à viser avec soin.

Quant à Khalil, il n’avait eu qu’un saut à faire pour trouver refuge à l’extrémité du tronçon de passerelle écroulée, en dehors de l’axe de l’attaque sonique. Toutefois, cela ne le mit pas à l’abri de son propre adversaire qui, pivotant sur lui-même, lui infligea une série de coups sévères à la poitrine, manquant de peu de lui transpercer le cœur. Aveuglé par la souffrance et titubant, Khalil vit des étoiles danser devant ses yeux et s’apprêta à recevoir le coup de grâce.

Sa bonne étoile devait toutefois veiller sur lui ce jour là. Lorsque son adversaire, apparemment dénué d’esprit chevaleresque, tenta de l’achever d’un double coup d’épée, il parvint sans trop savoir comment à sauver sa vie en trébuchant hors de portée, ce qui lui laissa le temps de reprendre ses esprits.

Seul à rester en lice sur la corniche, Mathieu brandit sa hache en un geste de défi. Le Guerrier du Vent à l’origine de l’attaque sonique se rua sur lui pour reprendre leur duel. L’ayant attendu de pied ferme, Mathieu parvint de nouveau à parer ses attaques de son bouclier, donnant à Kalen et Hélebrank le bref répit nécessaire pour que se dissipe leur étourdissement.

Il fit ensuite suivre cette parade d’une violente contre-attaque, qui fendit complètement en deux l’une des épaulières de son adversaire. Celui-ci ne sembla pas en être particulièrement affecté, et répliqua par une éblouissante démonstration d’ambidextrie, touchant Mathieu de l’une de ses épées sans toutefois percer sa cotte de mailles, et ouvrant de l’autre Hélebrank comme un poisson, de l’aine au nombril. Le Mage amnésique s’affaissa au sol dans un râle avant de s’immobiliser, de toute évidence mortellement blessé.

Au même instant, la chance insolente de Khalil finit par l’abandonner, et son adversaire passa par deux fois ses défenses. Lentement, les bras serrés sur une blessure au ventre et les yeux révulsés, le moine vacilla avant de basculer dans le vide. La scène eut été tragique s’il n’avait pas porté son Anneau de Chute de Plume… Deux mètres plus bas, sa magie accomplit son office et le moine commença à descendre lentement vers les profondeurs du gouffre.

Devant la tournure critique prise par les évènements, Kalen tenta un coup de bluff désespéré. S’adressant en Auran aux Guerriers du Vent, il prétendit être Nadroc et leur ordonna de le laisser passer lui et ses camarades. Soit ils ne furent pas dupes, soit ils n’en comprirent tout simplement pas un mot à cause de son accent atroce ; quoi qu’il en soit, ils poursuivirent le combat comme si de rien n’était.

La suite se résuma à une longue passe d’armes peu concluante entre Mathieu et les deux Guerriers du Vent. Toutefois, le jeune paladin encaissa bien plus de coups qu’il n’en donna, et il était évident que sous les effets conjugués de la fatigue et de la perte de sang, ses attaques n’avaient plus la force et la précision de la toute première. Il ne continua pas moins à subir avec vaillance les assauts de ses adversaires, tout en concentrant ses coups sur l’un d’entre eux dans l’espoir de le détruire avant de succomber lui-même.

Derrière lui, Aloïs, Kalen et Barnabé, une fois que ce dernier eut repris conscience, s’efforcèrent de le soutenir par un tir de harcèlement, hélas sans trop de succès.

Khalil, qui avait recouvré ses esprits avant même de toucher le fond du gouffre, seize mètres en contrebas de la corniche, atterrit enfin et courut à toutes jambes vers la colonne de vent centrale. Comme il l’avait espéré, il fut aussitôt soulevé de terre et propulsé vers le haut à vive allure.

- « Attention, j’arriiiiiiiiiive… », eut il tout juste le temps de crier, avant de traverser l’anneau central comme une flèche, puis de disparaître douze mètres plus haut, comme englouti par le plafond sous les yeux ébahis de ses compagnons.

Paniqué et sentant le combat tourner au vinaigre, Kalen utilisa sa [i]Lévitation mineure pour tenter de se mettre à l’abri, avant de réaliser la complète futilité de son geste… Résigné, il se prépara à se battre jusqu’à l’inéluctable et fatale conclusion.

C’est à cet instant de profond découragement que les fortunes de la guerre sourirent enfin aux compagnons.

L’un des Guerriers du Vent encaissa successivement une flèche d’Aloïs, un boulet de fronde de Barnabé et un Projectile Télékinétique de Kalen. Il accusa durement le coup, et son vol se fit plus hésitant, erratique.

Puis Hélebrank se redressa en position assise en grimaçant et, une main tremblante tendue dans la direction approximative du combat, prononça d’une voix rendue sourde par la souffrance la première formule magique qui lui vint à l’esprit.

- « Abracadabra ! Poum la la ! »

Une nouvelle sphère d’Eruption d’Energie, cette fois de nature sonique, entra en expansion autour de lui et engloba derechef tous les combattants. Les compagnons, bien protégés, n’en ressentirent presque pas les effets ; mais les deux Guerriers du Vent, déjà durement éprouvés, explosèrent en un nuage d’éclats de céramique, qui disparut avant même de retomber au sol.


Mathieu se précipita au chevet d’Hélebrank, manifestement plus mort que vif, pour juguler l’hémorragie causée par sa blessure au bas-ventre, puis prodigua ses soins à Kalen avant de s’occuper de sa propre personne.

Une fois l’urgence vitale jugulée, Hélebrank annonça qu’il avait besoin de méditer un peu pour se remettre de cette épreuve. Mathieu se proposa pour veiller sur lui.

Barnabé, Kalen et Aloïs entreprirent de faire le tour de la pièce pour examiner les bas-reliefs. Alors qu’ils approchaient de la première des alcôves, des valves dissimulées sur son pourtour s’ouvrirent, relâchant de petits jets de fumée de diverses couleurs qui recouvrirent le bas-relief en s’entremêlant selon des motifs compliqués. Soudain, au lieu d’une sculpture figée, qui plus est de si piètre qualité qu’il était difficile d’en identifier le sujet, les compagnons eurent devant les yeux une scène animée aux couleurs contrastées. Dans la pierre s’ouvrait désormais une fenêtre sur une paisible scène champêtre, figurant un groupe de Vaati qui se prélassaient ou gambadaient avec insouciance dans un paysage verdoyant. Au dessus de leurs têtes, le ciel était constellé de douzaines de cercles parfaits. Puis des formes noires indistinctes, aux contours torturés, surgirent des contours de la scène, prenant la forme de créatures monstrueuses issues d’un croisement contre nature entre loups et araignées. Elles semèrent panique et carnage chez les Vaati tandis que dans le ciel, les cercles éclataient un à un… La scène s’acheva avec la mort du dernier Vaati et la disparition du dernier cercle.

Après un bref conciliabule, les compagnons conclurent qu’il devait probablement s’agir d’une représentation de l’assaut des forces du Chaos sur l’Empire des Vaati, survenu en des temps immémoriaux, et passèrent au deuxième bas-relief.

Le même phénomène se répéta à leur approche : cette fois, les couleurs tourbillonnantes leurs laissèrent voir un groupe de sept Vaatis au port altier présentant une sorte de court bâton à une assemblée solennelle manifestement composée de Ducs des Vents du plus haut rang. Chacun des sept Vaati portait autour du cou un cartouche orné d’un glyphe ; l’un d’entre eux était déjà connu des compagnons comme étant celui d’Icosiol. Puis le bâton s’envola dans les airs et se brisa en sept morceaux de taille différente, qui s’éparpillèrent à tous les vents. Les compagnons comprirent qu’il s’agissait d’une représentation du très fameux et légendaire Sceptre aux Sept Morceaux.

Grâce à sa mémoire eidétique, Kalen recopia rapidement les six glyphes inconnus sur un bout de parchemin. Un sort de Compréhension des Langues plus tard, il put en déterminer le sens : il s’agissait des noms de six Ducs de Vent de haut rang, Amophar, Darbos, Emoniel, Penader, Qadeej et Uriel.

Le bas-relief suivant représentait une terrible bataille opposant les forces du Chaos, épaulées par des élémentaires de Terre, à des légions entières de Guerriers du Vent semblables à ceux ayant gardé la pièce. Les compagnons supposèrent qu’il s’agissait sans doute de la célèbre Bataille des Champs de Pesh ayant mis un point final à la guerre. Le Duc du Vent Qadeej utilisa le Sceptre de la Loi pour empaler Miska, Champion et général des forces du Chaos, un énorme démon arachnoïde doté de quatre bras et de trois têtes, une humaine et deux lupines. Les compagnons virent le Sceptre se fragmenter en sept morceaux, ouvrant une faille dimensionnelle dans laquelle Qadeej et son adversaire furent aspirés et disparurent. Au tout dernier instant, Icosiol fut frappé par un rayon lancé par l’un des yeux de Miska et s’écroula au sol inanimé.

A l’autre bout de la pièce, Hélebrank se releva, ses blessures entièrement guéries. Lui et Mathieu s’empressèrent de rejoindre les autres.

- « Ca a l’air très intéressant, mais… Vous n’auriez pas un peu oublié Khalil ? Il a peut-être besoin de notre aide », rappela le Paladin.
- « Je sais, je sais…mais on aura peut-être plus l’occasion d’examiner ces bas-reliefs plus tard… », protesta Barnabé, dévoré par la curiosité.
- « Et de toute façon, s’il est tombé tout de suite sur un os, il doit déjà être mort et n’a donc plus besoin de nous. Dans le cas contraire, il n’avait qu’à nous attendre sagement : s’il s’est attiré des ennuis, tant pis pour lui » renchérit Kalen, peu désireux le laisser à plus tard l’examen d’une telle trouvaille.

Leurs derniers scrupules étouffés par cet argument d’une logique implacable, les compagnons (moins un) bouclèrent leur tour de la pièce par le dernier bas-relief. Celui-ci représentait un Vaati d’imposante stature, portant armure et heaume orné du glyphe de Zosiel, contemplant une vaste légion de Guerriers du Vent, tous identiques, portant autour du cou un cartouche avec un même glyphe, que Kalen identifia comme correspondant à un terme générique signifiant ‘‘guerrier’’. Dans un ensemble parfait, ils levèrent leurs épées au dessus de leurs têtes pour saluer leur chef.

La scène s’était à peine terminée que l’attention des compagnons fut attirée vers le centre de la pièce par un bref cri. Se retournant, ils virent Khalil descendre à vive allure du plafond dans la colonne d’air, puis ralentir comme par enchantement.

- « Je suis de retour ! » s’écria le moine en se posant comme une fleur sur l’anneau de pierre central.

Ses compagnons se précipitèrent vers lui, et le pressèrent de questions sur ce qu’il avait pu voir et faire de son côté. Khalil leur raconta qu’après avoir été emporté par le vent au travers du dôme, qui manifestement n’était pas aussi solide qu’il en avait l’air, il avait été déposé dans une pièce rectangulaire, large de quatre mètres et longue du double.

- « A un bout, il y avait un trou rond dans le sol d’où sortait le vent, et à l’autre, il y avait des marches, et au-delà, une de vos boîtes-à-morts, là, exactement la même qu’en bas… »
- « Un sarcophage ? », proposa Aloïs.
- « Oui c’est cela. Exactement le même sarcophage qu’en bas. Derrière, il y avait un bas-relief avec des personnages, et il y en a un qui m’a sifflé dessus quand je me suis approché », poursuivit Khalil.
- « Comment cela, il t’a sifflé dessus ? » demanda Barnabé, interloqué.
- « Je ne vois pas comment mieux le dire. Ca ressemblait à ça », expliqua Khalil, avant d’imiter du mieux qu’il put les chuintements et autres sifflements entendus un peu plus tôt.
- « Nom d’un bourdon de Mage ! » s’écria Kalen. « Je parie que c’est de l’Auran ! On y va ! »

Les compagnons prirent toutefois le temps de procéder à un examen approfondi de la salle, comme à leur habitude. Les diverses divinations effectuées ne donnèrent rien, si ce n’est la confirmation que les bas-reliefs et la colonne d’air avaient des auras magiques d’Air, et que le plafond lumineux était également magique. Personne n’en fut surpris outre mesure.

Puis ils sautèrent l’un après l’autre dans la colonne d’air, suivant en cela l’exemple du moine, et furent propulsés à vive allure vers le plafond, puis le traversèrent, avant d’être déposés dans une pièce rectangulaire, large de quatre mètres et longue du double. A l’opposé du trou circulaire d’où jaillissait la colonne de vent, une courte volée de trois marches donnait accès à un dais sur lequel se trouvait un sarcophage de marbre blanc identique à celui de la salle aux lanternes, gisant compris, à la différence qu’il semblait être taillé d’un seul bloc, sans aucune ouverture ou couvercle. Derrière le sarcophage, le mur était entièrement recouvert d’un magnifique bas-relief représentant le même humanoïde androgyne et glabre sous les traits d’un guerrier portant des vêtements antiques et une puissante épée longue. Un mince diadème sur son front était gravé du même glyphe ovale que le gisant du sarcophage. A sa gauche, était visible un personnage aux traits dissimulés par un épais manteau dont ne dépassaient que deux longues cornes recourbées d’aspect démoniaque, aux pointes teintées de rouge. Ce personnage tenait un étrange objet, une sorte de courte poignée se terminant par une boucle ronde, et semblait l’utiliser pour contrôler une sphère de ténèbres absolues d’environ deux pieds de diamètre. Ce globe venait toucher le guerrier, représenté les bras levés dans une posture évoquant la surprise ou un réflexe de défense. Au point de contact avec la sphère, la silhouette du guerrier disparaissait sous des hachures concentriques allant s’élargissant.

Kalen, qui n’avait désormais et à juste titre qu’une confiance limitée dans sa maîtrise de l’Auran, se lança un nouveau sort de Compréhension des Langues avant de s’avancer vers le fond de la pièce. Comme annoncé par Khalil, le bas-relief sembla s’animer dès qu’il posa le pied sur la première marche du dais, et les yeux du guerrier de pierre se braquèrent sur lui.

- « Parle mon nom », siffla t’il en Auran, traduit littéralement en Commun par le sort.
- « Zosiel ! », s’écria Kalen dans le même langage, sans hésiter une seule seconde.

Aussitôt, une fine ligne bleue apparut tout autour du sarcophage, brillant intensément quelques secondes avant de s’éteindre. Les contours d’un couvercle étaient désormais clairement visibles. Après quelques hésitations et examens destinés à déceler d’éventuels pièges, les compagnons entreprirent de le soulever avec précaution.

L’intérieur du sarcophage était presque vide : il ne contenait aucun corps, juste une paire de cornes d’aspect démoniaque aux pointes teintées de rouge, une petite boîte de terre cuite au couvercle orné d’un curieux symbole aux formes curvilignes, et un diadème d’argent serti d’un cartouche arborant le glyphe de Zosiel.

Une Détection de la Magie permit de déceler deux auras magiques de Transmutation. Celle de la boîte était de loin la plus puissante ; la faible aura du diadème en était presque éclipsée.

Prenant son courage à deux mains, Kalen s’empara de ces deux objets pour les examiner de plus près. Il faillit lâcher la boîte lorsque son sort de Compréhension des Langues, encore actif, lui permit de déterminer que son couvercle portait le glyphe personnel de la Reine du Chaos, la très puissante créature démoniaque à l’origine de l’antique guerre entre Loi et Chaos… Il secoua doucement la boîte, et entendit un objet bouger à l’intérieur. Voyant que le dit couvercle était en outre scellé par un métal argenté, ce qui lui sembla être de mauvais augure, il décida de ne pas pousser plus loin ses investigations pour le moment. Reportant son attention sur le diadème, il observa qu’il portait de curieuses indentations sur sa face interne, au niveau des tempes. Regrettant une fois de plus d’avoir systématiquement séché les cours d’Enchantement à l’Université des Arts Magiques, il enfourna cornes, boîte et diadème dans le Sac de Contenance sans autre forme de procès.

Après un examen poussé mais infructueux du tombeau, les compagnons prirent le chemin de la sortie, sans toutefois relâcher leur vigilance. Ils eurent la triple bonne surprise de constater que le piège aux sphères de céramique était désormais inactif, que la bouche du couloir au vent était encore ouverte, bien que les torches placées une heure plus tôt dans les lanternes aient été à deux doigts de s’éteindre, et que la troupe de Khellek ne les attendait pas en embuscade quelque part sur le chemin du retour.

C’est donc avec la satisfaction du devoir accompli et les poches bien pleines qu’ils atteignirent les faubourgs de Lac-Diamant.

Sovereign Court

J'ai vraiment ri en lisant les repliques d'Alastor. C'est quoi comme accent au juste, c'est un paysan qui parle en ancien francais? Ca ressemble presque a du Quebecois parfois.

Les guerriers du vent ont ete pas mal durs a tuer. As-tu un mecanisme de "Fate Points" ou quelque chose du genre, il me semble qu'a plusieurs reprises il y a des membres du groupe qui se sont fait gravement blesser, et se sont remis plus tard dans le combat. Meme Khalil qui etait tombe dans un trou, alors j'imagine que ca n'est pas quelqu'un qui lui a fait boire une potion de Cure Light Wounds?

Aussi, comment ca marche les especes de "boules de feu" d'Helebrank, qui ne font pas de dommages aux PJ's? C'est leur mage armor qui les protegent contre ca?


Moonbeam wrote:
J'ai vraiment ri en lisant les repliques d'Alastor. C'est quoi comme accent au juste, c'est un paysan qui parle en ancien francais? Ca ressemble presque a du Quebecois parfois.

C'est une transcription phonétique du patois poitevin. Comme le Poitou a été une terre d'immigration vers le Quebec (le port d'où est parti Montcalm doit être à quelque chose comme 30 km de chez moi), il est pas exclu qu'il y ait des similitudes...

Moonbeam wrote:
Les guerriers du vent ont ete pas mal durs a tuer. As-tu un mecanisme de "Fate Points" ou quelque chose du genre, il me semble qu'a plusieurs reprises il y a des membres du groupe qui se sont fait gravement blesser, et se sont remis plus tard dans le combat. Meme Khalil qui etait tombe dans un trou, alors j'imagine que ca n'est pas quelqu'un qui lui a fait boire une potion de Cure Light Wounds?

En fait oui, ils ont droit à un genre de 'Fate points' depuis qu'Alastor leur a fait cadeau d'une destinée glorieuse, mais qui ne peuvent leur servir qu'à influer sur les jets de dés.

Ce qui explique les comebacks en question, c'est qu'en fait nous ne jouons pas à Donj', mais avec le Système Hero. En fait, les attaques font à la fois des dommages létaux (perte de Vitalité) et non létaux (perte de points de Choc). Et les armures ne servent pas à éviter d'être touché, mais à absorber tout partie de ces dommages.

Par exemple, l'attaque sonique n'avait causé, grâce aux Armures de MAges particulièrement efficaces contre les attaques énergétiques, quasiment que des dommages de Choc, aucun de Vitalité. Donc Barnabé avait été assommé (KO), et Kalen et Hélebrank sonnés (perte d'une action en gros), mais ont pu retourner au combat après avoir soufflé un peu.

Dans le cas d'Hélebrank et de sa blessure au ventre, il était à la fois mortellement blessé (mourant) et KO, mais a eu la chance de reprendre conscience avant de mourir. Sa récupération spectaculaire après un peu de "méditation" résulte de l'utilisation d'un pouvoir psi d'ajustement cellulaire.

Quant à Khalil, il n'était pas blessé du tout par sa chute grâce à son anneau de chute de plume...

Moonbeam wrote:
Aussi, comment ca marche les especes de "boules de feu" d'Helebrank, qui ne font pas de dommages aux PJ's? C'est leur mage armor qui les protegent contre ca?

Ai je déjà précisé qu'Hélebrank est un psion? Le pot aux roses devrait être découvert dès la prochaine parution, avec sa visite au monastère du crépuscule (chez Khalil).

Les Armures de Mage ont été jusqu'à présent suffisantes pour absorber quasiment la totalité des dommages des Eruptions d'énergie d'Hélebrank. C'est en partie du à la chance, les jets de dommages ayant été moyens. Les guerriers étaient deux fois moins blindés contre ce type d'attaques (défense de 2 contre défense de 4).

C'est en fait assez facile de faire les descriptions des combats, je n'ai presque pas à broder. Ca s'est passé exactement comme c'est écrit. Le combat a en temps de jeu duré mois d'une minute; en temps réel... une heure?

Sovereign Court

Ouais, c'est souvent comme ca, les combats semblent beaucoup trop rapides "in-game" mais tellement long en realite, surtout aux hauts niveaux.

Est-ce que le hero system est plus ou moins complique que D&D, tu dirais?


Moonbeam wrote:

Ouais, c'est souvent comme ca, les combats semblent beaucoup trop rapides "in-game" mais tellement long en realite, surtout aux hauts niveaux.

Est-ce que le hero system est plus ou moins complique que D&D, tu dirais?

C'est pas du tout la même démarche, en fait. Donj', c'est un gros tas de bouquins avec des règles de base assez simples, et un gros tas de données à digérer (sur les sorts, principalement). Hero, c'est une boite à outils, avec des règles de base ni plus ni moins compliquées mais qui servent à construire tout le reste.

Exemple: pour construire un sort de sommeil dans Hero, je prends le pouvoir de Blast (dommages surtout non létaux), je lui applique un "avantage" qui en augmente le cout en points pour en faire un sort qui affecte l'esprit, un autre pour lui donner une zone d'effet (au lieu d'une cible unique), et un autre pour qu'il ignore complètement les défenses normales du genre armure, puis je lui applique des "limitations" qui réduisent son coût pour faire qu'il ne marche ni sur les elfes ni sur les diverses créatures qui ne dorment pas, qu'il ait une portée assez réduite, et nécessite gestuelles, incantation et concentration, plus un focus. Shazam! J'ai un sort.

C'est le même principe pour les capacités des persos et des monstres.

Je dirais que pour Hero, il y a moins de choses à retenir (puisque tout est construit a partir d'éléments universels), mais qu'il demande beaucoup plus de boulot avant le jeu pour construire tout ça (persos, monstres, sorts, etc.). Les deux démarches ont leurs avantages.

Ceci dit, je pense essayer Pathfinder pour ma prochaine campagne (dans quinze ans...) parce mon temps disponible a précisément tendance à se réduire.


Un petit complément pour mon précédent message, pas toujours très clair (j'ai une excuse, il était une heure du matin ici).

La grosse différence entre les combats dans Donj' et dans Hero, c'est que dans le second système tu as beaucoup plus de chances d'être assommé/inconscient à cause de la douleur que d'être tué sur le coup (lorsque tu portes une armure, sinon c'est une boucherie). Un blessé qui reste sans soins peut mourir plus tard à cause d'une hémorragie, mais ça prend plus de temps que ne dure généralement un combat.

Le système de combat comprend beaucoup de détails optionnels : localisation des coups, blessures incapacitantes: handicapantes, gestion du souffle, etc. Mais si on les utilise tous, ça devient nettement plus lourd à gérer que Donj'; c'est une question d'équilibre (pour ma part, je varie le niveau de détail en fonction de l'enjeu du combat, et surtout du nombre d'adversaires).

Voila voila...

Sovereign Court

OK, au moins c'est bien si ca diminue le risque de mourir pour les PJs.


Moonbeam wrote:
OK, au moins c'est bien si ca diminue le risque de mourir pour les PJs.

Oui da. Sur le long terme ils ont plus de chances de ne pas mourir (sauf à être frappés par une attaque d'une puissance colossale, bien sûr).

Par contre, il est parfaitement possible d'être envoyé au tapis (KO) en un coup par un adversaire, pour peu qu'il touche un endroit sensible (tête, organes vitaux, ventre, gonades) et obtienne un bon résultat aux dés de dommages... Donc sur le court terme, les PJ sont plus souvent HS.

Selon le point de vue, cela peut être un ennui (joueur sur le banc de touche) ou un avantage, en incitant les joueurs à la prudence (un combat est toujours dangereux). Comme toujours, cela dépend des goûts de chacun. Certains joueurs préfèrent le côté un peu superhéroïque de Donj' à haut niveau et n'aiment pas se sentir vulnérables.


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2er Jour des Etoiles du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (fin de matinée)
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Comme à leur habitude, les compagnons se séparèrent en petits groupes à l’entrée de la ville, chacun allant vaquer à ses affaires en se donnant rendez-vous le soir même dans leur estaminet habituel pour prendre une chopine.

Kalen avait été chargé par ses camarades d’écouler auprès de Tidwoad, le joaillier noniz de la ville, les divers bijoux et gemmes trouvés au cairn, à l’exception notable de la bague en or portant le symbole de la confrérie des Chercheurs, jugée par trop compromettante.

Il tira un bon prix du lot, et sortit de la petite échoppe la bourse lestée de seize rutilantes pièces de platine, avec en sus un peu de petite monnaie en or et en argent. Il hésita un instant sur le seuil, comme ébloui par le chaud soleil de midi, en contemplant de l’autre côté de la grande place la façade bariolée du Bazar. Puis, sursautant comme s’il sortait d’un rêve éveillé, il partit sans se retourner et à grandes enjambées vers les hauteurs de la ville. Quelques minutes plus tard, il s’engageait sur le chemin de terre menant à la maison de son mentor.

Dissimulé non loin dans un bosquet, Barnabé ne les quitta pas des yeux avant d’avoir la certitude qu’il était bel et bien rentré au bercail. Depuis qu’il avait surpris Kalen à une table de tripot, il se méfiait quelque peu de son penchant pour le jeu, et avait estimé préférable de le suivre à son insu pour s’assurer qu’il ne dilapiderait pas l’argent commun. De plus, un peu d’entraînement, c’était toujours bon à prendre. Satisfait, il prit le chemin de son auberge en glissant silencieusement de buisson en buisson, telle une ombre.
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Peu après avoir quitté Mathieu sur le parvis de la chapelle, et alors qu’il traînait les pieds pour rentrer chez lui, peu pressé de recevoir la sévère remontée de bretelles que ne manquerait pas de lui infliger son père pour sa nouvelle escapade, Aloïs croisa Allustan dans la cour du fortin. Ses paroles du vieux Mage ne firent rien pour calmer son appréhension :

- « Tiens donc, salutations Aloïs », le salua le vieil érudit d’un ton jovial. « Je viens justement de voir ton père. Tu ferais bien de te dépêcher de rentrer. Je crois bien qu’il a deux ou trois choses à te dire au sujet de ton avenir… »

Puis il poursuivit son chemin, sans se soucier de l’effet désastreux que ses paroles avaient produit sur les boyaux du jeune cartographe. N’y tenant plus, Aloïs rentra la tête dans les épaules et s’efforça de trouver les arguments qui peut-être lui permettraient de faire comprendre une bonne fois pour toutes à son vieux croûton de père qu’il avait d’autres aspirations dans la vie que de recopier des cartes moisies, et se dirigea tout droit vers les bureaux du cadastre. Dietrik Cicaeda y attendait effectivement son fils unique, héritier, ex-apprenti et actuel adjoint de pied ferme.

- « Assieds-toi là et écoute moi sans dire un mot », lui ordonna son père dès qu’il eut passé le seuil, attendant d’avoir été obéi avant de reprendre. « Ma première idée était de te laisser subir les pleines conséquences de tes actions, en espérant que le bagne te remettrait les idées en place. Si elle avait été encore de ce monde, ta pauvre mère en serait probablement morte de chagrin, mais je ne voyais guère d’autre issue à tes frasques. »
- « Ah ? »
- « Et puis j’ai profité de la visite d’Allustan pour lui en toucher un mot, et il m’a suggéré une bien meilleure solution. Quelque chose de moins définitif, mais qui te fera enfin comprendre ce que tu perds en tournant le dos à tes fonctions au sein de notre Guilde, et t’inculquera à la dure le sens du mot ‘‘travail’’. Crois-moi, après quelques mois à bouffer de la vache enragée, tu ne rêveras plus que de retrouver ton poste ici. »

Puis voyons la mine de son fils s’allonger comme un jour sans pain, le vieil homme se radoucit quelque peu.

- « Allons, ne fais pas cette tête, tu survivras. Et d’ici quelques années, en travaillant d’arrache pied, tu pourras à nouveau prétendre à une charge. Voila ce que nous allons faire : j’ai corrigé la carte incomplète, et je te couvrirai auprès de la Guilde. En contrepartie, tu démissionnes de ton poste d’adjoint au cadastre. Il est hors de question que tu t’approches encore de mes cartes ! Bien entendu, tu perdras les revenus et les avantages qui vont avec ; mais je te laisse une semaine pour prendre tes dispositions et te trouver un autre logement. Tu resteras simple compagnon au sein de la Guilde. Pour vivre, il te faudra démarcher toi-même tes clients et travailler à la commande, un peu comme ce que tu as fait avec Allustan. Ce n’est pas facile, mais avec le temps, tu peux espérer te constituer une clientèle régulière. La première fois que tu te retrouveras devant une écuelle vide, tu verras que ne pas avoir de revenus réguliers n’a rien de si amusant. Je te conseille de mettre un peu d’argent de côté chaque fois que… »
- « Merci, Papa ! », s’écria Aloïs en lui sautant au cou, ne pouvant se retenir plus longtemps.
- « Tu n’as rien écouté, ou quoi ? Tu vas connaître la misère ! Crever de faim ! Tu n’es pas censé me remercier, bougre de petit abruti ! » rugit le vieux Dietrik. « Monte, et que je ne te revois pas de la journée ! Tu es consigné dans ta chambre ! »

Aloïs passa ainsi quelques heures agréables dans la chaleur de sa mansarde à ébaucher la composition d’une balade épique relatant l’exploration du cairn, sans toutefois parvenir à trouver une rime acceptable à « bestiole au gros œil ». Il hésita aussi longuement sur le nom dont il allait affubler le groupe : « la Confrérie des Lumières » ? Un peu prétentieux… « Les Porteurs de Lumière » ? Encore pire ! « La Compagnie Chromatique » ? Il faudrait qu’il en parle aux autres…

Il en était là de ses réflexions lorsque sonna l’heure de rejoindre ses compagnons en ville. Dans sa précipitation, il prit à peine le temps de signer au passage la lettre de démission que lui tendit son père, aussi consterné que résigné par l’absolue inconséquence de sa progéniture.
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2er Jour des Etoiles du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (soir)
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Le soir, réunis autour d’une bonne bière, les compagnons se firent mutuellement le récit des évènements de la journée.

Mathieu indiqua avoir déposé la paire de cornes démoniaques à la chapelle, ne sachant qu’en faire d’autre. Il précisa également que sa lige Dame Mélinde était partie à cheval pour Greyhawk le matin même, emportant avec elle l’étrange ver trouvé chez Filge dans l’intention de le soumettre au Grand Temple d’Heironéous.

Puis Hélebrank annonça dans l’indifférence générale qu’il partirait dès l’aube le lendemain pour aller visiter le monastère de Khalil, en sa compagnie et à son invitation.

Kalen présenta ensuite le bilan de la vente des pierres précieuses et autres bijoux, et confirma avoir également cédé les trois maquettes à Allustan pour le prix précédemment fixé.

Kalen précisa que son maître avait enfin reçu de la Guilde des Mages une cotation pour la plaquette de terre cuite, dont l’unique propriété s’était révélé être de contenir indéfiniment une créature en animation suspendue dans un espace extradimensionnel, créature qui pouvait ensuite être libérée en brisant la plaquette. Faute d’équivalent moderne à cet objet magique antique, Allustan l’avait baptisée Plaquette de Stase. Comme convenu, il l’avait achetée au prix fixé par la Guilde des Mages, soit 300 orbes.

Après que Kalen lui eût fait le récit des évènements de la matinée, Allustan avait émis la supposition que la sphère représentée sur le bas-relief de la tombe pourrait bien être une Sphère d’Annihilation, un artefact majeur d’une puissance destructrice inimaginable dont plusieurs exemplaires avaient précisément été créés et utilisés par les forces du Chaos durant la guerre contre les Ducs des Vents. Ils étaient contrôlés à l’aide d’artefacts mineurs appelés Talismans de la Sphère, dont la description pourrait correspondre à l’objet tenu par la silhouette encapuchonnée de ce même bas-relief. Que Zosiel ait succombé à une telle arme expliquerait également l’absence de dépouille.

Kalen apprit également à ses compagnons que juste après leur toute première incursion au cairn, il avait prié son maître de se renseigner au sujet de Khellek. D’après la réponse reçue aujourd’hui même de l’un des anciens condisciples d’Allustan résidant toujours dans la Cité de Greyhawk, le dit Khellek serait un membre relativement éminent de la loge locale de la Confrérie des Chercheurs.

Allustan s’était aussitôt précipité au cadastre pour acheter à vil prix la concession de la mine abandonnée et des terrains environnants, incluant le site du cairn. Il en était désormais le légitime détenteur, ce qui signifiait que tout ce qui pourrait être tiré du sous-sol de sa concession devenait légalement sa propriété. Il escomptait ainsi mettre le cairn, un site archéologique d’une valeur historique inestimable, à l’abri de Khellek et de ses pareils.

- « Je comprends mieux maintenant… » le coupa Aloïs. « C’est donc pour cela qu’il est allé voir mon père. Je l’ai croisé ce matin au fort. »
- « Si tu le dis... En tous cas, mon maître Allustan offre de nous concéder gracieusement un droit d’occupation des anciens bâtiments miniers, à charge pour nous de les retaper à notre convenance. Tout ce que nous aurons à faire en échange, c’est de garder un œil sur le cairn. Il m’a laissé entendre que certains d’entre nous pourraient avoir prochainement des difficultés de logement, mais il n’a pas voulu m’en dire plus. »
- « Ah, je crois que c’est de moi qu’il s’agit... Mon père m’a mis à la porte ce matin. Mais ce n’est pas grave, il m’a laissé toute une semaine pour vider ma chambre », précisa Aloïs sur un ton serein, comme l’on parlerait de la pluie et du beau temps.

Cette annonce fit sensation, mais puisque apparemment le principal intéressé ne semblait nullement se soucier d’avoir été chassé de chez lui par sa seule famille, les compagnons décidèrent de ne pas se montrer plus royalistes que le roi, et passèrent à un autre sujet.

Kalen demanda à Mathieu de soumettre la boîte de terre cuite à une Détection du Mal, comme le lui avait suggéré Allustan. Une fois que ce fut chose faite, n’ayant pas décelé la moindre aura maléfique, Mathieu s’empara à deux mains de la boîte et, forçant juste un peu sur le couvercle, fit sauter le sceau qui l’obturait.

Kalen lui fit signe de reposer doucement le tout sur la table. Puis, soulevant le couvercle d’une main, il jeta un coup d’œil rapide à l’intérieur. Au fond de la boîte reposait un étrange objet de métal doré : une sorte de courte poignée couronnée d’un cercle, portrait craché de l’objet représenté entre les mains du démon aux cornes rouges sur le bas-relief de la tombe de Zosiel… Un ange passa. Puis Kalen renversa la boîte sur la table et la posa à distance de l’objet. Une Détection de la Magie lui confirma que ce dernier, et non la boîte elle-même, était bien la source de la forte aura de Transmutation décelée précédemment. S’aidant du couvercle, il fit glisser l’objet sur la table pour le remettre dans sa boîte, qu’il referma aussi hermétiquement que possible avant de la faire disparaître dans le Sac de Contenance.

- « Si c’est bien ce que je pense que c’est, ça pue », commenta t’il de façon aussi sobre que cryptique.
- « Tu peux préciser ta pensée ? », le questionna Barnabé.
- « Il n’y a vraiment rien à dire de plus… Un artefact, c’est généralement le début des ennuis, c’est tout. Ceux qui en possèdent un finissent généralement maudits, s’ils ne se font pas trucider avant par des voleurs, c’est connu » répondit le Mage d’un ton lugubre.
- « Tu es quand même un incroyable pisse-froid, Kalen », s’étonna Aloïs, secouant la tête avec incrédulité. « Si une bourse pleine d’or te tombait dans la main, tu trouverais encore le moyen de te plaindre. »

Le jeune Mage ne répondit pas, se contentant de faire signe au serveur d’amener à leur table une nouvelle tournée de bière. Pour lui, destinée glorieuse et apparition d’artefacts étaient synonymes de gros ennuis à venir. Or, s’il était venu à Lac-Diamant, c’était précisément pour fuir les ennuis, pas pour s’en créer de nouveaux… Il passa le reste de la soirée plongé dans de sombres pensées, l’air morose, en sirotant bière après bière sans prêter grande attention aux bavardages enjoués de ses camarades.


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2er Jour du Soleil du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (soir)
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Le Monastère du Crépuscule se situait à l’est de Lac-Diamant, à une journée de marche sur la Piste d’Urnst.

Durant le trajet, Khalil avait longuement expliqué à Hélebrank que son monastère était en fait partagé entre son culte, adorant Zuoken, et celui de Xan Yae, une divinité baklunienne dont Zuoken avait été jadis le prêtre lorsqu’il n’était encore qu’un simple mortel. Hélebrank ne prêta guère attention à ces explications théologiques auxquelles il ne comprenait goutte, pas plus qu’aux incessantes recommandations de son compagnon sur la conduite à tenir lorsqu’il serait en présence de ses supérieurs. Khalil avait l’air un peu nerveux à l’idée de cette rencontre. Pourtant, n’était-ce pas lui qui avait proposé avec un certaine insistance d’aller visiter son monastère ?

Les deux compagnons parvinrent en vue de leur destination en milieu d’après-midi. Un piton rocheux escarpé surplombait de près de trente mètres la Piste d’Urnst. A son sommet était érigé un bâtiment carré, lui-même flanqué de trois tours élancées aux curieux toits en forme de bulbes, que Khalil désigna sous le nom de « minarets ». La construction d’un tel complexe sur un site aussi difficile d’accès avait du nécessiter des efforts considérables.

Khalil expliqua que le monastère était accessible par un petit sentier pentu gravissant la face opposée du piton, moins abrupte, ou par ce qu’il appelait une « échelle », en fait une succession de prises taillées à même la roche de la falaise. Il existait également un panier d’osier relié à un treuil, mais aux dires de Khalil il s’agissait là d’un moyen d’accès infamant réservé aux infirmes et aux marchandises.

Par égard envers son visiteur d'ami, Khalil proposa d'emprunter le sentier. Non loin de là, un homme doté du teint doré typique des bakluniens sortit de l'ombre d'un arbre à leur approche.

- « Je suis Mahmoud ben Bassam, Shatain Qadi du temple de Flannae-tel, que vous appelez Monastère du Crépuscule. Izenfen l’Occulte vous attend », proclama t’il en ne s’adressant qu’à Hélebrank, avant de tourner les talons et de se diriger vers le monastère sans plus d'explications.
- « Ils sont vigilants chez toi, dis donc. On a pas tardé à être repérés par la sentinelle », commenta Hélebrank.
- « Tu n’as pas écouté ce qu'il… Oh pardon, j’oubliais que tu ne parles pas la langue. Ce n’est pas une sentinelle, mais le Shatain Qadi, le ‘‘Moine Supérieur’’ en Commun. Il dirige le monastère ; c’est mon grand chef », lui précisa Khalil.
- « Qu’est ce qu’il faisait là à nous attendre, alors ? Tu avais annoncé notre arrivée ? »
- « Non, pourquoi ? »
- « Oh pour rien, juste comme ça », conclut Hélebrank, intrigué.

Précédés par Mahmoud, les deux compagnons empruntèrent l'étroit sentier qui contournait le piton rocheux avant de monter en pente raide vers l'entrée principale. Au-delà du portail, tous les occupants du monastère semblaient s’être donné rendez-vous dans la cour centrale pour assister à l’arrivée des deux compagnons. Même les chats, perchés en grand nombre sur les toits de la promenade couverte entourant la cour, paraissaient ne pas vouloir perdre une miette du spectacle.

Au milieu du parvis central était érigé un curieux piédestal, soutenant une sorte de vasque taillée dans une pierre d’un noir profond. Khalil lui précisa qu’il s’agissait du fameux ‘‘Creuset de Symétrie’’, un objet divinatoire utilisé par Maîtresse Izenfen pour ‘‘scruter les possibles’’, quoi que cela veuille dire.

La plupart des occupants bipèdes arboraient des tatouages semblables à ceux de Khalil, trahissant leur appartenance au culte de Zuoken, mais une poignée d’entre eux étaient emmitouflés de la tête aux pieds dans d’amples robes noires, la tête ceinte par une sorte de longue écharpe ne laissant paraître que leurs yeux. Hélebrank supposa qu’il s’agissait des fameux prêtres de Xan Yae.

La foule s’ouvrit devant eux sans un mot. Toujours précédés par Mahmoud, ils se dirigèrent vers une large arche cintrée aux courbes élégantes. Après avoir franchi une série de lourdes tentures sombres, ils pénétrèrent dans une vaste salle aux murs chaulés de noir, percés d’ouvertures curieusement grillagées ne laissant filtrer que de très faibles rais de lumière.

Au beau milieu de la pièce, une silhouette entièrement vêtue de noir les attendait, assise sur un dais parsemé de coussins. Arrivé à dix pas, Khalil tomba à genoux puis face contre terre, se prosternant de tout son long. Mahmoud se contenta de s’incliner presque à l’horizontale les mains jointes, avant de s’agenouiller. Après un moment d’hésitation, Hélebrank opta pour une solution médiane et s’assit en lotus. Craignant d’avoir été impoli, il ajouta un petit signe amical de la main. Il commençait à regretter de ne pas avoir été plus attentif aux recommandations de Khalil. La seule dont il se rappelait était qu'il ne devait pas parler à Izenfen avant qu'elle-même ne lui adresse la parole...

Si Izenfen avait été offensée par ses manières cavalières, son attitude n’en laissa rien paraître. Khalil, Mahmoud et Izenfen échangèrent ce qu’Hélebrank supposa être des salutations et des explications en baklunien ; il entendit son nom mentionné plusieurs fois. Puis, d’une douce voix à peine étouffée par le voile qui lui recouvrait entièrement le visage, Izenfen s’adressa à lui en un Commun parfait :

- « Paix à toi et sur les tiens, et soit notre hôte au monastère de Flannae-tel. Tu es le deux fois né, celui dont le passé a été englouti par les ténèbres, revenu à la lumière. Les fils de ta destinée sont désormais irrémédiablement liés, comme les brins d’un seul et même cordage. »

La surprise laissa muet Hélebrank quelques instants. Comment Izenfen pouvait-elle être au courant de son amnésie ? Puis il jeta un coup d’œil soupçonneux en direction de Khalil, avant de se reprendre.

- « Merci à vous; je vous souhaite aussi de vivre en paix… », commença t’il avant de s’interrompre subitement, hésitant sur le titre honorifique à utiliser. Puis, décidant finalement de n’en utiliser aucun, il acheva sa phrase comme il put : « Et à tous vos disciples, aussi. Votre monastère est vraiment magnifique, c'est un honneur pour moi d'être ici. »
- « Tu es le bienvenu. Mais tu dois te demander pourquoi Khalil t'a amené ici », répondit Izenfen avec un amusement perceptible. « Sache que c'est sur mes instructions. Il n'est pas à blâmer. »
- « Ta venue était écrite. Je ne suis que ton guide », acquiesça Khalil.
- « Vous vouliez me rencontrer, et vous avez demandé à Khalil de me faire venir, c’est ça ? Mais comment savez vous que j’ai perdu la mémoire ? Vous me connaissiez avant ? », balbutia Hélebrank un peu perdu, son regard étonné passant d’Izenfen à Khalil.
- « En aucune façon, mes yeux te voient pour la première fois. Khalil avait pour instruction de me ramener celui de ses compagnons qui serait le deux fois né. Il ne s’est pas trompé : je comprends en quoi tu réponds à cette description. Dans le bâton que tu tiens, je vois la jeune pousse et l'arbre majestueux qu'il fut. Mais en toi, je ne vois rien de tel : ton passé m'est fermé, tu es incomplet, mutilé, comme une feuille de parchemin sans verso. Ton aura est toutefois celle d'un Béni de la Maîtresse, d’un Abid del Xan. Tu détiens l’Edel, le cadeau du destin. »
- « Euh… Vous pourriez être plus claire, là ? »
- « L’Edel est le don fait par notre déesse Xan Yae à son peuple pour le protéger de ses ennemis. Pour complaire aux édits divins, il a été répandu également parmi tous les peuples de la Taerre, mais le secret de son utilisation n’a été révélé en l’an 1224 de l’Hégire qu’à ses seuls disciples », expliqua Izenfen.
- « Nous sommes en 3254 de l’Hégire. Cela fait donc plus de deux mille ans », souffla obligeamment Khalil du coin de la bouche, sans bouger un muscle.
- « L’Edel permet de contrôler les énergies mentales ambiantes. En d’autres termes il donne forme et réalité à la pensée. »
- « Hé, je connais cela ! C’est comme cela que je fais ma magie ! Je veux très fort que ça pète, et boum ! »
- « En quelque sorte. La magie hermétique et l’Edel sont en réalité deux choses complètement différentes. Le Mage invoque et canalise des énergies extraplanaires. L’Abid del Xan puise dans la force de son esprit. Si j’ai ordonné à Khalil de te ramener, c’est pour te donner la clé de tes pouvoirs, et ainsi te permettre d’avancer sur le chemin de ta destinée. Es-tu prêt à recevoir cet enseignement ? »
- « Ah ouais, ce serait chouette ! », répondit avec enthousiasme Hélebrank, ignorant le léger grognement poussé par un Khalil toujours prosterné, consterné par tant de familiarité.

C’est ainsi que sans plus de cérémonies, Hélebrank fut convié à séjourner au monastère. Ces quelques jours ne furent toutefois pas une villégiature : Izenfen semblait déterminée à dispenser son enseignement dans le plus court laps de temps possible. Entre les exercices de méditation et les leçons absconses sur la nature et l’origine des arts psioniques, Hélebrank n’eut quasiment aucun répit…

Ce fut donc avec un certain soulagement, malgré l’extrême amabilité que ses hôtes lui avaient témoignée à chaque instant, qu’Hélebrank apprit un beau soir qu’il était temps pour lui et Khalil de repartir à Lac-Diamant.


A l'instant même où Khalil et Hélebrank franchissaient les portes du monastère, les quatre autres compagnons se retrouvaient à la buvette de la Galerie des Sciences du Bazar pour leur traditionnelle chope de bière vespérale.

- « J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer », commença Mathieu, la lèvre supérieure déjà blanche de mousse. « Le Bailli Cubbin est venu tantôt au temple pour adresser au Parangon Valkus une requête officielle. Il souhaitait s’assurer de ses services dans une affaire judiciaire. Un ‘‘éminent citoyen’’, je cite, aurait porté plainte contre les vandales non identifiés qui ont ravagé le vieil observatoire avant-hier. Le plaignant a avancé les fonds nécessaires pour que la culpabilité des suspects qui viendraient à être arrêtés soit confirmée par une divination. »
- « Oh là là ! Et le Parangon se doute que c’est toi le coupable ? » s’exclama Aloïs, à côté de la plaque.
- « Il n’a pas à s’en douter, il le sait. Je suis un Chevalier de la Foi : je le tiens toujours scrupuleusement informé de mes agissements », lui assura Mathieu.
- « Il ne s’agit pas du Parangon Valkus », renchérit Barnabé. « Le problème, c’est ce que sait le Bailli Cubbin. »
- « D’après le Parangon, il n’est au courant de rien. Ou alors il a un talent exceptionnel de comédien », précisa Mathieu.
- « Je vois… Si Maître Bélabar avait réellement souhaité nous causer des ennuis, il aurait porté plainte directement contre nous, pas contre des ‘‘inconnus’’. A mon avis, cette plainte constitue juste un message, une menace. », raisonna Barnabé. « Il n’a fait appel à ton temple que pour s’assurer que le message te parviendrait. »
- « Ah, d’accord… », opina Aloïs. « En somme, il veut juste nous rappeler qu’il nous tient solidement par les… »
- « C’est également la conclusion à laquelle était arrivé le Parangon Valkus », l’approuva Mathieu. « D’autant plus qu’en règle générale, vu le prix d’un Miracle de Vérité, c’est plutôt l’accusé qui paie un prêtre pour se disculper. Il est rare qu’un plaignant se donne cette peine. »
- « Très bien, on en prend note et on avisera le moment venu », coupa impatiemment Kalen. « Maintenant, si vous le permettez, nous avons des choses sérieuses à discuter : j’ai passé la journée à lancer des sorts d’Identification sur tous les objets magiques ramenés du cairn, et j’aimerais que l’on décide de ce que l’on va vendre et de ce que l’on garde. Je vous rappelle que la situation de notre trésorerie n’est pas trop brillante. »
- « Comment cela ? Je croyais que tu avais vendu les trois maquettes et la Plaquette de Stase à Allustan, comme prévu ? », s’étonna Aloïs.
- « Bien sûr que si, mais c’est une opération blanche : d’un côté, il nous était redevable de 200 orbes par maquette, plus 300 orbes pour la plaquette ; de l’autre, j’ai du utiliser neuf perles pour mes sorts d’Identification, à 100 orbes pièce. Fais le calcul… », lui expliqua Kalen. « Bon, commençons par le plus simple : l’épée courte et le haubert ont des enchantements de faible intensité, se bornant à en augmenter un peu l’efficacité. En clair, l’épée frappe mieux mais pas plus fort, et le haubert protège comme une demi-plaques tout en ayant le poids de la maille. On en fait quoi ? »
- « On garde, c’est utile », répondirent en cœur Aloïs et Mathieu.
- « C’est noté. Je suggère qu’on garde également la baguette avec l’extrémité évasée », reprit Kalen. « Elle permet de lancer un sort d’Eclatement, particulièrement efficace contre les objets et créatures de composition minérale, non organique. »
- « Minérale ? Comme la céramique ? Ca n’aurait pas été utile contre les Guerriers du Vent, ça ? » demanda Aloïs.
- « Sans doute.. », bougonna Kalen, avant de poursuivre. « Par contre, nous pourrions peut-être envisager de vendre l’autre baguette, celle avec un cristal de roche à chaque extrémité. C’est une Baguette de Serviteur Invisible, qui permet d’invoquer un esprit élémentaire mineur et de lui faire accomplir certaines tâches simples, comme ouvrir une porte, déplacer un objet... »
- « Rien de plus ? Parce qu’Hélebrank peut lui aussi ouvrir une porte sans la toucher, avec ses pouvoirs », demanda Aloïs.
- « Et alors, moi aussi ! En fait, c’est assez différent puisque le Serviteur Invisible peut agir seul, sans supervision, une fois qu’il a reçu ses instructions. Il peut même continuer des heures, tant qu’il ne s’éloigne pas trop de son invocateur » lui précisa Kalen.
- « Pas mal », commenta Aloïs. « On pourrait l’utiliser pour déblayer l’intérieur du bâtiment minier, par exemple. On la garde ! »
- « Parce que tu comptes vraiment t’installer là-bas ? Je ne sais pas pour vous autres, mais moi je n’ai pas vraiment l’intention de rénover une bicoque à Lac-Diamant pour y passer mes vieux jours… » lui rétorqua Barnabé. « Mais je suis d’accord pour garder la baguette, elle peut nous être utile. »
- « Adjugé. Ensuite, il y a ces Bésicles de Vision de l’Infime, qui grossissent les plus minuscules détails », continua Kalen. « Je ne vois pas trop quel en est l’intérêt. On pourrait en tirer un bon prix. »
- « Ah non, elles m’intéressent », protesta Barnabé. « Je fais de la serrurerie à mes heures perdues. Ellles peuvent avoir leur utilité pour examiner des mécanismes délicats. »
- « Je vois… On n’est pas prêt de rembourser nos dettes » soupira Kalen. « J’ai gardé le meilleur pour la fin… Le diadème est l’équivalent antique d’un Bandeau de Vaste Intellect. En deux mots, il augmente considérablement les facultés cognitives de son porteur, avec quelques petits à-côtés. C’est à l’évidence un objet destiné à un Mage ; je le garde pour moi. »
- « C’est tout ? Avec la Perle de Pouvoir et l’Anneau de Chute de Plume, cela ne fait que huit objets. Tu as parlé de neuf perles… » s’étonna Aloïs.
- « Lâche-le un peu, tu veux bien… », intervint Barnabé, volant au secours de Kalen qui s’empourprait à vue d’œil. « Tisser un sortilège magique n’est pas chose facile. Huit sorts d’Identification réussis sur neuf, je trouve que c’est une moyenne très honorable. De mon côté, j’ai fait quelques recherches dans le grimoire que m’a laissé mon maître. Il y est écrit noir sur blanc qu’un Talisman de la Sphère émet une forte aura de Transmutation, tout comme l’objet trouvé dans le sarcophage. »
- « Mais comment pourrions-nous être sûr qu’il s’agit réellement d’un Talisman de la Sphère ? Un artefact, même mineur, résistera à toutes mes tentatives d’Identification » gémit Kalen.
- « Il y a peut-être un moyen de trancher. Il était également écrit que le simple contact d’un tel objet est mortel pour quiconque n’est pas un Mage », précisa Barnabé. « Y’a-t-il un volontaire ? »
- « Sans façon, merci… Et ça vaut beaucoup de sous, un Talisman de la Sphère ? » demanda ingénument Aloïs.
- « Hélas, c’est un objet qui n’a pas de prix, dans tous les sens du terme. Il n’est pas coté, puisque son secret de fabrication est perdu depuis des lustres, et que donc personne n’en vend. En plus, il n’a quasiment aucune utilité sans la Sphère d’Annihilation qui va avec. Allustan nous conseille de le garder, à tout hasard », lui répondit Kalen.

La conversation s’interrompit brusquement lorsque Khellek fit son entrée dans la salle, suivi de près par Auric, le colosse blond, et Tirra, une olve sculpturale. Il aperçut Aloïs et se dirigea droit vers la table des compagnons, un éclair meurtrier dans le regard. Derrière lui, ses compères prirent position de part et d’autre de la porte de sortie.

- « Je vois que les brigands boivent ensemble au succès de leurs rapines », siffla t’il furieux, avant de s’adresser plus particulièrement au jeune cartographe. « Honte à toi ! Tu m’as trompé, spolié de mon cairn, au mépris des serments prêtés à ta Guilde ! Je ne peux rien prouver car tu bénéficies indûment de la protection de ton supérieur, mais ce n’est pas la dernière fois que tu entendras parler de moi, je te le garantis ! Et cela vaut aussi pour tes complices ! »
- « C’est cela oui », répondit Mathieu, imperturbable. « Allez donc voir dehors si j’y suis, grand-père. »

A ces mots, derrière Khellek, Auric saisit d’une main la poignée de l’espadon qu’il portait en travers du dos, tirant au clair un bon demi-mètre de lame d’acier scintillant. Khellek lui adressa un signe de main agacé, et il relâcha sa prise, laissant la grande épée retomber dans son fourreau. Le petit groupe tourna les talons.

- « Pavoisez, riez tant que vous le pouvez », jeta Khellek par-dessus son épaule, alors qu’il s’apprêtait à franchir la porte. « Mais sachez que je n’oublie jamais... »

Cette visite impromptue jeta un froid parmi les compagnons, d’autant plus que le grief dont il leur était fait reproche n’était pas totalement dénué de fondement. Ils tentèrent bien de reprendre le cours de leur discussion, mais le cœur n’y était plus. Peu de temps après, ils mirent un terme à la soirée et s’en retournèrent vers leurs logis respectifs.


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2er Jour de la Lune du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (soir)
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Ce soir-là, Mathieu arriva en retard et en proie à une grande agitation à la buvette.

- « Ben quoi, qu’est ce que tu as ? », lui demanda Aloïs, encore un peu boueux après une journée passée en vadrouille dans les collines en compagnie de son ‘‘oncle’’ Merris pour développer ses talents de coureur des bois. « Tu as avalé une grenouille ? »
- « Rigole tant que tu le peux », le rabroua le jeune Paladin en s’asseyant lourdement sur un tabouret. « J’ai du nouveau, et du lourd. Ma lige vient juste de rentrer de Greyhawk, où elle a consulté le Parangon Jaikor Demien au sujet du ver. »
- « Qui ça ? » s’enquit Aloïs.
- « Jaikor Demien est le grand prêtre du Sanctuaire de Greyhawk, la plus haute autorité de mon culte d’ici au Furyondy. Il a communié avec les sphères célestes pour tenter de découvrir ce qu’est exactement ce ver, et de quelle mine des environs il provient. »
- « Cela ne va rien nous coûter, au moins ? » demanda Kalen, un peu inquiet.
- « Rien du tout, c’est gratuit. Disons que notre Eglise a des raisons de s’intéresser de près à tout ce qui semble louche dans les environs de Lac-Diamant », le rassura Mathieu. « Quoi qu’il en soit, un miracle de Communion produit habituellement des réponses courtes, genre oui ou non, ou au mieux une courte phrase. Là on a eu droit à deux quatrains, un sur le ver et un sur la mine. »
- « Ce qui veut dire ? », demanda Barnabé.
- « Moi je sais ! Ce type de réponse atypique à un rituel divinatoire religieux procède généralement de l’impossibilité dans laquelle se trouve l’entité divine contactée de donner une réponse directe à la question posée sans violer un édit divin ou provoquer un affrontement direct entre divinités » débita Kalen d’une seule traite, ravi de faire la démonstration de l’étendue de ses connaissances théoriques dans le domaine de la divination.
- « Euh… Oui, c’est en gros l’explication qu’on m’a donnée aussi. Ce n’est pas censé arriver, mais lorsque cela arrive, c’est que des intérêts très hauts placés sont en jeu, si vous voyez ce que je veux dire » confirma Mathieu en désignant le ciel du doigt.
- « Donc notre histoire de ver est au centre d’un affrontement entre dieux ? Génial ! » s’exclama Aloïs, surexcité.
- « Si on veut, oui », admit Mathieu en sortant de son bourse un petit morceau de parchemin. « Mais ne vous emballez pas trop, vous allez voir que ce n’est pas franchement limpide, comme poème. A part deux ou trois mots déjà connus, mes supérieurs n’ont pu me donner aucune explication. »

Puis, se raclant la gorge, il commença la lecture du premier quatrain, reçu en réponse à une question portant sur le mystérieux ver trouvé chez Filge.

- « Le ver qui marche ronge le tréfonds du renégat,
Et fera jaillir du sang corrompu de la Taerre la triple abomination,
Qui du Héraut de l’Age de la Mort Rampante ouvrirait la voie.
Sous les pas des élus naît le chemin de la salvation. »

- « Alastor ne nous avait pas déjà parlé de ce ‘‘Héraut de l’Âge de la Mort Rampante’’, là ? », demanda Aloïs à la cantonade.
- « Si. C’est çà, les deux ou trois mots déjà connus », lui confirma Mathieu.
- « A mon avis, ce n’est pas un hasard si cette histoire de ver nous est tombée dessus », acquiesça Barnabé. « Mais j’avoue que le reste, je n’y comprends rien. »
- « De fait, l’interprétation des prophéties est un exercice difficile, extrêmement délicat. Elles sont généralement truffées d’ellipses, de références obliques à des lieux, des personnes ou des évènements, passés ou à venir ; mais parfois elles doivent être prises au sens littéral. Dans certains cas, elles peuvent même être équivoques, c’est-à-dire avoir plusieurs sens à la fois. Je me souviens qu’à l’Université des Arts Magiques, nous en avions étudié une en travaux pratiques de divination qui… »
- « C’est bon Kalen, on a compris que tu n’avais aucune idée de la signification du quatrain, tout comme nous. Tu veux bien la fermer maintenant ? », lui enjoignit Mathieu, agacé. « Bon, accrochez-vous, voila le second quatrain, celui qui concerne la mine :

Sous le masque du Roi un Guerrier se cache,
Faisant danser tant le héros du Héraut que l’aveugle apôtre,
Tandis que dans le fond du Tréfonds, rit le ver qui marche,
Car la fin des uns est le commencement de l’autre. »

- « Hou là ! Celui-là est encore pire, c’est du vrai charabia ! » s’exclama Aloïs.
- « Il est encore question d’un ‘‘Héraut’’, mais à part cela, je ne vois pas trop… » admit Barnabé.
- « J’ai peut-être quelque chose… », commença Kalen, s’attirant aussitôt toute l’attention de ses camarades. « Je ne sais pas si cela a un rapport, mais Roi, Guerrier et Tréfonds sont des termes liés aux Echecs Draconiques. Le Roi est une pièce qui représente le joueur lui-même ; sa perte signifie la fin de la partie. Le Guerrier est la plus faible des pièces. Et le Tréfonds est le nom du plateau inférieur, les deux autres étant la Taerre et le Ciel. »
- « Pas mal du tout… », le complimenta Barnabé, avant de conclure. « Bon, je ne crois pas que nous arriverons à quoi que ce soit d’utile ce soir, même en nous torturant les méninges pendant des heures. Manifestement, nous n’avons pas encore les informations nécessaires pour comprendre le sens de ces quatrains. Contentons nous d’ouvrir l’œil, l’explication viendra en temps et en heure. En attendant, nous ferions mieux d’aller nous coucher… »


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2er Jour des Dieux du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (matin)
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Après l’office des Laudes, Mathieu frappa doucement à la porte, puis pénétra d’un pas hésitant dans le minuscule réduit servant de bureau privé au Parangon Valkus. Celui-ci lui fit signe de prendre place auprès de lui sur un petit banc le long d’un mur, à proximité d’un petit brasero. Avec leurs carrures d’ours et leurs cottes de mailles cérémonielles, les deux hommes semblaient presque emplir la pièce.

- « Tu as demandé à me voir, Mathieu ? Alors vide ton sac », demanda son supérieur, brisant quelques secondes d’un silence gêné.
- « Euh oui, Parangon », balbutia Mathieu. « Je ne sais pas par où commencer, c’est un peu délicat… »
- « C’est une histoire de femmes ? Tu sais, à ton âge, ce n’est pas si gr… »
- « Non, non, pas du tout, Parangon ! » le coupa Mathieu. « C’est au sujet de cette affaire de l’observatoire. Je suis un peu perdu : nous avons châtié un nécromant, et c’était à la fois bien et pas si bien que cela. Et maintenant, vous m’avez indiqué qu’il me faudrait sans doute collaborer avec Maître Bélabar, cette vile racaille, parce qu’il détient des informations dont nous avons besoin. Je ne sais plus où se situe mon devoir, Parangon, tout est si confus. »
- « Hou là, une chose à la fois. Plutôt que de te faire la leçon, une fois de plus, je vais te répondre par une parabole : imagine que tu chevauches seul sur ton destrier. Au détour d’un chemin, tu aperçois à quelques pas un vagabond en train de voler des pommes dans un verger ne lui appartenant manifestement pas, et plus loin sur la route, deux gobelins brandissant des torches qui se séparent pour se diriger vers deux fermes différentes. Que ferais-tu, en tant que Paladin ? »
- « Euh… Et bien, je piquerais des deux pour aller sus à l’un des gobelins, puis une fois occis… »
- « Tu laisserais donc un vol impuni ? »
- « Ah, euh… non. Disons que j’appréhende le voleur, et qu’ensuite… »
- « Alors, tu prendrais le risque de laisser aux gobelins le temps de mettre le feu aux fermes ? »
- « En ce cas, j’assomme le voleur, et je pars au galop… »
- « N’est ce pas faire preuve d’une trop grande sévérité que d’estourbir un simple voleur de pommes ? »
- « Mais enfin, c’est vous qui… Parangon ! Quoi que je fasse, vous trouverez toujours à redire ! », s’écria Mathieu.
- « Exactement, mon jeune ami », l’approuva vigoureusement le Parangon Valkus. « Tu as compris : il n’y a pas de solution parfaite à la situation que je t’ai décrite. L’une des moins mauvaises est sans doute d’ignorer le voleur en présence d’un péril bien plus grand. Ou mieux encore, de tenter de le rallier pour aller combattre à tes côtés les gobelins. Rien n’est plus noble que d’inciter un pêcheur à faire le bien. »
- « Mais quel est l’intérêt de votre problème, s’il n’a pas de solution ? », demanda Mathieu, intrigué.
- « Vois-tu, un Paladin a pour devoir d’incarner les valeurs d’Honneur et de Courage représentées par notre Seigneur. Il doit être un exemple vivant de leur suprématie, et entraîner les foules derrière lui par son exemple. Mais dans notre monde imparfait, il est rare de trouver des solutions parfaites à tous les problèmes. Un Paladin doit donc peser le pour et le contre, prendre en considération les conséquences de chacune de ses actions, à court comme à long terme, et choisir la voie qui lui semble la meilleure. »
- « C’est un peu ce que m’a dit le Glorieux Vélias lorsqu’il m’a fait la leçon après que nous ayons châtié ce nécromant » avança Mathieu, hésitant. « Il m’a recommandé de faire attention avant de sauter, parce que je finirais un jour par tomber dans un trou trop profond. Sur le moment, je n’avais pas trop compris ce qu’il voulait dire par là. »
- « Exactement. L’Archipaladin abhorre la nécromancie, tout comme d’autres pratiques de magie noire. Dans l’absolu, tu as donc bien agi en t’en prenant à ce Filge, du moins sur le court terme. Néanmoins, tu as ce faisant outrepassé les pouvoirs légaux limités dont nous disposons et risqué de provoquer un grave incident entre notre Eglise et les autorités de Lac-Diamant, voire de la Cité de Greyhawk elle-même. Nous ne pourrions couvrir tes actions sans risquer de nous attirer les foudres du Directoire Oligarchique, et donc de remettre en question l’ensemble de notre action dans la région. Sans compter que tu as fourni à Maître Bélabar un moyen de pression sur nous. Donc, sur le long terme, les conséquences de tes actions méritaient amplement la réprimande que tu as reçue. »
- « Je ne comprends pas… Comment une même action peut-elle être à la fois bien et mal ? Ces notions ne devraient elles pas être absolues ? », demanda Mathieu, se penchant vers son aîné.
- « Encore une fois, ton raisonnement manque de nuances. Ici bas, tout n’est pas si facilement étiqueté. Il n’y a pas d’un côté du blanc, et de l’autre du noir : entre les deux, tu trouveras toute une palette de gris. Il te faut hiérarchiser tes objectifs et tes actions, de façon à être le plus proche possible du blanc pur, tout en sachant que la perfection n’est que rarement de ce monde. Tu me suis ? »
- « Euh.. » lâcha Mathieu, complètement largué.
- « Ce n’est pas grave, Dame Mélinde m’avait prévenu que la scolastique n’était pas ton point fort. Dans mon exemple de tout à l’heure, il était plus important d’arrêter les gobelins que le voleur de pommes. De même, molester un nécromant à la petite semaine est certes une bonne action en soi, mais qui ne vaut pas la mise en péril des bonnes relations entre notre Eglise et le Directoire Oligarchique. C’est cela, hiérarchiser. Maintenant, essaie d’appliquer ce principe à ton dilemme actuel. »
- « Attendez, je crois que j’ai compris ! », l’interrompit Mathieu. « Collaborer avec Maître Bélabar est plutôt une mauvaise action, puisque c’est un gredin, mais qui peut se justifier si elle permet de débusquer un temple maléfique, qui représente un péril bien pire. C’est ça ? »
- « Et bien voilà, tu commences à saisir. Maître Bélabar est une crapule, mais une crapule ordinaire, avec des travers humains : la cupidité, la soif de pouvoir… Une collaboration temporaire avec lui peut être envisagée, si nos intérêts convergent, à condition bien sûr d’agir honorablement et de ne pas se rabaisser à son niveau. Rappelle-toi aussi en quoi consiste notre mission : Dame Mélinde et toi ne m’avez pas accompagné à Lac-Diamant pour la beauté du site. Je serais très étonné que si temple maléfique il y a, sa présence n’ait aucun rapport avec notre affaire. »
- « Merci beaucoup pour votre aide, Parangon. Je dois réfléchir aux conséquences de mes actions, y compris à long terme, et hiérarchiser… Mais comment faire pour penser à tout cela ? Je n’ai pas votre expérience, Parangon ! »
- « Aie confiance en ce que te dictera ta conscience. Le paladinat est un chemin ardu et périlleux, parfois aussi étroit qu’un petit raidillon de montagne. Beaucoup ambitionnent de le gravir, mais peu ont suffisamment de force morale pour ne jamais trébucher. Il te faut tendre vers la perfection tout en acceptant de ne jamais pouvoir tout à fait l’atteindre. Personne ne pourra te reprocher d’échouer, si tu fais honnêtement de ton mieux. La prêtrise est pleine de jeunes gens trop fougueux qui ont du se reconvertir ; j’en sais quelque chose. »

Le Parangon ne s’étendit pas sur cette dernière remarque, et Mathieu n’osa pas le questionner plus avant. Un silence prolongé mit donc fin à l’entretien. Mathieu remercia le prêtre pour ses conseils et prit congé. Il craignait toujours de ne pas avoir l’étoffe d’un paladin, mais à son grand soulagement, cette idée ne lui faisait plus autant peur. Si comme il le soupçonnait, le Parangon avait lui aussi suivi ce chemin durant sa jeunesse avant de faillir ou de renoncer, il était l’exemple vivant de ce que la cause de l’Archipaladin pouvait être défendue par d’autres moyens que le paladinat.

Sovereign Court

C'etait une belle scene, ca.


Moonbeam wrote:
C'etait une belle scene, ca.

Merci... Elle est a été faite "hors jeu", par courriels en fait. Le joueur souhaitait que je lui précise ma vision du Paladin en tant que MJ car il a toujours un peu de mal à jouer ce genre de rôle (ce qui ne l'empêche pas de quasiment toujours jouer un religieux, d'ailleurs).

Voila la suite des soirées "intercalaires", entre le premier scénario et le suivant.


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3ème Jour des Etoiles du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (soir)
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Fraichement revenus du Monastère du Crépuscule, Hélebrank et Khalil s’installèrent à leur table habituelle du Bazar pour y attendre leurs compagnons. Une fois arrivés, ceux-ci leur firent un récit détaillé des évènements, menaces, et autres prophéties des derniers jours. Puis vint pour eux le moment de narrer à leur tour leurs activités :

- « Alors, raconte-nous un peu ce que vous avez fait durant les sept derniers jours. C’était comment, là-bas ? »
- « Très joli. Il y avait beaucoup de chats », résuma Hélebrank avec son style inimitable. « Et la grande prêtresse de Khalil a été très sympathique avec moi. Comment elle s’appelle, déjà ? »
- « Izenfen », lui souffla gentiment Khalil.
- « Oui c’est cela, j’avais oublié… Je n’ai aucune mémoire. Tiens Kalen, je vais te montrer une chose que je sais faire, maintenant. Vas-y, dis moi quelque chose, n’importe quoi, mais sans le dire »
- « Hein ? Mais ça ne veut rien dire, ça ! » protesta le Mage.
- « Mais si. Tu fais comme si tu parlais avec tes lèvres, mais sans faire de bruit. Tu vas voir c’est épatant » lui expliqua Hélebrank.

Le jeune Mage articula sans bruit.

- « Qu’est ce… que… c’est… encore… que… cette… conn… » déchiffra lentement Hélebrank, les yeux rivés à ses lèvres. « Hé, tu pourrais être poli ! »
- « Désolé, mais ils n’avaient vraiment rien de plus intéressant à t’apprendre, au monastère ? »
- « Tu as tort. D’abord, parce que c’est très utile si tu veux me dire quelque chose sans faire de bruit. Ensuite, parce que ce ne sont pas les moines qui m’ont appris ça. Je m’en suis souvenu, c’est tout. C’est quelque chose que je savais faire avant, et ça m’est revenu là bas, d’un seul coup. »
- « Sensationnel », commenta Kalen avant de changer définitivement de sujet, échaudé. « Bon, passons aux choses séreuses : Allustan a reçu l’exemplaire des Chroniques de Chan qu’il avait demandé suite à notre toute première incursion dans le cairn. En résumé, cet ouvrage confirme que les noms des sept Ducs des Vents présents sur le bas-relief sont bien ceux des fameux Ducs Errants, qui ont parcouru le multivers pour créer le Sceptre de Loi qui a mis fin à la guerre entre Loi et Chaos, et engendré le légendaire Sceptre aux Sept Morceaux. »
- « C’est tout ? », demanda Aloïs, un peu déçu.
- « Non, il y a aussi la confirmation que de puissants élémentaires de Terre, dont Ogrémoch, étaient alliés aux forces du Chaos, ainsi qu’un récit de la bataille des champs de Pesh avec un ordre de bataille détaillé des forces en présence. Mais je ne vois pas l’intérêt que pourrait avoir pour nous ce flot de détails. Si besoin est, nous pourrons consulter le livre. »

Deux tournées générales plus tard, la conversation s’étant enlisée faute de combattants, les compagnons regagnèrent leurs pénates respectifs.


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3ème Jour du Soleil du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (fin d’après-midi)
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Ce soir là, l’atmosphère était tendue. Mathieu avait demandé à ses compagnons de se réunir plus tôt, ayant reçu un petit mot signé de Filge l’invitant « lui et ses amis » à aller le rejoindre discrètement « chez lui » à la tombée de la nuit « pour discuter affaires », et les enjoignant de « prendre garde à ne pas ébruiter leur rencontre au-delà du strictement nécessaire ». Il ne faisait nul doute dans l’esprit des compagnons que le véritable auteur de cette invitation aux termes délibérément vagues n’était autre que Maître Bélabar, le redoutable magnat minier.

Tous tombèrent d’accord sur la nécessité de faire front commun lorsqu’ils seraient en sa présence, sa réputation de conspirateur retors n’étant plus à faire. Ils convinrent donc, d’une part, de désigner l’un d’entre eux pour mener les négociations, et d’autre part, de décider par avance quelles informations fournir à Bélabar, et lesquelles garder pour eux.

Barnabé ayant d’emblée recueilli l’unanimité des suffrages comme porte-parole, la discussion se porta sur le point suivant de l’ordre du jour.

- « Bon, je propose que nous lui livrions le quatrain qui parle du ver, et rien de plus », commença Kalen.
- « C’est déjà beaucoup, à mon avis. Nous sommes vraiment obligés de lui en parler ? » protesta Barnabé.
- « Oui. Je suis d’accord avec Kalen », approuva Mathieu. « Nous nous sommes engagés à lui livrer le résultat de leurs investigations sur le ver, et nous les lui donnerons donc, mais rien de plus. Nous n’avons rien à gagner à lui déballer tout ce que nous savons. »
- « A moins qu’il n’ait des informations de son côté qui permettraient de mieux comprendre l’autre quatrain, celui sur la mine ? » hasarda Aloïs.
- « Quand bien même ce serait le cas, rien ne nous garantit qu’il voudra bien nous les donner ! » coupa Kalen. « En tous cas, il est hors de question que nous lui parlions de la malédiction du fantôme. Autant nous livrer sur le pas de sa porte pieds et poings liés… »
- « Tu appelles ça une malédiction ? », protesta Aloïs, outré. « Alors que nous avons reçu une destinée héroïque, exceptionnelle, que notre vie en sera… »
- « Ecourtée ? », le coupa de nouveau Kalen en ricanant. « Tu lui donnes le nom que tu veux, le résultat est le même. Sur ce coup là, on s’est fait avoir en beauté. Si Bélabar apprend que notre ‘‘destin’’ nous contraint à faire son sale boulot, nous ne serons pas en position de négocier une juste rémunération pour nos services. »
- « QUOI ? Pardon ? », manqua de s’étouffer Mathieu. « Il n’est pas question de recevoir le moindre commun de cuivre de la part de cette crapule ! »
- « Hein ? On ne va quand même pas travailler à l’œil ? » protesta le jeune Mage. « De toute façon, nous allons devoir aller dans cette mine ; alors autant en profiter pour racler un peu d’argent à Bélabar au passage, non ? Je te rappelle que nous sommes endettés juste au cou ! »
- « JAMAIS ! DE ! LA ! VIE ! » beugla Mathieu à pleins poumons, en détachant distinctement chaque mot, avant de se détendre. « Aaaahhh… Ca fait du bien quand ça sort, quand même. Nous ne sommes pas ses hommes de main et nous ne lui monnaierons pas nos services, un point c’est tout. »
- « Il me semble tout de même qu’il y a une différence de taille entre le statut d’homme de main, impliquant de suivre les ordres sans poser de questions contre versement d’une solde, et le fait de toucher une récompense après coup pour avoir fait quelque chose, tout en conservant une complète liberté de moyens » protesta doctement Kalen, avant de poursuivre en plaisantant à moitié. « Cela étant dit, que tu ne veuilles pas de récompense n’est pas si grave, après tout. Cela en fera plus pour les autres ! »
- « Ah oui ? Alors tu veux faire cavalier seul ? Et si on reparlait de ton ardoise au temple ? Jusqu’à présent, nous étions tous d’accord pour partager entre nous ce genre de frais, mais si tu tiens à te désolidariser du groupe… » lui répondit du tac au tac Mathieu, qui n’avait guère apprécié la blague.
- « D’accord, d’accord, je me rends ! On oublie ! »
- « Kalen n’a pas complètement tort, Mathieu », intervint Barnabé. « Il y a aussi un autre aspect à considérer. Quelque part, le fait que l’on travaille pour l’argent peut rassurer Bélabar. La vénalité est une motivation qu’il comprend bien. Par contre, si nous lui proposons gracieusement nos services, il va se douter que nous lui cachons quelque chose et se méfier de nous. »
- « Parce que tu crois vraiment qu’il va trouver normal qu’un Paladin d’Heironéous tel que moi se précipite ventre à terre pour mettre sa hache à son service, peut-être ? » rétorqua sèchement l’intéressé. « Et qu’est ce que cela peut faire, qu’il se méfie de nous ? »
- « Tu oublies qu’il peut nous envoyer au bagne si notre tête ne lui revient pas ! S’il a des raisons de penser que nous représentons pour lui une source potentielle d’ennuis, il va nous lâcher le Bailli aux fesses, juste au cas où », lui rappela Barnabé.
- « Je ne vois pas en quoi nous aurions à ménager la susceptibilité de cette racaille », insista Mathieu, l’air buté. « Qu’un paladin d’Heironéous soit intéressé par la présence d’un supposé temple maléfique dans les parages ne devrait pas étonner Bélabar. On lui donne les renseignements promis, ni plus ni moins, et on met les voiles pour régler cette histoire nous-mêmes. »
- « Excusez-moi », intervint Hélebrank qui jusque là s’était abstenu de participer à discussion. « Arrêtez-moi si je me trompe : là, vous êtes en train de vous quereller sur la réponse que vous comptez donner à une proposition d’emploi que Bélabar vous fera… ou pas. N’est-ce pas un peu prématuré ? »
- « Peut-être… Mais d’un autre côté, il vaut sans doute mieux qu’ils se chamaillent maintenant, plutôt que tout à l’heure devant Bélabar, non ? » répondit Aloïs, qui lui aussi s’était jusqu’alors contenté de compter les points.

Cette double intervention sardonique ayant eu le mérite de calmer les esprits, la conversation put reprendre sur un ton plus civil.

- « Bon, d’accord, je suppose qu’il ne sert à rien de s’engueuler. On verra sur place ce qu’il nous veut » concéda Mathieu d’un ton plus posé.
- « Qui plus est, nous pourrons toujours demander à disposer d’un temps de réflexion s’il nous fait une proposition intéressante », concéda à son tour Kalen.

Mathieu inspira bruyamment et compta jusqu’à dix en fermant les yeux avant de répondre, très calmement.

- « Comment te dire, Kalen… Je n’ai absolument rien contre le simple fait de discuter ou d’échanger des informations avec Bélabar. En fait, le Parangon m’a expressément donné pour instruction d’aller à ce rendez-vous pour apprendre tout ce que je pourrais sur cette histoire de mine et de culte maléfique. C’est le fait d’être redevable de quoi que ce soit à Bélabar qui me défrise. Je ne veux pas qu’il puisse s’imaginer que je suis son débiteur ou son obligé. Donc je n’accepterai de lui aucun paiement, sous aucun prétexte. C’est plus clair, là ? »
- « Limpide… Mais ce n’est pas en faisant du bénévolat que nous allons constituer un trésor de guerre suffisant pour financer notre départ de cette ville pourrie », grommela le jeune Mage, boudeur.


Livre II
Les Trois Visages du Mal

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UNE OFFRE NE POUVANT ÊTRE REFUSEE
(séance du 7 mai 2010)

3ème Jour du Soleil du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (crépuscule)
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Peu avant la tombée de la nuit, les compagnons se mirent en route vers leur rendez-vous, en empruntant un itinéraire aussi indirect et tortueux que possible afin de dérouter d’éventuels indiscrets.

Arrivés au pied du vieil observatoire, ils furent accueillis à la porte ronde par un garde en armure. Peu loquace, celui-ci se borna à leur faire signe d’entrer et de se diriger vers la salle à manger d’un simple hochement de tête accompagné d’un grognement.

Les compagnons purent constater que durant la semaine écoulée, un grand ménage avait été fait. L’entrée était désormais libre de gravats, et il n’y avait plus trace de cadavres dans la salle à manger. La grande table et les chaises à haut dossier étaient toujours là, mais un éclairage tamisé diffusé par de nombreuses lampes à huile donnait à la pièce un aspect accueillant. Sur une belle nappe blanche étaient disposés de nombreux amuse-gueules : petits fours, tranches de fromage aux herbes, olives marinées, pâtés de viande en croûte et autres mignardises. Le ventre de Barnabé émit un sourd grondement, tel le loup apercevant non loin un agneau aussi gras que boiteux.

Deux gardes au même aspect patibulaire que le précédent s’efforçaient de se fondre dans les murs. Un homme de forte corpulence, au crâne chauve ceint de rouflaquettes étrangement touffues, avait calé son volumineux postérieur dans l’une des chaises ; l’odeur résineuse du parfum dont étaient généreusement aspergés ses luxueux vêtements était perceptible depuis le seuil de la pièce. Leur vieil ami Filge se tenait debout derrière lui, silencieux.

- « Bienvenue ! » s’écria jovialement Maître Bélabar en se levant pesamment à l’entrée des compagnons. « Merci d’avoir répondu si promptement à mon invitation. J’espère que vous allez faire honneur à ce petit buffet impromptu : je déteste discuter affaires le ventre vide, pas vous ? Vous allez hélas devoir vous servir vous-même, croyez bien que j’en suis navré. J’ai dû réduire au maximum le personnel pour préserver autant que possible le secret de notre entrevue. »

Puis, les voyant immobiles sur le pas de la porte et se tenant cois, il les encouragea du geste à approcher.

- « Allons, allons, venez prendre place à ma table… Nous sommes entre gens raisonnables, je ne vais pas vous manger. Inutile d’être autant sur la défensive, détendez-vous », les rassura le gros magnat. « A ce sujet, j’espère que vous n’avez pas mal pris la plainte que j’ai du déposer au sujet de votre assaut sur cet observatoire ? Vous comprenez, vous avez causé tellement de dommages, et surtout de façon si… apparente, qu’il était difficile de nier qu’il s’est passé quelque chose. De surcroît, j’ai bien été obligé d’exiger que les coupables soient soumis à épreuve divine, sinon le Bailli se serait empressé de coffrer et de faire avouer n’importe quel ivrogne ramassé dans le caniveau. Nous ne voudrions pas qu’un pauvre innocent soit condamné pour un crime que vous avez commis, n’est-ce pas ? Allez venez… Goûtez-moi un peu de ce fromage fumé, sur ce petit vin ? Il va divinement avec les olives au basilic, aussi. »

Les compagnons l’ayant assuré ne pas avoir pensé une seule seconde qu’il ait pu s’agir d’une menace à leur encontre, tout en restant persuadés du contraire, l’entretien put se poursuivre sur le même ton faussement badin jusqu’à ce que tous soient rassasiés. Mathieu et Khalil s’abstinrent ostensiblement de participer aux agapes. Maître Bélabar ne s’en offusqua pas.

- « Ah, ça va mieux », soupira d’aise Bélabar en se tapotant les lèvres avec une serviette finement brodée. « Bien, voyons d’abord ce que vous avez appris sur – comment dirais-je ? – l’échantillon emprunté à ce bon Filge. Je vous écoute. »
- « Voici », répondit Barnabé en lui tendant le rouleau de parchemin préparé à son intention, avant de lui restituer le bocal contenant le ver. « Vous trouverez sur ce parchemin la retranscription du résultat d’un miracle de Communion pratiqué au temple de Greyhawk au sujet de votre… spécimen. »
- « Très intéressant. Voila qui devrait joliment compléter les recherches arcaniques menées par Filge », le complimenta Bélabar, en parcourant le document des yeux. « Dommage que cela n’ait ni queue ni tête… Ver qui marche ? Triple abomination ? Age de la Mort Rampante ? Qu’est ce que cela veut bien pouvoir dire ? »
- « Nous n’en avons nous-mêmes pas la moindre idée, hélas… », admit tristement Barnabé, sans mentir.
- « Tant pis. Mais tel n’était pas le principal motif de mon invitation, même si un petit supplément d’information ne se refuse jamais. Comme vous avez pu le comprendre à la lecture de la lettre que j’avais adressée à Filge ici présent, ce ver a été trouvé par l’un de mes employés au fond de la mine d’un concurrent. Il s’avère que nous avons des ennemis communs, contre lesquels je vous propose d’unir nos efforts. Concrètement, je suis disposé à vous révéler laquelle des nombreuses mines de Lac-Diamant abrite ces cultistes, à deux conditions non négociables. »
- « Dites toujours », répondit prudemment le hobniz..
- « Premièrement, vous devrez nettoyer les lieux vous-mêmes, en personne, sans en référer aux autorités civiles. »
- « Et pourquoi donc ? », demanda Barnabé, étonné.
- « Pour deux raisons essentielles, celles-là même qui m’ont également empêché de me tourner vers les dites autorités pour résoudre cette affaire. La première est qu’il est fort probable que ces cultistes bénéficient de complicités dont j’ignore tout. Pour ce que j’en sais, il est possible qu’ils aient infiltrés des espions au sein même de la garnison. Moins il y de gens informés, moins il y a de chances qu’ils soient avisés de nos intentions par avance et puissent agir en conséquence, en prenant la fuite ou en exerçant des représailles par exemple. »
- « Des espions partout… Cela devient passionnant », approuva Aloïs.
- « Et la seconde raison ? », demanda Barnabé, après avoir réduit Aloïs au silence d’un regard noir.
- « Hélas, mes ennemis m’ont fait la bien triste réputation d’un homme prêt à tous les coups bas. Je crains fort de ne pas être immédiatement cru sur parole si je venais à crier au loup, en prétendant que la mine de l’un de mes concurrents est un repaire de cultistes dépravés. Il me faudrait des preuves tangibles, dont je ne dispose pas. Je crains qu’en leur absence, notre bien aimé Gouverneur-Maire ne perde un temps précieux en tergiversations, voire ne traite cette question comme à son accoutumée et ne tente de faire monter les enchères entre moi et le concurrent en question pour profiter de la situation, avec les résultats désastreux que vous pouvez imaginer. »
- « Cela ne m’étonnerait guère, effectivement », dut admettre Barnabé, la logique de l’argument lui semblant incontestable. « Admettons que nous acceptions cette première condition. Quelle est la seconde ? »
- « Avant de vous l’exposer, il me faut d’abord vous donner un aperçu des circonstances qui m’ont conduit à la découverte de ce culte maléfique. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en ma qualité de dernier arrivant dans cette ville, je me heurte à des concurrents installés de longue date, qui font front contre moi pour maintenir obstinément le statu quo antérieur. »
- « Oui, l’on peut voir les choses comme cela… » lui concéda Barnabé, observant in petto que la situation pouvait tout aussi bien être présentée sous le jour d’une alliance défensive destinée à contrer un nouveau venu aux méthodes particulièrement agressives et déloyales.
- « Ce cartel fait fi des plus élémentaires règles de la libre concurrence. Je suis quant à moi un adepte fervent de la régulation de la concurrence par la ‘‘main invisible’’ du marché », s’enflamma Bélabar. « Mais peu importe, je m’égare. Quoi qu’il en soit, vous imaginez ma joie lorsque l’un de ces concurrents me contacta fin Doufoyer pour me proposer une alliance secrète. Une joie teintée d’une légitime méfiance, car cette offre aurait bien évidemment pu n’être que l’appât d’un piège habile. »
- « Je suppose que la paranoïa fait partie des qualités de l’homme d’affaires avisé ? », ironisa Kalen.
- « Je préfère parler de saine prudence. La seule exigence de cet allié inespéré était la livraison discrète de fournitures et de matériaux pour sa mine. Je me suis bien évidemment demandé ce qui pouvait motiver un tel besoin, et surtout pourquoi il n’achetait pas ouvertement ce qui lui faisait défaut. Ses explications confuses sur de supposés ‘‘érudits’’ ayant élu domicile au fond de sa mine pour y trouver le calme nécessaire à leurs cogitations n’ont bien évidemment fait qu’aiguillonner encore davantage ma curiosité. Subodorant qu’il y avait quelque chose de louche là-dessous, et poussé par mon sens du devoir, j’ai pris sur moi d’envoyer l’un de mes employés infiltrer discrètement la mine en question. »
- « Et que vous a-t-il dit ? », le pressa Barnabé, captivé par le récit du magnat.
- « Rien, hélas. Je ne l’ai plus revu vivant. Comme je crois savoir que vous l’a dit Filge ici présent lors de l’entretien prolongé que vous avez eu avec lui » expliqua Bélabar en usant d’un magnifique euphémisme pour décrire la séquestration et l’interrogatoire du nécromant, « j’ai trouvé sa tête sur mon oreiller le lendemain au réveil. Elle était mutilée, la mâchoire inférieure arrachée. J’ignore comment elle a pu arriver là ; personne n’a rien vu, ni rien entendu. »
- « Et ça s’est passé quand, ça ? », intervint de nouveau Aloïs, curieux de savoir si ces évènements pouvaient coïncider avec la disparition soudaine de son ancien ami et mentor Mestal, supposé parti en voyages d’affaires un mois plus tôt.
- « Oh, le 1er Jour des Dieux du mois de Frimadure. Cela a fait un mois et demi la semaine dernière », lui fut-il répondu, confirmant ainsi ses soupçons.
- « En effet. Filge nous en avait touché un mot… » admit Barnabé. « Mais si vous ne l’avez plus revu vivant, comment avez-vous eu le ver ? »
- « J’y viens. En fait, ce n’est que plus tard que le gant que voilà a été retrouvé dans l’une des multiples ‘boîtes aux lettres’ clandestines utilisées par mes employés pour me contacter en toute confidentialité…

Il claqua des doigts de sa main gantée, et une arbalète lourde chargée apparut subitement dans sa main. Prenant bien soin de la pointer vers le plafond pour ne pas effrayer inutilement ses invités, il la fit de nouveau disparaître avec la même aisance.

- « Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’un gant magique, propriété de mon employé tragiquement disparu. Il contenait le ver, dans son bocal. Avec le gant, il y avait un bref message codé, dont je vous ai fait préparer une retranscription… »

A ces mots, il sortit du revers de sa manche et tendit à Barnabé un petit bout de parchemin sur lequel l’on pouvait lire :

Sorti dans laboratoire, pris ver. Cultistes dans la mine. Humains et monstres. Mages en cagoules. Repéré, les ai semés. Rendez-vous point C à minuit.

- « Hélas, je dois dire que ce maigre rapport constitue la somme de mes connaissances sur les activités de ces cultistes… Sans compter l’identité du concurrent et de la mine en question, bien entendu. Comme je vous l’ai déjà dit, ces éléments ne suffiraient pas à inciter les autorités à agir de façon décisive. Or, il m’est impossible en tant que citoyen responsable de rester les bras croisés alors que couve sous nos pieds une telle menace. De surcroît, ma confiance a été trompée en cette affaire. Il m’est insupportable de penser que j’ai pu prêter, certes indirectement et à mon corps défendant, une quelconque assistance à une secte de meurtriers. Je ne savais donc que faire, jusqu’à ce que vous vous signaliez à mon intention en saccageant ces lieux et en molestant mon employé… Manifestement, vous avez des références solides en matière d’agression, que je vous propose d’employer à bon escient, pour changer. »
- « Vous êtes trop aimable… », commenta acidement Barnabé.
- « Mais j’en viens à ma seconde condition. Je veux également que vous fassiez disparaître toute trace tangible des livraisons que j’ai pu faire à cette mine. Je crains que tout lien, même ténu, avec un culte maléfique ne donne à mes adversaires un moyen de me nuire. Vous n’êtes pas sans savoir que la justice est une notion toute relative dans cette ville. Il est facile de faire condamner un honnête homme à partir de simples présomptions, pour peu que l’on dispose des bons arguments », expliqua Bélabar, en frottant le pouce et l’index dans un signe désignant communément l’argent, avant de reprendre en décochant un large sourire aux compagnons. « Bien sûr, c’est encore bien pire pour quelqu’un qui a réellement quelque chose à se reprocher, n’est-ce pas ? ».

Ne sachant trop si cette dernière remarque, mi-lard mi-cochon, constituait ou non une menace, aucun des compagnons ne réagit.

- « Et tant que vous y êtes, si d’aventure vous la trouvez, vous voudrez bien me ramener également la dépouille d’un autre de mes agents qui a disparu durant la même nuit. Il ne s’agit probablement pas d’une coïncidence : je suppose que le premier agent s’est réfugié auprès du second, et qu’ils ont été attaqués ensemble. C’était un homme brun, avec une barbe noire… Dans le doute, ramenez-moi tous les restes humains que vous pourrez trouver. Il est difficile de trouver du personnel qualifié, de nos jours. Rien de tel qu’un retour d’entre les morts pour cimenter la loyauté d’un employé. »
- « Certainement », acquiesça poliment Barnabé tout en se faisant la réflexion que cette requête, quelque peu incongrue au vu du prix habituellement réclamé pour un Miracle de Résurrection, pouvait cacher quelque chose. « Ce sera tout ? »
- « Et bien oui, ma foi. Comme vous pouvez le constater, il me semble qu’en cette sinistre affaire nos intérêts convergent parfaitement. Le marché est simple : un, vous nettoyez la mine des cultistes qui l’infestent, accomplissant ainsi votre devoir de bons citoyens ; deux, vous faites disparaître les éléments compromettants me concernant, empêchant ainsi la commission d’une tragique injustice ; trois, vous accomplissez en prime une bonne action en me ramenant la dépouille de mon agent disparu » récapitula le magnat en comptant sur ses gros doigts boudinés.

Puis, s’adressant directement à Mathieu, il précisa :

- « Bien entendu, cette nécessité d’une absolue discrétion ne s’oppose aucunement à ce que vous en référiez à votre hiérarchie au sein de votre Eglise, pour peu que cette affaire ne soit pas ébruitée plus avant. Je me doute bien que vous ne pourriez prendre l’engagement d’omettre quoique ce soit à ce bon Parangon ; je m’abstiens donc de vous le réclamer ». Puis, reportant de nouveau son attention sur tous les compagnons attablés, il posa la question fatidique : « Alors, êtes-vous intéressés par ma proposition ? Je compte sur votre intervention dès cette nuit, ou demain au plus tard : ces cultistes n’ont que trop longtemps ourdi leurs sombres machinations en totale impunité. Plus le temps passe, plus nous courrons le risque de les voir mettre à exécution leurs plans, quels qu’il soient. Il va sans dire que je ne vous disputerai pas la gloire liée à ce fait d’armes ; elle sera entièrement vôtre. Pour ma part, je ne saurais qu’en faire. »

Voyant les compagnons hésiter encore, il revint à la charge.

- « Votre indécision m’étonne, et me peine... Il vous en avait fallu bien moins que cela pour courir sus à ce pauvre Filge. A ce sujet, si bien sûr je ne vous ferais pas l’injure de vous proposer une récompense de peur de heurter vos sensibilités, sachez que si vous acceptiez, je nous considèrerais comme définitivement quittes pour les importants dommages matériels causés lors de votre petite incursion en ces lieux... »

Barnabé consulta du regard ses compagnons, qui opinèrent chacun à leur tour sans émettre d’objections. Est-ce ce dernier argument qui avait emporté le morceau, ou bien la logique irréfutable de la proposition de Bélabar ? Quoi qu’il en soit, un consensus unanime semblait avoir été trouvé. Barnabé reprit la parole.

- « Cela nous paraît acceptable », affirma t’il enfin, scellant l’accord avec le magnat.
- « Vous souhaitez un engagement écrit de notre part ? », lui demanda à son tour Kalen.
- « Absolument pas ! », se récria Bélabar. « Nous sommes entre gens de bonne compagnie. Si d’aventure vous décidiez de ne pas tenir votre parole, un petit bout de papier n’y changerait rien. Un simple serment solennel sur les divinités qui vous sont les plus chères me conviendra parfaitement. »

Une fois ces serments prêtés à sa satisfaction, Maître Bélabar reprit la parole.

- « Je prends bonne note de votre engagement aux termes convenus », commenta t’il. « La mine dont il est question est celle de Maître Pierrerude. Ce maudit dwur cachait bien son jeu. »

Tous les regards se tournèrent vers Hélebrank.

- « C’est pas la mine où tu travaillais, ça ? », lui demanda Barnabé.
- « Ben si… » confirma l’intéressé.

Sovereign Court

Tu écris vraiment bien. J'espère que tes joueurs t'apprécient à ta juste mesure.

D'un certain côté, je trouve ça dommage que la plupart des gens sur ce board ne puissent pas profiter de ce journal puisqu'il est écrit en français.


Moonbeam wrote:

Tu écris vraiment bien. J'espère que tes joueurs t'apprécient à ta juste mesure.

D'un certain côté, je trouve ça dommage que la plupart des gens sur ce board ne puissent pas profiter de ce journal puisqu'il est écrit en français.

Merci derechef. Mes joueurs sont plutôt satisfaits du journal, mais l'avis d'un tiers c'est toujours sympathique.

J'ai bien essayé d'entamer la traduction en anglais, mais vivant de ce côté-ci de l'Atlantique je ne suis pas aussi à l'aise avec cette langue que tu l'es, et cela me demanderait beaucoup trop de travail d'écrire en parallèle deux versions du journal... Quand j'ai un peu de temps, j'avance dessus, mais je n'ai pas encore terminé la toute première session!

Aussi, je n'ai pas trouvé d'équivalent francophone à des sites tels que celui-ci, ou ENworld (avec des journaux de campagne, je veux dire). Y'a ça, au Québec? Ou bien tout le monde utilise t'il les sites anglophones?

Sovereign Court

Smarnil le couard wrote:
Aussi, je n'ai pas trouvé d'équivalent francophone à des sites tels que celui-ci, ou ENworld (avec des journaux de campagne, je veux dire). Y'a ça, au Québec? Ou bien tout le monde utilise t'il les sites anglophones?

S'il y a des sites Québecois ou les gens postent des journaux de campagnes en français, je ne les connais pas. En fait, le seul site du genre que je fréquente est celui-ci. ;)

Ca semble en effet une tâche colossale de traduire le log en anglais, déjà j'admire le niveau de détail que tu mets dans la version française, avec tous les dialogues... wow!


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AU FOND, SEULS
(séance du 25 juin 2010)

3ème Jour du Soleil du Mois des Semailles
de l’Année Commune 595 (soir)
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spoiler:
J'ai du lourdement modifier le scénario tel que proposé, qui est sans doute le moins bon (ou carrément le plus mauvais) de toute la campagne. Ceux que cela intéresse pourront voir le détail de ces retouches sur le fil de discussion "Three faces of evil : some new plot tweakings".

L'infiltration dans la mine se résumait en gros à entrer dans la mine et à prendre la première à droite, en corrompant ou en intimidant les mineurs rencontrés au passage. Un peu léger... J'ai donc du inventer le détail des mesures de sécurité, les soumettre à mes joueurs et les laisser se débrouiller avec.

Ne leur dites pas, mais je les aurai laissés s'en tirer avec n'importe quel plan vaguement bien ficelé. Je n'ai pas eu à trop me forcer, puisqu'ils ont mis le doigt sur la faille de sécurité majeure que j'avais mise en place à leur intention.

Débuta alors un véritable conseil de guerre. Bélabar entreprit de donner aux compagnons un aperçu aussi exact que possible de la configuration intérieure de la mine Pierrerude, en s’aidant de divers ustensiles et couverts artistiquement disposés sur un coin de table pour illustrer tel ou tel point.

Ainsi, il leur expliqua que les quelques bâtiments érigés à la surface étaient essentiellement consacrés au logement des gardes, au stockage temporaire du minerai ou à la gestion administrative, et que la mine proprement dite était constituée d’une galerie principale hélicoïdale, d’une largeur uniforme de quatre mètres, s’enfonçant en pente douce dans les profondeurs. A l’extérieur de la courbe ainsi décrite, des rails en bois constitués de courts madriers étaient fixés au sol par des tenons ; la partie centrale était occupée par une rampe destinée au passage des poneys hâlant les chariots de minerai sur les dits rails ; et l’intérieur de la courbe, par de larges marches destinées au trafic piéton.

Maître Bélabar fit observer au passage que cette infrastructure sophistiquée était le reflet de la mentalité du propriétaire des lieux. Là où un humain se serait borné à forer un puits vertical desservi tant bien que mal par un monte-charge pour atteindre aussi vite que possible le précieux minerai, Ragnolin Pierrerude avait préféré consacrer de longues années à creuser une galerie en pente douce, et était payé en retour par la facilité avec laquelle son investissement lui permettait de ramener à la surface de grandes quantités de minerai.

De cet ouvrage central partaient huit galeries secondaires au tracé aussi irrégulier et tortueux que les filons de minerai de fer qu’elles suivaient. Vue du dessus, la configuration de l’ensemble n’était pas sans évoquer une roue de charrette dotée de huit rayons biscornus, irrégulièrement répartis autour du moyeu.

La première galerie en partant de la surface, épuisée de longue date, avait été reconvertie en hôtellerie souterraine. Autrement dit, le sol en avait été vaguement égalisé pour y disposer en rang d’oignon des dizaines de grabats. Juste en face, un poste de garde avait été aménagé pour surveiller les allées et venues des clients. Un jeton de bois valable pour une nuit leur était délivré à la surface en guise de sauf-conduit. Hélebrank précisa que le prix demandé pour la nuitée était de trois communs, mais que payer d’avance pour une semaine ne coûtait que deux nobles, ce qui représentait une économie d’un commun ; ses compagnons le remercièrent chaudement pour ce précieux complément d’information.

La seconde galerie avait été reconvertie en prison, et abritait une quarantaine de forçats. Durant la journée, ils travaillaient aux côtés des mineurs par groupes de cinq, portant fers aux pieds, sous la surveillance de quatre geôliers. Un second et dernier poste de garde lui faisait face.

- « Et ils viennent d’où, ces forçats ? », demanda ingénument Aloïs.
- « Excellente question ! Vous avez mis le doigt sur un autre secret de l’exceptionnelle rentabilité de la mine Pierrerude, au même titre que la qualité de son infrastructure. De fait, Ragnolin Pierrerude a fait l’acquisition auprès du Directoire Oligarchique d’une licence spéciale pour faire de sa mine un pénitencier privé. Les tribunaux de la Cité de Greyhawk, voire notre très cher Gouverneur-Maire, y envoient des criminels condamnés aux travaux forcés pour qu’ils purgent leur peine. Tout le monde y gagne : cela ne coûte pas un sou aux autorités, et ce vieux grigou de dwur bénéficie d’une main d’œuvre corvéable à merci. Hélas, à mon grand dam, je n’ai pu obtenir moi-même une telle licence. »

Bélabar poursuivit ensuite son exposé, indiquant aux compagnons que les trois galeries suivantes étaient également censées être désaffectées et laissées à l’abandon. Interrogé, Hélebrank ne put confirmer qu’elles étaient réellement vides de toute activité : par définition, il n’avait à aucun moment été appelé à y travailler.

La galerie suivante, la sixième en partant de la surface, était singulière en cela que Ragnolin Pierrerude s’en était expressément réservé l’exploitation, soi-disant pour occuper ses loisirs. Hélebrank précisa que l’accès n’en était toutefois interdit que par un simple panonceau, ce qui suffisait amplement pour tenir à l’écart les mineurs, ceux-ci n’étant de toute façon que très rarement laissés sans surveillance. Les compagnons ne manquèrent pas de trouver cette situation hautement suspecte, et firent de cette galerie leur principal objectif, avant les galeries désaffectées.

Les deux dernières galeries étaient en cours d’exploitation. Chaque jour, deux équipes composées de dix mineurs et d’autant de forçats y travaillaient, sous la supervision des contremaîtres et la surveillance des gardes et des geôliers. Elles étaient desservies par des rails de bois, mais seulement sur quelques mètres, juste assez pour accueillir les chariots de minerai en cours de chargement. Ceux-ci étaient ensuite remontés à la surface par deux attelages de poneys de trait menés chacun par un conducteur.

Enfin, au plus profond de la mine, une troisième équipe composée de vingt forçats travaillait à creuser et à façonner la galerie centrale, la faisant s’enfoncer toujours plus profondément dans les entrailles de la terre à la recherche de nouveaux filons. Ce travail leur était réservé en raison de son extrême dureté.

- « Abordons maintenant l’étude de votre plan d’attaque : c’est la partie que je préfère », jubila Bélabar en se frottant les mains. « Je suis en mesure de vous apporter une aide matérielle, par la fourniture d’équipement par exemple, ou en mettant sur pied une petite émeute à l’extérieur pour faire diversion. Mais pour cela, il me faut connaître en détail la façon dont vous comptez procéder pour vous introduire dans la mine. »
- « Premièrement, pas de violence » énonça fermement Hélebrank. « Déjà, parce que j’ai beaucoup d’amis parmi les mineurs, et que je ne tiens pas à les mettre en danger ; et ensuite, parce que donner l’assaut sur le vieil observatoire ne nous a apporté que des ennuis. Ce serait bien d’en tirer une leçon. ».
- « Allons, allons, tout n’est pas si négatif », le taquina gentiment Bélabar. « Cela vous a également valu une offre d’emploi, non ? »

S’ensuivit une longue discussion à bâtons rompus au cours de laquelle furent envisagés puis écartés divers plans d’action, des plus ambitieux, comme endormir la totalité des occupants de la mine en droguant leur nourriture, aux plus farfelus, comme se faire condamner pour un crime quelconque dans l’espoir d’être condamné aux travaux forcés, ou bien inonder la mine pour provoquer son évacuation.

- « Vous aviez fait comment la première fois, au juste, pour introduire votre ‘‘employé’’ dans la place, si ce n’est pas indiscret ? », demanda Aloïs, profitant d’un creux dans la conversation.
- « Nullement, je vous en prie », l’assura Bélabar. « Je présume que vous avez encore à l’esprit les livraisons de matériel réclamées par Pierrerude en échange de notre alliance ? Il m’a suffi d’une caisse dotée d’un mince double fond et d’une Potion de Sublimation. Lorsque que l’on veut vraiment obtenir quelque chose, il ne faut pas hésiter à s’en donner les moyens. »
- « D’autres livraisons sont-elles prévues ? » demanda Kalen avec intérêt.
- « Oui, ce qui explique sans doute que je sois encore de ce monde. Toutefois, je vous déconseille vivement d’utiliser le même subterfuge : depuis lors, mes livraisons sont sans nul doute très étroitement surveillées. Qui plus est, aucune ne doit avoir lieu dans les prochains jours. Je crains que vous ne deviez trouver une approche différente. »

Maître Bélabar tendit une main derrière lui, sans se retourner. Comme répondant à un signal convenu d’avance, Filge s’avança d’un pas et y déposa un rouleau de parchemin tiré d’une besace qu’il portait au côté, avant de se reculer pour reprendre place contre le mur.

- « J’ai justement pu me procurer, par l’intermédiaire de l’un de mes bons amis, le tableau de service des gardes pour cette semaine », continua Bélabar, en déroulant sur la table le dit parchemin, où étaient consignés noms, lieux et heures de faction des vingt-quatre gardes de la mine de son concurrent. « Comme vous pouvez le voir, ils sont répartis en deux équipes de douze, une de nuit et une de jour, elles-mêmes divisées en deux groupes de six gardes. Les équipes de nuit et de jour se relaient à l’aube et au crépuscule ; les deux groupes composant chacune de ces équipes échangent leurs postes à midi et à minuit. »
- « En tout, il y a donc quatre relèves de la garde, c’est bien cela ? », demanda Barnabé pour confirmation.
- « Exactement. A ces heures-là, le trafic est intense dans la galerie principale. Le reste du temps, chacun reste plus ou moins au poste qui lui est assigné, à quelques exceptions près. ».
- « Et qu’en est-il des mineurs et des autres employés de la mine ? » poursuivit le hobniz. « Combien sont-ils, au juste ? »
- « J’y viens… Outre les vingt-quatre gardes déjà évoqués, la mine Pierrerude compte trois contremaîtres, deux conducteurs d’attelage, quatre geôliers, un cantinier et une vingtaine de mineurs, le reste de la main d’œuvre étant constituée par les forçats. Leur emploi du temps est aligné sur celui des gardes : la journée de travail va plus ou moins de l’aube au crépuscule, de six heures du matin à six heures du soir. Notez que parmi les mineurs, il n’y a aucun employé permanent : ce sont tous des journaliers, engagés pour la journée au bon vouloir des contremaîtres. Leur embauche a lieu à la surface, à six heures et demi. A sept heures, après avoir pu louer leur équipement, ils descendent dans la mine avec les gardes de l’équipe de jour et commencent le travail. A midi, ils prennent leur repas sur place : le cantinier accompagne la relève au fond de la mine avec sa cuisine roulante et leur sert un grossier gruau. A six heures du soir, tous remontent, toujours en compagnie des gardes. »

Maître Bélabar s’empara de divers bocaux de marinade contenant olives et autres condiments avant de reprendre son exposé.

- « Comme vous pouvez le voir, les mineurs et les forçats sont accompagnés pendant la journée par six des gardes et les quatre geôliers. Ce sont les olives vertes. Leur travail est supervisé par deux des contremaîtres. Ce sont les câpres… » expliqua le magnat, pêchant avec les doigts puis disposant sur son schéma de la mine les condiments nécessaires. « Le troisième contremaître reste en surface pour effectuer la gestion administrative et superviser l’entreposage et l’expédition du minerai. Quatre autres gardes y surveillent les bâtiments et l’accès à la mine, et les deux derniers gardes sont de faction dans le poste situé face à la galerie faisant office de prison. Quant aux deux conducteurs, représentés par ces cornichons, ils font la navette avec leurs attelages de poneys dans la galerie principale. »
- « C’est aussi clair qu’appétissant… », commenta Barnabé en jetant un regard éloquent aux doigts dégoûtants d’huile épicée de son interlocuteur. « Et une fois la journée de travail terminée, que se passe t’il ? »
- « Il n’y a pas de travail de nuit. Les règles édictées en la matière par le Syndicat des Ouvriers et Travailleurs sont une entrave inqualifiable à la productivité. Mais passons… Geôliers, contremaîtres et conducteurs dorment dans ce bâtiment. Ces olives noires représentent l’équipe de nuit des gardes : six sont de faction à la surface, deux sont en poste devant la galerie prison et autant devant la galerie auberge. Les deux derniers maraudent dans la mine sans itinéraire précis. La seule autre inconnue est Maître Ragnolin lui-même : comme il se réserve les tâches d’ingénierie et n’a pas d’emploi du temps fixe, il est susceptible de se trouver n’importe où, n’importe quand, pour inspecter telle ou telle galerie », conclut Bélabar en posant un oignon blanc figurant le dwur à côté des deux olives noires représentant les gardes en patrouille.
- « Est-ce que cet… ‘‘ami’’ qui vous a procuré le tableau de service pourrait nous faire entrer discrètement dans la mine ? », demanda Hélebrank. « S’il s’agit d’un garde, cela devrait lui être facile. »
- « Hélas », soupira Bélabar. « Ragnolin Pierrerude tient pour certain qu’afin de s’éviter les désagréments d’un soulèvement des mineurs, il est plus rentable de payer grassement des gardes pour s’assurer de leur fidélité, et donc de l’efficacité avec laquelle ils réprimeraient un tel soulèvement, que d’en prévenir les causes. Autrement dit, il se montre aussi généreux avec son personnel de sécurité qu’il est pingre avec ses mineurs. Je n’ai encore trouvé aucun de ses gardes qui soit corruptible, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Quant aux autres employés, leur demander de fournir des renseignements est une chose ; exiger d’eux qu’ils prennent le risque de se compromettre personnellement en est une autre. Je crains que vous ne puissiez compter sur aucune complicité interne. »
- « Dommage… » commenta Hélebrank, déçu.
- « A qui le dites-vous », compatit Bélabar avant de reprendre le fil de son exposé. « Compte tenu de leurs conditions de travail et de l’absence de menaces extérieures, l’équipement fourni aux gardes est relativement léger : armure de cuir, gourdin et épée courte… C’est surtout des cors qu’ils portent à la ceinture dont il vous faudra vous méfier. Qu’un seul d’entre eux ait le temps d’en user, et tous les gardes seront alertés de la présence d’intrus, d’un bout à l’autre de la mine. »

Fort de ces renseignements très détaillés, les compagnons débattirent longuement de la meilleure approche possible. La possibilité de se présenter à l’embauche du matin comme journaliers fut évoquée puis rapidement écartée, au double motif qu’il était très peu probable qu’ils soient tous engagés, et qu’il leur serait ensuite par trop difficile de se soustraire à la vigilance des gardes et des contremaîtres.


Au final, tous tombèrent d’accord sur le fait que pour s’introduire dans la mine, le moyen le plus aisé était encore de s’y présenter en tant que client de l’auberge souterraine.

- « Très bien, mais on ne peut pas y aller comme ça, la bouche en coeur. Que des gens de notre qualité aillent se loger dans un pareil taudis va forcément provoquer la suspicion ! Pour aller s’enterrer là-dessous, il faut être dans une misère noire, si j’ose dire », protesta Kalen, peu enthousiasmé par la perspective d’une nuit à faire se pâmer d’extase un agoraphobe.
- « Sur ce point, je peux vous être d’assistance. J’ai prévu assez de hardes de paysans pour tous vous travestir, et j’ai aussi de quoi vous grimer. Je ne suis pas aussi doué à cet exercice que pouvait l’être mon défunt agent, mais disons que dans ma jeunesse j’avais un certain talent de maquilleur. Je serais ravi de mettre ma modeste ‘‘patte’’ à votre disposition », les rassura Maître Bélabar.
- « Parfait ! Cela devrait nous permettre d’entrer sans éveiller les soupçons. Maintenant, reste à savoir comment nous ensuite procéder pour éviter les gardes. Je pense que nous serons tous d’accord pour ne pas agir de nuit », avança Barnabé sans être contredit. « Il y a trop de risques de se faire surprendre par les gardes en patrouille, et deux postes de garde à passer au lieu d’un. »
- « En ce cas, est-il vraiment utile de passer une nuit dans ce trou humide qui se prétend une auberge ? » plaida de nouveau Kalen. « Si c’est juste pour attraper une fluxion de poitrine et se faire mettre dehors à l’aube avec les autres loqueteux pour participer à l’embauche, je ne vois pas bien ce que... »
- « Tu n’y es pas du tout, Kalen », le reprit Hélebrank. « D’abord parce que mes collègues mineurs ne sont pas… enfin pas vraiment… des loqueteux, comme tu dis, et ensuite parce c’est une vraie auberge. Je veux dire, pas parce qu’elle est confortable, loin de là, mais parce que n’importe qui peut payer pour y loger, pas uniquement les journaliers qui travaillent dans la mine. On n’est pas obligé de remonter à six heures pour l’appel. En fait, on ne doit vider les lieux qu’à midi, au plus tard. »
- « Rigoureusement exact », confirma Bélabar. « Ragnolin Pierrerude n’est pas dwur à se priver inutilement d’une source de revenus. L’auberge est donc ouverte à tous. »
- « Mais c’est très intéressant ça ! » s’écria Barnabé, avant de s’adresser plus particulièrement à Hélebrank. « Donc, si je te comprends bien, entre le moment où les mineurs désireux de travailler remontent à la surface et celui où ceux qui ont été effectivement embauchés redescendent en compagnie des gardes, il ne reste plus dans toute la mine que les quatre gardes de l’équipe de nuit postés devant l’auberge et la prison ? »
- « En fait, c’est encore mieux que cela : les gardes qui sont de faction devant l’auberge remontent avec les candidats mineurs », observa Hélebrank, fort de son expérience passée. « Je suppose qu’ils sont trop pressés de remonter à la surface pour attendre la relève. Ils croisent les quatre geôliers qui descendent réveiller et préparer les forçats. Dans la galerie principale, il ne reste donc plus que les deux gardes devant la prison ; ils ne quittent leur poste qu’après sept heures, au moment où le groupe des mineurs descend avec huit gardes de l’équipe de jour et fait halte au niveau de la prison, le temps que les forçats se joignent au cortège. Cela ne prend généralement que quelques minutes. Ensuite, deux des huit gardes restent sur place, et tous les autres poursuivent leur chemin vers les galeries en cours d’exploitation tout au fond de la mine. »
- « Il est heureux que nous ayons parmi nous un habitué des lieux », le complimenta Bélabar. « Ma source d’information ne m’avait pas informé de tous ces petits détails. L’adage se confirme : entre la théorie, telle qu’elle figure sur ce tableau de service, et la pratique, il semble qu’il y ait une certaine marge. »
- « Donc, une fois ces deux gardes-là évités, nous sommes libres d’aller partout dans la mine. Sauf dans les galeries exploitées, bien sûr. C’est bien cela, Hélebrank ? », insista le hobniz.
- « Ben oui, je suppose. En plus, le temps que le travail commence, que les premiers chariots soient remplis et remontent vers la surface, il se passera bien une heure ou deux. Si nous faisons vite, nous ne risquons pas de croiser quelqu’un. »
- « Je peux les neutraliser, moi », proposa Khalil. « Je passe devant eux, et s’ils tentent de m’arrêter…. »
- « On avait dit qu’on éviterait la violence », lui rappela Mathieu. « En plus, cela ne serait pas assez discret : l’alarme serait donnée trop rapidement, dès le passage du premier chariot. »
- « Autant pour moi. Considérez que je n’ai rien dit », s’excusa le moine, poliment mais sans la moindre contrition.
- « Si le budget n’est pas un problème, je propose que nous descendions tous sous le couvert d’une Potion d’Invisibilité, en même temps que les mineurs », suggéra Kalen.
- « Holà, mon jeune ami », le coupa Bélabar en agitant rapidement la main devant son visage, comme pour s’éventer. « Quand bien même l’assistance que je suis disposé à vous apporter serait sans limites, ce qui n’est pas tout à fait le cas, votre plan se heurte à une difficulté majeure : je doute fort que notre petit alchimiste local dispose dans ses stocks des six potions dont vous auriez besoin. »
- « Qui plus est, même avec le raffut que feront les mineurs et les gardes en descendant, le bruit d’une armure risque de s’entendre. Avec tout ce qu’il a sur le dos, Mathieu n’est pas un modèle de discrétion », ajouta Barnabé.
- « C’est vrai, cela va être un problème », reconnut le jeune paladin. « Est-ce qu’il y aurait moyen d’introduire par avance notre matériel dans la mine, et de le dissimuler à un endroit où nous pourrions le récupérer une fois dans la place ? »
- « Euh… En fait, ce n’est pas la peine », le coupa Barnabé, se rappelant subitement de quelque chose. « Nous pourrons résoudre ce problème par nous-mêmes. »
- « Mais bien sûr ! Ce qu’on est bêtes ! » s’exclama à son tour Aloïs. « On aura aucun mal à tout transporter sans faire de bruit ! »
- « Voila, c’est réglé, changeons de sujet », le coupa précipitamment Barnabé, tout en gratifiant Mathieu d’un regard noir parce qu’il s’apprêtait à poser une nouvelle question, n’ayant pas encore compris que ses compagnons pensaient à utiliser le Sac de Contenance mais ne souhaitaient surtout pas en parler devant Bélabar pour ne pas lui en révéler l’existence. « Partons du principe que nous n’aurons pas six Potions d’Invisibilité : comment allons nous procéder pour passer les gardes en faction devant la prison ? »
- « Si l’on peut avoir ne serait-ce qu’une seule potion, pourquoi ne pas droguer leur nourriture ou leur boisson ? », proposa Khalil. « ils doivent bien emporter des provisions avec eux, s’ils doivent rester en faction six heures durant. »
- « Très bonne idée. Je peux vous fournir le soporifique adéquat », intervint Bélabar. « J’en ai justement un à disposition qui devrait faire merveille. »
- « Encore faut-il qu’il soit assez puissant pour les endormir à coup sûr, mais sans que ce soit trop rapide », insista Barnabé. « Nous serions dans de beaux draps si, au moment où le premier des gardes piquera du nez, l’autre n’a pas encore eu le temps de boire, ou est au contraire encore suffisamment vaillant pour donner l’alerte. »
- « Vous m’insultez » se récria Bélabar. « Il y a soporifiques et soporifiques : ceux que l’on met dans sa camomille pour passer une bonne nuit, et ceux qui vous couchent un taureau sur le flanc sans coup férir. Celui que je vous propose ferait plutôt partie de la seconde catégorie. Qui plus est, il se marie très bien avec le vin. Je trouve qu’il apporte une petite note boisée pas du tout désagréable. Veillez juste à ne pas trop le diluer, si vous ne voulez pas que votre cible ait à boire plusieurs litres avant d’en ressentir les effets. »

Les compagnons envisagèrent un instant de s’introduire dans les baraquements pour droguer les provisions des deux gardes qui, d’après le tableau de service, seraient de faction devant la prison au moment opportun. Ils renoncèrent rapidement à ce plan lorsqu’il leur apparut que le risque était grand de se tromper de cible. En effet, la répartition des lits au sein de chaque chambrée n’était connue que des gardes eux-mêmes, et il était peu probable qu’ils aient pris la peine d’accrocher au dessus de leur lit un écriteau portant leur nom afin de faciliter la tâche à d’éventuels intrus.

- « Par-dessus le marché, si par malheur nos gardes s’avisaient de manger un morceau ou de boire un coup avant de prendre leur service, le plan serait à l’eau » conclut Barnabé. « Mieux vaut droguer leurs provisions alors qu’ils sont déjà en poste, c’est plus sûr. Je pense pouvoir y arriver, avec ou sans potion. »
- « Et si on laissait traîner une bonne bouteille de vin déjà drogué, là où les gardes ne manqueront pas de la trouver ? » proposa Hélebrank. « Ou alors, l’un d’entre nous va les voir et fait mine d’essayer de les soudoyer avec, en faisant en sorte de se la faire confisquer. »
- « Bonne idée, mais il faut que ce soit absolument crédible. Sinon, ils risquent fort de se douter de quelque chose », objecta Barnabé. « L’un d’entre vous a t’il des talents de comédien ? »
Personne ne lui ayant répondu par l’affirmative, il reprit.
- « En ce cas, il serait plus raisonnable de nous en tenir à un plan plus simple à mettre en œuvre. J’ai ma petite idée sur la façon dont je vais procéder. Ne nous reste qu’à nous procurer une gourde, et du bon vin en guise d’appât. »
- « Pour la gourde, aucun problème, mes gardes vont vous apporter cela avec vos guenilles. Et pour le vin, servez-vous : il y a tout ce qu’il vous faut sur la table », répondit le gros magnat en désignant les reliefs de l’abondante collation servie à ses invités, où figuraient bon nombre de bouteilles d’un cépage honorable.

Les détails de leur plan ayant été arrêtés, Bélabar s’essuya méticuleusement les doigts dans la nappe de lin finement brodé, puis se fit apporter une énorme sacoche de cuir noir emplie de postiches et de produits cosmétiques.

Exception faite d’Hélebrank, les compagnons se soumirent l’un après l’autre aux bons soins du magnat. De faux hématomes recouvrirent le visage d’Aloïs, le rendant méconnaissable. Les petites prothèses insérées à l’intérieur des narines et des joues de Kalen modifièrent subtilement la forme de son nez et de son visage. Une généreuse couche de fond de teint appliquée avec un art consommé recouvrit les tatouages rituels arborés par Khalil sur le front et les avant-bras ; d’épaisses moustaches tombantes assorties à une longue crinière d’un noir de jais parachevèrent la transformation du baklunien en un personnage d’ascendance indéfinissable. Mais c’est sur Mathieu que Maître Bélabar obtint le résultat le plus spectaculaire : le nez épaté par une prothèse, le teint verdi par une crème, et la mâchoire inférieure rendue prognathe par la pose de deux fausses canines protubérantes, le jeune paladin à l’impressionnante carrure faisait un demi-orc tout à fait présentable.

Puis ils prirent congé, après avoir réclamé et obtenu de Bélabar une deuxième dose de soporifique au cas où leur premier plan échouerait, ainsi qu’une subvention de 300 orbes pour faire l’acquisition d’une potion. Soucieux de préserver la sensibilité délicate de certains, le magnat les assura que pour sa part, il considérait que cette somme n’avait valeur que de prise en charge de leurs frais, moralement acceptable, et non de rémunération, hautement répréhensible.


Sorry to interrupt, but I just noticed this campaign journal today. The idea of playing Age of Worms in the HERO system is very interesting! I've played lots of Champions in my day, but never Fantasy Hero.

Do you have any character sheets for the "PJs" or perhaps your conversion of the wind warrior that you can post here? I'm curious what sort of power level you're playing at, and what the various spells look like.

I've been mostly skimming the actual campaign journal and instead reading the humourous comments that you and Moonbeam have been making. :-) I'm playing in a PFRPG Age of Worms game on this web site and we're just slightly ahead of you, it looks like.


hogarth wrote:

Sorry to interrupt, but I just noticed this campaign journal today. The idea of playing Age of Worms in the HERO system is very interesting! I've played lots of Champions in my day, but never Fantasy Hero.

Do you have any character sheets for the "PJs" or perhaps your conversion of the wind warrior that you can post here? I'm curious what sort of power level you're playing at, and what the various spells look like.

Welcome aboard! If you are interested in the technical side of things, I could send you my Excel sheet for one of the PCs or the Wind warriors, and some spells (by e-mail). It would be too long (and tedious) for a post. I hope you can read french...

We use 6th edition, with a 120 pts base (that now includes disads).


Super-fantastique! You can send them to:

Spoiler:
hogarth @ hogarth.4t.com

Smarnil le couard wrote:
I hope you can read french...

I understood about 80%-90% of what I read in this thread so far, although I had to look up a few words (dégueulasse, tatonnements, Poitou). Now speaking or writing French is a totally different matter!

Smarnil le couard wrote:
We use 6th edition, with a 120 pts base (that now includes disads).

I haven't played HERO since 4th edition; mostly I played Champions (second edition) back in the old days. I think it should still be comprehensible, though.

Sovereign Court

Again, what a wonderfully detailed scene and dialogue. You're amazing.

My DM also heavily modified this module when we played it, as well as the following one (Blackwall Keep something).


Thanks for sending me the information! I noticed that there was a separate Mana stat as well as an Endurance stat (so casting a spell uses up "spell points" as well as fatiguing you a little bit). Is that from HERO as well?


hogarth wrote:
Thanks for sending me the information! I noticed that there was a separate Mana stat as well as an Endurance stat (so casting a spell uses up "spell points" as well as fatiguing you a little bit). Is that from HERO as well?

Nope, not really. It's a customized characteristic, along with Mana Recovery (RECM).

In our magic system, among other differences between casters, Mages use MANA (and not END), psions use END, and priests use END taken from an END Reserve representing the amount of divine power allowed to them by their god. It felt weird to me that powerful mages would have to be expert marathon runners too.


Moonbeam wrote:

Again, what a wonderfully detailed scene and dialogue. You're amazing.

My DM also heavily modified this module when we played it, as well as the following one (Blackwall Keep something).

Let's keep using english for comments, it will be more welcoming for other readers...

Three Faces of Evil plot has more holes than your typical sieve. IMO, running it as written would compromize suspension of disbelief well beyond the breaking point. I am not surprised that your DM (the same as for Savage Tide?) made big changes too.


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La première démarche des compagnons fut de se rendre à la fonderie, un bâtiment fortifié aux formes massives érigé sur la rive du lac, et principal responsable de la pollution qui avait exterminé sa faune aquatique et mis sur la paille les pêcheurs de Lac-Diamant.

De par la loi, la totalité du minerai extrait des mines de la ville devait être raffiné dans cette grosse manufacture, érigée huit décennies auparavant par le Directoire Oligarchique de Greyhawk. A l’époque, chaque propriétaire de mine possédait sa propre fonderie, et les tentatives de sabotage étaient devenues si fréquentes qu’elles avaient fini par mettre gravement en péril la régularité de l’approvisionnement en métaux des marchés de la Cité. Un édit avait donc été pris pour confier le monopole de cette activité aux autorités publiques et confisquer l’ensemble des fonderies privées, qui furent par la suite remplacées par l’actuel bâtiment.

Une tour érigée dans un angle servait de résidence et d’atelier à un alchimiste demi-olve du nom de Bénazel, chargé de superviser les processus alchimiques complexes employés pour le raffinage du minerai. Les personnes bien informées savaient qu’en plus de ses fonctions officielles, qui lui laissaient beaucoup de temps libre, il utilisait à son profit le matériel et les réactifs mis à sa disposition pour réaliser divers produits alchimiques et potions magiques qu’il revendait ensuite sous la manteau pour arrondir ses fins de mois.

Désigné par ses compagnons comme émissaire en raison de ses connaissances (supposées) en matière de philtres magiques, Kalen emprunta l’escalier extérieur menant à la tour de Bénazel et frappa à la porte. Il dut se soumettre à un rapide examen au travers d’un petit guichet, puis la porte s’entrebâilla pour le laisser entrer, laissant apparaître un petit homme fluet aux oreilles à peine pointues, vêtu d’une robe d’intérieur tachée dégageant une odeur âcre.

- « Bonjour. Une potion d’Invisibilité, c’est combien ? », demanda Kalen, attendant à peine que la porte soit refermée derrière lui.
- « Hmmm… 400 orbes », lui répondit Bénazel après l’avoir longuement toisé, de la tête aux pieds.
- « Hein ! Mais je n’en ai que 300 ! » s’exclama ingénument Kalen.
- « Vendu. J’ai aussi une promotion sur les brindilles à feu, 1 orbe pièce, c’est donné. Ou des pierres-tonnerre, peut-être ? J’en ai des fraîches, faites d’hier. Des fioles de feu alchimique ? Un adoucissant pour vos textiles ? »

S’ensuivit une très longue liste de produits alchimiques divers, tous forcément indispensables à l’homme moderne, l’alchimiste ayant manifestement flairé en Kalen un client à fort potentiel. Ce n’est qu’en lui promettant de revenir régulièrement pour profiter des offres promotionnelles que ce dernier put le faire taire et prendre congé, pour retrouver ses compagnons en brandissant triomphalement la précieuse fiole.

Une fois arrivés à proximité mais hors de vue de la mine Pierrerude, les compagnons firent halte pour procéder aux derniers préparatifs. Ils placèrent tout leur matériel dans le Sac de Contenance, ne gardant sur eux que les défroques de paysan aimablement fournies par Maître Bélabar et les quelques pièces d’équipement facilement dissimulables ou compatibles avec leur nouveau statut de miséreux. Barnabé les fit tous profiter de sorts de Vision Nocturne et de Nyctalopie, puis se lança son sort de Rapetissement mineur, ce qui réduisit encore sa petite taille de moitié, avant de grimper dans un sac de toile de jute miteuse que Mathieu posa précautionneusement sur son épaule, le maintenant en place d’une main.

- « C’est génial », s’exclama Aloïs. « On ne dirait jamais qu’il y a quelqu’un là dedans ! »
- « Et même si un garde fouille le sac et trouve Barnabé, je pourrais toujours dire que c’est mon quatre heures », plaisanta Mathieu en souriant de toutes ses (fausses) canines.
- « Très drôle », commenta une voix étouffée depuis le sac. « En attendant, sois gentil, fais attention aux encadrements de porte. Je suis fragile ! »

Le plan se déroula absolument sans encombres. Les compagnons se présentèrent par petits groupes pour prendre un grabat dans la galerie auberge, et éveillèrent d’autant moins les soupçons qu’ils eurent la chance de pouvoir se mêler à un flot de mineurs regagnant leurs pénates après une soirée de beuverie en ville. Ils n’eurent même pas à se servir des faux noms qu’ils avaient pris la peine de se choisir ; personne ne prit la peine de leur demander de décliner leur identité.

Arrivés dans la galerie, Hélebrank fit malgré lui diversion en engageant une discussion animée avec ses anciens collègues, tous groupés près de l’entrée dans la faible lumière d’une chandelle. Ses compagnons en profitèrent pour disparaître un à un au fond du boyau, nullement dérangés par les ténèbres qui y régnaient. Là, ils prirent un peu de repos en attendant l’aube, montant la garde chacun à leur tour.


Je viens de découvrir ça ! Du Age of Worms en France, c'est cool !!
J'ai joué les trois premiers scénarii, et je vois qu'il y a déjà largement de quoi lire !
Bravo en tout cas, c'est vachement détaillé.


selios wrote:

Je viens de découvrir ça ! Du Age of Worms en France, c'est cool !!

J'ai joué les trois premiers scénarii, et je vois qu'il y a déjà largement de quoi lire !
Bravo en tout cas, c'est vachement détaillé.

Bienvenue à bord, et bonne lecture.

Vous n'avez joué QUE les trois premiers scénarios (avant d'arrêter), ou bien est-ce que vous êtes en train de jouer la campagne? (juste histoire de dire si je dois me restreindre en matière de commentaires pour éviter les spoilers...)

Sovereign Court

Smarnil le couard wrote:
Three Faces of Evil plot has more holes than your typical sieve. IMO, running it as written would compromize suspension of disbelief well beyond the breaking point. I am not surprised that your DM (the same as for Savage Tide?) made big changes too.

Yes, it's the same DM as Savage Tide.

One example of a silly encounter that he kept was this one...

Spoiler:
The one with a pit we had to painstakingly go down into and two Morlocks (or whatever those cave creatures were) standing on a ledge at EXACTLY "the distance away from our party's light spells + 1 square so we can't see them"... And of course those guys were built to be super-duper archers...

I guess there were some even worse things in the adventure's story?

Anyway, he told me that the 3rd adventure was even worse. But the rest of the campaign greatly improved afterward.

Btw, I have only played up to the 4th adventure, and I don't know for sure whether we'll ever continue the campaign or not (been on a hiatus for about 1.5 years now...) so please put spoiler tags if you're going to reveal information about later parts of the campaign.


Moonbeam wrote:

One example of a silly encounter that he kept was this one...

** spoiler omitted **

I guess there were some even worse things in the adventure's story?

TFoE spoiler:
Yep, worse than blind bowmen standing on a one foot wide ledge. IMC, they will got a generous supply of stone throwing axes instead of bows, to avoid stupid jokes.

Besides the whole plot itself, and the fact that the module is way too long on the bashing and too short on the thinking, my main point of contention is the maze. Oh my, a maze. With lots and lots of birdmen (kenkus) ambushing the PCs before retreating behind "cultists only" automatic secret doors (yes, they open by themselves when a cultist, and only a cultist, want to go through them. Cheese, anyone?).

Moonbeam wrote:

Anyway, he told me that the 3rd adventure was even worse. But the rest of the campaign greatly improved afterward.

Btw, I have only played up to the 4th adventure, and I don't know for sure whether we'll ever continue the campaign or not (been on a hiatus for about 1.5 years now...) so please put spoiler tags if you're going to reveal information about later parts of the campaign.

EtBK spoiler:
Well, I dont' think the third adventure is worse. You only have to fix one (and only one, where TFoE proudly boasts of tens of them) huge plot hole, and you are done: "what do you mean, you locked the garrison's wizard down in the cellar years ago and never told ANYONE?!". I intend to ignore that part, and have one of the prisoners contaminated by a slow worm transform later into a spawn, for an Alien style creepy scene.

We play this evening, probably for the assault on Hextor's temple. But I have two more posts to do to be up to date with our june session.


Smarnil le couard wrote:

Bienvenue à bord, et bonne lecture.

Vous n'avez joué QUE les trois premiers scénarios (avant d'arrêter), ou bien est-ce que vous êtes en train de jouer la campagne? (juste histoire de dire si je dois me restreindre en matière de commentaires pour éviter les spoilers...)

Oui nous n'avons joué que les trois premiers, et la campagne s'est arrêté par manque de joueurs motivés y'a bien deux ans. Elle reprendre peut être quand il y aura assez de joueurs réguliers. Seul truc, c'est que même moi qui est surement le plus motivé, je suis moins tenté, car le DM est décidé à jouer la campagne avec un système light dont je ne suis pas du tout fan.

Sovereign Court

TFoE spoiler::
hahaha.... That's true, those damn secret doors... hahhahahahahaha That was so stupid. When the DM told me that, we both agreed that it was so silly, I didn't even complain about it, I think I just shrugged and said "OK, whatever..."

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